8 March 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-87.213

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00384

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Détention provisoire - Décision de prolongation - Débat contradictoire - Demande de renvoi - Réquisitions du ministère public - Droits de la défense - Parole en dernier du mis en examen ou de son conseil - Défaut - Effets

Il se déduit des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que, lorsque le ministère public est entendu, au cours du débat contradictoire, sur une demande de renvoi présentée par la personne mise en examen ou son avocat, ceux-ci doivent pouvoir prendre à nouveau la parole après les réquisitions sur cette demande. Lorsque tel n'est pas le cas, la nullité du débat contradictoire qui en résulte relève de l'article 802 du code de procédure pénale. L'existence d'un préjudice doit être exclue s'il résulte des pièces de la procédure qu'aucun renvoi n'était possible en raison de la date d'expiration du mandat de dépôt. Dans les autres hypothèses, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher, en premier lieu, si, dans son mémoire devant elle, la personne détenue a allégué qu'elle aurait été en mesure d'opposer au ministère public une argumentation opérante puis, en second lieu, si l'ordonnance du juge des libertés et de la détention répond à cette argumentation. Si tel n'est pas le cas, le grief est établi. N'encourt pas la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui confirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire de la personne mise en examen qui soutenait en appel n'avoir pas pu faire valoir, en réponse aux arguments du procureur de la République et faute d'avoir eu la parole en dernier sur la demande de renvoi, que, dans le cas où le débat contradictoire serait renvoyé, elle renoncerait à se prévaloir du non-respect des délais de convocation, dès lors que le respect du délai prévu à l'article 114 du code de procédure pénale ne s'impose pas en cas de report du débat à la demande de l'avocat régulièrement convoqué, de sorte que cette argumentation était inopérante

Texte de la décision

N° F 21-87.213 FS-B

N° 00384


RB5
8 MARS 2022


REJET


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 MARS 2022



M. [R] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers, en date du 1er décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs notamment d'importation de stupéfiants, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [R] [H], et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Lesclous, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,





la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 15 mars 2021, M. [R] [H] a été mis en examen des chefs précités et placé en détention provisoire.

3. A l'issue de son interrogatoire de première comparution, il a désigné pour l'assister, pour la suite de la procédure, M. [Z] et son collaborateur M. [N].

4. M. [Z] a sollicité du juge d'instruction la délivrance d'un permis de communiquer pour lui-même et l'ensemble de ses collaborateurs.

5. Le juge d'instruction a adressé à M. [Z] un permis portant uniquement son nom et celui de M. [N].

6. Le 12 octobre 2021, M. [Z] a été convoqué devant le juge des libertés et de la détention pour un débat contradictoire en vue de la prolongation de la détention provisoire de M. [H] fixé au 8 novembre 2021 à 11 heures.

7. Le 3 novembre 2021, M. [Z] a informé le juge d'instruction que ni lui ni M. [N] n'étaient disponibles pour ce débat et a sollicité un permis de communiquer pour l'une de ses collaboratrices, Mme [M].

8. Par courriel du même jour, le juge d'instruction a rejeté cette demande au motif que Mme [M] n'avait pas été formellement désignée par M. [H].

9. Par courriel du 8 novembre 2021, à 10 heures 38, M. [Z] a sollicité le report du débat contradictoire.

10. Par ordonnance du même jour, à l'issue de ce débat durant lequel M. [H] n'était pas assisté d'un avocat, le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande de renvoi et a prolongé la détention provisoire de l'intéressé.

11. M. [H] a relevé appel de cette décision.




Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 8 novembre 2021 prolongeant la détention provisoire de M. [H], alors :

« 1°/ que par mémoire distinct, l'exposant sollicite le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité contestant la conformité aux droits de la défense, au principe d'égalité devant la justice et au principe de bonne administration de la justice de l'article 115 du code de procédure pénale tel qu'interprété par la Cour de cassation comme ne prévoyant l'envoi des convocations et notifications « qu'aux avocats nommément désignés par les parties, ce dont il se déduit que le juge d'instruction n'est tenu de délivrer un permis de communiquer qu'à ces derniers » ; que l'abrogation de ce texte ou du moins de son interprétation qui interviendra sur la question prioritaire de constitutionnalité privera l'arrêt attaqué de base légale et entraînera sa cassation ;

2°/ qu'en vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant de l'article 6 § 3, b et c, de la Convention européenne des droits de l'homme, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense ; qu'il en découle que le défaut de délivrance de cette autorisation à chacun des avocats désignés, avant un débat contradictoire tenu en vue de l'éventuelle prolongation de la détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen ; que la collaboration est un mode d'exercice professionnel par lequel un avocat consacre une partie de son activité au cabinet d'un ou plusieurs avocats ; que le collaborateur libéral ne peut assister ou représenter une partie ayant des intérêts contraires à ceux d'un client du cabinet avec lequel il collabore ; qu'il s'ensuit que l'avocat collaborateur doit pouvoir disposer de tous les moyens d'assister et de représenter les clients de l'avocat avec lequel il collabore ; qu'en particulier les avocats collaborateurs doivent se voir délivrer un permis de communiquer dès lors que l'avocat pour lequel ils collaborent a été désigné, peu important que les collaborateurs n'aient pas été eux-mêmes désignés, la substitution d'un avocat par un collaborateur relevant de la libre organisation du cabinet ; qu'au cas d'espèce, devant la chambre de l'instruction, M. [H] faisait valoir que les droits de la défense avaient été méconnus devant le juge des libertés et de la détention faute de délivrance à Mme [M] et à l'ensemble des collaborateurs de M. [Z], avocat choisi, d'un permis de communiquer avant le débat de prolongation de détention provisoire ; qu'en affirmant, pour dire n'y avoir lieu à prononcer la nullité du débat contradictoire et confirmer l'ordonnance de prolongation de détention provisoire du même jour, que « la désignation d'un avocat n'emporte pas automatiquement désignation de l'ensemble de ses collaborateurs », de sorte que le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention avaient pu ne délivrer de permis de communiquer qu'à MM. [Z] et [N], avocats expressément désignés en fin d'interrogatoire de première comparution, et non aux autres collaborateurs de M. [Z], faute pour ceux-ci d'avoir été expressément désignés par M.[H], la chambre de l'instruction a violé les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, 115, 591, 593 et R. 57-6-5 du code de procédure pénale, 14-1 et 14-3 du règlement intérieur national de la profession d'avocat. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

13. Par arrêt de ce jour, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 115 du code de procédure pénale, tel qu'interprété par elle.

14. L'article 23-5, alinéa 4, de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que lorsque celui-ci a été saisi, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu'à ce qu'il se soit prononcé. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.

15. Tel est le cas en l'espèce.

16. Il est rappelé que, dans sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a jugé que si l'alinéa 4 de l'article précité peut conduire à ce qu'une décision définitive soit rendue dans une instance à l'occasion de laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité et sans attendre qu'il ait statué, dans une telle hypothèse, ni cette disposition, ni l'autorité de la chose jugée ne sauraient priver le justiciable de la faculté d'introduire une nouvelle instance pour qu'il puisse être tenu compte de la décision du Conseil constitutionnel.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

17. Si, en vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant de l'article 6, § 3, c, de la Convention européenne des droits de l'homme, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense, de telle sorte que le défaut de délivrance de cette autorisation à chacun des avocats désignés qui en a fait la demande, avant un débat contradictoire tenu en vue de l'éventuelle prolongation de la détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen, sauf s'il résulte d'une circonstance insurmontable, aucune disposition conventionnelle ou légale ne fait obligation au juge d'instruction de délivrer un permis de communiquer aux collaborateurs ou associés d'un avocat choisi, dès lors que ceux-ci n'ont pas été personnellement désignés par l'intéressé dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-85.670, publié au Bulletin).

18. Pour écarter l'exception de nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, prise de ce que le juge d'instruction n'a pas délivré de permis de communiquer à Mme [M], l'arrêt attaqué énonce que la désignation d'un avocat n'emporte pas automatiquement désignation de l'ensemble de ses collaborateurs et qu'en conséquence le juge d'instruction n'avait pas à délivrer un permis de communiquer à ceux des collaborateurs que le mis en examen n'a pas désignés.

19. Les juges ajoutent que, bien que les dispositions de l'article 115 du code de procédure pénale aient été rappelées à M. [Z] dans un courriel du 3 novembre 2021, force est de constater que M. [H] n'a pas procédé à la désignation de Mme [M].

20. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucune des dispositions visées au moyen.

21. Le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 8 novembre 2021 prolongeant la détention provisoire de M. [H], alors « que fait grief au mis en examen l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de répondre à l'argument tiré par le ministère public, pour s'opposer à une demande de renvoi, de l'expiration proche du mandat de dépôt, dès lors que l'absence de renvoi a fait perdre une chance au mis en examen de comparaître en présence de son avocat ; qu'en affirmant, pour écarter tout grief résultant de l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé M. [H] de répondre aux arguments par lesquels le ministère public s'était opposé à sa demande de renvoi, qu'un tel renvoi ne permettrait pas la délivrance d'un permis de communiquer aux collaborateurs de M. [Z] et que ni M. [Z] ni M. [N], avocats désignés, n'avaient « fait savoir au juge des libertés et de la détention que l'un d'entre eux pourrait assister M. [H] dans l'hypothèse où l'audience serait renvoyé à l'un des jours précédant la date d'expiration du mandat de dépôt », motif impropre à écarter toute perte, par M. [H], d'une chance d'être assisté au cours du débat de prolongation en cas de renvoi de celui-ci, la chambre de l'instruction a violé les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 145, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

23. Il se déduit des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que la personne qui comparait devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d'un débat contradictoire en matière de détention provisoire, ou son avocat, doivent avoir la parole les derniers.

24. La Cour de cassation juge que lorsque le ministère public est entendu, au cours du débat contradictoire, sur une demande de renvoi présentée par la personne mise en examen ou son avocat, ceux-ci doivent pouvoir prendre à nouveau la parole après les réquisitions sur cette demande. Lorsque tel n'est pas le cas, la nullité du débat contradictoire qui en résulte relève de l'article 802 du code de procédure pénale (Crim., 10 novembre 2021, pourvoi n° 21-85.182, publié au Bulletin).

25. L'existence d'un grief est établie lorsque le fait que la personne mise en examen n'ait pas eu la parole en dernier sur sa demande de renvoi, après les réquisitions du ministère public, lui a occasionné un préjudice.

26. Ce préjudice doit résulter de cette irrégularité elle-même. Il ne peut dès lors être caractérisé par le seul refus du juge des libertés et de la détention de faire droit à la demande de renvoi.

27. L'existence d'un préjudice doit être exclue s'il résulte des pièces de la procédure qu'aucun renvoi n'était possible en raison de la date d'expiration du mandat de dépôt.

28. Dans les autres hypothèses, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher, en premier lieu, si dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, la personne détenue a allégué qu'elle aurait été en mesure d'opposer au ministère public une argumentation opérante puis, en second lieu, si l'ordonnance du juge des libertés et de la détention répond à cette argumentation.

29. Si tel n'est pas le cas, le grief est établi.

30. En l'espèce, le demandeur ne saurait se faire un grief de n'avoir pu faire valoir, en réponse aux arguments du procureur de la République, que, dans le cas où le débat contradictoire serait renvoyé, il renoncerait à se prévaloir du non-respect des délais de convocation, dès lors que le respect du délai prévu à l'article 114 du code de procédure pénale ne s'impose pas en cas de report du débat à la demande de l'avocat régulièrement convoqué, de sorte que cette argumentation était inopérante.

31. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

32. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit mars deux mille vingt-deux.

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