9 March 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.005

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00275

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Formalités légales - Lettre de licenciement - Contenu - Mention des motifs de licenciement - Motifs non disciplinaires - Licenciement faisant suite au prononcé d'une sanction - Nature du licenciement - Détermination - Portée

C'est le motif de rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement, peu important la proposition faite par l'employeur d'une rétrogradation disciplinaire, impliquant une modification du contrat de travail refusée par le salarié. Doit en conséquence être cassé l'arrêt qui, pour dire le licenciement prononcé pour insuffisance professionnelle dénué de cause réelle et sérieuse, retient qu'il présente nécessairement un caractère disciplinaire puisqu'il a été précédé d'une proposition de rétrogradation disciplinaire refusée par le salarié

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Cause - Cause réelle et sérieuse - Appréciation - Motifs invoqués par l'employeur - Enonciation dans la lettre de licenciement - Effets - Fondement du licenciement - Détermination - Portée

Texte de la décision

SOC.

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mars 2022




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 275 F-B
sur le premier moyen

Pourvoi n° X 20-17.005




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 MARS 2022

La société Ciffréo et [R], société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 20-17.005 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l'opposant à M. [X] [P], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Ciffréo et [R], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [P], après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 juin 2020), M. [P] a été engagé le 3 janvier 2000 par la société Ciffréo et [R] (la société) en qualité d'assistant responsable de ligne de produits avant d'être promu directeur d'exploitation générale.

2. Après avoir été convoqué, le 14 novembre 2016, à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, il s'est vu proposer, le 28 novembre 2016, un poste de directeur d'exploitation sectorielle avec une rémunération mensuelle réduite, ce qu'il a refusé le 8 décembre 2016.

4. Le 9 décembre 2016, il a été convoqué à un nouvel entretien préalable puis a été licencié le 27 décembre 2016 pour insuffisance professionnelle.

5. Il a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts capitalisés, et à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à l'intéressé du jour de son licenciement au jour de l'arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage, alors « que c'est le motif mentionné dans la lettre de licenciement qui doit être examiné pour rechercher si la cause du licenciement est réelle et sérieuse ; que, dans cette lettre, l'employeur peut se prévaloir de l'insuffisance professionnelle du salarié licencié, peu important le fait qu'il ait engagé antérieurement une procédure disciplinaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que le licenciement de M. [P] était dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'antérieurement à la lettre de licenciement invoquant l'insuffisance professionnelle du salarié, l'employeur avait engagé une procédure de rétrogradation disciplinaire ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ».

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1232-6 du code du travail :

7. Il résulte de ce texte que c'est le motif de la rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement, peu important la proposition faite par l'employeur d'une rétrogradation disciplinaire, impliquant une modification du contrat de travail refusée par le salarié.

8. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la rétrogradation a été proposée au salarié à la suite d'un entretien préalable en vue du prononcé d'une sanction disciplinaire et a été présentée comme telle dans la lettre du 28 novembre 2016, alors que la lettre de licenciement mentionne que le licenciement est prononcé pour insuffisance professionnelle. Il en déduit que l'employeur n'ayant pas souhaité demeurer sur le terrain disciplinaire, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, alors « que la cassation du chef du dispositif l'ayant condamnée à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse entraînera par voie de conséquence la cassation du chef du dispositif l'ayant condamnée à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, ces chefs étant liés par un lien de dépendance nécessaire, ce en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

11. La cassation du chef de dispositif critiqué par le premier moyen emporte, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire. Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à verser au salarié des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour rupture vexatoire, n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société Ciffréo et [R] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Ciffréo et [R] à verser à M. [P] les sommes de 224 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, outre intérêts capitalisés, et à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à l'intéressé du jour de son licenciement au jour de l'arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat aux Conseils, pour la société Ciffréo et [R]

Le premier moyen de cassation fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Ciffréo [R] à verser à M. [X] [P] la somme de 224 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts capitalisés, et d'avoir ordonné le remboursement par la société Ciffreo [R] aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [P] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage ;

Aux motifs que « la lettre de licenciement de M. [X] [P], en date du 27 décembre 2016 est ainsi libellée :
"Monsieur,
A la suite de notre entretien du 20 décembre 2016 en présence des signataires de la présente, entretien auquel vous vous êtes rendu assisté de Mme [S], représentante du personnel, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour insuffisance de résultat, insuffisance professionnelle caractérisée et inadaptation au poste.
Nous vous rappelons que vous avez été engagé en qualité d'assistant responsable ligne produits Tecnas en date du 03 janvier 2000 et que vous avez évolué régulièrement dans la hiérarchie, compte tenu des qualités professionnelles qui étaient les vôtres pour accéder en date du 1er mai 2002 au poste de directeur d'exploitation. Jusqu'à ce que M. [C] [R] vous confie un poste encore supérieur à celui que vous occupiez jusqu'à l'automne 2015.
Vous étiez déjà demandeur d'évolution et nous avions une première fois tenté pendant un an et demi (entre fin 2011 et début 2013), de vous confier une responsabilité supplémentaire sur Salica, expérience qui s'était avérée non concluante. Ainsi, et afin de ne pas entamer votre motivation, il vous a été proposé en milieu d'année 2014 un poste clef de la société qui est celui directeur d'exploitation général, suite au départ prévu de Monsieur [B] pour une autre mission.
Il s'agissait incontestablement tant pour la société que pour vous-même d'un challenge qui a toutefois été décalé d'un an, suite à votre comportement et à votre dérapage verbal lors d'une réunion de directoire, et à votre engagement de vous ressaisir.
MM. [C] [R] et [L] vous avaient à ce moment-là entretenu sur ce sujet. Vous aviez alors promis à M. [C] [R] de vous maîtriser et M. [L] vous a même proposé de vous aider et de vous accompagner pour régler votre problème.

Suite à votre engagement, pris vis-à-vis de M. [C] [R], nous vous avions donc finalement confié le poste de directeur d'exp1oitation général à l'automne 2015.
Toujours est-il que nous avons accédé à votre demande de promotion hiérarchique en vous affectant au poste exceptionnel de directeur d'exploitation général, poste à très hautes responsabilités nécessitant des qualités professionnelles indéniables.
Votre affectation à ce poste vous a en effet propulsé numéro 2 de la société, ce qui impliquait évidemment un professionnalisme sans faille et un comportement exemplaire.
En contrepartie de ce niveau de responsabilité, vous avez eu accès en toute logique à une rémunération en conséquence outre un avantage se matérialisant par un véhicule haut de gamme. Lors de votre affectation nous pensions que nos conseils ainsi que vos années d'expérience à un poste déjà de haut niveau vous permettraient d`assumer vos nouvelles fonctions, d'autant que c'est en toute connaissance des contraintes du poste que vous avez accepté.
Mais nous sommes obligés de constater que cette promotion est un échec.
Malgré notre patience, nos efforts ainsi que notre magnanimité à votre égard, nous n'avons d'autre choix que de tirer les conséquences de cette triste réalité : le poste confié ne vous convient pas.
En effet, vous n'avez jamais été capable de vous adapter à vos nouvelles fonctions, ce que nous ne pouvons davantage accepter, sauf à mettre en danger la pérennité de la société.
Aussi, les reproches que nous avons à vous formuler sont de deux ordres :
- d`une part, nous vous reprochons une insuffisance de résultat.
- d'autre part, nous vous reprochons un comportement inadapté ayant des répercussions extrêmement préjudiciables pour la société.
S'agissant de l'insuffisance de résultat :
Nous vous rappelons vos piètres résultats sur votre zone d'exploitation à fin septembre 2016 avec une insuffisance de chiffre d'affaires et de masse marge / budget, des différés pas maîtrisés et des achats trop importants (tensions de trésorerie), outre un poste transport sur vente non maîtrisé.
Ce constat est d'autant plus inacceptable que la société Ciffréo [R] NICE a toujours été le fer de lance de nos filiales.
Or, elle subit la pire contreperformance jamais enregistrée dans son histoire avec une accélération en 2016.
Outre vos résultats sur cette zone d'exploitation, nous déplorons également que la zone d'exploitation de Monsieur [I], directeur d'exploitation sous votre responsabilité, traverse aussi des difficultés importantes avec les mêmes problématiques.
Il en est également de même de la zone d'exploitation de M. [E], directeur d'exploitation lui aussi sous votre responsabilité.

D'ailleurs et pour ce dernier, M. [C] [R] a dû personnellement intervenir compte tenu de la gravité de la situation dans la mesure où vous n'avez jamais su collaborer avec ce directeur ni recueillir son adhésion.
Les chiffres sont incontournables et vous les connaissez parfaitement. La situation économique que nous connaissons n'est naturellement pas une excuse atténuante. Bien au contraire, elle aurait dû vous faire réagir, ce qui vous aurait permis de trouver des palliatifs et des solutions d'autant que nous notons depuis plusieurs mois une relance économique par 1'effet notamment d'une politique de grands travaux au niveau local.
Quelques exemples de chiffres témoignent de votre inefficacité totale.
Ainsi, à la fin septembre 2016/septembre 2015 :
- sur Ciffréo [R] Nice : le CA est à -9% (-11% par rapport au budget) et la masse marge à -12,5% (-2,5 millions €).
- sur Ciffréo [R] Cannes : le CA est à -3,7% (-9% par rapport au budget) et la masse marge à -7% (-900 K€).
Ces résultats ayant évidemment non seulement des incidences sur la trésorerie mais aussi sur les possibilités de financement de notre développement.
S'agissant de votre comportement :
Force est de reconnaître que votre attitude générale ainsi que votre management n'ont pas été au niveau de ce que nous étions en droit d'attendre d'un directeur d'exploitation général.
Votre maladresse managériale, votre manque de diplomatie, vos propos excessifs lors de certaines réunions voire vos débordements verbaux ont non seulement participé à décrédibiliser la fonction mais également à déstabiliser, à démobiliser les équipes et à remettre en cause votre légitimité en tant que directeur d'exploitation général.
Ce n'est pas faute pour M. [C] [R] en personne de vous avoir demandé à plusieurs reprises de faire des efforts :
- efforts au niveau vestimentaire (vous aviez un poste de direction générale. ..),
- efforts afin que cessent vos dérives verbales en réunion comme par exemple couper la parole à vos directeurs, avoir des propos agressifs, excessifs, voire vulgaires et insultants. ..
La liste n'est bien évidemment pas exhaustive.
Jamais vous n'avez compris le sens des alertes qui vous ont été données dans votre intérêt comme dans celui de la société naturellement.
Récemment encore, il vous a été fait la remarque d'une posture inappropriée lors de la réunion pour l'achat de la société Jullier bois dans les bureaux du propriétaire.
Il vous a probablement échappé qu'en accédant au poste de directeur d'exploitation général, vous deveniez "le bras droit" de M. [C] [R] en personne et que vous représentiez en interne la société Ciffréo [R] et en externe l'image de celle-ci.

Il était impératif que vous deveniez un véritable exemple pour les équipes, fédérateur, meneurs d'hommes, force de proposition, en apportant une valeur ajoutée à notre structure en termes de résultats et d`adhésion des équipes.
Mais tel n'a malheureusement pas été le cas.
Bien au contraire, votre management a divisé et démotivé nos troupes, conduisant à la pire année jamais enregistrée sur [Localité 5], et obligeant M. [C] [R] à intervenir personnellement afin d'enrayer cette spirale infernale.
Quelques exemples sont rappelés dans cette lettre de rupture mais la liste n'est encore une fois pas exhaustive.
Vous avez été incapable de maintenir un esprit d'équipe et une convivialité indispensable dans les relations avec les collaborateurs en vue de contribuer à la défense de nos valeurs et d'atteindre nos objectifs.
Vos débordements ont participé à décrédibiliser la fonction, à démobiliser les équipes et en remettre en cause votre légitimité en tant que directeur d'exploitation général.
Ce manque d'exemplarité dans votre manière d'exercer cette fonction de haut niveau a fortement nuit aux intérêts de la société et démotivé le personnel qui ne pouvait plus adhérer à ce mode de management.
Vous avez été également incapable de collaborer avec les services généraux tels que le service achats et le service RH, préférant adopter une posture proche de la confrontation.
Votre inertie et ce défaut dans le management des équipes comme dans la mobilisation de l'encadrement se manifestent notamment par votre incapacité à faire travailler ensemble vos managers. Plutôt que de vous remettre en question, vous avez également mis en cause le niveau de vos collaborateurs directs (D.E.) en proposant bien souvent comme solution de façade de faire à leur place alors que vous vous deviez de les épauler et les diriger de telle sorte qu'ils fassent preuve d'efficacité. Vous avez été incapable de faire travailler ensemble vos managers.
Vos carences se sont également caractérisées par votre passivité, votre manque d'anticipation et même de reprise en mains de la situation.
M. [C] [R] a ainsi été obligé, depuis plusieurs mois, de vous suppléer dans ce poste, pour lequel il vous avait formé, et ce en intervenant directement, en organisant des réunions de directeurs d'exploitation pour rappeler les fondamentaux du métier mais aussi en se rendant sur le terrain pour s'enquérir des mesures prises et remobiliser les équipes.
Mais cette tâche vous revenait. En effet, à un tel niveau de poste, vous auriez dû anticiper et reprendre en mains la situation, proposer des mesures appropriées, sans attendre les interventions de M. [C] [R].
C'était à vous qu'il revenait de faire grandir vos directeurs et de mobiliser les équipes. Vous l'auriez accomplie si vous en aviez été capable et si vous aviez pris conscience de vos responsabilités.
Nous constatons que tel n'est pas le cas et vous ne vous êtes jamais remis en question. Vous êtes toujours dans un déni systématique et encore lors de l'entretien, vous vous êtes cherché des causes extérieures (réagencement de Diderot, Carros matériaux, Virgile Barel, CBM, la voie des 40 mètres, le marché,..) pour tenter de minimiser les baisses importantes de CA et de marge.
Vous avez toutefois reconnu que malgré cela vos résultats n'étaient pas bons...
Vous dites avoir remobilisé les équipes en réunissant notamment les commerciaux et chefs de dépôt à l'automne 2016.
Mais la réalité est malheureusement bien différente.
Sur vos carences managériales et votre comportement, vous ne vous reconnaissez aucune responsabilité. Vous avez indiqué que vous étiez fédérateur car, selon vous, si cela n'avait pas été le cas vos directeurs, lors de votre départ de certains secteurs, ne vous auraient pas fait un cadeau.
Malgré tout, nous ne nions pas que vous avez des qualités professionnelles incontestables et votre ascension dans notre structure le démontre. Nous n'entendons pas l'oublier, d'où notre volonté de vous proposer un reclassement plus en phase avec vos aptitudes.
Votre refus d'accepter la proposition de rétrogradation que nous vous avons formulée, ainsi que la teneur de votre courrier de refus sont tout à fait révélateurs de votre absence de prise de conscience de la gravité de la situation.
Vous aviez certes parfaitement le droit de refuser notre proposition, et ce n`est pas naturellement votre refus qui motive la présente mesure de licenciement.
Toutefois il n'est pas inintéressant de vous rappeler que, en l'état du constat de vos résultats inacceptables et face à vos problèmes de comportement, nous avons eu à coeur de reconsidérer votre mission dans l'entreprise.
Et c'est précisément dans cette optique que nous vous avons proposé un poste que nous estimions plus en rapport avec vos capacités, à savoir un poste de directeur d'exploitation, cadre dirigeant, que vous maîtrisiez pour l'avoir déjà exercé et de surcroît sur un secteur en développement pour lequel nous avons des projets ambitieux.
Votre expérience passée de directeur d'exploitation vous aurait permis de toute évidence de vous relancer, dans un environnement différent, avec des équipes réduites tout en contribuant par votre connaissance de notre entreprise à ce challenge important.
Il est regrettable que vous n'ayez pas saisi cette chance, nous obligeant dès lors à rompre notre relation contractuelle pour les motifs qui nous ont conduits à vous convoquer une première fois pour une proposition de rétrogradation sanction.
Nous nous voyons donc contraints de procéder à votre licenciement pour les motifs sus-évoqués.
Vous ne ferez donc plus partie du personnel de l'entreprise à l'expiration d'un délai de préavis de trois mois qui commencera à courir à dater de la présentation de cette dernière. Nous vous dispensons de l'exécuter, il vous sera néanmoins rémunéré.

À l'expiration du délai de préavis, vous recevrez votre certificat de travail et votre solde de tout compte par pli postal séparé.
La rupture de votre contrat de travail ouvrant droit à prise en charge par l'assurance chômage, en application de l'article L. 911-8 du code de la sécurité sociale, vous bénéficierez à compter de la rupture de votre contrat du maintien des garanties frais de santé en vigueur dans l'entreprise dans la limite de 12 mois. Pour de plus amples informations sur l'étendue de cette couverture, vous êtes invité à vous adresser à La Mutuelle Familiale/Ma Nouvelle Mutuelle (MNM).
Vous serez tenu de transmettre à MNM votre justificatif de prise en charge par l'assurance chômage et de les tenir informé de toute cessation de prise en charge par l'assurance chômage intervenant pendant la période de maintien de votre couverture complémentaire santé.
Vous bénéficierez également à compter de la rupture de votre contrat du maintien des garanties de prévoyance géré par Pro BNP, en vigueur dans l'entreprise, dans la limite de 12 mois. Pour de plus amples informations sur l'étendue de cette couverture, vous êtes invité à vous adresser à Pro BNP ([Adresse 3] ou www.probtp.com)."
(…)
Sur le fondement du licenciement
La société intimée soutient que le salarié a refusé une rétrogradation, l'obligeant ainsi à envisager une mesure de licenciement. Toutefois, une modification du contrat de travail, prononcée à titre de sanction disciplinaire contre un salarié, ne peut lui être imposée ; en cas de refus de ce dernier, l'employeur peut, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, prononcer une autre sanction, en lieu et place de la sanction refusée. Par suite, dès lors que l'employeur se place sur le terrain disciplinaire, lorsqu'il propose une modification du contrat de travail, il ne peut faire reposer le licenciement lié au refus de cette modification sur un motif disciplinaire. Ainsi, l'insuffisance professionnelle ne peut alors constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement que si elle est liée à une faute du salarié.
En l'espèce, la société Ciffreo [R] a proposé à M. [X] [P] une modification de son contrat de travail prenant la forme d'une rétrogradation et d'une mutation, ayant la nature de sanction, par lettre du 28 novembre 2016, ainsi libellée :
"Monsieur,
Nous vous confirmons les termes de notre entretien du 23 novembre 2016, en présence de MM. [R] et [L], auquel vous avez été régulièrement convoqué par lettre remise en mains propres du l4 novembre 2016, et pour lequel vous étiez assisté de Monsieur [N].
Lors de cet entretien, nous vous avons reproché vos insuffisances de résultats sur le secteur dont vous avez la responsabilité révélant votre incapacité à tenir votre fonction de directeur d'exploitation général, sans que vous n'ayez à aucun moment semblé en mesure de corriger ces problèmes et capable de maîtriser la situation. En effet, nous constatons sur votre zone d'exploitation à fin septembre 2016 :

- Une insuffisance de chiffre d'affaires et de masse marge budget.
- Des différés pas maîtrisés et des achats non suivis, ce qui provoque des tensions de trésorerie.
- Le poste transport sur vente absolument pas maîtrisé.
Les directions d'exploitation dont vous vous occupez se retrouvent donc dans une situation très préoccupante et vos résultats sont même très en deçà de ceux réalisés sur les autres secteurs d'exploitation. Alors que Ciffréo [R] Nice a toujours été le fer de lance de nos filiales, cette société subit la pire contreperformance jamais enregistrée dans son histoire avec une accélération en 2016.
Nous ne pouvons pas plus longtemps vous laisser mettre en péril cette société.
La zone d'exploitation de M.[I] traverse aussi des difficultés importantes avec les mêmes problématiques.
Quant à la zone d'exploitation de Monsieur [E], il a fallu que M. [C] [R] prenne le relais et intervienne directement sur ce secteur car vous n'avez jamais su collaborer avec ce directeur ni recueillir son adhésion.
A aucun moment, malgré les demandes soutenues de M. [C] [R], vous n'avez semblé à même de redresser la situation.
Au contraire, au-delà de vos affirmations et de vos certitudes, vous cherchez des causes exogènes à l'ensemble de ce que nous avons constaté, ceci sans jamais vous remettre en question !
Lors de notre entretien, vous n'avez pas contesté les résultats, mais vous avez cherché à minimiser les baisses importantes de CA et de marge en expliquant qu'il y avait une grosse référence de CA l'année précédente (chantier de la voie des 40 mètres sur [Localité 5]) et qu'il y avait une perte sur l'étanchéité.
M. [R] vous a répondu que ces deux éléments n'étaient pas suffisants pour expliquer la chute sur Ciffréo [R] Nice.
Concernant le secteur Lyonnais vous estimez avoir pris les bonnes décisions et que cela portait maintenant ses fruits.
M. [R] vous a répondu que ce redressement était essentiellement lié au travail de M.[E] et pas à votre action.
Concernant vos carences managériales, vous dites ne pas être en opposition avec les équipes et que vous avez seulement un souci sur Ciffréo [R] Cannes avec le directeur d'exploitation.
Vous avez indiqué avoir pris un contact direct avec les directeurs d'agences de M.[I] et les commerciaux pour pallier ce problème.
Déjà le 14 novembre 20l6, votre propos consistait principalement à mettre en cause le niveau de vos collaborateurs pour expliquer vos échecs, tout en prétendant pouvoir rectifier la situation en prenant certaines de leurs attributions en direct !
Une telle posture est même inquiétante et outre votre déni et absence de remise en cause, elle caractérise votre incapacité à entraîner et à faire faire à vos équipes.

Vous dites également ne pas avoir de problèmes avec les services généraux à part un problème de communication avec le service RH... mais aussi avec le service achat et M.[Z].
Enfin, alors que M. [R] déplorait les problèmes liés aux CSA (conditions spéciales d'achat), vous avez tenté de vous justifier sur ce sujet en disant que vous aviez appliqué ce que demandaient MM. [H] [R] et [W] et que vous aviez cherché à minimiser l'effet très négatif des CSA sur votre secteur.
M. [R] vous a précisé que si vous constatiez des dérives sur la gestion vous auriez dû, plutôt que de subir, l'informer de ces dérives, c'était votre rôle de D.EG.
Ceci confirme que vous n'avez pas su endosser le "costume" du D.E.G., ni adopter la posture, ni prendre la mesure de la fonction.
Face à cette situation préoccupante et face à votre inertie, il a fallu que M. [R] intervienne directement depuis trois mois en organisant des réunions de DE, en rappelant les fondamentaux de notre métier, en demandant les mesures prises et en remobilisant les équipes.
A un tel niveau de poste, c'était à vous qu'il revenait d'anticiper ou du moins de reprendre en mains la situation et de proposer des mesures appropriées, sans attendre les interventions de M. [R]. C'était à vous pourtant qu'il revenait de faire grandir vos directeurs et de mobiliser les équipes.
Lors de l'entretien, vous avez reconnu votre manque de propositions et de plans d'actions.
Notre entretien confirme que vous n'avez aucunement pris conscience du rôle de manager de haut niveau et de fédérateur du D.E.G. qui est le garant de l'adhésion des équipes en vue de l'atteinte des objectifs que nous nous sommes fixés.
Vous n'avez pas réussi à mobiliser les équipes autour de vous, ni à les accompagner vers la réussite. Vous n'avez pas su apporter, par manque de sens managérial et par un comportement en inadéquation avec la mission de D.E.G., la valeur ajoutée que nous attendions dans la mobilisation des équipes.
La valeur ajoutée que vous étiez censé apporter dans ce poste a été nulle voire contre-productive. Le climat que vous avez instauré avec un management inapproprié s'est même dégradé au cours des derniers mois et les équipes sont démobilisées.
Vous n'avez pas su maintenir cet esprit d'équipe et la convivialité indispensable dans les relations avec les collaborateurs, en vue de contribuer à la défense de nos valeurs et à l'atteinte de nos objectifs.
Notre dépôt de Pasteur, le plus important et le plus emblématique de tous, est l'image du reste : pas piloté, mal organisé, avec de mauvais résultats et également en grande difficulté.
Suite à cet entretien au cours duquel nous avons entendu les explications que vous nous avez fournies, nous avons décidé d'envisager votre rétrogradation disciplinaire au poste de directeur d'exploitation sur le secteur de [Localité 4] à compter du 2 janvier 2017.

Ce secteur plus restreint que nous réorganisons, avec des équipes réduites, dans une fonction que vous avez déjà exercée, devrait vous permettre, nous l'espérons, d'atteindre les objectifs et de vous reprendre. Nous prendrons en charge les frais d'hôtel pendant les six premiers mois d'exercice de ce poste, le temps que vous vous organisiez.
La sanction envisagée à votre égard emportant modification de votre contrat de travail, nous vous rappelons que vous disposez de la faculté d'accepter ou de refuser cette mesure.
Vous disposez d'un délai de 8 jours à compter de la réception de cette proposition pour nous faire connaître votre décision.
Passé ce délai, et sans réponse de votre part, nous considérerons que vous avez refusé cette sanction et engagerons une procédure de licenciement.
Si vous acceptez, veuillez nous retourner la présente lettre revêtue de la mention "bon pour accord" suivie de votre signature.
Votre nouvelle affectation prendra alors effet à compter du 2 janvier 2017 et vous recevrez un avenant à votre contrat de travail qui sera établi à la date de prise effective de vos fonctions, stipulant votre nouvelle qualification professionnelle de directeur d'exploitation, classification au niveau Ville B 600 et votre nouveau salaire d'un montant de 7.000 € brut.
Vous bénéficierez en outre d'un véhicule 4 places type Aude A3.
Cette lettre, constituant une proposition de sanction conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, n'est pas à considérer comme une notification de sanction.
Elle ne le deviendra que par votre acceptation."
Cette rétrogradation a été proposée à la suite d'un entretien préalable en vue du prononcé d'une mesure de sanction ; en outre, elle était présentée expressément comme une sanction dans la lettre du 28 novembre 2016. Or, si la lettre de licenciement du 27 décembre 2016 mentionne que le refus opposé par le salarié à cette proposition de rétrogradation n'est pas le motif de son licenciement, celui-ci n'a pas été prononcé pour un motif disciplinaire. La lettre du 27 décembre 2016 mentionne au contraire que le licenciement est prononcé "pour insuffisance de résultat, insuffisance professionnelle caractérisée et inadaptation au poste". Il se déduit de cette formulation que l'employeur n'a pas souhaité demeurer sur le terrain disciplinaire dans le cadre du licenciement litigieux. Dès lors, celui-ci est dénué de cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'effectif de l'entreprise étant supérieur à onze salariés et M. [X] [P] ayant plus de deux ans d'ancienneté, l'article L 1235-3 est applicable, dans sa rédaction en vigueur à la date du licenciement. Par suite, M. [X] [P] est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au moins égale à six mois de salaire. Au regard de son âge, de 48 ans à la date de la rupture du contrat, de son ancienneté dans l'entreprise, de 17 ans, du montant de son salaire, de 15 900 euros bruts, et du fait qu'il a retrouvé un emploi, en Corse, le 4 mars 2019, soit plus de deux ans après son licenciement, la somme de 224.000 euros, correspondant à 14 mois de salaire, doit lui être allouée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En outre, par application de l'article L 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités chômage payées à M. [X] [P] du jour du licenciement au jour de la présente décision dans la limite de 6 mois » (arrêt p 6, § 1er et suiv. ) ;

Alors que c'est le motif mentionné dans la lettre de licenciement qui doit être examiné pour rechercher si la cause du licenciement est réelle et sérieuse ; que dans cette lettre, l'employeur peut se prévaloir de l'insuffisance professionnelle du salarié licencié, peu important le fait qu'il ait engagé antérieurement une procédure disciplinaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que le licenciement de M. [P] était dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'antérieurement à la lettre de licenciement invoquant l'insuffisance professionnelle du salarié, l'employeur avait engagé une procédure de rétrogradation disciplinaire ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé l'article L 1232-6 et du code du travail.

Le second moyen de cassation fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Ciffréo [R] à verser à M. [P] la somme de 6 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

Aux motifs que « bien que ne se fondant pas sur un motif disciplinaire, la lettre de licenciement du 27 décembre 2016 exprime à l'encontre du salarié des griefs de nature personnelle, notamment quant à sa tenue vestimentaire, au manque d'exemplarité de sa conduite, à un prétendu manque de diplomatie, ou encore à une tendance aux excès verbaux. Ces griefs, élevés dans le cadre d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, sont vexatoires, et justifient l'octroi à l'appelant de dommages et intérêts, qui seront fixés à la somme de 6 000 euros » (arrêt p 12, § 1) ;

1°) Alors que le fait que dans la lettre de licenciement, l'employeur fasse état de griefs de nature personnelle à l'encontre du salarié ne rend pas le licenciement vexatoire et brutal ; qu'en l'espèce, pour allouer à M. [P] des dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, la cour a retenu que l'employeur invoquait à l'encontre de son salarié des griefs de nature personnelle quant à sa tenue vestimentaire, au manque d'exemplarité de sa conduite, à son manque de diplomatie ou à une tendance aux excès verbaux ; que l'employeur démontrait pourtant par ces griefs l'inadaptation du salarié au poste de haut niveau qu'il occupait, de sorte que la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°) Alors que la cassation du chef du dispositif ayant condamné la société Ciffréo [R] à payer à M. [P] la somme de 224 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse entraînera par voie de conséquence la cassation du chef du dispositif ayant condamné la société Ciffréo [R] à payer à M. [P] la somme de 6 000 € de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, ces chefs étant liés par un lien de dépendance nécessaire, ce en application de l'article 624 du code de procédure civile.

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