26 May 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-23.996

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100382

Titres et sommaires

ARBITRAGE - Arbitrage international - Sentence - Exequatur - Recours - Tierce opposition - Recevabilité - Applications diverses

La tierce opposition exercée contre l'arrêt de la cour d'appel ayant accordé l'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger constitue une voie de recours de droit commun à l'encontre, non de la sentence arbitrale, mais de la seule décision d'exequatur de la sentence rendue à l'étranger. Dès lors, viole les articles 1525, alinéa 1, et 585 du code de procédure civile la cour d'appel qui déclare irrecevable la tierce opposition formée contre un arrêt ayant accordé l'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger au motif que l'article 1506 du code de procédure civile n'ouvre pas la voie de la tierce opposition à l'encontre des sentences rendues en France en matière internationale ou à l'étranger

TIERCE OPPOSITION - Décisions susceptibles - Exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 mai 2021




Déchéance partielle et cassation


Mme BATUT, président



Arrêt n° 382 FS-P

Pourvoi n° A 19-23.996




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 MAI 2021

La société Central Bank of Libya, dont le siège est [Adresse 1] (Libye), agissant en la personne du gouverneur et représenté par le département du contentieux du comité des différends avec les pays étrangers, direction des affaires de l'Etat ou service du contentieux, a formé le pourvoi n° A 19-23.996 contre une ordonnance rendue le 5 octobre 2017 et deux arrêts rendus les 6 mars 2018 et 28 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Libyan Investment Authority, dont le siège est [Adresse 2] (Libye),

2°/ à la société Mohamed Abdel Mohsen Al-Kharafi et fils, dont le siège est [Adresse 3] (Koweit),

3°/ au gouvernement libyen,

4°/ au ministère de l'économie libyen,

5°/ au ministère des finances libyen,

6°/ au conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation,

ayant tous quatre leur siège [Adresse 4] (Libye),

7°/ à la société Mohamed Abdel Mohsen Al-Kharafi et fils, dont le siège est [Adresse 5] (Égypte),

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Central Bank of Libya, de la SCP Spinosi, avocat de la société Al-Kharafi et fils (Koweit) et de la société Al-Kharafi et fils (Egypte), de la SCP Krivine et Viaud, avocat du gouvernement libyen, du ministère de l'économie libyen, du ministère des finances libyen et du conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation, et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 mars 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Bozzi, Poinseaux, M. Fulchiron, Mme Dard, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Déchéance partielle du pourvoi

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

1. La Central Bank of Libya s'est pourvue en cassation contre les décisions des 5 octobre 2017 (n° RG 16/21946) et 6 mars 2018 (n° RG 17/19316) de la cour d'appel de Paris.

2. Toutefois, le mémoire remis au greffe de la Cour de cassation ne contient aucun moyen à l'encontre de ces décisions.

3. Il y a donc lieu de constater la déchéance partielle du pourvoi

Faits et procédure

4. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2019), la Central Bank of Libya a fait tierce opposition à un arrêt du 28 octobre 2014 ayant accordé l'exequatur à une sentence rendue au Caire à l'encontre de l'Etat libyen, au motif qu'elle avait subi un préjudice du fait d'une saisie-attribution pratiquée sur son compte bancaire en vertu de l'arrêt d'exequatur auquel elle n'était pas partie.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La Central Bank of Libya fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa tierce opposition à l'arrêt d'exequatur de la sentence, alors « que tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n'en dispose autrement ; que le droit effectif au juge implique que le tiers à l'instance arbitrale, susceptible de subir les effets d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger, soit recevable à former tierce opposition à l'encontre de la décision prononçant l'exequatur de cette sentence ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que le 11 mars 2016, une saisie attribution a été effectuée sur le compte bancaire de la Central Bank of Libya ouvert auprès du Crédit Agricole Corporate & Investment Bank en vertu de la sentence arbitrale définitive rendue au Caire le 22 mars 2013 et revêtue de l'exequatur par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 13 mai 2013 confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014 ; qu'en affirmant que la tierce opposition n'est pas recevable à l'encontre de l'arrêt d'appel statuant sur la décision qui accorde l'exequatur à une sentence rendue à l'étranger, pour en déduire, en l'espèce, que la Central Bank of Libya n'était pas recevable à former tierce opposition à l'encontre de l'arrêt du 28 octobre 2014 accordant l'exequatur de la sentence arbitrale rendue au Caire le 22 mars 2013, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 585 et 1525 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1525, alinéa 1er, et 585 du code de procédure civile :

6. Selon le premier de ces textes, la décision qui statue sur une demande d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger est susceptible d'appel.

7. Aux termes du second, tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n'en dispose autrement.

8. Pour déclarer irrecevable la Central Bank of Libya, l'arrêt retient que l'article 1506 du code de procédure civile n'ouvre pas la voie de la tierce opposition à l'encontre des sentences rendues en France en matière internationale ou à l'étranger. Il ajoute que le seul recours contre l'ordonnance d'exequatur est l'appel prévu à l'article 1525 de ce même code, dans les cas d'ouverture énumérés à l'article 1520 qui visent la sentence elle-même et non l'ordonnance d'exequatur.

9. En statuant ainsi, alors que la tierce opposition contre l'arrêt de la cour d'appel ayant accordé l'exequatur constituait une voie de recours de droit commun à l'encontre, non de la sentence arbitrale, mais de la seule décision d'exequatur de la sentence rendue à l'étranger, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les décisions de la cour d'appel de Paris des 5 octobre 2017 et 6 mars 2018 ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Al-Kharafi et fils (Koweit), la société Al-Kharafi et fils (Egypte), le gouvernement libyen, le ministère de l'économie libyen, le ministère des finances libyen, le conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Al-Kharafi et fils (Koweit) et la société Al-Kharafi et fils (Egypte) à payer à la Central Bank of Lybia la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mai deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Central Bank of Libya

Il est fait grief à l'arrêt attaqué de la cour d'appel de Paris du 28 mai 2019 d'AVOIR déclaré irrecevable la Central Bank of Libya en sa tierce opposition contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014 ayant confirmé l'ordonnance rendue le 13 mai 2013 par le président du tribunal de grande instance de paris qui a déclaré exécutoire en France la sentence arbitrale rendue au Caire le 22 mars 2013 ;

AUX MOTIFS QUE la société Al-Kharafi invoque en premier lieu l'irrecevabilité de la tierce opposition au motif que cette voie de recours extraordinaire n'est pas ouverte à la Central Bank of Libya laquelle prétend que la tierce opposition est recevable en vertu des articles 585 et 1525 du code de procédure civile ; selon l'article 582 du code de procédure civile, « la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit d'un tiers qui l'attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit » ; il résulte de cet article que le tiers opposant est dans une situation semblable à celle où il se serait trouvé s'il était intervenu pour s'opposer à l'action. Il lui est permis d'invoquer les moyens qu'il aurait pu présenter s'il était intervenu à l'instance avant que la décision ne fut rendue ; l'article 585 du code de procédure civile dispose que tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n'en dispose autrement ; en premier lieu, il convient de relever que si en matière d'arbitrage interne, la voie de la tierce opposition est ouverte en application de l'article 1501 du code de procédure civile, l'article 1506 du code de procédure civile ne renvoyant pas à ce texte, pour les sentences rendues en France en matière internationale et pour les sentences rendues à l'étranger, celles-ci ne peuvent pas être frappées de tierce opposition ; en second lieu, comme le soutient la société Al-Kharafi, le seul recours ouvert contre l'ordonnance d'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger est l'appel prévu par l'article 1525 du code de procédure civile, dans les cas d'ouverture énumérés par l'article 1520 du code de procédure civile qui visent la sentence elle-même et non l'ordonnance d'exequatur qui n'est donc en tant que telle susceptible d'aucun recours ; dès lors, la tierce opposition à l'arrêt d'appel statuant sur la décision qui accorde l'exequatur à une sentence rendue à l'étranger, permettrait si elle était admise, à un tiers à la convention d'arbitrage et à l'instance arbitrale, d'opposer aux parties à cette convention et cette instance, des moyens visant la sentence elle-même alors qu'aucune recours n'est ouvert aux tiers contre la sentence rendue à l'étranger ; la tierce opposition de la Central Bank of Libya doit en conséquence être déclarée irrecevable ;

ALORS QUE tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n'en dispose autrement ; que le droit effectif au juge implique que le tiers à l'instance arbitrale, susceptible de subir les effets d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger, soit recevable à former tierce opposition à l'encontre de la décision prononçant l'exequatur de cette sentence ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que le 11 mars 2016, une saisie attribution a été effectuée sur le compte bancaire de la Central Bank of Libya ouvert auprès du Crédit Agricole corporate & Investment Bank en vertu de la sentence arbitrale définitive rendue au Caire le 22 mars 2013 et revêtue de l'exequatur par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 13 mai 2013 confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014 ; qu'en affirmant que la tierce opposition n'est pas recevable à l'encontre de l'arrêt d'appel statuant sur la décision qui accorde l'exequatur à une sentence rendue à l'étranger, pour en déduire, en l'espèce, que la Central Bank of Libya n'était pas recevable à former tierce opposition à l'encontre de l'arrêt du 28 octobre 2014 accordant l'exequatur de la sentence arbitrale rendue au Caire le 22 mars 2013, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 585 et 1525 du code de procédure civile.

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