15 December 2009
Cour de cassation
Pourvoi n° 08-18.228

Chambre sociale

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2009:SO02559

Titres et sommaires

REPRESENTATION DES SALARIES - comité d'entreprise - attributions - attributions consultatives - organisation, gestion et marche générale de l'entreprise - examen annuel des comptes - assistance d'un expert - comptable - mission - obligations - obligation de secret et de discrétion - portée - pouvoir d'investigation - pièces communiquées - données confidentielles - droit d'accès

L'expert-comptable auquel peut faire appel un comité d'entreprise pour l'assister dans l'examen annuel des comptes et dans l'appréciation de la situation de l'entreprise, tenu par application de l'article L. 2325-42 du code du travail à des obligations de secret et de discrétion, ne peut se voir opposer le caractère confidentiel des données dont il demande la communication à l'employeur. Doit dès lors être rejeté le pourvoi reprochant à une cour d'appel de faire injonction à un employeur de communiquer à cet expert des données telles que le numéro de matricule des salariés, leur sexe, leur date de naissance, le montant et la composition de leur rémunération

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en matière de référé (Paris, 16 juin 2008), que le 6 décembre 2006, le Comité central d'entreprise de la société Laboratoire MSD Chibret a désigné le cabinet Syndex pour examiner les comptes annuels 2006 et prévisionnels 2007 ; que le 6 mars 2007, la commission économique du comité a décidé d'intégrer à cette mission l'analyse de la politique de rémunération ; que par lettre du 5 juin 2007, l'expert-comptable a demandé la communication de divers documents à la société Laboratoires MSD Chibret, qui a refusé ;


Attendu que la société Laboratoire MSD Chibret fait grief à l'arrêt de lui faire injonction de communiquer au cabinet d'expertise comptable Syndex les documents qu'il demandait, alors, selon le moyen :


1°/ que le refus par l'employeur de communiquer à l'expert-comptable, désigné par le comité d'entreprise en application de l'article L. 434-6 devenu L. 2325-35 à 42 du code du travail, les documents demandés ne constitue un trouble manifestement illicite qu'à la condition que ces documents aient été nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise ; qu'en l'espèce, il est constant que l'expert sollicitait la communication de l'"extraction de la base du personnel nominative (ou non) sur un fichier Excel, qui regroupe les champs suivants, au 31 décembre de chaque année (2005 et 2006) : - numéro de matricule (identique sur les deux années), type de contrat de travail (CDI, CDD, autres), - (…) sexe (homme, femme), date de naissance, - (…) total de la rémunération brute annuelle, - détail de l'ensemble des rubriques constituant cette rémunération brute annuelle" ; qu'en affirmant qu'il y avait lieu d'enjoindre l'employeur de communiquer ce document au prétexte que "l'examen de l'état de la masse salariale et de son évolution permet tent d'appréhender les éléments d'ordre social nécessaires à la compréhension de la situation de l'entreprise", quand les documents sollicités ne concernaient pas la masse salariale et son évolution (telles les données par catégorie de personnel, déjà communiquées par l'employeur), mais la situation personnelle de chaque salarié rendu identifiable par la précision des éléments demandés, la cour d'appel n'a pas caractérisé en quoi les documents sollicités auraient pu être nécessaires à la compréhension de la situation de l'entreprise, et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 434-6, devenu L. 2325-35 à 42 du code du travail et des articles 808 et 809 du code de procédure civile ;


2°/ que l'expert comptable ne peut pas exiger la production de documents n'existant pas et dont l'établissement n'est pas obligatoire pour l'entreprise ; qu'en l'espèce, l'employeur qui ne contestait effectivement pas avoir déjà donné des informations sous forme électronique faisait valoir qu'il n'existait, sous quelque forme que cela soit, électronique ou non, de document comportant les informations sollicitées, que son établissement n'est pas obligatoire, et qu'en conséquence l'expert comptable ne pouvait exiger qu'il lui soit communiqué ; qu'en faisant injonction à l'employeur de communiquer le document demandé sans constater qu'il existait ou que l'employeur était tenu de l'établir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 434-6, devenu L. 2325-35 à 42 du code du travail et des articles 808 et 809 du code de procédure civile ;


3°/ que chacun a droit au respect de sa vie privée ; qu'en l'espèce, l'expert comptable sollicitait de l'employeur la communication de renseignements personnels très précis tenant à la vie privée tels que : "- numéro de matricule (identique sur les deux années), - (…) sexe (homme, femme), date de naissance, - (…) total de la rémunération brute annuelle, - détail de l'ensemble des rubriques constituant cette rémunération brute annuelle" ; qu'en écartant "tout risque de voir porter atteinte à la vie privée des salariés" au prétexte que l'expert comptable aurait été tenu "de traiter de manière confidentielle les informations fournies", quand, en elle-même, la communication à l'expert comptable de données relatives au détail de la rémunération ainsi notamment qu'à l'age, le sexe, l'ancienneté, etc., des salariés constituait une atteinte à leur vie privée, la cour d'appel a violé les articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;


Mais attendu qu'en application des articles L. 2325-36, L. 2325-37 du code du travail et L. 823-13 du code de commerce, l'expert-comptable désigné par le comité d'entreprise peut, dans le cadre d'une mission nécessaire à la compréhension des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise, se faire communiquer tous les documents qu'il estime utiles ; qu'il en résulte, d'une part, qu'il ne peut être reproché à la cour d'appel de n'avoir pas recherché si les documents demandés étaient nécessaires à l'accomplissement de la mission de l'expert, d'autre part, que c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'expert, tenu par application de l'article L. 2325-42 du code du travail à des obligations de secret et de discrétion, ne pouvait se voir opposer le caractère confidentiel des documents demandés et a ordonné la communication non pas d'un document de synthèse mais de données que l'employeur ne contestait pas posséder ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne la société Laboratoire Merck Sharpe et Dohme (MSD) Chibret aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer au Comité central d'entreprise de la société Laboratoire MSD Chibret la somme de 2 500 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille neuf.





MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour la société Laboratoire Merck Sharpe et Dohme (MSD) Chibret.


Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR fait injonction à la société LABORATOIRES MSD CHIBRET de communiquer au cabinet d'expertise comptable SYNDEX les documents figurant sur la liste du 5 juin 2007 et de l'AVOIR condamnée à payer 3.000 euros par application de l'article 700 du l'article 700 du Code de procédure civile ;


AUX MOTIFS QUE « selon l'article L 434-6 du Code du travail, le comité d'entreprise peut se faire assister d'un expert-comptable de son choix en vue de l'examen annuel des comptes, la mission de ce dernier portant sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise ; que pour opérer toute vérification ou tout contrôle qui entre dans l'exercice de ces missions, l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes ; qu'il appartient au seul expert désigné par le comité d'entreprise d'apprécier les documents qu'il estime utiles à l'exercice de sa mission dans les limites de l'objet défini par le texte susvisé ; considérant que l'analyse de la politique des rémunérations et la mise en perspective de celle-ci avec la situation de la société entrent bien dans le cadre de la mission légale de l'expert-comptable désigné pour l'examen des comptes annuels et prévisionnels, l'examen de l'état de la masse salariale et de son évolution permettant d'appréhender les éléments d'ordre social nécessaires à la compréhension de la situation de l'entreprise ; que c'est donc à tort que le premier juge, suivant l'argumentation développée par la société LABORATOIRES MSD CHIBRET, a retenu que les pièces demandées par l'expert comptable le 26 mars 2007 n'apparaissaient pas nécessaires à une saine et complète intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation "économique" de l'entreprise, l'article L 434-6 prévoyant la désignation d'un expert-comptable pour assister le comité dans l'examen et l'analyse des éléments nécessaires à la compréhension de la "situation de l'entreprise" sans limiter celle-ci à son aspect économique ; que, s'agissant de la communication des documents au cabinet SYNDEX, le moyen tiré du risque de voir porter atteinte à la vie privée des salariés n'est pas pertinent, l'expert-comptable désigné par le comité d'entreprise étant tenu légalement de traiter de manière confidentielle les informations fournies ce qui exclut qu'il puisse faire figurer dans son rapport final les données nominatives qu'il a exploitées ; qu'il n'est pas sérieux enfin de prétendre que les informations demandées ne peuvent pas être communiquées par fichiers électroniques alors que la société LABORATOIRES MSD CHIBRET ne conteste pas avoir communiqué des informations sous cette forme dans le cadre d'une autre mission d'expertise-comptable comme le soutient l'appelant dans ses écritures » ;


1) ALORS QUE le refus par l'employeur de communiquer à l'expert comptable, désigné par le comité d'entreprise en application de l'article L. 434-6 devenu L.2325-35 à 42 du Code du travail, les documents demandés ne constitue un trouble manifestement illicite qu'à la condition que ces documents aient été nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise ; qu'en l'espèce, il est constant que l'expert sollicitait la communication de l'« extraction de la base du personnel nominative (ou non) sur un fichier Excel, qui regroupe les champs suivants, au 31 décembre de chaque année (2005 et 2006) : - numéro de matricule (identique sur les deux années), type de contrat de travail (CDI, CDD, autres), - (…) sexe (homme, femme), date de naissance, - (…) total de la rémunération brute annuelle, - détail de l'ensemble des rubriques constituant cette rémunération brute annuelle » ; qu'en affirmant qu'il y avait lieu d'enjoindre l'employeur de communiquer ce document au prétexte que « l'examen de l'état de la masse salariale et de son évolution permet tent d'appréhender les éléments d'ordre social nécessaires à la compréhension de la situation de l'entreprise », quand les documents sollicités ne concernaient pas la masse salariale et son évolution (telles les données par catégorie de personnel, déjà communiquées par l'employeur), mais la situation personnelle de chaque salarié rendu identifiable par la précision des éléments demandés, la Cour d'Appel n'a pas caractérisé en quoi les documents sollicités auraient pu être nécessaires à la compréhension de la situation de l'entreprise, et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.434-6, devenu L.2325-35 à 42 du Code du travail et des articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile ;


2) ALORS au surplus QUE l'expert comptable ne peut pas exiger la production de documents n'existant pas et dont l'établissement n'est pas obligatoire pour l'entreprise ; qu'en l'espèce, l'employeur qui ne contestait effectivement pas avoir déjà donné des informations sous forme électronique faisait valoir qu'il n'existait, sous quelque forme que cela soit, électronique ou non, de document comportant les informations sollicitées, que son établissement n'est pas obligatoire, et qu'en conséquence l'expert comptable ne pouvait exiger qu'il lui soit communiqué (conclusions d'appel page 12) ; qu'en faisant injonction à l'employeur de communiqués le document demandé sans constater qu'il existait ou que l'employeur était tenu de l'établir, la Cour d'Appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 434-6, devenu L.2325-35 à 42 du Code du travail et des articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile ;


3) ALORS par ailleurs QUE chacun a droit au respect de sa vie privée ; qu'en l'espèce, l'expert comptable sollicitait de l'employeur la communication de renseignements personnels très précis tenant à la vie privée tels que : « - numéro de matricule (identique sur les deux années), - (…) sexe (homme, femme), date de naissance, - (…) total de la rémunération brute annuelle, - détail de l'ensemble des rubriques constituant cette rémunération brute annuelle »; qu'en écartant « tout risque de voir porter atteinte à la vie privée des salariés » au prétexte que l'expert comptable aurait été tenu « de traiter de manière confidentielle les informations fournies », quand, en elle-même, la communication à l'expert comptable de données relatives au détail de la rémunération ainsi notamment qu'à l'age, le sexe, l'ancienneté, etc., des salariés constituait une atteinte à leur vie privée, la Cour d'Appel violé les articles 9 du Code civil et 8 de la convention Européenne des Droits de l'Homme.

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