10 September 2013
Cour d'appel de Paris
RG n° 12/11596

Pôle 1 - Chambre 1

Texte de la décision

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 10 SEPTEMBRE 2013



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/11596



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2012, qui a conféré l'exequatur à la sentence partielle du 22 juillet 2011 rendue à Londres par un arbitre unique



DEMANDEUR AU RECOURS :



SYNDICAT MIXTE DES AÉROPORTS DE CHARENTE (SMAC)

pris en la personne de ses représentants légaux



Hôtel du Département

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représenté par la SCP GALLAND-VIGNES, Me Marie-Catherine VIGNES, avocats postulant du barreau de PARIS, toque : L0010

assisté de Me Valérie SPIGUELAIRE, du cabinet ADAMAS, avocats plaidant du barreau de LYON





DÉFENDERESSES AU RECOURS :



Société AIRPORT MARKETING SERVICES (LIMITED) 'AMS' société de droit irlandais

prise en la personne de ses représentants légaux



Office A3

[Adresse 1]

[Adresse 1]

(IRLANDE)



assistée de Me Sylvia LASFARGEAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0113 et de Me Esfandiar VAHIDA, du barreau de BRUXELLES



Société RYANAIR LIMITED société de droit irlandais

prise en la personne de ses représentants légaux



[Adresse 3],

[Adresse 3]

(IRLANDE)



assistée de Me Sylvia LASFARGEAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0113 et de Me Esfandiar VAHIDA, du barreau de BRUXELLES











COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 18 juin 2013, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :



Monsieur ACQUAVIVA, Président

Madame GUIHAL, Conseillère

Madame DALLERY, Conseillère



qui en ont délibéré







Greffier, lors des débats : Madame PATE





MINISTÈRE PUBLIC : représenté lors des débats par Madame ESARTE, substitut général, qui a transmis un avis écrit du Ministère Public le 17 mai 2013





ARRET :



- CONTRADICTOIRE



- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Monsieur ACQUAVIVA, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.





Le 8 février 2008, le SYNDICAT MIXTE DES AEROPORTS DE CHARENTE (SMAC), établissement public gestionnaire de deux aéroports, a conclu avec les sociétés de droit irlandais RYANAIR LIMITED (RYANAIR) et AIRPORT MARKETING SERVICES LIMITED (AMS) deux contrats portant sur l'ouverture d'une liaison aérienne entre [Localité 1] et [Localité 2], ainsi que sur des prestations publicitaires.



Un différend étant survenu entre les parties, RYANAIR et AMS ont mis en oeuvre les clauses compromissoires qui stipulaient un arbitrage à [Localité 2] sous l'égide de la London Court of international arbitration, avec application du droit français. Les deux affaires ayant été jointes, l'arbitre unique a rendu le 22 juillet 2011 une sentence partielle par laquelle il s'est reconnu compétent, a déclaré que le différend était arbitrable et les clauses compromissoires valides et a rejeté la demande de suspension de l'instance arbitrale.



L'ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2012, qui a conféré l'exequatur à cette sentence, a été frappée d'appel le 22 juin 2012.



Le 4 février 2013, le SMAC, faisant valoir qu'il avait formé devant le Conseil d'Etat un recours tendant à voir prononcer l'annulation de la sentence et subsidiairement à voir constater qu'elle ne peut être reconnue ni exécutée en France, a saisi le conseiller de la mise en état de conclusions tendant au sursis à statuer dans l'attente de la décision de cette juridiction. Par une ordonnance du 18 avril 2013, le conseiller de la mise en état a constaté que la demande de sursis était devenue sans objet dès lors que les débats avaient déjà eu lieu devant le Conseil d'Etat.




Le 15 avril 2013, le préfet de [Localité 3] a fait déposer par le procureur général près cette cour d'appel un déclinatoire de compétence qui soutient que le contrôle de la conformité aux règles d'ordre public français ne saurait relever de la compétence des juridictions judiciaires lorsque le litige soumis à l'arbitrage porte sur l'exécution d'un marché public.




Par des conclusions du 13 mai 2013, le SMAC demande à la cour, principalement de déclarer les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour statuer sur la reconnaissance ou l'exécution de la sentence litigieuse, de réformer ou d'annuler l'ordonnance d'exequatur entreprise et de renvoyer les parties à se pourvoir devant les juridictions administratives, subsidiairement, si le déclinatoire de compétence devait être rejeté, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal des conflits, plus subsidiairement, si le conflit n'était pas élevé, de dire que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent et en conséquence de réformer l'ordonnance attaquée, rejeter la demande d'exequatur de la sentence, déclarer irrecevables et mal fondées les demandes de RYANAIR et d'AMS et condamner celles-ci au paiement de la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Le SMAC soutient que les dispositions du code de procédure civile sont dénuées de pertinence pour trancher une difficulté de compétence entre les deux ordres juridictionnels et que la qualification de marché public de l'ensemble contractuel emporte compétence des juridictions administratives, conformément à l'arrêt du Tribunal des conflits du 17 mai 2010 INSERM, et ainsi que cela résulte de la décision rendue le 19 avril 2013 par le Conseil d'Etat sur le recours en annulation de la sentence arbitrale litigieuse.



Par des conclusions du 26 avril 2013, RYANAIR et AMS demandent à la cour de rejeter le déclinatoire de compétence et, en conséquence, à défaut d'élévation du conflit, de débouter le SMAC de ses demandes, dire n'y avoir de surseoir à statuer, confirmer l'ordonnance entreprise et, en tout état de cause, accorder l'exequatur à la sentence du 22 juillet 2011 et condamner le SMAC à leur payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Elles font valoir que la décision du Conseil d'Etat du 19 avril 2013 a reconnu l'incompétence des juridictions administratives pour apprécier la validité d'une sentence arbitrale internationale rendue à l'étranger. Elles ajoutent que si cette décision a admis la compétence des tribunaux administratifs en matière d'exequatur de telles sentences, c'est par un motif dépourvu de toute autorité de chose jugée, et en méconnaissance des dispositions du code de procédure civile qui, d'une part, confient au tribunal de grande instance de Paris l'exequatur des sentences étrangères, d'autre part, restreignent le refus d'exequatur aux seuls cas énumérés par l'article 1520.



Le 17 mai 2013, le ministère public a déposé un avis suivant lequel le déclinatoire de compétence est recevable mais mal fondé, l'article 1516 du code de procédure civile, issu du décret du 13 janvier 2011 dont la légalité n'est pas contestée, désignant le seul tribunal de grande instance de Paris pour accorder l'exequatur à une sentence rendue à l'étranger et le code de justice administrative ignorant la procédure d'exequatur.




SUR QUOI :



Sur la recevabilité du déclinatoire de compétence :



Considérant que le conflit, qui n'a pas été élevé en première instance, peut l'être en cause d'appel, conformément à l'article 4 de l'ordonnance du 1er juin 1828;



Que le déclinatoire de compétence du préfet de [Localité 3] est recevable;





Sur le bien-fondé du déclinatoire de compétence :



Considérant que le recours formé contre une sentence arbitrale rendue en France, sur le fondement d'une convention d'arbitrage, dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, mettant en jeu les intérêts du commerce international, fût-il administratif selon les critères du droit interne français, est porté devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue, conformément à l'article 1505 du code de procédure civile, ce recours ne portant pas atteinte au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires; qu'il en va cependant autrement lorsque le recours, dirigé contre une telle sentence intervenue dans les mêmes conditions, implique le contrôle de la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l'occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique et applicables aux marchés publics, aux contrats de partenariat et aux contrats de délégation de service public; que ces contrats relevant d'un régime administratif d'ordre public, le recours contre une sentence arbitrale rendue dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un tel contrat relève de la compétence du juge administratif;



Considérant que le refus de reconnaissance ou d'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger obéit aux mêmes conditions de fond que l'annulation d'une sentence rendue en France en matière d'arbitrage international; que, dès lors, les règles rappelées ci-dessus sont applicables aux sentences internationales, quel que soit le siège de l'arbitrage;



Considérant que si l'article 1516 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, confie au tribunal de grande instance de Paris l'exequatur des sentences rendues à l'étranger, une telle disposition, établie pour régler les compétences au sein de l'ordre judiciaire, est sans influence sur le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires;



Considérant que les deux conventions du 8 février 2008 ont été conclues avec les sociétés RYANAIR et AMS par le SMAC, établissement public de droit français, pour le développement de l'aéroport d'[Localité 1] dont il est propriétaire; qu'il résulte de la décision rendue le 19 avril 2013 par le Conseil d'Etat sur un recours en annulation de la sentence du 22 juillet 2011, que cet ensemble contractuel est constitutif d'un marché public de services au sens de l'article 1er du code des marchés publics;



Considérant, dès lors, que cette cour, à laquelle il n'appartient pas de se prononcer sur les voies par lesquelles les juridictions de l'ordre administratif sont susceptible d'être saisies d'une demande d'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger, doit constater l'incompétence des juridictions judiciaires à l'égard de l'affaire en cause et infirmer l'ordonnance entreprise;



Considérant, enfin, que si le Conseil d'Etat, par la décision précitée, a rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, les conclusions du SMAC tendant à l'annulation de la sentence, il n'a pas décliné la compétence des juridictions administratives à l'égard d'une demande d'exequatur, de sorte qu'il n'y a pas lieu de saisir le tribunal des conflits en application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849;



Sur les frais irrépétibles de procédure :



Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre des parties;









PAR CES MOTIFS :



Déclare recevable le déclinatoire de compétence du préfet de [Localité 3].



Constate l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire.



Infirme l'ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 21 mai 2012, qui a conféré l'exequatur à la sentence rendue à [Localité 2] le 22 juillet 2011 dans le litige opposant les sociétés RYANAIR LIMITED et AIRPORT MARKETING SERVICES LIMITED au SYNDICAT MIXTE DES AEROPORTS DE CHARENTE.



Renvoie les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront.



Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Condamne les sociétés RYANAIR LIMITED et AIRPORT MARKETING SERVICES LIMITED aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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