18 April 2013
Cour d'appel de Paris
RG n° 11/05892

Pôle 6 - Chambre 11

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 18 avril 2013 après prorogation

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/05892

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Mai 2011 par le conseil de prud'hommes de PARIS - RG n° 09/14625





APPELANTES

Madame [J] [I]

[Adresse 3]

comparante en personne, assistée de Me Valérie VEAUX MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0399 substitué par Me Florence MARIONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : C 125



ASSOCIATION ADDH

Chez [A] [C]

[Adresse 1]

représentée par Me Valérie VEAUX MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0399 substitué par Me Florence MARIONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : C 125





INTIMEE

SA MICROPOLE UNIVERS

[Adresse 2]

représentée par Me Romain RAPHAEL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur [Y] [R], Président et Madame Evelyne GIL, Conseillère, chargés d'instruire l'affaire.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :Monsieur [Y] [R], Président

Madame Evelyne GIL, Conseillère

Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère

Qui en ont délibéré

Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats



ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur [Y] [R], Président et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.









Vu l'appel régulièrement formé par [J] [I] et par l'association ADDH (Association de Défense des Droits de l'Homme) contre un jugement du conseil de prud'hommes de PARIS en date du 4 mai 2011 ayant statué sur le litige qui oppose [J] [I] à son ancien employeur, la société MICROPOLE ;



Vu le jugement déféré ayant :

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 2 539 €,

- condamné la SA MICROPOLE UNIVERS à payer à [J] [I] les sommes de :

- 8 378,78 € à titre de préavis,

avec intérêts de droit à compter de la date de première présentation de la convocation en bureau de conciliation,

- 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté [J] [I] du surplus de ses demandes et la SA MICROPOLE de sa demande reconventionnelle,

- condamné cette dernière aux dépens ;



Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :



[J] [I], appelante, et l'Association de Défense des Droits de l'Homme (ADDH), appelante sur intervention volontaire, poursuivent :

- la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il porte condamnation de l'employeur au paiement de l'indemnité de préavis avec intérêts de droit, et sur le surplus :

- la constatation de la nullité du licenciement d'[J] [I],

- subsidiairement, la constatation de l'absence de cause réelle et sérieuse justifiant ce licenciement,

- la condamnation de la société MICROPOLE UNIVERS à payer à son ancienne salariée les sommes de :

- 15'234 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- 7 617 € à titre de dommages et intérêts pour procédure de licenciement vexatoire,

- 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamnation de la société MICROPOLE UNIVERS à verser à l'association ADDH les sommes de :

- 2 500 € en réparation de son préjudice moral,

- 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamnation de la société MICROPOLE UNIVERS aux entiers dépens ;



La société MICROPOLE, intimée et appelante incidente, conclut :

- à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il porte condamnation à paiement à son encontre,

- à la condamnation solidaire d'[J] [I] et de l'ADDH à lui payer la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.






FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



La société MICROPOLE est une société de conseil, d'ingénierie et de formation spécialisée dans le développement et l'intégration de solutions décisionnelles. Elle applique la convention collective nationale de la chambre syndicale des sociétés d'études et de conseil dite SYNTEC.



Elle a rencontré [J] [B] lors d'un forum ' Etudiants / Entreprises ' organisé par l'Université de [1], le 18 octobre 2007.

[J] [B] a effectué son stage de fin d'études au sein de la société, du 4 février au

18 juillet 2008.



Par lettre d'engagement en dates des 13 et 17 juin 2008, elle a été embauchée dans l'entreprise à compter du 15 juillet 2008, pour une durée indéterminée ne comportant pas de période d'essai, en qualité d'ingénieur d'études, moyennant une rémunération annuelle brute de 33'007 € payable sur 13 mois, soit 2 539 € par mois.



Le 15 juin 2009, la société MICROPOLE UNIVERS a convoqué la salariée devenue [J] [I] à se présenter le 17 juin 2009 à un entretien préalable à un licenciement envisagé.



Le 22 juin 2009, elle lui a notifié son licenciement dans les termes suivants :



'Vous avez effectué votre stage de fin d'études à compter du 4 février 2008, puis été embauchée par notre société le 1er août 2008 en qualité d'Ingénieur d'études. Dans le cadre de vos fonctions, vous êtes amenée à intervenir sur des missions pour le compte de nos clients.



Nous vous avons demandé d'intervenir pour le client Groupama le 15 mai dernier sur leur site de [Localité 1]. À la suite de cette intervention, le client nous a indiqué que le port du voile, que vous portez effectivement tous les jours, avait gêné un certain nombre de ses collaborateurs. Il a également demandé à ce qu'il n'y ait >.



Lors de votre embauche dans notre société et de vos entretiens avec votre Manager opérationnel, Monsieur [T] [P], et la Responsable du recrutement, Mademoiselle [V] [W], le sujet du port du voile avait été abordé très clairement avec vous. Nous vous avions précisé que nous respections totalement le principe de liberté d'opinion ainsi que les convictions religieuses de chacun, mais que, dès lors que vous seriez en contact en interne ou en externe avec les clients de l'entreprise, vous ne pourriez porter le voile en toutes circonstances. En effet, dans l'intérêt et pour le développement de l'entreprise, nous sommes contraints, vis-à-vis de nos clients, de faire en sorte que la discrétion soit de mise quant à l'expression des options personnelles de nos salariés.



Lors de notre entretien du 17 juin dernier, nous vous avons réaffirmé ce principe de nécessaire neutralité que nous vous demandions d'appliquer à l'égard de notre clientèle. Nous vous avons à nouveau demandé si vous pouviez accepter ces contraintes professionnelles en acceptant de ne pas porter le voile et vous nous avez répondu par la négative.



Nous considérons que ces faits justifient, pour les raisons susmentionnées, la rupture de votre contrat de travail. Dans la mesure où votre position rend impossible la poursuite de votre activité au service de l'entreprise, puisque nous ne pouvons envisager, de votre fait, la poursuite de prestations chez nos clients, vous ne pourrez effectuer votre préavis. Cette inexécution du préavis vous étant imputable, votre préavis ne vous sera pas rémunéré.



Nous regrettons cette situation dans la mesure où vos compétences professionnelles et votre potentiel nous laissaient espérer une collaboration durable.'



[J] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de PARIS de la contestation de son licenciement et de ses demandes en paiement des indemnités de rupture, le 10 novembre 2009.

L'Association de Défense des Droits de l'Homme est intervenue volontairement à l'instance, le 5 avril 2011.



Les parties ont développé à l'audience leurs moyens et présenté leurs demandes, tels que formulés dans leurs conclusions respectives.








SUR CE



- Sur la qualification du licenciement et ses conséquences



[J] [I] soutient qu'elle ne pouvait renoncer au port du voile qui constitue l'accomplissement d'une pratique religieuse et que son licenciement est nul car, prononcé en raison de ses convictions religieuses ou de son apparence physique, il revêt un caractère discriminatoire.



Aux termes de sa lettre de licenciement du 22 juin 2009, la société MICROPOLE UNIVERS, se référant à l'intervention de la salariée, le 15 mai 2009, sur le site de [Localité 1] de la société GROUPAMA à la suite de laquelle cette cliente a fait état de la gêne de certains de ses collaborateurs et a demandé à ce qu'il n'y ait pas de voile la prochaine fois >>, reproche à la salariée d'avoir opposé un refus à sa demande de quitter le voile qu'elle porte tous les jours, dès lors qu'elle serait en contact, en interne ou en externe, avec les clients de l'entreprise.



Il ressort de l'attestation de [T] [P], directeur de projets, qui a rencontré [J] [I] le 18 octobre 2007, lors du forum COMUTEC, :

- que dès cette date, il l'avait alertée sur le fait que le port du voile pourrait être une source de problèmes quand elle serait en contact avec la clientèle de l'entreprise,

- qu'au début de son stage, en février 2008, elle s'était présentée non voilée,

- que, quelques semaines plus tard, elle s'était mise à porter un bandana puis, très rapidement, un voile,

- qu'il lui avait rappelé à plusieurs reprises que si le port du voile ne posait pas de problème au sein de la société MICROPOLE UNIVERS, il en poserait à l'occasion des contacts de la salariée avec les clients de l'entreprise,

- que c'est ainsi qu'après son intervention du 15 mai 2009, le client GROUPAMA avait souhaité qu'elle se présente dorénavant sans son voile,

- qu'[J] [I] avait alors fait le choix de ne pas retirer son voile.



[G] [X], chef de projets, a attesté pour sa part :

- qu'[J] [I], qui était placée à côté de lui sur le plateau ouvert de la société MICROPOLE, était arrivée, en février 2008, ' les cheveux découverts, simplement retenus par un bandeau ',

- qu'il avait remarqué qu'elle portait, quelques semaines plus tard, un foulard puis un voile.

Peu après son arrivée dans la société MICROPOLE, [J] [I] a remis, pour illustrer l'annuaire de la société, une photographie de son visage montrant qu'elle ne portait aucun couvre-chef.



L'employeur reconnaît toutefois qu'il avait connaissance, dès avant son embauche, qu'elle portait le voile dit islamique. Il déclare que cette tenue ne créait aucune difficulté quand la salariée voilée travaillait au sein de l'entreprise mais qu'il l'avait mis en garde sur les problèmes qu'elle poserait à l'occasion de ses contacts avec les clients.



Le compte-rendu non contesté de l'entretien préalable au licenciement montre que la directrice des ressources humaines a proposé à [J] [I] de retirer son voile uniquement lorsqu'elle se trouverait avec la clientèle, ce que la salariée a refusé.



Il est communément admis que le port d'un voile par une femme constitue une manifestation extérieure de son appartenance à la religion musulmane, mais il est observé qu'en l'espèce, [J] [I] ne démontre pas que le port de cet accessoire vestimentaire lui était impérativement commandé par les préceptes de la religion qu'elle déclare pratiquer.









En tout état de cause, la liberté de religion et la liberté d'exprimer ses convictions notamment religieuses sont proclamées par l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces libertés sont protégées dans l'entreprise par l'interdiction énoncée par l'article L. 1121-1 du Code du travail d'y apporter des 'restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché '.



Le but recherché par une entreprise commerciale est de réaliser son objet social en fournissant à ses clients des produits, des prestations ou des services leur donnant satisfaction. Pour ce faire, elle doit tenir compte de la diversité des clients et de leurs convictions. Elle est donc naturellement amenée à imposer aux employés qu'elle envoie au contact de sa clientèle une obligation de discrétion qui respecte les convictions de chacun, à la condition toutefois que la restriction qui en résulte soit justifiée par la nature de la tâche à effectuer et proportionnée au but recherché.



En l'espèce, il est établi par l'attestation du directeur de projets, [T] [P], que la société cliente GROUPAMA a souhaité que les interventions d'[J] [I] se fassent désormais sans port de voile afin de ne pas gêner certains de ses collaborateurs.

La restriction que la société MICROPOLE a alors posée à la liberté de la salariée de manifester ses convictions religieuses par sa tenue vestimentaire a été proportionnée au but recherché puisque seulement limitée aux contacts avec la clientèle, les travaux effectués dans ses locaux par un ingénieur d'études portant un voile ne lui créant aucune difficulté selon ses propres déclarations.



Ainsi, il apparaît que le licenciement d'[J] [I] ne procède pas d'une discrimination tenant à ses convictions religieuses puisque la salariée était autorisée à continuer à les exprimer au sein de l'entreprise mais qu'il est justifié par une restriction légitime procédant des intérêts de l'entreprise alors que la liberté donnée à la salariée de manifester ses convictions religieuses débordait le périmètre de l'entreprise et empiétait sur les sensibilités de ses clients et donc sur les droits d'autrui.



C'est à raison que le conseil des prud'hommes a considéré que le licenciement d'[J] [I] ne reposait pas sur une discrimination mais sur une cause réelle et sérieuse tenant à son refus de se conformer à la demande légitime de son employeur d'ôter son voile lorsqu'elle se trouvait au contact de la clientèle et a rejeté ses demandes d'indemnités pour licenciement nul, licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et licenciement vexatoire.



La lettre de licenciement ne qualifie pas la gravité de la faute résultant du refus de la salariée.



En dépit de l'absence de mention de l'existence d'une faute grave, la société MICROPOLE a privé [J] [I] de l'indemnité de préavis. C'est donc à bon droit que les premiers juges lui ont accordé cette indemnité.



La discrimination n'ayant pas été démontrée, la demande de dommages-intérêts formée par l'association ADDH sera rejetée.



- Sur la charge des dépens et les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile



Succombant en son recours, [J] [I] sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées. Il y a lieu, en équité, de laisser à la société MICROPOLE la charge de ses frais non taxables.













PAR CES MOTIFS





LA COUR,



Confirme le jugement déféré ;



Dit n'y avoir lieu à application en cause d'appel de l'article 700 du Code de procédure civile ;



Condamne [J] [I] et l'Association de Défense des Droits de l'Homme aux dépens de l'appel.









Le Greffier,Le Président,

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