2 March 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.134

Troisième chambre civile - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2022:C300213

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 mars 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 213 FS-D

Pourvoi n° N 20-17.134




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2022

1°/ Mme [F] [P] épouse [Z],

2°/ M. [O] [Z],

tous deux domiciliés [Adresse 3]),

ont formé le pourvoi n° N 20-17.134 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B - expropriations), dans le litige les opposant :

1°/ à la Société publique locale territoire d'innovation, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la Direction départementale des finances publiques de l'Ain, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. et Mme [Z], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la Société publique locale territoire d'innovation, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Bech, Boyer, Mmes Abgrall, Grandjean, conseillers, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. et Mme [Z] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la direction départementale des finances publiques de l'Ain.

Faits et procédure

2. L'arrêt attaqué (Lyon, 26 mai 2020) fixe les indemnités revenant à M. et Mme [Z] à la suite de l'expropriation, au profit de la société publique locale Territoire d'innovation, de plusieurs parcelles leur appartenant.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de fixer comme il le fait l'indemnité principale d'expropriation et l'indemnité de remploi leur revenant, alors « que le juge de l'expropriation doit toujours s'assurer concrètement que l'expropriation ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux ; qu'ainsi le juge de l'expropriation doit désormais toujours procéder à un contrôle concret de proportionnalité afin de s'assurer notamment que l'application d'une règle de droit ne porte pas à l'exproprié une atteinte disproportionnée à son droit de propriété notamment en le dépossédant de son bien sans lui assurer une indemnisation en rapport avec la valeur de ce bien ; que si une indemnisation qui n'est pas intégrale ne rend pas illégitime en soi la mainmise de l'Etat sur les biens expropriés, il en va autrement chaque fois que l'indemnisation accordée, selon les critères de la loi nationale applicable, est largement inférieure à la valeur marchande du bien en question, sans qu'aucun objectif d'utilité publique le justifie et fait peser sur l'exproprié une charge disproportionnée en permettant notamment à l'expropriant de réaliser à son détriment une plus-value très importante lors de la revente du bien exproprié ; que dès lors en affirmant, par des motifs propres et expressément adoptés, que si les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation, les expropriés qui ne peuvent bénéficier de la plus-value apportée à leurs immeubles par les opérations d'urbanisme prévues par l'autorité expropriante, ne sont pas fondés à se prévaloir d'un préjudice né de la revente future du bien par l'autorité expropriante en considération des possibilités futures d'utilisation du terrain exproprié, et qu'il y a lieu de considérer que la règle imposée par l'article L. 322-2 du code de l'expropriation qui commande d'évaluer le terrain exproprié à la date de référence, selon sa nature juridique et son usage, ne constitue pas une spoliation du vendeur mais la juste rémunération de la perte qu'il subit, la cour d'appel qui a refusé, par principe de procéder à un contrôle concret de proportionnalité pour tenir compte, dans le calcul du montant de l'indemnité d'expropriation, de la plus-value considérable que l'expropriant s'était assuré de réaliser, dès l'acquisition des parcelles, en les revendant aux conditions du marché à un partenaire privé déjà désigné, a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, devant qui il n'était pas contesté que les biens expropriés avaient été revendus pour la réalisation du projet déclaré d'utilité publique, a retenu, d'une part, que la plus-value, que devaient générer ces ventes en raison de l'opération d'utilité publique conduite par l'expropriant, n'avait pas à être prise en compte pour déterminer l'indemnité réparant la dépossession, ce dont il résultait que l'indemnité de « privation de plus-value » revendiquée par les expropriés n'était pas en lien direct avec le préjudice résultant de la dépossession qui seul pouvait être indemnisé par le juge de l'expropriation, d'autre part, que l'indemnisation tenait compte de la situation particulière des parcelles et des contraintes urbanistiques, enfin, que la valorisation de leurs biens avait été faite par comparaison avec les prix de vente constatés pour des terrains comparables.

6. Dès lors, elle n'était pas tenue de procéder à un contrôle inopérant relatif à l'atteinte disproportionnée au droit au respect des biens de M. et Mme [Z], qui résulterait de la plus-value bénéficiant à l'expropriant lors de la revente des parcelles.

7. Le moyen n'est donc pas fondé et il n'y a pas lieu d'accueillir la demande aux fins d'avis consultatif de la Cour européenne des droits de l'homme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [Z] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Z]

M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir fixé le montant de l'indemnité d'expropriation leur revenant à la somme de 804.682 euros, correspondant à une indemnité principale de 730.620 euros et à une indemnité de remploi de 74.062 euros ;

1°) ALORS QUE les dispositions de l'article L 322-2 alinéas 2 et 4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, imposant, pour fixer le montant des indemnités d'expropriation, d'apprécier la nature et l'usage effectif de l'immeuble un an avant l'ouverture de l'enquête publique et interdisant de tenir compte des changements de valeur depuis cette date, sont contraires à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en tant qu'elles ne distinguent pas selon que le bien exproprié a vocation à demeurer dans le patrimoine de l'autorité publique expropriante, ou qu'il a été acquis pour être revendu par celle-ci à brève échéance, au prix du marché, dans des conditions lui permettant de réaliser rapidement une plus-value substantielle au détriment des expropriés ; que la déclaration de non-conformité à la Constitution, par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, en application de l'article 61-1 de la Constitution, de l'article L 322-2 alinéas 2 et 4 du code de l'expropriation en tant qu'il ne procède pas à cette distinction, privera de base légale l'arrêt attaqué ;

2°) ALORS QUE le juge de l'expropriation doit toujours s'assurer concrètement que l'expropriation ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux ; qu'ainsi le juge de l'expropriation doit désormais toujours procéder à un contrôle concret de proportionnalité afin de s'assurer notamment que l'application d'une règle de droit ne porte pas à l'exproprié une atteinte disproportionnée à son droit de propriété notamment en le dépossédant de son bien sans lui assurer une indemnisation en rapport avec la valeur de ce bien ; que si une indemnisation qui n'est pas intégrale ne rend pas illégitime en soi la mainmise de l'Etat sur les biens expropriés, il en va autrement chaque fois que l'indemnisation accordée, selon les critères de la loi nationale applicable, est largement inférieure à la valeur marchande du bien en question, sans qu'aucun objectif d'utilité publique le justifie et fait peser sur l'exproprié une charge disproportionnée en permettant notamment à l'expropriant de réaliser à son détriment une plus-value très importante lors de la revente du bien exproprié ; que dès lors en affirmant, par des motifs propres et expressément adoptés, que si les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation, les expropriés qui ne peuvent bénéficier de la plus-value apportée à leurs immeubles par les opérations d'urbanisme prévues par l'autorité expropriante, ne sont pas fondés à se prévaloir d'un préjudice né de la revente future du bien par l'autorité expropriante en considération des possibilités futures d'utilisation du terrain exproprié, et qu'il y a lieu de considérer que la règle imposée par l'article L 322-2 du code de l'expropriation qui commande d'évaluer le terrain exproprié à la date de référence, selon sa nature juridique et son usage, ne constitue pas une spoliation du vendeur mais la juste rémunération de la perte qu'il subit, la cour d'appel qui a refusé, par principe de procéder à un contrôle concret de proportionnalité pour tenir compte, dans le calcul du montant de l'indemnité d'expropriation, de la plus-value considérable que l'expropriant s'était assuré de réaliser, dès l'acquisition des parcelles, en les revendant aux conditions du marché à un partenaire privé déjà désigné, a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°) ALORS QUE l'indemnité d'expropriation doit prendre en compte la valeur marchande du terrain ainsi que sa situation et ses caractéristiques réelles, sans se limiter à sa seule classification dans le plan d'urbanisme ; qu'en affirmant au contraire, pour refuser de tenir compte, dans la fixation du montant de l'indemnité d'expropriation, de la plus-value considérable que l'expropriant s'était assuré de réaliser, dès l'acquisition des parcelles, en les revendant aux conditions du marché à un partenaire privé déjà désigné, « qu'il n'y a pas d'atteinte au droit de propriété à déterminer la valeur d'un bien par rapport à son classement » à la date de référence, ce qui empêche pourtant de tenir compte des évolutions du bien et de sa valeur marchande, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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