21 January 1997
Cour de cassation
Pourvoi n° 94-15.207

Chambre commerciale financière et économique

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

SOCIETE (RèGLES GéNéRALES) - parts sociales - cession - garantie - eviction - rétablissement sans empêchement de l'activité et de l'objet de la société (non) - vente - société - actions

S'agissant de la cession des actions d'une société, la garantie légale d'éviction du fait personnel du vendeur n'entraîne pour celui-ci l'interdiction de se rétablir que si ce rétablissement est de nature à empêcher les acquéreurs de ces actions de poursuivre l'activité économique de la société et de réaliser l'objet social. Ayant retenu que les actes reprochés aux cédants n'avaient pas eu pour conséquence d'aboutir à un détournement de la clientèle attachée aux produits fabriqués et vendus par la société dont les parts avaient été cédées, une cour d'appel a pu considérer qu'ils ne constituaient pas une tentative de reprise de la chose vendue par une voie détournée et rejeter l'action engagée par les acquéreurs sur le fondement d'une violation de la garantie légale d'éviction.

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 mars 1994), que MM. Gilbert, Marc, Michel et Yves X... (les consorts X...) ont cédé à la société Eridania Beghin-Say la totalité des droits sociaux qu'ils détenaient, assurant le contrôle des sociétés du groupe X... constituées pour la production, la négociation et la commercialisation d'aromates et épices ; qu'ils ont ensuite créé une société dénommée Gyma international qui a repris une activité de fabrication et de commercialisation d'herbes aromatiques surgelées ; qu'estimant que par ce rétablissement les consorts X... avaient violé la garantie d'éviction à laquelle ils étaient tenus en leur qualité de vendeur des droits cédés, la société Eridania Beghin-Say les a assignés aux fins d'interdiction d'une telle activité et, subsidiairement, en restitution d'une partie du prix de cession des titres ;


Sur les trois moyens réunis :


Attendu que la société Eridania Beghin-Say fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'absence de clause de non-concurrence dans l'acte de cession ne libère pas le vendeur de l'obligation légale de garantie de son fait personnel qui est d'ordre public et lui interdit tout acte susceptible de gêner l'acquéreur dans la possession paisible de la chose vendue ; que cette garantie légale d'éviction due par le vendeur justifie de sa part une obligation de non-concurrence qui est de droit ; qu'en estimant licite le rétablissement de MM. X... dans une activité concurrentielle de celle qu'ils venaient de céder, la cour d'appel a violé les articles 1625, 1626 et 1628 du Code civil ; alors, d'autre part, que les vendeurs doivent garantir à l'acquéreur la possession paisible de la chose vendue, alors même qu'ils ne chercheraient pas à récupérer les biens qu'ils viennent de céder ; qu'en décidant que les actes reprochés aux consorts X... n'étaient pas suffisamment caractérisés pour constituer des tentatives de reprise de la chose vendue, la cour d'appel qui a exigé de la part de la société Eridania Beghin-Say la preuve d'actes plus graves qu'il n'était nécessaire, a violé les articles 1625 et 1626 du Code Civil ; alors, en outre, que dans ses conclusions, la société Eridania Beghin-Say insistait sur ce que l'article 1628 du Code civil institue une garantie d'éviction d'ordre public ; que l'article 1629 du même Code n'envisage de possibilité d'exemption de cette garantie d'éviction que pour des cas autres que ceux d'éviction du fait personnel ; qu'il n'était pas admissible d'appliquer de façon conjuguée les articles 1628 et 1629 du Code civil pour permettre aux consorts X... de s'exonérer de la garantie d'ordre public qu'ils devaient à la société Eridania Beghin-Say ; que la cour d'appel n'a pas répondu à ces moyens déterminants développés tant dans la requête afin d'être autorisée à plaider à jour fixe que dans les conclusions en réponse ; qu'elle n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et qu'elle n'a pas donné de base légale à sa décision vis-à-vis des mêmes articles 1628 et 1629 du Code civil ; alors au surplus, que l'application de la garantie légale d'éviction ne peut être écartée que si dans le contrat de vente ou dans une convention annexe, le vendeur a expressément informé l'acquéreur du risque d'éviction, et que ce dernier en a nettement accepté les conséquences ; qu'aucune clause expresse de non-garantie ne figure dans l'acte de cession ; qu'en déduisant une acceptation expresse du risque d'éviction des négociations et de l'absence de clause de non-concurrence, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision vis-à-vis de l'article 1629 du Code civil ; qu'elle n'a pas davantage répondu aux conclusions qui développaient ce moyen déterminant et n'a pas satisfait aux prescriptions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, encore, que dans les mêmes écritures, la société Eridania Beghin-Say montrait que durant les négociations, les consorts X... manifestaient leur intention de ne pas se réinstaller ; qu'elle soulignait leur comportement fautif excluant pour la société Eridania Beghin-Say l'entière connaissance du risque ; qu'en effet, pour la Cour suprême,



la connaissance du risque d'éviction par l'acquéreur ne peut exister et permettre l'exemption de garantie pour le vendeur que lorsque celui-ci, par une clause du contrat aura pleinement renseigné son acheteur sur des circonstances particulières antérieures à la vente et susceptibles de l'évincer ; qu'en l'espèce l'absence d'une clause de non-concurrence ne pouvait dès lors suffire à caractériser la connaissance du risque de l'éviction du fait personnel du vendeur ; que la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision vis-à-vis des mêmes articles 1628 et 1629 du Code civil ; qu'elle n'a pas non plus répondu aux conclusions de la société Eridania Beghin-Say et respecté les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et alors, enfin, que les contrats doivent s'exécuter de bonne foi ; que les consorts X... ont mis en place immédiatement après la signature du contrat un dispositif de concurrence totale avec des produits complètement rivaux ; qu'ils ont manqué à leur devoir de loyauté ; qu'en ne s'expliquant pas sur ces manquements, la cour d'appel n'a pas fondé sa décision vis-à-vis de l'article 1134 du Code civil ; qu'elle s'est abstenue de nouveau de répondre aux conclusions de la société Eridania Beghin-Say, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


Mais attendu, en premier lieu, que la garantie légale d'éviction du fait personnel du vendeur n'entraîne pour celui-ci, s'agissant de la cession des actions d'une société, l'interdiction de se rétablir, que si ce rétablissement est de nature à empêcher les acquéreurs de ces actions de poursuivre l'activité économique de la société et de réaliser l'objet social ; que l'arrêt ayant retenu, par des motifs non critiqués par le pourvoi, que dès lors qu'ils n'avaient pas eu pour conséquence d'aboutir à un détournement de la clientèle attachée aux produits fabriqués et vendus par les sociétés du groupe X..., les actes reprochés aux consorts X... ne constituaient pas des tentatives de reprise par une voie détournée de la chose vendue, la cour d'appel, qui n'a ni énoncé que l'absence de clause de non-concurrence libérait le vendeur de l'obligation légale de garantie ou suffisait à caractériser la connaissance du risque par l'acquéreur ni exonéré les consorts X... de ladite obligation, a pu statuer comme elle l'a fait ;


Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé qu'aucune préméditation ne pouvait être retenue de la part des consorts X... et que ce n'était pas par une dissimulation malicieuse lors des négociations, par une voie détournée ni même discrète mais à la connaissance de l'acquéreur qu'ils avaient constitué les structures juridiques, passé les accords commerciaux et édifié les unités de production portant, d'abord, sur des produits négligés par la société Eridania Beghin-Say puis, sur l'ensemble de la gamme, la cour d'appel, répondant aux conclusions prétendument délaissées, a justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 1134 du Code civil ;


D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi.

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