28 January 2015
Cour de cassation
Pourvoi n° 13-50.059

Première chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2015:C100096

Titres et sommaires

CONFLIT DE LOIS - statut personnel - mariage - mariage entre personnes de même sexe - validité - conditions - statut des personnes et de la famille - convention franco - marocaine du 10 août 1981 - contrariété à l'ordre public - loi applicable - détermination - conventions internationales - détermination mariage

La loi marocaine, qui s'oppose au mariage de personnes de même sexe, est manifestement incompatible avec l'ordre public, au sens de l'article 4 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire dès lors que, pour au moins l'une d'elles, soit la loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :





Vu les observations du Défenseur des droits ;


Reçoit l'association Ahluna à l'appui du pourvoi ;


Reçoit les associations ADDE, ADHEOS, ARDHIS, Les Amoureux au ban public, La Cimade, La Fasti, Le Gisti et la Ligue des droits de l'homme à l'appui des prétentions de MM. X... et Y... ;


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 22 octobre 2013), que le ministère public a formé opposition au mariage de M. X..., de nationalité française, et de M. Y..., de nationalité marocaine résidant en France, sur le fondement de l'article 55 de la Constitution, de l'article 5 de la Convention franco-marocaine, du 10 août 1981, relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, et des articles 175-1 du code civil, 422 et 423 du code de procédure civile ; que MM. X... et Y... ont saisi le tribunal d'une demande tendant, à titre principal, à l'annulation, subsidiairement, à la mainlevée de l'opposition ;


Sur le premier moyen, ci-après annexé :


Attendu que le procureur général fait grief à l'arrêt d'écarter la Convention franco-marocaine au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international instaurés par la loi du 17 mai 2013 et en conséquence de ne pas reconnaître une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes ;


Attendu que le motif de droit énoncé par l'arrêt pour ne pas reconnaître la supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes ne peut constituer un des termes d'une contradiction donnant ouverture à cassation ; que le moyen est donc irrecevable ;


Sur le second moyen :


Attendu que le procureur général fait grief à l'arrêt de donner mainlevée de l'opposition au mariage de MM. X... et Y..., alors, selon le moyen :


1°/ que, selon l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie » ; que la Convention bilatérale franco-marocaine du 10 août 1981 a été régulièrement ratifiée par la France, traduite en droit français par le décret n° 83-435 du 27 mai 1983 et publiée au Journal Officiel du 1er juin 1983, et a fait l'objet de réciprocité ; que dès lors, cette Convention a une valeur supra légale ; qu'ainsi, en écartant l'application de l'article 5 de la Convention prévoyant que « les conditions de fond du mariage tels que l'âge matrimonial et le consentement, de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d'alliance, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité », pour faire prévaloir les dispositions prévues à l'article 202-1, alinéa 2, du code civil, instauré par la loi du 17 mai 2013 selon lesquelles « deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence, le permet », la cour d'appel a violé l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;


2°/ que, selon l'article 3 du code civil, « ...les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français même résident en pays étrangers » ; que selon l'article 5 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, « les conditions de fond du mariage tels que l'âge matrimonial et le consentement, de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d'alliance, sont régis pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité » ; que selon l'article 4 de ladite Convention, « la loi de l'un des deux Etats désignés par la présente Convention ne peut être écartée par les juridictions de l'autre Etat que si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public » ; que l'article 5 précité n'est pas contraire ni manifestement incompatible à la conception française de l'ordre public international tel qu'envisagé par la loi française du 17 mai 2013, en ce qu'il ne heurte aucun principe essentiel du droit français ni un ordre public international en matière d'état des personnes ; qu'en écartant l'application de la Convention franco-marocaine au profit de principes supérieurs d'un nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ainsi que les principes du droit international privé ;


Mais attendu que si, selon l'article 5 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, les conditions de fond du mariage telles que les empêchements, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité, son article 4 précise que la loi de l'un des deux Etats désignés par la Convention peut être écartée par les juridictions de l'autre Etat si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public ; que tel est le cas de la loi marocaine compétente qui s'oppose au mariage de personnes de même sexe dès lors que, pour au moins l'une d'elles, soit la loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ; que, par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille quinze.



MOYENS ANNEXES au présent arrêt.


Moyens produits par le procureur général près la cour d'appel de Chambéry.


La Cour d'Appel de CHAMBÉRY a pris une position mais en utilisant un raisonnement erroné se caractérisant d'une part, par une contradiction de motifs, équivalant, selon la Cour de Cassation, à une absence de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile, et d'autre part, par une violation de la loi, en l'espèce du principe de hiérarchie des normes garanti par l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, et de la portée de la conception française de l'ordre public international, en violation de l'article 3 du code civil.


a) Sur le premier moyen issu d'une contradiction de motifs :


Le Procureur Général prés la Cour d'Appel de CHAMBÉRY fait grief à la décision attaquée, en ce qu'elle "écarte l'application de la Convention franco marocaine au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013, et en conséquence ne reconnaît pas en l'espèce une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes".


Ce grief intervient aux motifs que l'article 455 du code de procédure civile impose notamment à tout arrêt ou jugement une obligation de motivation.


Or une contradiction de motifs équivaut au sens de la jurisprudence de la Cour de Cassation à une absence de motifs.


Dés lors, alors que l'article 455 du code de procédure civile énonce que ".... le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa de conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif" ;


Qu'en reconnaissant l'existence d'un principe habituel de hiérarchie des normes établissant la primauté d'un traité international sur une loi nationale et en écartant en l'espèce, les dispositions de la Convention franco marocaine au profit de celles de la loi française du 17 mai 2013 au nom d'un nouvel ordre public international tout en écartant le principe de hiérarchie des normes au nom de ce même ordre public,


La Cour a violé l'article 455 du code de procédure civile.


b) Sur le deuxième moyen issu d'une violation de la loi :




- Sur la première branche de ce moyen :


Le Procureur Général prés la Cour d'Appel de CHAMBÉRY fait grief à la décision attaquée en ce qu'elle confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de CHAMBÉRY du 11 octobre 2013 ayant donné mainlevée de l'acte d'opposition effectué le 12 septembre 2013 par le procureur de la République au mariage de messieurs René X... et Mohamed Y....


Ce grief intervient aux motifs que la Cour motive son arrêt en "écartant l'application de la Convention franco marocaine au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013 et en conséquence en ne reconnaissant pas en l'espèce une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes".
Alors que, selon l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dés leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie";


Que la Convention bilatérale franco-marocaine du 10 août 1981 a été régulièrement ratifiée par la France, traduite en droit français par le décret n° 83-435 du 27 mai 1983 et publiée au Journal Officiel du 1er juin 1983, et a fait l'objet de réciprocité ;


Que dés lors, cette Convention a une valeur supra légale.
Qu'ainsi, en écartant l'application de l'article 5 de la Convention prévoyant que "les conditions de fond du mariage tels que l'age matrimonial et le consentement, de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d'alliance, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité", pour faire prévaloir les dispositions prévues à l'article 202-1al 2 du code civil, instauré par la loi du 17 mai 2013 selon lesquelles "deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence, le permet",


La Cour a violé l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.


- Sur la deuxième branche de ce moyen :


Le Procureur Général prés la Cour d'Appel de CHAMBÉRY fait grief à la décision attaquée en ce qu'elle confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de CHAMBÉRY du 11 octobre 2013 ayant donné mainlevée de l'acte d'opposition effectué le 12 septembre 2013 par le procureur de la République de au mariage de messieurs René X... et Mohamed Y....


Ce grief intervient aux motifs que la Cour motive son arrêt en "écartant l'application de la Convention franco marocaine au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013 et en conséquence en ne reconnaissant pas en l'espèce une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes",


Alors que, selon l'article 3 du code civil, "...les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français même résident en pays étrangers";


Que selon l'article 5 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, "les conditions de fond du mariage tels que l'âge matrimonial et le consentement, de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d'alliance, sont régis pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité";


Que selon l'article 4 de ladite Convention, " la loi de l'un des deux Etats désignés par la présente Convention ne peut être écartée par les juridictions de l'autre Etat que si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public";


Que l'article 5 précité n'est pas contraire ni manifestement incompatible à la conception française de l'ordre public international tel qu'envisagé par la loi française du 17 mai 2013, en ce qu'il ne heurte aucun principe essentiel du droit français ni un ordre public international en matière d'état des personnes;


Qu'en écartant l'application de la Convention franco-marocaine au profit de principes supérieurs d'un nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013,


La Cour a violé l'article 3 du code civil ainsi que les principes du droit international privé.

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