8 December 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-13.560

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:C100783

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 décembre 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 783 F-D

Pourvoi n° C 20-13.560




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2021

Mme [D] [W], épouse [P], domiciliée [Adresse 1] (Belgique), a formé le pourvoi n° C 20-13.560 contre l'arrêt rendu le 25 septembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [R] [S],

2°/ à M. [C] [V],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

3°/ à la société Editrice du Monde, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de Mme [W], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de MM. [S] et [V] et de la société Editrice du Monde,après débats en l'audience publique du 19 octobre 2021 où étaient présents M. Chauvin, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon , greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 septembre 2019), un article rédigé par MM. [S] et [V] a été publié le 15 avril 2015 sur le site internet www.lemonde.fr et dans l'édition papier du journal daté du lendemain, sous le titre « Placé sur écoutes M. [W] promet de ne pas balancer » et le sous-titre « Les interceptions réalisées sur son deuxième téléphone révèlent l'amertume de l'ex-ministre de l'intérieur, lâché par ses collègues de l'[5] ». Cet article retranscrivait notamment des conversations téléphoniques entre Mme [W] et son père M. [W], enregistrées au cours d'une procédure judiciaire engagée contre celui-ci.

2. Estimant que ces publications portaient atteinte à l'intimité de sa vie privée, Mme [W] a assigné la société éditrice du Monde, ainsi que MM. [S] et [V], en réparation de son préjudice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [W] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que le droit au respect dû à la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; que, pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il doit prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication et procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères ; qu'en considérant que le choix de la mention même de l'identité de la fille de M. [W] et celui de la retranscription fidèle du dialogue pouvaient se justifier en raison du droit du public à l'information et du principe de la liberté d'expression, quand la retranscription des propos de Mme [W], personnage non public, n'était pas nécessaire à l'information du public et constituait un détournement de l'objectif d'information, caractérisant par là-même une atteinte disproportionnée au droit de celle-ci au respect de la vie privée, la cour d'appel a violé les articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Le droit au respect dû à la vie privée et à l'image d'une personne et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime. Cette mise en balance des droits en présence doit être effectuée en prenant en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, [B] et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 93). Même si le sujet à l'origine de l'article relève de l'intérêt général, il faut encore que le contenu de l'article soit de nature à nourrir le débat public sur le sujet en question (CEDH, arrêt du 29 mars 2016, [K] c. Suisse [GC], n° 56925/08, § 64). Il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères (1re Civ., 21 mars 2018, n° 16-28.741, Bull. n° 56 ; 1re Civ., 17 février 2021, n° 19-24.780).

5. Après avoir retenu que la retranscription de conversations téléphoniques entre M. [W] et sa fille caractérisait une atteinte à la vie privée de celle-ci, la cour d'appel a relevé que le contenu des propos litigieux ne portait pas sur la vie privée ou familiale de Mme [W], que la publication litigieuse respectait le principe de proportionnalité, que les échanges rapportés contenaient des informations d'intérêt général, que les propos publiés, extraits des écoutes téléphoniques ordonnées judiciairement sur commission rogatoire, évoquaient les émotions ressenties par les protagonistes à la suite des informations révélées sur le financement de la campagne électorale de M. [U] en 2007, alors que M. [W] était son directeur de cabinet au ministère de l'intérieur, ainsi que le comportement des alliés politiques subséquent à ces révélations, et que, traitant des relations entre les hommes politiques à la suite de la révélation d'affaires judiciaires, ils présentaient un intérêt politique, outre que le choix de la mention même de l'identité de la fille de M. [W], qui n'était pas un tiers anodin, et la retranscription fidèle du dialogue, permettaient de comprendre l'intimité, la spontanéité et la sincérité des propos tenus.

6. De ces constatations et énonciations, dont il résulte qu'elle a examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre en oeuvre afin de procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté d'expression, la cour d'appel a déduit, à bon droit, que les propos litigieux relevaient d'un sujet d'intérêt général et que l'atteinte portée à la vie privée de Mme [W] était légitimée par le droit à l'information du public, écartant ainsi toute disproportion de cette atteinte.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [W] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour Mme [W].

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté Mme [W] de toutes ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE, conformément à l'article 9 du code civil et à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse ; que, cependant, ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d'expression, consacré par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ils peuvent céder devant la liberté d'informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l'intérêt légitime du public, certains événements d'actualité ou sujets d'intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l'information et du principe de la liberté d'expression ; que c'est à juste titre que l'appelante sollicite la confirmation de l'analyse des premiers juges en ce qu'ils ont estimé que le dialogue rapporté entre elle-même et son père dans les deux versions de l'article, de façon plus détaillée dans la version internet, est une conversation téléphonique privée dans laquelle celle-ci exprime à son père ses sentiments de colère et de dégoût envers d'anciens alliés de celui-ci et qu'il relevait du droit au respect de la vie privée ; que cette conversation entre un père et sa fille sans consentement à la publication est donc susceptible de caractériser une atteinte à la vie privée ; qu'admettant que la liberté d'expression et d'information devait se concilier avec le droit au respect de la vie privée et qu'il appartient au juge d'effectuer une mise en balance des intérêts en jeu , l'appelante maintient cependant que les intimés n'ont pas agi de bonne foi dans le respect des règles d'un journalisme responsable dans la mesure où ni la licéité de l'origine des écoutes téléphoniques prétendument retranscrites dans les articles visés ni la véracité des informations publiées dans cet article ne sont démontrées, les pièces produites pour en justifier étant délibérément tronquées, leur caractère incomplet leur retirant toute valeur probante ; qu'en tout état de cause en retranscrivant des écoutes téléphoniques que l'appelante a eues avec son père les journalistes ont publié des documents protégés par le secret de l'instruction, violant ainsi de façon flagrante des règles déontologiques d'un journalisme responsable, que quoiqu'il en soit la liberté d'information invoquée ne pouvait justifier l'atteinte au droit au respect de sa vie privée, celle-ci étant tiers au regard des sujets évoqués par l'article visé, que la nécessité de l'information ne justifiait pas de dévoiler son identité ni même de reproduire littéralement la conversation téléphonique entre elle et son père, qu'aurait été suffisante la rédaction d'un commentaire concernant les propos de M. [W], seuls relevant d'un débat d'intérêt général ; que cependant c'est à juste titre que les intimés font valoir que dans la présente affaire, les captations des conversations téléphoniques entre M. [W] et sa fille ne sont en aucune manière illicites, s'agissant d'interceptions téléphoniques ordonnées légalement par l'autorité judiciaire et qui par définition, ne tombent pas sous le coup des articles 226-1, ni par voie de conséquence 226-2, du code pénal ; qu'en outre le sujet d'intérêt général n'est pas sérieusement contestable, l'objet de la conversation téléphonique interceptée faisant référence à une procédure judiciaire engagée contre M. [W] alors qu'il était directeur de cabinet de M. [U] au ministère de l'intérieur, et que les écoutes téléphoniques ont été interceptées sur commission rogatoire du juge d'instruction M. [H] dans le cadre d'une autre information judiciaire relative à un éventuel financement libyen de la campagne électorale de M. [U] en 2007, que les échanges téléphoniques eux-mêmes contiennent des informations d'intérêt général, que la réalité de la teneur des conversations téléphoniques ne peut être contestée, les avocats en produisant une copie, que le contenu des propos rapportés par les journalistes ne porte pas sur la vie privée ou familiale de l'appelante et que la publication litigieuse respecte le principe de proportionnalité ; que, par ailleurs, si l'appelante souligne que la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré que l'interdiction de publication des actes de procédure avant qu'ils aient été lus en audience publique, prévue à l'article 38 de la loi de 1881, constituait un but légitimant la restriction à la liberté d'expression, l'intimé relève justement que l'interdiction de publication des actes de procédure prévue à l'article 38 de la loi de 1881 ne peut plus être invoquée comme étant prescrite ; qu'en l'espèce, les propos publiés extraits des écoutes téléphoniques ordonnées judiciairement sur commission rogatoire évoquent les émotions ressenties par les protagonistes suite aux informations révélées sur le financement de la campagne électorale de M. [U] en 2007 et le comportement des alliés politiques subséquent à ces révélations ; qu'ils comportent bien un intérêt politique traitant des relations entre les hommes politiques suite à la révélation d'affaires judiciaires et relèvent donc d'un sujet d'intérêt général ; qu'en outre, c'est par des motifs pertinents que les premiers juges ont souligné que l'objet de l'article n'était donc pas la vie privée de l'appelante, mais ses réactions et réflexions spontanées suite aux révélations judiciaires permettant à son père de réagir lui-même et d'éclairer ses motivations et comportements politiques ; qu'ainsi le choix de la mention même de l'identité de sa fille, qui n'est pas un tiers anodin, tout comme celui de la retranscription fidèle du dialogue, plutôt qu'écrire un commentaire résumant les propos, permettaient de comprendre l'intimité, la spontanéité et la sincérité des propos tenus, et pouvait donc se justifier en raison du droit du public à l'information et du principe de la liberté d'expression ; que l'atteinte à la vie privée n'est pas constituée ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, sur la publication litigieuse, [D] [W], épouse [P], est la fille de M. [W], ancien ministre de l'intérieur et ancien secrétaire général de [Adresse 4] ; que le 15 avril 2015 est paru sur le site internet www.lemonde.fr et dans le journal Le Monde daté du lendemain, en page 10, un article intitulé « Placé sur écoutes M. [W] promet de "ne pas balancer" » et sous-titré « Les interceptions réalisées sur son deuxième téléphone révèlent l'amertume de l'ex-ministre de l'intérieur, lâché par ses collègues de l'[5] », signé par M. [S] et M. [V] ; que le titre de l'article est annoncé en première page du journal, dans sa version papier, sous le titre « [M] [W] seul face aux affaires » ; que l'article dans sa version internet est plus long que dans sa version papier ; qu'il commence dans ses deux versions par évoquer la similitude entre M. [U] et M. [W], qui tous deux se sont faits « piéger » par des conversations sur un second téléphone qu'ils croyaient sûr ; qu'il évoque le placement sous écoute de M. [W] en 2013, dans le cadre d'une commission rogatoire de juges d'instruction chargés de l'affaire du financement supposé de la campagne présidentielle de M. [U] en 2007 par le régime libyen ; qu'il indique que les conversations interceptées mettent « en scène un homme en plein désarroi, convaincu d'avoir été lâché par les siens » ; qu'un échange de textos entre M. [W] et son fils, le 4 juin 2013, est cité, ce dernier affirmant à son père croire en la théorie du bouc émissaire et lui conseillant de ne penser qu'à lui-même ; que l'article dans sa version internet indique ensuite : « Quelques jours plus tard, le 11 juin, c'est [D] [P], la fille de M. [W], qui téléphone à son père, afin d'évoquer cette affaire de primes. "Moi j'en ai ras-le-bol des insultes", clame Mme [P]. "Moi aussi. Oui oui. Ben moi aussi hein", répond M. [W]. "Ça doit être l'intérieur qui fait des communications uniquement sur toi", lance-t-elle encore, imaginant que son père est victime d'une manipulation politique. "Ouais bien sûr… ", approuve ce dernier. La conversation vient alors sur les "amis" politiques de l'ancien ministre. Des échanges savoureux. "Et puis l'[5] est nulle aussi… Parce qu'ils ne te défendent pas !", dit [D] [P]. - Oui. Bien sûr, répond M. [W]. - Ils sont dégueulasses ! C'est des dégueulasses de toute façon. - Oui mais ça c'est sûr (…) Et puis quand tu vois certains qui disent pas forcément des choses négatives, qui disent… Mais qui défendent pas, quoi (…) Et que tu sais qui ils sont et ce qu'ils ont fait (…) Ou font ! - Ouais. - Bon, ben tu peux… Hein… Parce que je… Je sais quelques petits trucs quand même ! - Ouais. - Tu vois ? On n'est pas ministre de l'intérieur en vain ! - Ben ce serait bien qu'un jour tu les balances… Parce que franchement… - (Rires de M. [W]) - Franchement il y a vraiment des claques qui se perdent ! - Ouais". Quelques heures plus tard, M. [W] est recontacté par sa fille. "Ce qu'il y a c'est qu'il faudrait que t'aies un ou deux copains à l'[5] qui te défendent, quoi, parce que c'est pas juste ce qu'il font, hein ?", interroge Mme [P]. "[X] oui je sais bien", approuve son père. "Mais t'en as pas un ou deux qui peut quand même être sympa et…" "Non", la coupe M. [W], qui indique : "Je me démerderai tout seul et j'y arriverai tout seul. " "C'est dégueulasse franchement la politique c'est vraiment un sale milieu, vraiment…", déplore-t-elle. "Ah oui ça c'est sûr", approuve M. [W]. "Ouais et puis ils se tiennent tous entre eux tu vois, c'est vraiment des médiocres", ajoute sa fille. "Oui, oui, quand je vois les mecs (…) qui font des trucs (…) quand je sais ce qu'ils font, ce qu'ils ont fait et ce qu'ils font, hein bon…", lui répond-il. "Mais pourquoi tu débines pas aussi toi, hein ?", insiste-t-elle. "Ah non c'est pas mon genre (…) Je vais pas débiner [G], [L],… (…) Je me défends mais de là à mettre en cause des gens". Le 13 juin 2013, M. [W] est rappelé par sa fille, sur le même thème. "Je suis très en colère, attaque-t-elle, parce que je trouve qu'à l'[5] quand même, ils ne se sont pas beaucoup bougé les fesses pour te défendre hein quand même…" "Oh bah non, c'est le moins qu'on puisse dire", acquiesce M. [W], qui pense avoir l'explication : "Surtout, je ne fais pas partie de la bande quoi…" Sa fille approuve : "T'es pas de leur bande ! C'est pour ça que je te dis… Ils se tiennent tous entre eux !" "Oui oui (…) Ah c'est sûr !", conclut M. [W]. La discussion vient alors sur M. [U]. [D] [P] : "Ils en ont long comme le bras dans leurs petites affaires personnelles, et puis il n'y en a pas un qui… Et moi je ne suis pas contente après [U] parce qu'il aurait pu faire quelque chose pour toi !" - Oui, je pense aussi. Oui oui, moi non plus, répond M. [W]. - Hein ? Hein ? Alors il a intérêt à se méfier parce que le jour où tu vas décider de balancer, et ben… tu vas voir ! - Oh bah je vais pas balancer ! - Ses petits copains, là…- Je ne vais pas balancer, tu le sais bien. - Oui, ben écoute… - Bon, enfin… On est comme on est… - Il mériterait… Il mériterait… - (Rires) OK, allez, salut [I]". [Y] dans le collimateur : le 20 juin 2013, toujours en ligne avec sa fille, M. [W] évoque un article de L'Express le concernant. "J'ai compris, résume-t-il, que ça voulait dire qu'il fallait un minimum de solidarité parce qu'il ne fallait pas que je craque !" "Mais c'est pas mon genre", ajoute-t-il, avant de préciser : "Mais je vais quand même distribuer quelques taloches… Gentiment hein…" » ; que la version papier pour ce passage est plus courte, certains propos figurant dans la version internet n'y étant pas mentionnés : « Quelques jours plus tard, le 11 juin, c'est [D] [P], la fille de M. [W], qui téléphone à son père, afin d'évoquer cette affaire de primes. "Ça doit être l'intérieur qui fait des communications uniquement sur toi", lance-t-elle, imaginant que son père est victime d'une manipulation politique. "Ouais bien sûr…", approuve ce dernier. La conversation vient alors sur les "amis" politiques de l'ancien ministre. Des échanges savoureux. [D] [P] : "Et puis l'[5] est nulle aussi… Parce qu'ils ne te défendent pas ! " M. [W] : "Oui mais ça c'est sûr (…) Et puis quand tu vois certains (…) Et que tu sais qui ils sont et ce qu'ils ont fait (…) Ou font ! Parce que je … Je sais quelques petits trucs quand même ! Tu vois ? On n'est pas ministre de l'intérieur en vain !". [D] [P] : "Ben ce serait bien qu'un jour tu les balances… Parce que franchement…". Quelques heures plus tard, M. [W] est recontacté par sa fille. "Ouais et puis ils se tiennent tous entre eux tu vois, c'est vraiment des médiocres", ajoute-t-elle. "Oui, oui, quand je vois les mecs (…) qui font des trucs (…) quand je sais ce qu'ils font, ce qu'ils ont fait et ce qu'ils font, hein bon…", lui répond-il. Le 13 juin 2013, M. [W] est rappelé par sa fille. La discussion vient alors sur M. [U]. [D] [P] : "Et moi je ne suis pas contente après [U] parce qu'il aurait pu faire quelques chose pour toi !". M. [W] : "Oui, je pense aussi". Sa fille : "Alors il a intérêt à se méfier parce que le jour où tu vas décider de balancer, et ben… tu vas voir !". M. [W] : "Oh bah je vais pas balancer !" . [D] [P] : "Il mériterait…Il mériterait…" » ; que la suite de l'article, dans ses deux versions, relate d'autres conversations entre M. [W] et : - M. [J], alors directeur du cabinet de M. [U], - M. [U], au sujet de commissions rogatoires internationales délivrées par les juges d'instruction chargés de l'affaire des tableaux et du « [N] », - Mme [Z], qui a besoin d'un contact à un haut niveau en Libye pour une implantation d'entreprise et promet d'« en parler » à son interlocuteur si c'est « un truc qui marche », - M. [O], qui tutoie l'ancien ministre de l'intérieur et relate avoir rencontré M. [F], ancien directeur du cabinet de M. [A], qui lui aurait dit avoir été approché par les socialistes, lesquels lui auraient proposé de raconter « des conneries », en échange, après son exfiltration de la Libye, du paiement des frais d'école pour ses enfants et de la levée du mandat d'[3] ; que l'article indique que les confidences de M. [O] pourraient être « extrêmement embarrassantes pour le pouvoir » mais ajoute que, si les approches des socialistes ont bien eu lieu, elles ne paraissent pas avoir été couronnées de succès car M. [F], interviewé par Vanity Fair, n'a pas confirmé avoir participé au financement occulte des activités politiques de M. [U] et a même qualifié de « faux grossier » le document de Mediapart ; que l'article finit en évoquant l'affirmation par une source gouvernementale de l'absence de démarche entreprise auprès de M. [F] ; que, sur l'atteinte à la vie privée, conformément à l'article 9 du code civil et à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse ; que, cependant, ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d'expression, consacré par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ils peuvent céder devant la liberté d'informer, sur tout ce qui entre dans le champ de l'intérêt légitime du public, certains événements d'actualité ou sujets d'intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l'information et du principe de la liberté d'expression ; qu'en l'espèce, le dialogue rapporté entre la demanderesse et son père dans les deux versions de l'article, de façon plus détaillée dans la version internet, est une conversation téléphonique privée dans laquelle Mme [W] exprime à son père ses sentiments de colère et de dégoût envers d'anciens alliés de celui-ci ; qu'il relève donc du droit au respect de la vie privée ; que, partant, il convient de mettre en balance le droit à la vie privée de la demanderesse et le droit à la liberté d'expression des défendeurs ; que les propos de la demanderesse ont été publiés sans son consentement, et proviennent d'écoutes téléphoniques réalisées dans le cadre d'une commission rogatoire dans le cadre d'une information judiciaire, au vu des pièces 6 à 11 produites en défense ; que les écoutes sont donc licites ; que le secret de l'instruction n'est pas opposable en tant que tel aux journalistes puisqu'ils ne concourent pas à la procédure d'information judiciaire ; que le mode d'obtention de ces informations relève du secret des sources des journalistes et les informations données par cette conversation privée – notamment : sentiment d'abandon de M. [W] et informations secrètes qu'il pourrait donner sur des membres de l'[5] mais qu'il ne va pas « balancer » – sont, au vu des pièces de la défense, fiables, précises et produites de bonne foi ; que l'objet de l'article n'est pas la vie familiale des [W] mais les affaires judiciaires ayant trait à l'utilisation des deniers publics par un haut fonctionnaire et au financement de la campagne d'un président de la République, les relations entre des acteurs politiques ainsi que les secrets que M. [W] détiendrait sur ses alliés politiques et ne compterait pas divulguer ; que ces sujets, qui intéressent au plus haut point les citoyens qui ont le droit d'en être informés, relèvent à l'évidence d'un débat d'intérêt général ; que l'objet de l'article n'est donc pas la vie privée de Mme [W] et le passage litigieux, s'il mentionne les réactions personnelles de la demanderesse et cite ses remarques lors d'un dialogue avec son père, ne mentionne aucune bribe de conversation ayant trait à des éléments autres qu'en lien avec les affaires judiciaires en cours et les relations de son père avec l'[5] ou les secrets qu'il détiendrait ; que le passage litigieux lui-même évoque donc des sujets d'intérêt général et la citation des propos de la demanderesse vise à mieux comprendre les réponses de M. [W], personnage public de premier plan, et à rendre plus précises les informations données ; que l'article, y compris le passage poursuivi, est ainsi lié à un sujet d'intérêt général, qui justifie une publication, en raison du droit du public à l'information et du principe de la liberté d'expression ; que, dès lors, l'atteinte à la vie privée n'est pas constituée ;

ALORS QUE le droit au respect dû à la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; que, pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il doit prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication et procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères ; qu'en considérant que le choix de la mention même de l'identité de la fille de M. [W] et celui de la retranscription fidèle du dialogue pouvaient se justifier en raison du droit du public à l'information et du principe de la liberté d'expression, quand la retranscription des propos de Mme [W], personnage non public, n'était pas nécessaire à l'information du public et constituait un détournement de l'objectif d'information, caractérisant par là-même une atteinte disproportionnée au droit de celle-ci au respect de la vie privée, la cour d'appel a violé les articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du code civil.

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