5 January 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-22.670

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C300022

Titres et sommaires

VENTE - Garantie - Vices cachés - Action rédhibitoire - Délai - Forclusion - Interruption - Assignation en référé - Terme de l'interruption - Nouvelle acte interruptif - Défaut - Effet

Le délai de deux ans dans lequel doit être intentée l'action résultant de vices rédhibitoires, prévu par l'article 1648 du code civil, est un délai de forclusion qui n'est pas susceptible de suspension, mais qui, en application de l'article 2242 du même code, peut être interrompu par une demande en justice jusqu'à l'extinction de l'instance. Dès lors, ayant retenu que ce délai de forclusion avait été interrompu par l'assignation en référé du 28 mai 2013 jusqu'à l'ordonnance du 24 juillet 2013, elle en a exactement déduit qu'à défaut de nouvel acte interruptif de forclusion dans le nouveau délai qui expirait le 24 juillet 2015, la demanderesse était forclose en son action fondée sur la garantie des vices cachés

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 janvier 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 22 FS-B

Pourvoi n° E 20-22.670




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 JANVIER 2022

Mme [F] [R], domiciliée [Adresse 2], venant aux droits de son père, [S] [R], décédé, a formé le pourvoi n° E 20-22.670 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [M] [I], domicilié [Adresse 4],

2°/ à Mme [W] [P], veuve [O], domiciliée [Adresse 4],

3°/ à Mme [V] [N], domiciliée [Adresse 3],

4°/ à la société SAUR, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de Mme [R], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [N], de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de M. [I], de Mme [O], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 16 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme [R] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [N].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 septembre 2020), par acte authentique du 5 juin 2009, établi par Mme [N], notaire, précédé d'un diagnostic de l'installation d'assainissement non collectif effectué par la société Saur, Mme [O] et M. [I] ont vendu un immeuble à [S] [R].

3. Un second diagnostic a été réalisé le 10 décembre 2012 par la société Véolia, qui a conclu à l'existence d'une installation vétuste, incomplète et polluante.

4. Un expert judiciaire, désigné à la demande de [S] [R] par ordonnance de référé du 24 juillet 2013, a déposé son rapport le 20 novembre 2015.

5. Le 28 juin 2016, [S] [R] a assigné les vendeurs, le notaire et la société Saur en nullité de la vente pour dol et erreur sur les qualités substantielles, et en paiement de dommages et intérêts.

6. Mme [O] et M. [I] ont demandé, en cas de condamnation, la garantie du notaire et de la société Saur.

7. Mme [R] est venue aux droits de son père décédé.

Recevabilité du mémoire en défense de Mme [N], contestée par la demanderesse

8. Mme [R] soutient qu'en raison du désistement de son pourvoi à l'égard de Mme [N], qui a produit effet le 12 avril 2021, le mémoire en défense déposé par celle-ci le 7 juin 2021 doit être écarté des débats.

9. La cassation de dispositions d'un arrêt rejetant les demandes d'une partie contre un défendeur principal s'étendant, en application de l'article 624 du code de procédure civile, aux dispositions du jugement statuant sur les appels en garantie formés par celui-ci qui sont dans un lien de dépendance nécessaire avec le moyen constituant la base de la cassation, le mémoire en défense de Mme [N] doit être accueilli.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. Mme [R] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande en résolution de la vente pour vices cachés, alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles 2239 et 2241 du code civil qu'une demande d'expertise en référé interrompt le délai de prescription et que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à la demande d'expertise avant tout procès, le délai de prescription recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée ; qu'en l'espèce, il est constant qu'[S] [R] a engagé le 28 mai 2013 une action en référé tendant à l'organisation d'une expertise avant tout procès et que cette expertise a été ordonnée par ordonnance du 24 juillet 2013 ; qu'il en résulte que la prescription s'est trouvée suspendue jusqu'au 20 novembre 2015, date du dépôt du rapport d'expertise ; qu'en déclarant l'action au fond engagée le 28 juin 2016 irrecevable comme tardive, au motif que « le nouveau délai (de deux ans) expirait le 24 juillet 2015 », quand la prescription biennale s'était trouvée suspendue jusqu'au 20 novembre 2015, de sorte que le nouveau délai expirait le 20 novembre 2017, la cour d'appel a violé les articles 2239 et 2241 du code civil ;

2°/ que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, pour juger tardive l'action intentée par M. [R], la cour d'appel a relevé que ce dernier « n'avait pas demandé, devant le premier juge, la résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. Il s'en est prévalu pour la première fois dans ses conclusions d'appelant du 28 juin 2018 » ; qu'en statuant ainsi, alors que l'action en nullité pour vice du consentement, bien que distincte de l'action en résolution pour vices cachés, tendait à un même but, à savoir l'anéantissement de la vente, de sorte que l'assignation du 28 juin 2016 sur le fondement du dol et de l'erreur avait interrompu la prescription de l'action en garantie des vices cachés, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

12. Il résulte de l'article 2220 du code civil que les dispositions régissant la prescription extinctive ne sont pas applicables aux délais de forclusion, sauf dispositions contraires prévues par la loi.

13. La suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est donc pas applicable aux délais de forclusion (3e Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-15.796, Bull. 2015, III, n° 55).

14. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que le délai de deux ans dans lequel doit être intentée l'action résultant de vices rédhibitoires, prévu par l'article 1648 du code civil, est un délai de forclusion qui n'est pas susceptible de suspension, mais qui, en application de l'article 2242 du même code, peut être interrompu par une demande en justice jusqu'à l'extinction de l'instance.

15. Ayant retenu que ce délai de forclusion, qui avait commencé à courir le 11 décembre 2012, avait été interrompu par l'assignation en référé du 28 mai 2013 jusqu'à l'ordonnance du 24 juillet 2013, elle en a exactement déduit qu'à défaut de nouvel acte interruptif de forclusion dans le nouveau délai qui expirait le 24 juillet 2015, Mme [R] était forclose en son action fondée sur la garantie des vices cachés.

16. Il s'ensuit que le moyen, qui, dans sa seconde branche, invoque comme acte interruptif de prescription l'assignation du 28 juin 2016, est inopérant.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Maunand, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour Mme [R]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme [R] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande de résolution de la vente sur le fondement des vices cachés ;

1) ALORS QU'il résulte des articles 2239 et 2241 du code civil qu'une demande d'expertise en référé interrompt le délai de prescription et que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à la demande d'expertise avant tout procès, le délai de prescription recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée ; qu'en l'espèce, il est constant qu'[S] [R] a engagé le 28 mai 2013 une action en référé tendant à l'organisation d'une expertise avant tout procès et que cette expertise a été ordonnée par ordonnance du 24 juillet 2013 ; qu'il en résulte que la prescription s'est trouvée suspendue jusqu'au 20 novembre 2015, date du dépôt du rapport d'expertise ; qu'en déclarant l'action au fond engagée le 28 juin 2016 irrecevable comme tardive, au motif que « le nouveau délai (de deux ans) expirait le 24 juillet 2015 » (arrêt, p. 7, in fine), quand la prescription biennale s'était trouvée suspendue jusqu'au 20 novembre 2015, de sorte que le nouveau délai expirait le 20 novembre 2017, la cour d'appel a violé les articles 2239 et 2241 du code civil ;

2) ALORS QUE si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, pour juger tardive l'action intentée par M. [R], la cour d'appel a relevé que ce dernier « n'avait pas demandé, devant le premier juge, la résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. Il s'en est prévalu pour la première fois dans ses conclusions d'appelant du 28 juin 2018 » (arrêt, p. 7 § 3) ; qu'en statuant ainsi, alors que l'action en nullité pour vice du consentement, bien que distincte de l'action en résolution pour vices cachés, tendait à un même but, à savoir l'anéantissement de la vente, de sorte que l'assignation du 28 juin 2016 sur le fondement du dol et de l'erreur avait interrompu la prescription de l'action en garantie des vices cachés, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Mme. [R] fait grief à l'arrêt, confirmatif de ce chef, de l'avoir déboutée de sa demande d'annulation de la vente sur le fondement de l'erreur sur la substance de la chose acquise et d'avoir rejeté ses demandes formées à l'encontre de Mme [W] [O] et de M. [M] [I] ;

1) ALORS QUE le contrat de vente est entaché de nullité lorsque l'erreur porte sur une qualité essentielle de la chose qui en est l'objet ; que dans ses conclusions d'appel, Mme [R] sollicitait de voir prononcer la nullité du contrat de vente pour erreur sur la substance, en faisant valoir que « les filières d'assainissement lors de l'acquisition ne correspondaient pas au descriptif de l'acte notarié » (conclusions, p. 20, in fine) ; qu'en la déboutant de sa demande, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée, si la clause figurant dans le corps même de l'acte de vente du 5 juin 2009 et mentionnant expressément que la filière d'assainissement était « sans irrégularité », « en bon fonctionnement » et « acceptable au regard des exigences de la santé publique » n'avait pas eu pour effet d'intégrer dans le champ contractuel la conformité de l'installation d'assainissement et d'ériger cet élément en condition du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2) ALORS QU'est de nature à induire en erreur l'acquéreur la déclaration erronée du vendeur, dans l'acte de vente, selon laquelle le réseau d'assainissement est « sans irrégularité », « en bon fonctionnement » et « acceptable au regard des exigences de la santé publique », peu important que cet acte comporte en outre la mention –quelque peu obscure pour un profane – d'une installation « nécessitant une recherche des ouvrages » ; qu'en relevant, par des motifs supposément adoptés des premiers juges, que « M. [R] ne s'est pas trompé lorsqu'il a acheté une maison équipée d'une installation d'assainissement non collectif, décrite comme nécessitant une recherche approfondie des ouvrages, observation ressortant de la conclusion du diagnostic qui lui a été remis et qui l'obligeait à approfondir la question (…) » (jugement, p. 11 § 1), la cour d'appel a statué par un motif impropre à exclure l'existence d'une erreur, en violation de l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

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