15 December 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-11.046

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:SO01447

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE - Employeur - Obligations - Sécurité des salariés - Obligation de sécurité - Manquement - Exposition à une substance toxique ou nocive - Risque élevé d'une pathologie grave - Préjudice personnellement subi par le salarié - Preuve - Conditions - Détermination - Portée

En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition au benzène ou à une autre substance toxique ou nocive, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité. Le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi. Justifie légalement sa décision, la cour d'appel qui déduit l'existence d'un tel préjudice des attestations de proches faisant état de crises d'angoisse régulières, de la peur de se soumettre à des examens médicaux, d'insomnies et d'un état anxio-dépressif

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Obligations - Sécurité des salariés - Obligation de sécurité - Manquement - Préjudice - Préjudice personnellement subi par le salarié - Caractérisation - Nécessité - Portée

Texte de la décision

SOC.

ZB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 décembre 2021




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 1447 FS-B

Pourvoi n° V 20-11.046




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 DÉCEMBRE 2021

La société Alstom Power Systems, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 20-11.046 contre les arrêts rendus le 30 avril et 26 novembre 2019 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [U] [G], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Silhol, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Alstom Power Systems, de Me Haas, avocat de M. [G], et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présents M. Cathala, président, M. Silhol, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, Lacquemant, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Besançon, 30 avril 2019 et 26 novembre 2019), M. [G], salarié jusqu'au 25 avril 1978 de la société Alstom Power Turbomachines, aux droits de laquelle vient la société Alstom Power Systems (la société), a travaillé au sein de l'établissement de [Localité 3].

2. En exécution d'un jugement rendu le 26 juin 2007 par le tribunal administratif de Besançon, cet établissement a, selon arrêté ministériel du 30 octobre 2007, été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1965 à 1985. Ce jugement a été annulé par un arrêt prononcé le 22 juin 2009 par la cour administrative d'appel de Nancy.

3. Le 17 juin 2013, M. [G] a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété.

4. Après avoir rejeté la demande en réparation d'un préjudice d'anxiété formée sur le fondement de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée, la cour d'appel a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande du salarié au titre de la violation de l'obligation de sécurité et a condamné la société au paiement de dommages-intérêts de ce chef.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, et le second moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexés


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt du 26 novembre 2019 de rejeter « l'exception de prescription » et de la condamner au paiement de dommages-intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité, alors :

« 1°/ que le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d'anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante ; qu'en jugeant, en l'espèce, que ''seule l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA publiée au journal officiel du 6 novembre 2017, et ce peu importe que cette décision ait ensuite été remise en cause par la juridiction administrative, a donné à M. [G] une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action'', pour en déduire que celle-ci n'est pas prescrite, quand il lui appartenait de rechercher, in concreto, à quelle date le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

2°/ que le régime du préjudice d'anxiété fondé sur le droit commun de l'obligation de sécurité de l'employeur ne se confond pas avec le régime du préjudice spécifique d'anxiété applicable au salarié ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel ; qu'en se prononçant de la sorte et en ayant adopté les motifs de son arrêt précédent du 30 avril 2019 ayant rejeté l'exception de prescription de l'action en réparation du préjudice spécifique d'anxiété, sans rechercher à quelle date le salarié avait eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

3°/ que la connaissance qu'a eue le salarié du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante peut résulter des diverses mesures mises en oeuvre par l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail et des réglementations successivement adoptées en matière d'utilisation de l'amiante jusqu'à son interdiction par le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 ; qu'en l'espèce, en décidant de manière péremptoire que ''seule l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA publiée au journal officiel du 6 novembre 2017 (…) a donné à M. [G] une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action'', sans rechercher, comme il lui était pourtant demandé, si la réglementation de l'amiante dès 1977 et les mesures mises en oeuvre par l'employeur au cours de la relation de travail, ayant pris fin en 1978, n'étaient de nature à justifier de l'apparition de la situation d'inquiétude permanente du salarié face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, constitutive du préjudice d'anxiété, antérieurement à la date de l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

4°/ qu'en considérant que l'employeur ne justifie pas que le salarié avait une connaissance personnelle des risques liés à l'utilisation de l'amiante au cours de l'exécution du contrat de travail, lors même qu'il appartenait à ce dernier de justifier de la date à laquelle il a eu connaissance du dommage dont il demandait réparation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1353 du code civil, ensemble l'article 2224 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

7. Le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d'anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin.

8. Appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a constaté que seule l'inscription publiée au Journal officiel du 6 novembre 2007 de l'établissement de [Localité 3] sur la liste permettant la mise en oeuvre du régime ACAATA avait, peu important la remise en cause de cet arrêté par la juridiction administrative, donné au salarié une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action.

9. Par de tels motifs, la cour d'appel, qui a ainsi accompli les recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

10. La société fait grief à l'arrêt du 26 novembre 2019 de la condamner au paiement de dommages-intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité, alors « que le salarié qui [a] sollicité la réparation d'un préjudice d'anxiété sur le fondement du droit commun de l'obligation de sécurité doit prouver l'existence de ce préjudice qu'il a personnellement subi, celui-ci ne se déduisant pas nécessairement de l'exposition au risque mais devant ressortir d'un trouble dans ses conditions d'existence ; que la cour d'appel, qui a simplement estimé que la prétendue exposition du salarié à l'amiante générait un préjudice d'anxiété dont l'existence était établi par des attestations produites par le salarié desquelles il ne ressortait pourtant qu'une inquiétude du salarié face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie grave en raison de l'exposition à l'amiante, mais non d'un trouble dans ses conditions d'existence, n'a pas légalement caractérisé le préjudice d'anxiété et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

11. En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

12. Le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'un tel risque.

13. Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés.

14. Après avoir rappelé que, compte tenu de son exposition avérée à l'amiante et des délais de latence propres aux maladies liées à l'exposition de ce matériau, le salarié devait faire face au risque élevé de développer une pathologie grave, la cour d'appel a constaté qu'il produisait des attestations de proches faisant état de crises d'angoisse régulières, de peur de se soumettre aux examens médicaux, d'insomnies et d'un état anxio-dépressif, et en a déduit que l'existence d'un préjudice personnellement subi était avérée.

15. Par de tels motifs, elle a, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Alstom Power Systems aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alstom Power Systems et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Alstom Power Systems


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué du 26 novembre 2019 d'avoir rejeté l'exception de prescription de la demande de dommages et intérêts liée à la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur et d'avoir condamné la société Alstom Power Systems à payer à M. [G] la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur, outre une somme de 3.500 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Aux motifs que « L'exception de prescription a d'ores et déjà été rejeté par l'arrêt du 30 avril 2019.

A supposer que la prescription doive à nouveau être examinée compte tenu du caractère spécifique de la demande formée en premier lieu par M. [G] et sur la recevabilité de laquelle la précédente décision a uniquement statué, il y a lieu de rappeler que le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire du droit à connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Pour soutenir que la prescription a commencé à courir au plus tard à la date de cessation du contrat de travail, la SA Alstom Power Systems fait valoir que la règlementation du travail relative à la poussière d'amiante du 17 août 1977, la mise en place d'un dispositif de surveillance médicale spécifique dès 1977, diverses notes de service relatives à la formation au poste de travail, la politique de prévention des risques au sein de l'entreprise doivent conduire à considérer que M. [G] connaissait les faits lui permettant d'agir, dès cette date.

La SA Alstom Power Systems ne produit cependant pas d'éléments permettant de justifier que le salarié avait une connaissance personnelle des risques liés à l'utilisation de l'amiante, dès lors qu'il n'est en particulier pas justifié que les différentes notes et circulaires sur lesquelles elle s'appuie étaient diffusées à chaque membre du personnel et notamment à M. [G].

Dans ces conditions, seule l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA publiée au journal officiel du 6 novembre 2017, et ce peu importe que cette décision ait ensuite été remise en cause par la juridiction administrative, a donné à M. [G] une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action.
L'action ayant été introduite le 17 juin 2013, l'action n'est pas prescrite selon un raisonnement identique à celui qui a conduit à déclarer recevable la demande de préjudice spécifique d'anxiété, dès lors que les délais de prescription sont identiques » ;

Et aux motifs adoptés de l'arrêt du 30 avril 2019 que « 2-1 Sur le point de départ de la prescription

Quelle que soit le délai de prescription applicable, celui-ci court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Pour soutenir que la prescription a commencé à courir au plus tard à la date de cessation du contrat de travail, la SA Alstom Power Systems fait valoir que la réglementation du travail relative à la poussière d'amiante du 17 août 1977, la mise en place d'un dispositif de surveillance médicale spécifique dès 1977, diverses notes de service relatives à la formation au poste de travail, la politique de prévention des risques au sein de l'entreprise doivent conduire à considérer que M. [G] connaissait les faits lui permettant d'agir dès cette date.

La SA Alstom Power Systems ne produit cependant pas d'éléments permettant de justifier que le salarié avait une connaissance personnelle des risques liés à l'utilisation de l'amiante, dès lors qu'il n'est en particulier pas justifié que les différentes notes et circulaires sur lesquelles elle s'appuie étaient diffusées à chaque membre du personnel et notamment à M. [G].

M. [G] sollicite la réparation du préjudice spécifique d'anxiété lié à l'exposition à l'amiante dont le salarié n'a pu avoir connaissance qu'à compter de la publication au journal officiel du 6 novembre 2007 de l'arrêté ministériel du 30 octobre 2007 ayant inscrit l'établissement Alstom de [Localité 3] sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA, et c'est donc la date de publication qui constitue le point de départ de la prescription.

2-2 Sur la durée du délai de prescription

A la date de publication de l'arrêté était applicable l'article 2262 du code civil, qui soumettait les actions personnelles à la prescription trentenaire et notamment les actions en responsabilité du salarié contre l'employeur.

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, publiée au journal officiel le 18 juin, portant réforme de la prescription en matière civile, a soumis ces actions à la prescription quinquennale de droit commun en application de l'article 2224 du code civil.

Selon l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, les dispositions de la loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la date prévue par la loi antérieure.

En l'espèce, le nouveau délai de prescription s'est appliqué à compter du 19 juin 2008, lendemain de la publication de la loi et devait donc expirer le 19 juin 2013, dès lors que l'ancien délai trentenaire expirait après cette date.

2-3 Sur l'application de la prescription à la demande de M. [G]

Il résulte des pièces du dossier de première instance que la demande a été déposée auprès des services postaux, le 17 juin 2013 et a été reçue au greffe du conseil de prud'hommes le 20 juin 2013.

Or, c'est la date d'envoi du courrier de saisine de la juridiction qui, pour le demandeur, doit être prise en compte pour l'interruption de la prescription et non celle de sa réception par la juridiction.

Il en résulte que la demande est recevable et le jugement sera en conséquence infirmé » ;

1/ Alors que le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d'anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante ; qu'en jugeant, en l'espèce, que « seule l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA publiée au journal officiel du 6 novembre 2017, et ce peu importe que cette décision ait ensuite été remise en cause par la juridiction administrative, a donné à M. [G] une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action », pour en déduire que celle-ci n'est pas prescrite, quand il lui appartenait de rechercher, in concreto, à quelle date le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante, la Cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

2/ Alors, à tout le moins, que le régime du préjudice d'anxiété fondé sur le droit commun de l'obligation de sécurité de l'employeur ne se confond pas avec le régime du préjudice spécifique d'anxiété applicable au salarié ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel ; qu'en se prononçant de la sorte et en ayant adopté les motifs de son arrêt précédent du 30 avril 2019 ayant rejeté l'exception de prescription de l'action en réparation du préjudice spécifique d'anxiété, sans rechercher à quelle date le salarié avait eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

3/ Alors, de même, que la connaissance qu'a eue le salarié du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante peut résulter des diverses mesures mises en oeuvre par l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail et des réglementations successivement adoptées en matière d'utilisation de l'amiante jusqu'à son interdiction par le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 ; qu'en l'espèce, en décidant de manière péremptoire que « seule l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA publiée au journal officiel du 6 novembre 2017 (…) a donné à M. [G] une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action », sans rechercher, comme il lui était pourtant demandé, si la réglementation de l'amiante dès 1977 et les mesures mises en oeuvre par l'employeur au cours de la relation de travail, ayant pris fin en 1978, n'étaient de nature à justifier de l'apparition de la situation d'inquiétude permanente du salarié face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, constitutive du préjudice d'anxiété, antérieurement à la date de l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

4/ Alors, au surplus, qu'en considérant que l'employeur ne justifie pas que le salarié avait une connaissance personnelle des risques liés à l'utilisation de l'amiante au cours de l'exécution du contrat de travail, lors même qu'il appartenait à ce dernier de justifier de la date à laquelle il a eu connaissance du dommage dont il demandait réparation, la Cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1353 du code civil, ensemble l'article 2224 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

5/ Alors, en tout état de cause, que l'action en réparation du préjudice d'anxiété sur le fondement des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur est soumise au délai de deux ans de l'article L. 1471-1 du code du travail ; qu'en l'espèce, en retenant que l'action du salarié en réparation d'un préjudice d'anxiété sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est soumise à un délai de cinq ans, et en la jugeant non prescrite, quand la prescription de deux ans de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa version en vigueur du 17 juin 2013 au 24 septembre 2017, était applicable à cette action introduite le 17 juin 2013, la Cour d'appel a violé ce texte.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué du 26 novembre 2019 d'avoir condamné la société Alstom Power Systems à payer à M. [G] la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur, outre une somme de 3.500 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Aux motifs que « Le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave peut être admis à agir contre son employeur, sur le fondement des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de ce dernier, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée.

Par ailleurs, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour établir qu'il a respecté l'obligation légale de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

La société Alstom Power Systems soutient qu'elle a respecté la réglementation applicable en :

- mettant en place un dispositif de surveillance médicale spécifique dès 1977,
- informant les salariés régulièrement par des notes de service diffusées notamment par affichage,
- les faisant bénéficier de formation en ce qui concerne le personnel entrant et mettant en place des groupes de travail chargés de mener la politique de prévention des risque liés à l'utilisation de produits nocifs tels que l'amiante,
-fournissant des protections individuelles et collectives (dispositifs d'évacuation des fumées et poussières, installation et utilisation de hottes, appareils d'aspiration/ventilation),
- réalisant des mesures de prélèvement atmosphériques périodiques et de vérifications des installations et appareils de protection collective.

Elle produit de multiples notes de service, procès-verbaux de réunion du CHSCT et rapports annuels pour justifier de ses affirmations.

Il n'en reste pas moins que M. [G] produit treize attestations de salariés ayant travaillé sur une période comprenant au moins celle durant laquelle il a été salarié de la société Alstom Power Systems, qui font état d'une exposition quotidienne à l'amiante, certaines d'entre elles mentionnant la présence de fibres d'amiante visibles dans l'environnement ambiant.

Il verse par ailleurs aux débats trois attestations d'anciens collègues de travail, qui indiquent qu'il manipulait des produits contenant de l'amiante, notamment par découpage de joints dans des feuilles d'amiante et nettoyage à l'aide de grattoirs, entraînant la production de poussières, en précisant qu'aucune protection individuelle n'était recommandée ni même fournie et qu'enfin ils n'avaient suivi aucune formation précise sur les dangers de l'amiante n'ayant par ailleurs été diffusée.

La société Alstom Power Systems ne peut donc soutenir que M. [G] était agent de dessin, donc non exposé aux poussières d'amiante, tant au vu de ces attestations que du certificat de l'employeur du 25 avril 1978 établissant qu'il a été ajusteur pendant une période de trois ans, pour seulement ensuite devenir agent technique de dessin.

Dans ces conditions, même si la société Alstom Power Systems produit des multiples pièces de nature administrative relatives aux mesures prises, il n'en reste pas moins que les témoignages des salariés permettent d'établir que l'ensemble des mesures n'avaient pas été prises, sur le terrain, pour prévenir les risques liés à l'exposition à l'amiante.

Il appartient enfin à M. [G] de caractériser le préjudice qu'il subit personnellement, résultant du risque élevé de développer une pathologie grave.

Compte-tenu de son exposition avérée à l'amiante et des délais de latence propres aux maladies liées à l'exposition à ce matériau, M. [G] doit effectivement faire faire à un risque élevé de développer une pathologie dès lors qu'il a été exposé pendant une déduire d'au minimum trois ans, étant de plus rappelé que le risque n'est pas directement lié à la durée d'exposition.

Il produit par ailleurs les attestations de :

- Mme [M], sa compagne, qui indique qu'il « souffre de crises d'angoisses régulières par rapport à une anxiété et une inquiétude de développer une maladie suite à l'exposition à l'amiante » et note que « des maladies développées par certains de ses anciens collègues dont des décès directement liés à l'amiante, lui font entrevoir un avenir incertain, une incapacité à faire des prévisions à long terme » ainsi qu'une « peur de se soumettre à des examens médicaux malgré les ordonnances (toux fréquente), les insomnies et cela impliquant un changement de comportement et d'attitude envers sa famille et ses proches », précisant enfin qu'il en résulte un état anxio-dépressif nécessitant un traitement spécialisé,
- M. [J], qui précise que M. [G] « est obnubilé par le sujet amiante et particulièrement inquiet du contact qu'il a eu avec cette matière et des effets sur sa santé »,
- Mme [W], son ex-épouse, qui atteste que « depuis plusieurs années, [U] est soucieux, angoissé et inquiet de tomber malade après avoir travaillé au sein de l'entreprise qui l'a exposé à l'amiante »,
- M. [T], ami de M. [G], qui fait également part d'une vive inquiétude de tomber malade, de la peur de passer des examens médicaux, d'un changement d'attitude, ainsi que d'un « renfermement sur lui-même ».

L'existence d'un préjudice personnellement subi est donc avérée et il sera alloué à l'appelant à titre de réparation la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts » ;

1/ Alors, d'une part, que le salarié qui sollicite la réparation d'un préjudice d'anxiété sur le fondement du droit commun de l'obligation de sécurité de l'employeur doit apporter la preuve de son exposition à une substance nocive ou toxique, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, cette exposition devant être significative et avoir eu lieu sur une période suffisamment longue pour qu'elle génère une anxiété chez le salarié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui s'est contentée de relever la présence d'amiante sur le site ayant employé le salarié, sans préciser que celui-ci aurait été personnellement exposé à cette substance, ni, le cas échéant, la durée et l'intensité de cette exposition, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige ;

2/ Alors, de plus, que le salarié doit justifier avoir été personnellement exposé à l'amiante, au regard des fonctions qu'il occupait au sein de l'établissement ; qu'en s'en tenant à des constatations générales quant à l'utilisation d'amiante au sein de l'établissement, quand l'employeur faisait valoir que le salarié avait occupé des fonctions ne l'ayant conduit à aucune exposition à cette substance, la cour d'appel n'a pas caractérisé que le salarié avait été personnellement exposé à l'amiante et a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;

3/ Alors, d'autre part, que ne peut être condamné à indemniser un préjudice d'anxiété l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en considération des dispositions légales et réglementaires applicables au moment de la relation contractuelle ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer que « même si la société Alstom Power Systems produit des multiples pièces de nature administrative relatives aux mesures prises, il n'en reste pas moins que les témoignages des salariés permettent d'établir que l'ensemble des mesures n'avaient pas été prises, sur le terrain, pour prévenir les risques liés à l'exposition à l'amiante », se fondant ainsi sur des attestations de salariés établies plus de 30 ans après la fin de la relation contractuelle, la cour d'appel n'a pas apprécié, à la date de celle-ci, les mesures mises en oeuvre par l'employeur pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, privant sa décision de base légale au regard des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail ;

4/ Alors, enfin, que le salarié qui sollicité la réparation d'un préjudice d'anxiété sur le fondement du droit commun de l'obligation de sécurité doit prouver l'existence de ce préjudice qu'il a personnellement subi, celui-ci ne se déduisant pas nécessairement de l'exposition au risque mais devant ressortir d'un trouble dans ses conditions d'existence ; que la cour d'appel, qui a simplement estimé que la prétendue exposition du salarié à l'amiante générait un préjudice d'anxiété dont l'existence était établi par des attestations produites par le salarié desquelles il ne ressortait pourtant qu'une inquiétude du salarié face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie grave en raison de l'exposition à l'amiante, mais non d'un trouble dans ses conditions d'existence, n'a pas légalement caractérisé le préjudice d'anxiété et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1231-1 du code civil.

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