9 February 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-15.256

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00194

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 février 2022




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 194 F-D

Pourvoi n° W 20-15.256






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 FÉVRIER 2022

La société Régie des transports métropolitains (RTM), établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Régie des transports de Marseille, a formé le pourvoi n° W 20-15.256 contre l'arrêt rendu le 14 février 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-3), dans le litige l'opposant à M. [I] [M], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Régie des transports métropolitains, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Lecaplain-Morel, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 février 2020), M. [M], ouvrier professionnel de l'établissement public Régie des transports métropolitains, a saisi, le 17 décembre 2012, la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre d'indemnité d'habillage pour la période du 17 décembre 2007 au 4 août 2017, de lui ordonner de verser chaque mois au même salarié, à compter du 4 août 2017, une indemnité correspondant à un temps d'habillage de dix minutes par jour et de le condamner à payer une certaine somme à titre d'indemnité pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail, alors « que lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par l'employeur et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise, les temps d'habillage et de déshabillage doivent faire l'objet d'une contrepartie en repos ou en argent ; que si ces temps d'habillage et de déshabillage ne constituent pas du temps de travail effectif, l'employeur peut cependant décider de les inclure dans les horaires de travail et ainsi de les assimiler à du temps de travail effectif ; qu'en ce cas, ces temps d'habillage et de déshabillage, qui sont rémunérés comme du temps de travail effectif, ne peuvent pas donner lieu à une contrepartie spécifique ; qu'en l'espèce, la Régie des transports métropolitains faisait valoir qu'à la suite d'une précédente décision l'ayant condamnée à verser à d'autres salariés une indemnité au titre des temps d'habillage et de déshabillage, elle avait diffusé une note de service selon laquelle ''pour les salariés qui choisissent de se changer sur le lieu de travail, ils bénéficient jusqu'à dix minutes d'un temps d'habillage à compter de leur heure de prise de service'' ; qu'il en résulte que les opérations d'habillage et de déshabillage sur les lieux de travail devaient s'effectuer après l'heure de service et avant la fin de service et étaient ainsi décomptées et rémunérées comme du temps de travail effectif ; qu'en jugeant néanmoins que cette note de service ne saurait faire obstacle aux dispositions de l'article L. 3121-3 du code du travail, pour reconnaître au salarié le droit à une indemnité correspondant à un temps d'habillage de 10 minutes par jour y compris après le 1er avril 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

3. Aux termes de l'article L. 3121-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage fait l'objet de contreparties. Ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, par des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail. Ces contreparties sont déterminées par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par le contrat de travail, sans préjudice des clauses des conventions collectives, de branche, d'entreprise ou d'établissement, des usages ou des stipulations du contrat de travail assimilant ces temps d'habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif.

4. Selon l'article L. 3121-7, alinéa 1, du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche prévoit, soit d'accorder des contreparties aux temps d'habillage et de déshabillage mentionnés à l'article L. 3121-3, soit d'assimiler ces temps à du temps de travail effectif.

5. Ayant constaté que l'application de la note de service du 1er avril 2016 avait été laissée par l'employeur au choix de chacun des salariés concernés, ce dont il résultait l'absence de généralité de l'assimilation des temps d'habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif, la cour d'appel a, sans encourir le grief du moyen, justifié sa décision.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au même salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail, alors « que le dommage résultant du retard apporté au règlement d'une dette ne peut être réparé que par l'allocation d'intérêts moratoires, sous réserve d'un préjudice distinct causé par la mauvaise foi du débiteur ; qu'en condamnant la Régie des transports métropolitains à verser à M. [M] des dommages-intérêts pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail, sans caractériser un préjudice distinct du retard apporté au paiement des contreparties aux temps d'habillage et de déshabillage, la cour d'appel a violé l'article 1231-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Aux termes de ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

8. Pour faire droit à la demande du salarié en paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail, l'arrêt retient que malgré la loi, les demandes des salariés, l'arrêt de la cour du 18 mars 2016 concernant une affaire exactement semblable, l'arrêt de la Cour de cassation de 2017, l'employeur a persisté à ne pas accorder l'indemnisation de ce temps d'habillage et de déshabillage alors qu'il aurait pu mettre amiablement fin au litige. Il ajoute que, de ce fait, le salarié a été privé pour partie de son salaire pendant de nombreuses années.

9. En statuant ainsi, sans caractériser pour le salarié l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard apporté par l'employeur au paiement des contreparties aux temps d'habillage et de déshabillage et causé par sa mauvaise foi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiées par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Régie des transports métropolitains à payer à M. [M] la somme de 200 euros nets de CSG-CRDS à titre d'indemnité pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail, l'arrêt rendu le 14 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne M. [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formé par la société Régie des transports métropolitains ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Régie des transports métropolitains


PREMIER MOYEN

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la RTM à payer à M. [M] la somme de 5.287,38 euros à titre d'indemnité d'habillage pour la période du 17 décembre 2007 au 4 août 2017, d'AVOIR ordonné à la RTM de verser chaque mois à M. [M] à compter du 4 août 2017 une indemnité correspondant à un temps d'habillage de 10 minutes par jour et d'AVOIR condamné la RTM à payer à M. [M] la somme de 200 euros nets de CSG-CRDS à titre d'indemnité pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE « En application de l'article L. 3121-3 du code du travail, le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage fait l'objet de contreparties. Ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, par des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail. Ces contreparties sont déterminées par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par le contrat de travail, sans préjudice des clauses des conventions collectives, de branche, d'entreprise ou d'établissement, des usages ou des stipulations du contrat de travail assimilant ces temps d'habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif. M. [M], au vu du caractère obligatoire du port d'une tenue de travail, de l'obligation de s'habiller et de se déshabiller sur le lieu de travail, réclame l'indemnisation de ce temps d'habillage et de déshabillage. L'employeur, au vu de la décision de la cour d'appel de céans en date du 18 mars 2016 et de l'arrêt de la cour de cassation rejetant son pourvoi dans une affaire similaire, ne s'oppose pas au principe de la demande. Il y a lieu de lui en donner acte. Elle soutient seulement que le salarié ne peut prétendre à aucune somme pour la période postérieure au mois de mars 2016 au motif qu'à compter de cette date, une note de service a été établie pour définir le temps d'habillage et les conditions de son indemnisation pour ceux qui voulaient en profiter et que M. [M], qui n'a pas sollicité un paiement à ce titre entre le mois de mars 2016 et le mois de juillet 2019, ne peut aujourd'hui s'en plaindre. Cette note de service dispose que pour les salariés qui choisissent de se changer sur le lieu de travail, ils bénéficient jusqu'à dix minutes d'un temps d'habillage à compter de leur heure de prise de service. Cependant, d'une part, cette note de service n'indique pas qu'il appartenait aux salariés de revendiquer ces 10 minutes de travail supplémentaires et, en tout état de cause, il appartient à l'employeur de payer le salaire dû et non au salarié de le réclamer. Cette note ne saurait faire obstacle aux dispositions de l'article L. 3121-3 du code du travail par ailleurs. M. [M] est donc bien fondé à réclamer paiement de son temps d'habillage et de déshabillage à hauteur de 10 minutes par jour à compter de décembre 2017, le conseil de prud'hommes ayant été saisi le 17 décembre 2012 et jusqu'au 4 août 2017, soit la somme de 5287,38 € et d'ordonner le versement à compter de cette dernière date de ladite indemnité »;

ALORS QUE lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par l'employeur et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise, les temps d'habillage et de déshabillage doivent faire l'objet d'une contrepartieen repos ou en argent ; que si ces temps d'habillage et de déshabillage ne constituent pas du temps de travail effectif, l'employeur peut cependant décider de les inclure dans les horaires de travail et ainsi de les assimiler à du temps de travail effectif ; qu'en ce cas, ces temps d'habillage et de déshabillage, qui sont rémunérés comme du temps de travail effectif, ne peuvent pas donner lieu à une contrepartie spécifique ; qu'en l'espèce, la Régie des Transports Métropolitains faisait valoir qu'à la suite d'une précédente décision l'ayant condamnée à verser à d'autres salariés une indemnité au titre des temps d'habillage et de déshabillage, elle avait diffusé une note de service selon laquelle « pour les salariés qui choisissent de se changer sur le lieu de travail, ils bénéficient jusqu'à dix minutes d'un temps d'habillage à compter de leur heure de prise de service » ; qu'il en résulte que les opérations d'habillage et de déshabillage sur les lieux de travail devaient s'effectuer après l'heure de service et avant la fin de service et étaient ainsi décomptées et rémunérées comme du temps de travail effectif ; qu'en jugeant néanmoins que cette note de service ne saurait faire obstacle aux dispositions de l'article L. 3121-3 du code du travail, pour reconnaître au salarié le droit à une indemnité correspondant à un temps d'habillage de 10 minutes par jour y compris après le 1er avril 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-3 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION, SUBSIDIAIRE

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la Régie des Transports Métropolitains à payer à M. [M] la somme de 200 euros nets de CSG-CRDS à titre d'indemnité pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE « M. [M] réclame la somme de 200 € net à titre de dommages et intérêts pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail résultant du refus intentionnel de l'employeur d'appliquer pendant de nombreuses années l'article L. 3121-3 du code du travail. Malgré la loi, les demandes des salariés, l'arrêt de la cour du 18 mars 2016 concernant une affaire exactement semblable, l'arrêt de la cour de cassation de 2017, l'employeur a persisté à ne pas accorder l'indemnisation de ce temps d'habillage et de déshabillage alors qu'il aurait pu mettre amiablement fin au litige. M. [M] a de ce fait été privé pour partie de son salaire pendant de nombreuses années. Il y a donc lieu de faire droit à sa demande » ;

ALORS QUE le dommage résultant du retard apporté au règlement d'une dette ne peut être réparé que par l'allocation d'intérêts moratoires, sous réserve d'un préjudice distinct causé par la mauvaise foi du débiteur ; qu'en condamnant la Régie des Transports Métropolitains à verser à M. [M] des dommages et intérêts pour violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail, sans caractériser un préjudice distinct du retard apporté au paiement des contreparties aux temps d'habillage et de déshabillage, la cour d'appel a violé l'article 1231-6 du code civil.

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