15 December 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-85.816

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01389

Texte de la décision

N° N 21-85.816 F-D

N° 01389


SL2
15 DÉCEMBRE 2021


CASSATION


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 DÉCEMBRE 2021


Le procureur général près la cour d'appel de Reims a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour, en date du 16 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre M. [K] [P] du chef de tentative de meurtre, a annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. d'Huy, conseiller, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. d'Huy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [K] [P] a été mis en examen du chef précité et placé sous mandat de dépôt par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 6 septembre 2021.

3. Il a fait appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens

Enoncé des moyens

4. Le premier moyen est pris de la violation des articles 5.1 c de la Convention européenne des droits de l'homme, 137-3, 191 et 593 du code de procédure pénale.

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention et ordonné la mise en liberté immédiate de M. [P], alors :

« 1°/ qu'en fondant l'obligation de motivation du juge des libertés et de la détention sur l'article 5.1 c de la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction a fait une appréciation erronée du texte en ce que l'autorité judiciaire de premier degré compétente pour apprécier les raisons plausibles de soupçonner qu'un individu a commis une infraction est le juge d'instruction lors de la mise en examen et la chambre de l'instruction, pour le deuxième degré ; que par ailleurs, le caractère exceptionnel de la détention provisoire affirmé par l'article 137 du code de procédure pénale fonde pour le juge des libertés et de la détention l'obligation de motivation en fait et en droit prévue par l'article 137-3 du code de procédure pénale portant uniquement sur le caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance à domicile électronique et le motif de la détention par référence aux seuls dispositions des articles 143-1 et 144 du code de procédure pénale ;

2°/ que, si dans ses arrêts récents, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé l'obligation pour la chambre de l'instruction à tous les stades de la procédure et même d'office de s'assurer de la réunion des conditions légales de la détention provisoire et notamment l'existence d'indices graves et concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés, aucune décision n'impose une telle obligation au juge des libertés et de la détention ; que d'ailleurs, en indiquant « que rien n'autorise à considérer que le préalable imposé à la chambre de l'instruction ne le serait pas au premier juge chargé de statuer sur les mesures de sûreté, sur lequel ladite chambre exerce ensuite son contrôle », la chambre de l'instruction ne fait qu'anticiper un éventuel revirement de jurisprudence qui ne correspond pas au droit positif, qu'à cet égard et conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, si un revirement de jurisprudence devait désormais imposer au juge des libertés et de la détention une obligation de motivation sur les indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation du mis en examen, comme auteur ou complice aux faits reprochés, l'objectif à valeur constitutionnelle d'une bonne administration de la justice commanderait qu'il n'ait d'effet que pour l'avenir ;

3°/ qu'enfin, la chambre de l'instruction est la juridiction d'appel des décisions rendues par le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention, qu'en indiquant « que rien n'autorise à considérer que le préalable imposé à la chambre de l'instruction ne le serait pas au premier juge chargé de statuer sur les mesures de sûreté, sur lequel ladite chambre exerce ensuite son contrôle » pour imposer au juge des libertés et de la détention une obligation de motivation des indices graves ou concordants fondant une mise en examen, l'arrêt attaqué attribue au juge des libertés et de la détention une compétence de contrôle des décisions du juge d'instruction qui n'est prévue par aucun texte et relève de la seule compétence de la chambre de l'instruction, alors même que par ailleurs, la personne mise en examen dispose d'un recours effectif contre une mise en examen qui lui semblerait injustifiée. »

6. Le second moyen est pris de la violation des articles 80-1, 137 et 137-3 et 591 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention et ordonné la mise en liberté immédiate de M. [P], alors « qu'en ne se prononçant pas sur l'existence d'indices graves ou concordants pourtant relevée dans le réquisitoire du parquet général devant la chambre de l'instruction, l'arrêt critiqué a privé la Cour de cassation de la possibilité de s'assurer que les réquisitions écrites du procureur général ont été soumises à l'examen des conseillers, qu'ainsi l'arrêt présentant des motifs insuffisants encourt la cassation ; qu'ainsi en ne respectant pas les formes prescrites par les articles précités, la décision attaquée doit être cassée pour violation de la loi. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 137-3, 143-1, 144, 186 et 593 du code de procédure pénale :

9. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. En raison de l'effet dévolutif de l'appel, il appartient à la chambre de l'instruction d'examiner le bien-fondé de la détention provisoire et de statuer sur la nécessité de cette mesure, au besoin en substituant aux motifs insuffisants voire erronés du premier juge des motifs répondant aux exigences légales.

11. Pour annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention plaçant M. [P] en détention provisoire et ordonner sa mise en liberté immédiate, l'arrêt attaqué énonce que, par arrêt du 14 octobre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, au visa de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, qu'il incombe à la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, de s'assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés, ajoutant qu'elle a confirmé cette position de principe dans un arrêt du 27 janvier 2021 en jugeant que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence de tels indices.

12. Les juges relèvent que rien n'autorise à considérer que le préalable imposé à la chambre de l'instruction ne le serait pas au premier juge chargé de statuer sur les mesures de sûreté, sur lequel ladite chambre exerce ensuite son contrôle.

13. Ils retiennent qu'il est ainsi désormais érigé en principe que le recours à des mesures de sûreté ne se conçoit que démonstration faite de l'existence de telles charges, étant rappelé que l'article 137-3 du code de procédure pénale impose au juge des libertés et de la détention de motiver ses décisions en fait et en droit, le défaut de motivation entachant nécessairement la décision de nullité absolue puisqu'il ne permet pas au mis en examen de connaître les motifs de son placement en détention, à commencer par les éléments considérés par le juge comme constituant des indices graves ou concordants de sa participation aux faits.

14. Ils constatent qu'en l'espèce, pas un mot n'est dit dans l'ordonnance querellée sur l'existence d'indices graves ou concordants contre M. [P] rendant plausible de soupçonner qu'il a pris une part aux faits objet de sa mise en examen.

15. Ils concluent que faute d'une telle motivation, l'ordonnance doit être annulée et M. [P] remis en liberté sans délai, s'il n'est détenu pour autre cause.

16. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

17. En effet, la chambre de l'instruction a retenu à juste titre que le juge des libertés et de la détention est tenu de s'assurer, à tous les stades de la procédure, de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi, ce que l'existence de raisons rendant plausible l'implication de la personne ne suffit d'ailleurs pas à établir.

18. Cependant, constatant dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'absence de toute motivation sur ce point, elle ne pouvait prononcer la nullité de cette ordonnance et devait, en raison de l'effet dévolutif de l'appel, se prononcer elle-même sur l'existence de tels indices.

19. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims, en date du 16 septembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze décembre deux mille vingt et un.

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