20 October 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-84.498

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CR01372

Titres et sommaires

DETENTION PROVISOIRE - Atteinte à la dignité - Recours préventif - Office du juge - Vérification de la situation personnelle de la personne incarcérée - Loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 créant un recours autonome et exclusif - Application dans le temps - Détermination

La loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 a inséré dans le code de procédure pénale un article 803-8 entré en vigueur le 1er octobre 2021, créant un recours autonome et exclusif permettant à toute personne détenue qui estime subir des conditions de détention contraires à sa dignité, de saisir le juge judiciaire. La création de ce recours prive de son objet la faculté ouverte de manière générale par la Cour de cassation, dans son arrêt Crim., 8 juillet 2020, pourvoi n° 20-81.739, Bull. crim. 2020, (rejet), en raison de la carence de la loi. Toutefois, les moyens régulièrement soulevés avant le 1er octobre 2021 devant la chambre de l'instruction saisie dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, doivent continuer à être examinés en application des principes dégagés le 8 juillet 2020, sauf à méconnaître l'effectivité du droit à un recours dans les affaires considérées. Encourt la censure l'arrêt qui, pour écarter le moyen soulevé avant l'entrée en vigueur de l'article 803-8 du code de procédure pénale et contenant une description circonstanciée des conditions de détention, n'apprécie pas le caractère précis, crédible et actuel de celle-ci, s'arrête au fait que le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté produit par le demandeur décrivait des conditions antérieures à son incarcération et exige qu'il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention. Il appartient dès lors à la chambre de l'instruction de renvoi de se prononcer conformément aux principes dégagés par l'arrêt précité du 8 juillet 2020.

Texte de la décision

N° E 21-84.498 FS-B

N° 01372


RB5
20 OCTOBRE 2021


CASSATION


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 OCTOBRE 2021



M. [W] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 24 juin 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, en récidive, et recel, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

Un mémoire personnel a été produit.

Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, MM. d'Huy, Wyon, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Pichon, M. Ascensi, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, M. Bougy, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen notamment des chefs précités, M. [U] a été placé sous mandat de dépôt correctionnel le 23 octobre 2020.

3. Sa détention a été prolongée par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 10 juin 2021.

4. Il a relevé appel de cette décision.

5. Devant la chambre de l'instruction, M. [U] a notamment fait valoir l'indignité de ses conditions de détention.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche


6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur le moyen pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. Le moyen pris en sa seconde branche critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire de M. [U] alors que, saisie de la description précise et actuelle faite par celui-ci de ses conditions de détention, rendue crédible par le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la chambre de l'instruction ne pouvait faire peser sur M. [U] le fardeau de la charge de la preuve ; qu'en exigeant qu'il démontre le caractère indigne de sa détention, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale et violé les articles préliminaire, 144,145-1,145-2 du code de procédure pénale, ainsi que les articles 5, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Réponse de la Cour

Recevabilité du grief

8. Tirant les conséquences de l'arrêt J.M.B. et autres rendu le 30 janvier 2020 par la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation, en application des articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, et en l'absence de dispositions de droit interne organisant un recours préventif et effectif destiné à mettre fin à des conditions de détention indignes, a ouvert à une personne détenue la faculté d'invoquer le caractère inhumain ou dégradant de ses conditions de détention à l'occasion du contentieux de la détention provisoire (Crim., 8 juillet 2020, pourvoi n° 20-81.739, publié).

9. A la suite de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-858/859 QPC, du 2 octobre 2020, le législateur, par la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 qui a inséré dans le code de procédure pénale un article 803-8, entré en vigueur le 1er octobre 2021, a entendu instituer un recours autonome et exclusif permettant à toute personne détenue qui estime subir des conditions de détention contraires à sa dignité, de saisir le juge judiciaire, afin qu'il y soit mis fin.

10. Par conséquent, la création de ce recours prive de son objet la faculté ouverte de manière générale par la Cour de cassation en raison de la carence de la loi. Cette conclusion qu'il convient de tirer des nouvelles dispositions ne préjuge pas de ce que la Cour de cassation pourrait décider si elle était amenée à contrôler l'effectivité du nouveau recours au regard des exigences de la Convention européenne des droits de l'homme.

11. Toutefois, les moyens régulièrement soulevés avant le 1er octobre 2021 devant la chambre de l'instruction saisie dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, doivent continuer à être examinés au regard des principes dégagés le 8 juillet 2020, sauf à méconnaître l'effectivité du droit à un recours dans les affaires considérées.

12. Il en est ainsi au cas d'espèce.

Bien fondé du grief

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

13. Il résulte de ce texte que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

14. Pour écarter le moyen pris des conditions indignes de détention et confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce que les données factuelles que contient le rapport relatif aux conditions de détention au sein de la maison d'arrêt d'Angoulême, établi par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en décembre 2019, ne peuvent correspondre à la situation individuelle de M. [U] incarcéré dans cet établissement en décembre 2020.

15. Les juges ajoutent que M. [U] ne démontre pas avoir subi lui-même les conséquences du caractère exceptionnel de l'encellulement individuel qu'il relève dans ce rapport qui, toutefois, confirme que certaines personnes détenues peuvent solliciter leur placement à l'isolement si elles le souhaitent.

16. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision, pour les motifs qui suivent.

17. En effet, saisie d'une description du demandeur qui évoquait un espace personnel réduit dans une cellule partagée avec d'autres détenus, la présence de cafards et de punaises de lits, un accès particulièrement limité aux douches non chauffées et dépourvues d'intimité, la chambre de l'instruction devait en apprécier le caractère précis, crédible et actuel, sans s'arrêter au fait que le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté décrivait des conditions de détention antérieures à l'incarcération de M. [U], ni exiger de celui-ci qu'il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention.

18. La cassation est en conséquence encourue.

Portée et conséquences de la cassation

19. En conséquence du principe posé au paragraphe 11 de la présente décision, la chambre de l'instruction de renvoi devra se prononcer conformément aux principes dégagés par l'arrêt précité du 8 juillet 2020.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 24 juin 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt octobre deux mille vingt et un.

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