24 November 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-81.344

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01269

Titres et sommaires

CRIMES ET DELITS COMMIS A L'ETRANGER - Faits commis à l'étranger par un étranger - Crimes contre l'humanité et crimes de guerre - Compétence universelle des juridictions françaises - Condition - Double incrimination - Élément constitutif de l'infraction - Attaque lancée contre une population civile en exécution d'un plan concerté - Nécessité

Les crimes contre l'humanité sont définis au chapitre II du sous-titre Ier du code pénal, et nécessairement commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique. Dès lors, l'exigence posée par l'article 689-11 du code de procédure pénale, selon laquelle les faits doivent être punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis inclut nécessairement l'existence dans cette législation d'une infraction comportant un élément constitutif relatif à une attaque lancée contre une population civile en exécution d'un plan concerté. Doit en conséquence être cassé l'arrêt qui, pour rejeter l'exception présentée par le demandeur, portant sur l'incompétence des juridictions françaises, après avoir relevé que la Syrie n'avait pas ratifié la Convention de Rome, portant statut de la Cour pénale internationale, retient que, si les crimes contre l'humanité ne sont pas expressément visés comme tels dans le code pénal syrien, celui-ci incrimine le meurtre, les actes de barbarie, le viol, les violences et la torture et en déduit que le droit syrien, même s'il n'incrimine pas, de manière autonome les crimes contre l'humanité, réprime les faits qui le constituent et qui sont à l'origine de la poursuite dans l'affaire dont elle est saisie

Texte de la décision

N° B 21-81.344 FS-B

N° 01269


MAS2
24 NOVEMBRE 2021


CASSATION


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 NOVEMBRE 2021



M. [R] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 7e section, en date du 18 février 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de torture ou acte de barbarie, crime contre l'humanité et complicité de crime contre l'humanité, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 17 mai 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [R] [S], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 septembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Slove, Mme Leprieur, Mme Sudre, Mme Issenjou, M. Turbeaux, conseillers de la chambre, Mme Barbé, M. Mallard, conseillers référendaires, M. Salomon, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 15 février 2019, le procureur de la République de Paris a ouvert une information contre M. [R] [S], ressortissant syrien, des chefs d'actes de torture et de barbarie, crimes contre l'humanité, et pour complicité de ces crimes, pour des faits commis en Syrie entre mars 2011 et fin août 2013.

3. Le même jour, M. [S] a été mis en examen pour complicité de crimes contre l'humanité. Il a été placé en détention provisoire.

4. Le 12 août 2019, son avocat a déposé une requête en nullité du procès-verbal d'interpellation de M. [S], de sa garde à vue et des actes subséquents, notamment la mise en examen de l'intéressé. Il a également fait valoir l'absence d'indices graves ou concordants.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a décidé que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître des faits de complicité de crime contre l'humanité reprochés au mis en examen, M. [S], qu'il n'y avait lieu à l'annulation d'aucun acte ou pièce de la procédure et constaté la régularité du surplus jusqu'à la cote D. 546, alors :

« 1°/ que la compétence des juridictions françaises pour connaître de faits constitutifs de crime contre l'humanité commis à l'étranger suppose soit que l'Etat où les faits ont été commis ou dont le mis en examen a la nationalité soit partie au statut de Rome, soit que les faits pour lesquels le mis en examen est poursuivi soient incriminés dans l'Etat dans lequel ils ont été perpétrés ; qu'en l'espèce, pour retenir que la condition de la double incrimination était remplie, l'arrêt attaqué a considéré que si les crimes contre l'humanité n'étaient pas expressément visés comme tels dans le code pénal syrien, celui-ci incriminait le meurtre, les actes de barbarie, le viol, les violences et la torture, tandis que la Constitution syrienne interdisait la torture et incriminait les atteintes aux libertés publiques, la Syrie étant partie à de nombreux traités, dont les conventions de Genève, ajoutant que ces crimes étaient des éléments constitutifs du crime contre l'humanité ; qu'en statuant ainsi tout en relevant que les crimes contre l'humanité n'étaient pas expressément visés comme tels dans le code pénal syrien, et sans constater que la Syrie aurait été partie au statut de Rome, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 689 et 689-11 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'exposant faisait valoir que non seulement les faits de crime contre l'humanité et a fortiori ceux de complicité de ce crime n'étaient pas incriminés en Syrie, mais en outre et surtout un décret daté de 1950 garantissait aux services de renseignements militaires et à l'armée de l'air une immunité de poursuite pour les crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions, ce dont il résultait que la Syrie n'incriminait pas les faits reprochés à l'exposant à une époque où il était affecté à la direction des renseignements généraux ; qu'en retenant le contraire sans répondre à cette articulation essentielle du mémoire du mis en examen, la chambre de l'instruction a méconnu les exigences de l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en se bornant à retenir que, n'étant compétente que pour des faits commis sur le territoire d'états parties au statut de Rome, ce qui n'était pas le cas de la Syrie, la Cour pénale internationale ne pouvait décliner une compétence qu'elle ne possédait pas, quand il lui appartenait de vérifier que le ministère public avait accompli les diligences mises à sa charge par les dispositions de l'article 689-11 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 689-11 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 689-11 du code de procédure pénale :

6. Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle réside habituellement sur le territoire de la République, toute personne soupçonnée d'avoir commis à l'étranger le crime de génocide, prévu par le code pénal, les autres crimes contre l'humanité définis par ce code, si les faits sont punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis ou si cet Etat ou l'Etat dont la personne soupçonnée a la nationalité est partie à la Convention de Rome, portant statut de la Cour pénale internationale, outre les crimes et délits de guerre, dans les conditions prévues par le texte susvisé.

7. Pour rejeter l'exception présentée par le demandeur, portant sur l'incompétence des juridictions françaises, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes de l'article 689-11 du code de procédure pénale et relevé que la Syrie n'avait pas ratifié la Convention de Rome, portant statut de la Cour pénale internationale, retient que, si les crimes contre l'humanité ne sont pas expressément visés comme tels dans le code pénal syrien, celui-ci incrimine le meurtre, les actes de barbarie, le viol, les violences et la torture.

8. Les juges énoncent que la Constitution syrienne de 2012 interdit la torture
et qu'en vertu de ce texte, toute violation de la liberté personnelle ou de la protection de la vie personnelle ou de tous autres droits ou libertés publiques garantis par la Constitution est considérée comme un crime qui est puni par la loi.

9. Ils ajoutent que la Syrie est partie à de nombreux autres traités, parmi lesquels les conventions de Genève dont la IVe prohibe, notamment, les meurtres de civils, la torture, les exécutions sommaires, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantissant le droit à la vie et interdisant la torture.

10. La chambre de l'instruction en déduit que le droit syrien, même s'il n'incrimine pas, de manière autonome, les crimes contre l'humanité, réprime les faits qui le constituent et qui sont à l'origine de la poursuite dans l'affaire dont elle est saisie.

11. En se déterminant ainsi la cour d'appel a violé le texte susvisé pour les raisons suivantes.

12. Les crimes contre l'humanité sont définis au chapitre II du sous-titre Ier du code pénal, et nécessairement commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique.

13. Dès lors, l'exigence posée par l'article 689-11 du code de procédure pénale, selon laquelle les faits doivent être punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis, inclut nécessairement l'existence dans cette législation d'une infraction comportant un élément constitutif relatif à une attaque lancée contre une population civile en exécution d'un plan concerté.

14. La cassation est, en conséquence, encourue. Elle interviendra avec renvoi, afin que soient appréciées les conséquences de l'incompétence des juridictions françaises sur la régularité des actes de la procédure.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 18 février 2021 ;


DÉCLARE INCOMPÉTENTES les juridictions françaises pour connaître des poursuites engagées contre le demandeur ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, sur les conséquences de cette incompétence sur la régularité des actes de la procédure,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre novembre deux mille vingt et un.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.