12 May 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-23.759

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:SO00556

Texte de la décision

SOC.

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 mai 2021




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 556 F-D

Pourvoi n° T 19-23.759




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MAI 2021

La société Interxion France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 19-23.759 contre l'arrêt rendu le 11 septembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à M. [M] [Y], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Interxion France, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [Y], après débats en l'audience publique du 17 mars 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 septembre 2019), M. [Y], salarié de la société Interxion France depuis 2007, et exerçant des fonctions de représentant syndical et représentant du personnel depuis 2015, a saisi la juridiction prud'homale en 2016 de diverses demandes, au titre notamment d'un harcèlement moral, d'une discrimination syndicale, ainsi que d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société Interxion fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié une somme de 205 738,68 euros pour indemnité spéciale de licenciement en raison de la protection du salarié, alors :

« 1° / que toute décision de justice doit être motivée à peine de nullité ; qu'en condamnant la société Interxion à verser à M. [Y] au titre de la violation de son statut protecteur, au regard de ses mandats de délégué syndical, membre de la délégation unique du personnel et membre du CHSCT, la somme de 205 738,68 ?, correspondant à 56 mois de salaires, sans motiver sa décision sur ce point et sans préciser en quoi la période de protection du salarié restait à courir à hauteur de 56 mois à compter de la date de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, soit jusqu'au mois d'avril 2024, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que le salarié protégé disposant de mandats de représentant du personnel, dont la demande de résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement, a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection, dans la limite de deux ans, durée minimale légale de son mandat, augmentée de six mois ; qu'en retenant que M. [Y], salarié protégé en raison de sa qualité de délégué syndical, membre de la délégation unique du personnel et membre du CHSCT, pouvait prétendre à une indemnisation de son préjudice en raison de la violation de son statut protecteur à hauteur de 205 738,68 ? correspondant à 56 mois de son salaire mensuel de 3 664,15 ?, cependant que le salarié investi d'un mandat, qui ne demande pas la poursuite du contrat de travail illégalement rompu, n'a droit qu'à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants du personnel augmentée de six mois, la cour d'appel a violé les articles L. 2326-1, L. 2314-27, L. 2411-3, L. 2411-5, L. 2422-1 et L. 2422-4 du code du travail dans leur version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2411-3, L. 2411-5, L. 2422-1 et L. 2422-4 du code du travail dans leur version applicable au litige :

4. Lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié titulaire d'un mandat de représentant du personnel ou de représentant syndical est prononcée aux torts de l'employeur, la rupture produit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur , de sorte que le salarié peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale aux salaires qu'il aurait dû percevoir jusqu'à la fin de la période de protection en cours dans la limite de 30 mois.

5. L'arrêt, après avoir prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts de l'employeur, condamne l'employeur à verser au salarié une indemnité au titre de la violation de son statut protecteur d'un montant de 205 738,68 euros correspondant à l'évaluation faite par le salarié.

6. En statuant ainsi, alors que l'évaluation faite par le salarié dans ses conclusions se fondait sur un mandat venant à expiration en avril 2024, soit près de cinq ans après sa décision, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Interxion à payer à M. [Y] la somme de 205 738,68 euros pour indemnité spéciale de licenciement en raison de la protection du salarié, l'arrêt rendu le 11 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;


Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Interxion France.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la SAS INTERXION à payer à M. [Y] la somme de 205.738,68 ? pour indemnité spéciale de licenciement en raison de la protection du salarié ;

AUX MOTIFS QUE « M. [Y] a été engagé par contrat à durée indéterminée par la société Interxion le 23.04.2007, en qualité de Gestionnaire Infrastructures et Maintenance (GINF), cadre, position 2.2, coefficient 130, à temps complet (à raison de 151h67 puis 160,33h à partir de janvier 2008). Le salarié a exercé des fonctions de délégué syndical depuis janvier 2015, et membre de la délégation unique du personnel depuis le 07.04.2015, et membre élu du CHSCT. La moyenne mensuelle des salaires de M. [Y] s'établit à 3.664,15 ? » ;

ET AUX MOTIFS QUE « Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail : En cas d'inexécution de ses obligations contractuelles par l'employeur, le salarié peut saisir le conseil des prud'hommes afin d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l'employeur sur le fondement des articles 1224 à 1230 nouveaux (article 1184 ancien du code civil). Lorsque les manquements sont établis et d'une gravité suffisante, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Lorsqu'en revanche, les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisant, le juge doit purement et simplement débouter le salarié de sa demande. Le contrat de travail n'étant pas résilié, son exécution se poursuivra. La résiliation judiciaire produit effet au jour où le juge la prononce, dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur. A l'appui de sa demande, M. [Y] fait valoir à bon droit plusieurs manquements à l'encontre de son employeur qui sont suffisamment graves pour justifier la résiliation de son contrat de travail aux torts de celui-ci et qui résultent des motifs précédemment exposés. La rupture doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié protégé dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie a droit, en sus de l'indemnisation du préjudice lié à la rupture, au paiement, au titre de la violation de son statut protecteur, d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de sa demande. En conséquence la SAS INTERXION doit être condamnée à verser au salarié, outre l'indemnité conventionnelle de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés afférents, ainsi qu'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour un montant de 39.429,06 ?, une indemnité spéciale de licenciement qu'il a justement évaluée à la somme de 215.067,60 ?. Il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel » ;

1/ ALORS QUE toute décision de justice doit être motivée à peine de nullité ; qu'en condamnant la société INTERXION à verser à Monsieur [Y] au titre de la violation de son statut protecteur, au regard de ses mandats de délégué syndical, membre de la délégation unique du personnel et membre du CHSCT, la somme de 205.738,68 ?, correspondant à 56 mois de salaires, sans motiver sa décision sur ce point et sans préciser en quoi la période de protection du salarié restait à courir à hauteur de 56 mois à compter de la date de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, soit jusqu'au mois d'avril 2024, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

2/ ALORS ET EN TOUTE HYPOTHESE QUE le salarié protégé disposant de mandats de représentant du personnel, dont la demande de résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement, a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection, dans la limite de deux ans, durée minimale légale de son mandat, augmentée de six mois ; qu'en retenant que Monsieur [Y], salarié protégé en raison de sa qualité de délégué syndical, membre de la délégation unique du personnel et membre du CHSCT, pouvait prétendre à une indemnisation de son préjudice en raison de la violation de son statut protecteur à hauteur de 205.738,68 ? correspondant à 56 mois de son salaire mensuel de 3.664,15 ?, cependant que le salarié investi d'un mandat, qui ne demande pas la poursuite du contrat de travail illégalement rompu, n'a droit qu'à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants du personnel augmentée de six mois, la cour d'appel a violé les articles L. 2326-1, L.2314-27, L. 2411-3, L.2411-5, L. 2422-1 et L. 2422-4 du code du travail dans leur version applicable au litige.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la SAS INTERXION à payer à M. [Y] la somme de 25.391,58 ? à titre de dommages intérêts pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QUE « 4) Sur la demande pour travail dissimulé : Est interdit le travail totalement ou partiellement dissimulé tel que défini aux articles L 8221-1 et L 8221-5 du code du travail. Cependant il appartient au salarié de démontrer l'intention frauduleuse de l'employeur, cette intention frauduleuse ne pouvant découler du seul fait que le salarié a accompli des heures supplémentaires. Au vu de ce qui précède, la SAS INTERXION a omis de prendre en compte comme temps de travail effectif les temps d'appels téléphoniques effectués durant ces astreintes, et en outre n'a pas appliqué le taux horaire correspondant au travail de nuit. M. [Y] produit le mémorandum rédigé par le cabinet REINHART le 30.10.2009 qui rappelait déjà à l'employeur les conditions légales en la matière et en particulier que : « oui l'intervention qui s'effectue par téléphone depuis le domicile du salarié constitue du temps de travail effectif et doit être rémunéré comme tel ». Cette circonstance démontre l'intention de l'employeur de dissimuler cette activité qui n'était pas suffisamment encadrée en l'absence de comptabilisation effective du temps de travail ainsi qu'il a été relevé lors de la réunion du comité d'entreprise du 27.03.2012. En conséquence, la SAS INTERXION doit être condamnée au paiement de l'indemnité pour travail dissimulé et le jugement sera infirmé » ;

1/ ALORS QU'en vertu de l'article L 8221-5 du code du travail, le délit de travail dissimulé n'est caractérisé que lorsque l'employeur s'est soustrait de manière intentionnelle à l'accomplissement des formalités prévues par l'article L 3243-2 du code du travail ; qu'en condamnant la société INTERXION pour travail dissimulé au seul regard de l'erreur commise selon elle par la société dans le calcul des temps d'appel téléphonique et des heures de nuit, cependant qu'une telle erreur ne permettait pas en elle-même de caractériser une intention de dissimulation d'emploi salarié de sa part, la cour d'appel a violé l'article L 8221-5 du code du travail ;

2. ALORS QUE la dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8821-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; que pour déduire la dissimulation d'activité la cour d'appel s'est fondée sur l'absence de prise en compte comme temps de travail effectif des temps d'appels téléphoniques effectués durant les astreintes ; qu'en statuant ainsi alors que le salarié reconnaissait lui-même dans ses conclusions d'appel que les interventions téléphoniques « ne sont pas contestables puisqu'elles ont été enregistrées et comptabilisées sur les bulletins de paie » (conclusions du salarié p. 16), ce dont résultait leur absence de dissimulation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'en évinçaient, en violation de l'article L. 8821-5 du code du travail.

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