24 June 2008
Cour de cassation
Pourvoi n° 07-11.411

Chambre sociale

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2008:SO01244

Titres et sommaires

SYNDICAT PROFESSIONNEL - action en justice - conditions - intérêt collectif de la profession - domaine d'application - etendue - refere - mesures conservatoires ou de remise en état - trouble manifestement illicite - applications diverses - institutions représentatives du personnel - obligations pesant sur l'employeur - obligation de réunion et d'information - respect - défaut - condition - statut collectif du travail - négociation collective - périodicité de la négociation - négociation triennale - négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences - délai pour négocier - portée

Aux termes de l'article L. 411-11 du code du travail, devenu l'article L. 2132-3, les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. Il en résulte qu'ils peuvent demander en référé les mesures de remise en état destinées à mettre fin à un trouble manifestement illicite affectant cet intérêt collectif. Dès lors, une cour d'appel retient exactement que le défaut de réunion, d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel, lorsqu'elles sont légalement obligatoires, portant une atteinte à l'intérêt collectif de la profession, des fédérations syndicales sont recevables à demander la suspension d'une mesure prise par un employeur tant que ce dernier n'aura pas procédé aux informations et consultations obligatoires

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :




Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en matière de référé, que la société EDF qui confiait par des contrats distincts conclus avec chaque entreprise prestataire de services des opérations de maintenance de ses dix-neuf centres nucléaires de production d'électricité (CNPE) a envisagé la mise en place de prestations globales d'assistance chantier (PGAC) permettant le regroupement de ces marchés sous la supervision d'un sous-traitant unique désigné pour l'ensemble des CNPE d'une «plaque» régionale, à charge pour lui de coordonner les autres sous-traitants dans le cadre d'un cahier des charges établi contractuellement ; qu'après une première expérience limitée à un CNPE, des PGAC ont été conclues à effet du 1er janvier 2006 pour le CNPE de la plaque Nord-Ouest et de la plaque Atlantique ; qu'estimant que l'impact social de l'extension des PGAC du fait notamment de leurs conséquences en cas de succession d'entreprises intéressait la marche générale tant d'EDF que des entreprises sous-traitantes, la fédération nationale des mines et de l'énergie CGT, la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et la fédération nationale des salariés de la construction et du bois CGT ont saisi la juridiction des référés d'une demande de suspension de la mise en application des PGAC tant qu'il n'aura pas été procédé aux consultations des institutions représentatives du personnel nationales et locales et des CHSCT d'EDF et des entreprises sous-traitantes, et tant que les négociations obligatoires sur la gestion prévisionnelle des emplois n'auront pas été engagées et menées à terme ;


Sur le moyen unique des pourvois incidents des sociétés EDF, Endel et Techman Industrie qui est préalable :


Attendu que les sociétés EDF, Endel et Techman Industrie font grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance de référé rendue entre les parties par le tribunal de grande instance le 18 janvier 2006 en ce qu'elle a déclaré les fédérations syndicales CGT recevables à agir, alors, selon le moyen, que lorsque le litige porte seulement sur le respect des pouvoirs et attributions du comité d'entreprise ou du comité central d'entreprise en présence d'une décision de gestion de l'employeur, un syndicat est irrecevable à agir aux lieu et place de ces comités qui ont seuls qualité à agir pour obtenir du chef d'entreprise qu'il respecte les dispositions du code du travail édictées dans le but de leur permettre d'exercer leurs prérogatives ; qu'en l'espèce, en déclarant les Fédérations syndicales CGT recevables à agir, la cour d'appel a violé l'article L. 411-11 du code du travail ;


Mais attendu qu'aux termes de l'article L. 411-11 du code du travail, devenu l'article L. 2132-3, les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; qu'il en résulte qu'ils peuvent demander en référé les mesures de remise en état destinées à mettre fin à un trouble manifestement illicite affectant cet intérêt collectif ;


Que la cour d'appel a dès lors exactement retenu que le défaut de réunion, d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel lorsqu'elles sont légalement obligatoires portait atteinte à l'intérêt collectif de la profession et déclaré recevable l'action des fédérations syndicales ;


Que le moyen n'est pas fondé ;


Sur les moyens uniques des pourvois incidents de la société Amec Spie Thermatome, devenue Spie Nucléaire et de la société Polinorsud :


Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;


Sur le pourvoi principal de la Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT, de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et de la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CGT :


Sur le deuxième moyen :


Attendu que les fédérations syndicales font grief à l'arrêt de les avoir déboutées de leur demande visant à faire suspendre la mise en oeuvre de la PGAC tant que la négociation prévue à l'article L. 320-2 du code du travail n'aura pas été mise en oeuvre, d'une part, au sein de la société EDF et, d'autre part, au sein des sociétés Endel, Polinorsud, Amec SpieThermatome et Techman Industrie, ainsi que de leur demande visant à faire injonction à ces différentes sociétés de convoquer les réunions de négociation prévues audit article, alors, selon le moyen :


1°/ que sauf à priver le texte de tout effet utile, l'article L. 320-2 du code du travail commande à l'employeur qui envisage, dans le délai de trois ans prévu par le texte, de prendre une décision ayant des effets prévisibles sur l'emploi, de mettre en oeuvre au préalable, sous peine de suspension de ladite décision, la négociation prévue par cet article ; qu'en affirmant l'inverse, la cour d'appel a violé l'article L. 320-2 du code du travail ;


2°/ qu'il résulte expressément de l'article L. 320-2 du code du travail que « l'employeur est tenu» de mettre en oeuvre la négociation prévue audit article ; qu'il est donc seul débiteur de l'obligation d'entamer des négociations ; qu'en reprochant aux fédérations syndicales de ne pas avoir demandé à négocier, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 320-2 du code du travail ;


3°/ que la négociation prévue à l'article L. 320-2 du code du travail s'impose tant que la décision de l'employeur ayant des effets prévisibles sur l'emploi n'a pas été mise en oeuvre ; qu'en affirmant que la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois n'avait pas en l'espèce à être mise en oeuvre dès lors que la PGAC avait été décidée avant la promulgation de la loi du 18 janvier 2005 ayant rendu obligatoire cette négociation, quand elle avait elle-même constaté, par motifs adoptés des premiers juges, que, postérieurement à l'adoption de la loi, les modalités d'exécution de la PGAC restaient encore à définir, ce dont il résultait que la PGAC n'ayant pas été encore appliquée, l'employeur était tenu d'engager ladite négociation, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 320-2 du code du travail ;


Mais attendu que la cour d'appel, qui n'a pas reproché aux organisations syndicales de ne pas avoir demandé l'ouverture de négociations, a exactement retenu que la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 faisant obligation aux employeurs d'engager, tous les trois ans, une négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, il en résultait que ces derniers disposaient en toute hypothèse d'un délai expirant le 19 janvier 2008 pour engager cette négociation, la cour d'appel a fait une exacte application de l'article L. 320-2 du code du travail alors en vigueur ;


Que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le troisième moyen :


Attendu que les fédérations syndicales font grief à l'arrêt de les avoir déboutées de leur demande visant à faire suspendre la mise en oeuvre de la PGAC tant que les comités centraux d'entreprise, les comités d'établissement et, le cas échéant, les comités d'entreprise européens des sociétés Endel, Polinorsud, Amec Spie Thermatome et Techman Industrie n'auront pas été complètement informés et consultés, alors, selon le moyen, que l'information et la consultation du comité d'entreprise doivent être préalables à toute décision économique de l'employeur susceptible d'affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle ; que constitue nécessairement une telle décision le fait, pour des entreprises prestataires de service, de se porter candidates à un marché dont le cahier des charges, qui est parfaitement connu desdites entreprises au moment du dépôt de leur candidature, est de nature à avoir d'importantes conséquences pour les salariés qu'elles emploient ; qu'en jugeant que, dans un tel cas, l'information et la consultation des institutions représentatives du personnel ne devaient avoir lieu qu'après l'attribution des marchés, la cour d'appel a violé les articles L. 431-5 et L. 432-1 du code du travail ;


Mais attendu qu'ayant constaté que la décision d'étendre les PGAC n'appartenait à aucune des entreprises prestataires qui ont dû s'y soumettre, la cour d'appel, eu égard à l'office du juge des référés, a pu décider qu'aucun trouble manifestement illicite n'était établi ;


Que le moyen n'est pas fondé ;


Mais sur le premier moyen :


Vu l'article L. 432-1, alinéa 1, du code du travail, devenu l'article L. 2323-6, et la circulaire PERS n° 873 du 23 mars 1987 relative au conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production d'EDF :


Attendu, selon les textes applicables à la société EDF, que les comités mixtes paritaires (CMP) sont obligatoirement informés et consultés sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'établissement et, en particulier, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel ainsi que préalablement à toute réforme de structure ou modification d'organisation et que la répartition des compétences entre les CMP et le conseil supérieur consultatif des CMP repose sur les domaines de compétence relevant des différents niveaux hiérarchiques ;


Attendu que pour débouter les fédérations syndicales CGT de leur demande tendant à faire suspendre la mise en oeuvre de la PGAC sur les plaques Nord-Ouest et Atlantique tant que le conseil supérieur consultatif des CMP de la société EDF et les différents CMP concernés n'auront pas été régulièrement informés et consultés, l'arrêt retient que la mise en oeuvre des PGAC nécessitait l'information et la consultation des seuls CMP actuellement intéressés par des dispositions spécifiques à l'établissement et qu'elle n'affectait pas notablement les conditions de travail et d'emploi des agents ou salariés d'EDF ;


Qu'en statuant ainsi après avoir constaté que cette nouvelle organisation avait vocation à s'étendre sur tout le territoire national et relevé que le projet avait justifié la création d'un comité professionnel des prestataires de services en matière d'assainissement radioactif et d'une cellule de gestion des emplois avec pour objectif, notamment, de minimiser au mieux de l'intérêt des parties prenantes, y compris d'EDF, l'impact qu'il pouvait avoir en termes d'emplois, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations, dont il résultait que les mesures envisagées par l'employeur pouvaient affecter la structure des emplois ainsi que les conditions d'emploi et de travail dans l'ensemble de l'entreprise, a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, en ce qu'il a débouté la Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT, la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et de la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CGT de leur demande tendant à faire suspendre la mise en oeuvre des prestations globales d'assistance chantier sur les plaques Nord-Ouest et Atlantique tant que le conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production et les comités mixtes à la production concernés de la société EDF ne seront pas informés et consultés, l'arrêt rendu le 29 novembre 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;


Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille huit.

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