23 March 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-82.958

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00349

Titres et sommaires

COUR D'ASSISES - question - circonstances aggravantes - eléments constitutifs - défaut de l'un des éléments constitutifs dans la question posée - mention de l'élément constitutif omis dans la question dans la feuille de motivation - effet - cas - crime commis contre une personne dépositaire de l'autorité publique

Les mentions de la feuille de motivation sont de nature à établir que la cour et le jury ont été interrogés sur les éléments constitutifs de la circonstance aggravante d'un crime, au cas où la question qui s'y rapporte ne les a pas tous indiqués. N'encourt pas la censure l'arrêt dont la feuille de motivation indique que la qualité des victimes, fonctionnaires de police, était apparente, cette circonstance n'étant pas spécifiée dans la question correspondante

Texte de la décision

N° F 21-82.958 F-B

N° 00349


SL2
23 MARS 2022


DECHEANCE
REJET

M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MARS 2022



[J] [K], M. [H] [T] et M. [W] [B] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'assises des mineurs de Paris, 3e section, en date du 18 avril 2021, qui, pour tentatives de meurtres, aggravés, les a condamnés, chacun, à dix-huit ans de réclusion criminelle.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits.

Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de [J] [K], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [H] [T], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 février 2022 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, Mme Slove, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Quatre fonctionnaires de police, à bord de deux véhicules, ont été attaqués, à [Localité 1], par un groupe d'une quinzaine de personnes qui ont jeté dans leur direction des bouteilles incendiaires et des pavés.

3. [J] [K], mineur au moment des faits, MM. [H] [T] et [W] [B] ont été mis en examen et renvoyés, avec dix autres personnes, devant la cour d'assises des mineurs de l'Essonne, des chefs de tentatives de meurtres sur personnes dépositaires de l'autorité publique.

4. La cour d'assises a statué par arrêt du 4 décembre 2019.

5. [J] [K], MM. [T], [B] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Déchéance du pourvoi formé par M. [B]

6. M. [B] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen proposé pour [J] [K], le premier moyen et le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, proposés pour M. [T]


7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le second moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [T]

8. La Cour de cassation ayant, par arrêt du 24 novembre 2021, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.

Sur le premier moyen proposé pour [J] [K]

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré [J] [K] coupable d'avoir, le 8 octobre 2016, tenté de donner volontairement la mort à quatre personnes dépositaires de l'autorité publique, l'a exclu du bénéfice de la diminution de peine prévue par l'article 20-2 de l'ordonnance du 2 février 1945 et l'a condamné à une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle, alors :

« 1°/ que le jury de jugement est composé de six jurés lorsque la cour statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu'elle statue en appel ; qu'en l'espèce, à l'issue des débats, « la cour et les six jurés de jugement ainsi que les quatre jurés supplémentaires, conformément aux dispositions de l'article 296 du code de procédure pénale, sont entrés dans la chambre des délibérations » ; qu'en statuant, à hauteur d'appel, en présence de six jurés, la cour d'assises des mineurs a violé les articles 296 et 592 du code de procédure pénale, ensemble l'article 20 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;

2°/ que le jury de jugement est composé de six jurés lorsque la cour statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu'elle statue en appel ; que tout jugement ou arrêt doit contenir la preuve de la composition régulière de la juridiction dont il émane ; qu'en l'espèce il ressort du procès-verbal des débats, tout à la fois que neuf jurés ont été désignés à l'ouverture des débats et que « la cour et les six jurés de jugement (…) sont entrés dans la chambre des délibérations » ; que du fait de ces mentions contradictoires, la cour d'assises des mineurs, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 296, 592 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 20 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. »

Réponse de la Cour

10. Si le procès-verbal des débats indique qu'à la clôture des débats, lors de la suspension d'audience, les six jurés de jugement sont entrés dans la salle des délibérations, le procès-verbal mentionne, dans l'ordre dans lequel ils ont été tirés, les noms des neuf jurés de jugement, tout en indiquant également la présence des neuf jurés de jugement lors de chaque reprise des débats, après les suspensions.

11. En cet état, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que le jury était légalement composé.

12. Ainsi le moyen, qui se fonde sur une simple erreur matérielle, ne peut qu'être écarté.

Sur le deuxième moyen proposé pour [J] [K]

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré [J] [K] coupable, d'avoir le 8 octobre 2016, tenté de donner volontairement la mort à quatre personnes dépositaires de l'autorité publique, l'a exclu du bénéfice de la diminution de peine prévue par l'article 20-2 de l'ordonnance du 2 février 1945 et l'a condamné à une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle, alors « que chaque circonstance aggravante doit faire l'objet d'une question distincte ; que constitue une circonstance aggravante de la tentative de meurtre la circonstance que la victime était une personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur ; qu'en retenant une telle circonstance aggravante en répondant par l'affirmative à la question n° 2 se bornant à indiquer que la tentative de meurtre avait été commise sur des personnes dépositaires de l'autorité publique, dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions, sans préciser la dernière exigence de ce texte, à savoir que cette qualité était « apparente ou connue de l'auteur », la cour d'assises d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 349 du code de procédure pénale, ensemble l'article 221-4 du code pénal. »

Réponse de la Cour

14. La deuxième question de la feuille de questions, est ainsi rédigée : « la tentative de meurtre, ci-dessus spécifiée a-t-elle été commise sur des personnes dépositaires de l'autorité publique, dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions » ?

15. Si cette formulation omet de préciser que la qualité des victimes était apparente ou connue des auteurs, ainsi que le prévoit l'article 221-4, 4°, du code pénal, la cassation n'est toutefois pas encourue, dès lors que la feuille de motivation indique que la tentative de meurtre a été commise sur des personnes dépositaires de l'autorité publique, à savoir des fonctionnaires de la police nationale en service, dont la qualité était parfaitement apparente, ce dont il résulte que la cour et le jury ont été interrogés sur tous les éléments constitutifs de la circonstance aggravante retenue.





Sur le quatrième moyen proposé pour [J] [K]

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré [J] [K] coupable d'avoir, le 8 octobre 2016, tenté de donner volontairement la mort à quatre personnes dépositaires de l'autorité publique, l'a exclu du bénéfice de la diminution de peine prévue par l'article 20-2 de l'ordonnance du 2 février 1945 et l'a condamné à une peine de dix-huit années de réclusion criminelle, alors « que la tentative de meurtre suppose la commission d'un acte matériel positif de nature à causer la mort d'autrui ; qu'en bornant à retenir, d'une part, que « les faits constituent une scène unique de violence, qui doit être appréciée dans son ensemble, sans qu'il soit nécessaire de préciser les faits et gestes de chacun des participants à l'attaque », et, d'autre part, que [J] [K] était présent sur les lieux au moment de l'attaque, sans caractériser le moindre acte positif susceptible de causer la mort des victimes à l'encontre de celui-ci, la cour d'assises d'appel a statué par des motifs inopérants à caractériser une tentative de meurtre et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 121-4, 121-5, 221-1 et 221-4 du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

17. Pour déclarer l'accusé coupable de tentatives de meurtres aggravés, la feuille de motivation énonce que seize hommes vêtus de noir, dont les visages étaient dissimulés, sont arrivés groupés, en courant, à l'arrière d'un des véhicules de police, qu'ils étaient porteurs de pavés et d'une douzaine de cocktails Molotov déjà allumés, lancés à très courte distance dans l'habitacle du véhicule, qui s'est immédiatement embrasé, alors que deux policiers se trouvaient à l'intérieur.

18. Les juges énoncent que l'intention homicide des auteurs est établie par différents éléments, résultant notamment des auditions des parties civiles, des constatations effectuées par les enquêteurs, et des films de vidéosurveillance projetés à l'audience.

19. Ils ajoutent que l'attaque a duré quelques dizaines de secondes, qu'elle est l'œuvre d'un groupe organisé et préparé, qui a manifestement effectué un repérage préalable.

20. Ils concluent à cet égard que les faits constituent donc une scène unique de violence, qui doit être appréciée dans son ensemble, sans qu'il soit nécessaire de préciser les faits et gestes de chacun des participants à l'attaque.

21. S'agissant de [J] [K] spécialement, la feuille de motivation énonce, notamment, que l'accusé reconnaît appartenir à la bande de la « Serpente », et énumère les éléments au titre desquels elle retient qu'il en est le meneur. Elle se fonde sur les déclarations de deux personnes, selon lesquelles, la veille des faits, [J] [K] a été vu préparer des cocktails Molotov, avec deux autres personnes dont le visage était dissimulé par des cagoules. Elle relève que parmi les attaquants filmés par un tiers, apparaît un individu dont la main gauche est totalement blanche, et que [J] [K] n'a pas contesté à l'audience que le 17 juillet 2016, il avait été opéré de la main gauche, après s'être blessé la veille avec un mortier d'artifice. Elle se réfère à la mise en cause de l'accusé par deux renseignements anonymes, mais aussi par un témoin anonyme et par deux témoins, l'un d'eux ayant maintenu à l'occasion d'une confrontation l'avoir reconnu à son physique, sans connaître son nom, parmi les fuyards, après l'attaque, mais aussi avoir appris par un tiers qu'il faisait partie des assaillants.

22. Elle conclut qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, [J] [K] doit être déclaré coupable des faits de tentative de meurtre sur personnes dépositaires de l'autorité publique.

23. En statuant ainsi, la cour d'assises n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

24. En effet, d'une part, lorsque des violences ont été exercées volontairement et simultanément, dans une intention homicide, par plusieurs accusés, au cours d'une scène unique, l'infraction peut être appréciée dans son ensemble, sans qu'il soit nécessaire pour les juges du fond de préciser la nature des violences exercées par chacun des accusés sur chacune des victimes.

25. D'autre part, les énonciations de la feuille de questions et celles de la feuille de motivation mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'assises, statuant en appel, a caractérisé les principaux éléments à charge, résultant des débats, qui l'ont convaincue de la culpabilité de [J] [K].

26. Par ailleurs la procédure est régulière et les peines ont été légalement appliquées aux faits déclarés constants par la cour et le jury.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. [W] [B] :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur les pourvois formés par [J] [K] et M. [H] [T] :

Les REJETTE ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois mars deux mille vingt-deux.

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