23 February 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-81.366

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00251

Texte de la décision

N° A 21-81.366 F-D

N° 00251


MAS2
23 FÉVRIER 2022


CASSATION


Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 FÉVRIER 2022




M. [J] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 28 janvier 2021, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à 15 000 euros d'amende.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [J] [H], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme Planchon, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 21 novembre 2017, l'administration fiscale, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, a porté plainte pour fraude fiscale à l'encontre de M. [J] [H], lui reprochant notamment d'avoir souscrit au titre de l'année fiscale 2015 une déclaration de revenus minorés pour un montant total hors taxe de 70 833 euros.

3. Selon cette administration, M. [H], qui exerce une activité de conseil en gestion à titre individuel, a comptabilisé en tant qu'avances des sommes qui se sont révélées être des recettes dûment encaissées le mois de leur facturation, sans que soit constaté de produit correspondant alors que ces sommes devaient être comprises dans la base imposable de l'année 2015.

4. Les juges du premier degré ont déclaré le prévenu coupable du chef de fraude fiscale par dissimulation et l'ont condamné à 5 000 euros d'amende.

5. M. [H] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Strasbourg du 6 juin 2019, sur la culpabilité pour la soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt : dissimulation de sommes - fraude fiscale, du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 à Strasbourg, a infirmé ce jugement sur la peine et statuant à nouveau, l'a condamné à une peine de 15 000 euros d'amende, alors « que lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, de pénalités fiscales, le juge pénal saisi de la poursuite des mêmes faits se prononce sur la caractérisation de l'infraction au regard des éléments constitutifs prévus par l'article 1741 du code général des impôts, puis s'il retient que l'infraction est constituée, il lui incombe de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale, en complément de la répression fiscale, au regard des critères fixés par le Conseil constitutionnel tenant au montant des droits fraudés et à la nature des agissements ou aux circonstances de leur intervention (Crim., 21 octobre 2020, pourvoi n° 19-81.929) ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [H] justifiait avoir fait l'objet de la part du juge administratif des pénalités de 40 % sur les rappels de TVA et d'impôt sur le revenu mises à sa charge par le service ; que pour rejeter comme inopérant le moyen de l'exposant tiré du caractère disproportionné qu'aurait l'infliction d'une sanction pénale en sus de la sanction administrative prononcée à son encontre, la cour d'appel a retenu que « si le cumul plafonné de la sanction pénale et de la sanction administrative lui paraît garantir l'objectif européen d'une répression effective, proportionnée et dissuasive, alors le principe non bis in idem n'a pas lieu de jouer » et relevé qu'en l'espèce, la sanction envisagée, consistant en une amende aggravée de 15 000 euros, cumulée aux pénalités de 40 % appliquées par l'administration, n'excédait pas le plafond de 500 000 euros prévu par l'article 1741 du code général des impôts ; qu'en statuant de la sorte, quand il lui appartenait de vérifier, comme elle y était invitée par M. [H], au regard des critères tenant au montant des droits éludés et à la nature des agissements ou aux circonstances de leur intervention, si les faits retenus à l'encontre du prévenu revêtaient un degré de gravité suffisant pour justifier un cumul de sanctions pénale et fiscale, la cour d'appel a violé l'article 1741 du code général des impôts, ensemble l'article 50 de la Charte des droits de l'Union européenne et l'article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, et les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1741 du code général des impôts et les décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 du Conseil constitutionnel :

8. Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme aux principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines le cumul des poursuites et sanctions pénales et fiscales en cas de dissimulation de sommes sujettes à l'impôt, comme en cas d'omission de déclaration.

9. Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 1741 du code général des impôts qui sanctionne la fraude fiscale ne s'applique qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt, ou d'omissions déclaratives, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.

10. Il résulte de cette réserve d'interprétation que lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation (Crim., 11 septembre 2019, pourvois n° 18-81.067, n° 18-81.040 et n° 18-84.144).

11. En l'espèce, après avoir déclaré inopérant le moyen tiré de l'insuffisante gravité des faits poursuivis, la cour d'appel a déclaré le prévenu coupable de fraude fiscale et porté la peine prononcée à 15 000 euros d'amende aux termes de motifs portant sur la caractérisation de l'infraction et le choix des peines.

12. En prononçant ainsi, sans rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors que le prévenu faisait valoir qu'il avait fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, la cour d'appel a méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

13. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation aura lieu avec renvoi, les éléments de fait souverainement constatés par la cour d'appel ne mettant pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la gravité des faits retenus à l'encontre du prévenu.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 28 janvier 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nançy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois février deux mille vingt-deux.

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