18 June 2002
Cour de cassation
Pourvoi n° 01-83.590

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

ACTION CIVILE - recevabilité - ordres professionnels - experts - comptables et comptables agréés - conseil régional - exercice illégal de la profession - saisine du tribunal par voie de citation directe - expert - comptable et comptable agree - conseil régional de l'ordre des experts - domaine d'application

En application de l'article 20, alinéa 4, de l'ordonnance du 19 septembre 1945 modifiée, les conseils régionaux de l'Ordre peuvent, par exception aux dispositions des articles 31.3o et 37.8o de l'ordonnance du 19 septembre 1945 modifiée, qui réservent au Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables le droit de se constituer partie civile devant les juridictions pénales relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des professions qu'il représente, saisir le tribunal, par voie de citation directe, des délits d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ou d'usage, sans droit, du titre ou de la qualité attachés à cette profession(1).

Texte de la décision

REJET des pourvois formés par :

- X... Jean-Pierre,

- Y... Christine, épouse X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 15 mars 2001, qui, pour exercice illégal de la profession d'expert-comptable, les a condamnés chacun à 10 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation : (Publication sans intérêt) ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 20, 31 et 37 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 ainsi que 1er, 2, 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a décidé que l'action publique avait été valablement mise en mouvement, par voie de citation directe du chef d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, à l'initiative d'un ordre professionnel (le conseil régional de l'Ordre des experts-comptables de Bretagne) contre des comptables salariés (M. et Mme X..., les demandeurs) et a déclaré la partie plaignante recevable en sa constitution de partie civile ;

" aux motifs que si, aux termes des articles 31 et 37 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 portant institution de l'Ordre des experts-comptables et réglementant leur titre et leur profession, les conseils régionaux de cet Ordre ne pouvaient se constituer partie civile, ce droit étant réservé au Conseil supérieur (art. 31, alinéa 3), lequel avait seul qualité pour exercer, devant toutes les juridictions, tous les droits réservés à la partie civile, notamment par voie de citation directe devant la juridiction répressive, relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt des professions relevant de sa compétence (art. 37, alinéa 8), l'article 20 de cette même ordonnance, en son alinéa 4, édictait néanmoins une exception aux dispositions générales ci-dessus rappelées, en permettant aux conseils de l'ordre, c'est-à-dire tant au Conseil supérieur qu'aux conseils régionaux, de saisir le Tribunal par voie d'action directe, donnée dans les termes de l'article 388 du Code de procédure pénale, des délits d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable et d'usage abusif de ce titre ou de l'appellation de société d'expertise comptable ou de titres quelconques tendant à créer une similitude ou une confusion avec ceux-ci ; qu'en conséquence, le conseil régional de l'Ordre des experts-comptables de Bretagne avait bien qualité pour saisir la juridiction répressive, par voie de citation directe, de faits qualifiés d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ; que le pouvoir ainsi reconnu au conseil régional de l'Ordre professionnel dont s'agissait de faire citer directement l'auteur présumé d'une telle infraction devant le tribunal correctionnel impliquait nécessairement celui de se constituer partie civile ; qu'ainsi le jugement devait être confirmé en ce qu'il avait rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la défense ; que, par des motifs exacts qu'il convenait d'adopter, les premiers juges avaient statué sur les demandes de la partie civile en lui accordant des dommages-intérêts ;

" alors qu'il résulte tant des règles impératives de la procédure pénale que de celles régissant la profession d'expert-comptable que les conseils régionaux de cet Ordre professionnel n'ont pas qualité pour se constituer partie civile devant la juridiction répressive ni, par conséquent, pour y exercer les droits réservés à celle-ci puisque seule une personne habilitée à se porter partie civile peut mettre en mouvement l'action publique, le Conseil supérieur de l'Ordre considéré étant exclusivement qualifié pour exercer les droits concernés, notamment par voie de citation directe, relativement aux faits portant un préjudice direct ou immédiat à l'intérêt collectif des professions relevant de sa compétence ; que dès lors, commet une erreur de droit la cour d'appel qui décide que les dispositions de l'ordonnance du 19 septembre 1945 réglementant la profession en cause auraient conféré à un conseil régional de l'Ordre des experts-comptables le droit tant de mettre en mouvement l'action publique par voie de citation directe contre deux comptables du chef d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, que de se constituer partie civile ;

" alors que, subsidiairement, l'ensemble des règles régissant la profession d'expert-comptable excluent formellement la possibilité pour un conseil régional de se porter partie civile devant les juridictions répressives, le Conseil supérieur de cet Ordre professionnel ayant seul qualité pour ce faire en vue de réclamer l'indemnisation du préjudice collectif de la profession ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait légalement déclarer recevable la constitution de partie civile d'un conseil régional de l'Ordre des experts-comptables ni lui allouer des dommages-intérêts " ;

Attendu qu'en rejetant, par les motifs repris au moyen, l'exception de nullité des poursuites engagées à la requête du conseil régional de l'Ordre des experts-comptables contre les époux X... du chef d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 20, alinéa 4, de l'ordonnance du 19 septembre 1945 modifiée ;

Qu'en effet, il résulte de ce texte que, par exception aux dispositions des articles 31. 3°, et 37. 8°, de ladite ordonnance, qui réservent au Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables le droit de se constituer partie civile devant les juridictions pénales relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des professions qu'il représente, les conseils régionaux de l'Ordre peuvent saisir le Tribunal, par voie de citation directe, des délits d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ou d'usage, sans droit, du titre ou de la qualité attachés à cette profession, sans préjudice, pour le Conseil supérieur de l'Ordre, de la faculté de se porter, s'il y a lieu, partie civile dans toute poursuite des mêmes chefs par le ministère public ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 et 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, 433-17 et 433-22 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré deux chefs comptables salariés (M. et Mme X..., les demandeurs) coupables du délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, tout en ordonnant la publication de son dispositif dans un journal, et les a en conséquence condamnés chacun à 10 000 francs d'amende ainsi qu'à indemniser la partie civile ;

" aux motifs que les documents du dossier démontraient que les intéressés faisaient profession habituelle de tenir, centraliser, ouvrir, arrêter et surveiller les comptabilités de diverses entreprises ; qu'ils effectuaient ainsi des travaux de la nature de ceux définis par l'alinéa 2 de l'article 2 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 et visés par son article 20 ; qu'au surplus, ils confectionnaient aussi bien les bilans que l'ensemble des pièces fiscales servant à la détermination de l'impôt sur les sociétés ; que, pour les établir, ils ne pouvaient se contenter de simples opérations arithmétiques consistant à aligner des chiffres et à les additionner ou, à les soustraire entre eux ; que l'évaluation précise de bon nombre de postes du bilan nécessitait que fût portée, au sens de l'alinéa 1er de l'article 2 de l'ordonnance susvisée, une appréciation sur les comptabilités des entreprises pour le compte desquelles ils oeuvraient ; que, sur ce dernier point, l'huissier de justice ayant instrumenté le 29 avril 1998 avait consigné de la manière suivante les déclarations de Christine X... ; " je n'ai pas de client disposant d'un expert-comptable faisant la liasse fiscale " ; qu'il s'en déduisait que les prévenus assuraient ainsi la direction suivie des travaux ci-dessus mentionnés en intervenant directement dans la tenue, l'appréciation et la surveillance des comptes au sens de l'article 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 ;

" alors que l'activité caractérisant le monopole des experts-comptables nécessite une appréciation, une certification et une authentification de la comptabilité des entreprises, sans que de simples tâches matérielles limitées à la saisie et à la transcription des opérations comptables, la tenue des livres et documents y afférents ainsi que la confection des pièces fiscales de l'entreprise soient au nombre des travaux protégés ; que, dès lors, ne justifie pas légalement sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer l'infraction d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable constitué contre deux chefs comptables salariés, se borne à affirmer qu'ils " faisaient profession habituelle de tenir, centraliser, ouvrir, arrêter et surveiller les comptabilités des entreprises ", sans préciser sur quels actes et documents de preuve elle se serait fondée ni caractériser en quoi, en exécutant des travaux de ce type, les prévenus auraient apprécié, attesté, authentifié ou certifié la comptabilité dont ils assuraient la tenue ;

" alors que, en outre, à partir du moment où, à eux seuls, ces travaux ne ressortissaient pas au monopole des experts-comptables, la cour d'appel ne pouvait davantage retenir les demandeurs dans les liens de la prévention pour avoir confectionné des bilans et des pièces fiscales servant à la détermination de l'impôt sur les sociétés ;

" alors que, enfin, ne justifie pas légalement sa décision de déclarer les prévenus coupables d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable la cour d'appel qui, d'une déclaration de Christine X... ayant indiqué à l'huissier instrumentaire : " je n'ai pas de client disposant d'un expert-comptable faisant la liasse fiscale ", déduit que les demandeurs assuraient ainsi la direction suivie des travaux qu'elle venait de décrire en intervenant dans la tenue, l'appréciation et la surveillance des comptes au sens de l'article 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, sans spécifier quels actes les prévenus auraient en fait accomplis à cette fin " ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 433-17 et 433-22 du Code pénal, L. 721-1 et suivants du Code du travail, 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6. 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré deux chefs comptables salariés (M. et Mme X..., les demandeurs) coupables du délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, tout en ordonnant la publication de son dispositif dans un journal, et les a, en conséquence, condamnés chacun à 10 000 francs d'amende ainsi qu'à indemniser la partie civile ;

" aux motifs que les prévenus soutenaient qu'ils n'accomplissaient pas de tels travaux en leur propre nom et sous leur responsabilité ; qu'ils invoquaient leur statut de travailleur à domicile, oeuvrant pour le compte de plusieurs établissements, liés à ceux-ci par un contrat de travail, percevant de leurs employeurs une rémunération forfaitaire, travaillant seuls et dans un local indépendant ; qu'à l'appui de leurs affirmations, ils produisaient copie de déclarations souscrites par leurs employeurs auprès de l'inspection du Travail en application des dispositions de l'article L. 721-7 du Code du travail ainsi que des registres du personnel tenus par ces mêmes employeurs, les faisant apparaître comme salariés de leurs entreprises ; que, toutefois, il s'agissait d'une apparence de régularité destinée à faire échec à l'application de la législation relative à la profession d'expert-comptable ; qu'en effet, lors de la visite des locaux professionnels des intéressés par l'huissier de justice, Christine X... n'avait cessé de désigner par le terme " client " ses employeurs prétendus ; qu'elle avait admis qu'aucun d'entre eux ne recourait aux services d'un expert-comptable, seul à même de superviser les travaux réalisés par l'un ou l'autre des prévenus ; qu'à l'évidence, leurs " clients " ne disposaient pas de compétences nécessaires pour leur donner des instructions pertinentes sur le plan de la tenue de leur comptabilité ; qu'en réalité, les prévenus accomplissaient en totale indépendance, pour le compte d'une clientèle, des travaux tels que définis par l'alinéa 2 de l'article 2 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 et relevant du monopole des experts-comptables ; qu'ils établissaient d'ailleurs eux-mêmes leurs propres bulletins de salaire à en-tête de leurs employeurs prétendus ; qu'en conséquence, aucun élément produit par la défense ne démontrant sérieusement l'existence, pour les époux X..., de contraintes qui leur auraient été imposées par leurs donneurs d'ouvrage, dans le cadre de travaux commandés et devant être exécutés conformément à des normes fixées par ces derniers, les prévenus ne pouvaient se voir reconnaître juridiquement le statut de travailleur à domicile au sens de l'article 721-1 du Code du travail ; que, dès lors, n'étant inscrits ni l'un ni l'autre au tableau de l'Ordre des experts-comptables et n'étant titulaires d'aucun diplôme requis à cet effet, ils s'étaient rendus coupables du délit d'exercice illégal de la profession précitée ;

" alors que tout accusé est présumé innocent tant que sa culpabilité n'a pas été légalement établie par la partie poursuivante, tandis que le travailleur à domicile bénéficie d'une présomption de salariat ; que, dès lors, inverse la charge de la preuve et viole la présomption d'innocence la cour d'appel qui, pour déclarer les prévenus coupables du délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, leur reproche de n'avoir pas produit d'éléments démontrant qu'ils remplissaient les conditions de fait définies par le Code du travail pour justifier de leur qualité de travailleur à domicile ;

" alors que, en outre, à partir du moment où l'infraction d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable supposait la preuve, par la partie poursuivante, que les prévenus avaient accompli des travaux définis par réglementation en leur nom et sous leur responsabilité, les seules énonciations de l'arrêt attaqué selon lesquelles Christine X... avait employé le terme " client " pour désigner ses employeurs, ces derniers ne recouraient pas aux services d'un expert-comptable et les demandeurs établissaient eux-mêmes leurs bulletins de salaire, n'étaient pas de nature à démontrer que les intéressés exerçaient leur activité en leur nom et sous leur propre responsabilité et, par conséquent, à détruire la présomption de salariat dont ils bénéficiaient ;

" alors que, enfin, ne justifie pas légalement sa décision de retenir les demandeurs dans les liens de la prévention la cour d'appel qui se borne à affirmer " qu'à l'évidence " les entreprises ayant recours à leurs services étaient incompétentes pour leur donner des instructions sur le plan de la comptabilité et " qu'en réalité les prévenus travaillaient en toute indépendance pour le compte d'une clientèle ", ne caractérisant ainsi aucun acte démontrant concrètement qu'en fait les intéressés ne se trouvaient pas dans la situation de travailleurs à domicile mais exerçaient leur activité en leur nom et sous leur propre responsabilité " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour déclarer Jean-Pierre et Christine X... coupables du délit poursuivi, les juges retiennent, par les motifs repris au moyen, que, sans être inscrits au tableau de l'Ordre des experts-comptables, ils ont effectué habituellement et simultanément, pour une quinzaine d'entreprises commerciales ou artisanales dont ils étaient indépendants en dépit de l'apparence créée par les contrats de travail salarié à domicile qu'ils avaient passés avec chacune d'entre elles, des travaux de tenue, centralisation, ouverture, arrêt et surveillance des comptabilités réservés aux experts-comptables par l'article 2 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.

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