11 May 2017
Cour d'appel de Paris
RG n° 16/12823

Pôle 2 - Chambre 1

Texte de la décision

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRÊT DU 11 MAI 2017



AUDIENCE SOLENNELLE



(n° 211 , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/12823



Décision déférée à la Cour : Décision du 09 Mai 2016 - Conseil de l'ordre des avocats de PARIS



DEMANDERESSE AU RECOURS



Madame [I] [B] [E]

[Adresse 1]

[Localité 1] (Belgique)



née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 2] (Roumanie)



Comparante



Assistée de Me Yannick SALA, avocat au barreau de PARIS, toque : E1783





DÉFENDEUR AU RECOURS



LE CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE PARIS

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Hervé ROBERT de la SCP Hervé ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0277





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 23 Février 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :



- M. Jacques BICHARD, Président de chambre

- Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente de chambre

- Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

- Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

- Mme Florence PERRET, Conseillère



qui en ont délibéré





Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR







MINISTERE PUBLIC :



L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame Martine TRAPERO, Substitut Général, qui a fait connaître son avis et qui n'a pas déposé de conclusions écrites antérieures à l'audience.





DÉBATS : à l'audience tenue le 23 Février 2017, on été entendus :



- Madame HERVE, en son rapport

- Maître SALA, en ses observations

- Maître ROBERT, avocat représentant le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de PARIS, en ses observations

- Madame TRAPERO, substitut du Procureur Général, en ses observations



Par ordonnance en date du 1er Août 2016, le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Paris a été invité à présenter ses observations.



Le Conseil de l'Ordre a déposé des écritures préalablement à l'audience qui ont été communiquées à Madame [I] [B] [E].





ARRÊT :



- Contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.





- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.






***



Par arrêté du 9 mai 2016, la formation administrative restreinte du conseil de l'ordre des avocats de Paris a rejeté la demande d'inscription au barreau de Paris présentée par Mme [E] sur le fondement des dispositions de l'article 98-4° du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991.



La notification de cet arrêté a été adressée le 10 mai 2016 à Mme [E] demeurant en Belgique.



Mme [E] a formé un recours contre cette décision, le 8 juin 2016.




Par des écritures déposées et soutenues oralement, elle demande que son recours soit déclaré recevable, que l'arrêté du 9 mai 2016 soit infirmé et que sa demande d'inscription au tableau soit acceptée et en tant que de besoin que soit posée une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne et ce faisant qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'avis et qu'en toute hypothèse, soient rejetées toutes demandes et conclusions contraires .



Par des écritures déposées et développées oralement, le conseil de l'ordre des avocats de Paris conclut à la confirmation de l'arrêté du 9 mai 2016.





Le procureur général qui n'a pas pris d'écritures est d 'avis de confirmer l'arrête entrepris.



Mme [E] n'a fait valoir aucune observation relative à la communication des écritures prises par le Conseil de l'Ordre.




MOTIFS DE LA DECISION :



Mme [E] qui remplit les conditions posées par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 4° 5° et 6°, expose qu'elle justifie également de celles fixées par l'article 98 4° du décret du 27 novembre 1991 pour être exemptée de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude. Elle conteste l'interprétation de ces dispositions tendant à réserver le bénéfice de la dérogation aux personnes faisant partie de la fonction publique française en faisant valoir que 'les personnes assimilées aux fonctionnaires de la catégorie A' comprennent les fonctionnaires des organisations internationales appartenant à une catégorie correspondant à la catégorie A . Elle ajoute qu'une interprétation ainsi restrictive n'est pas conforme au droit de l'Union en ce qu'elle est contraire à la liberté de circulation des travailleurs et à celle d'établissement des travailleurs ainsi qu'au principe de non-discrimination, en introduisant une exigence de territorialité qui avantage les ressortissants français.



Elle soutient que s'agissant d'une restriction discriminatoire, elle ne peut être fondée que sur des raisons d'ordre public, de sécurité et santé publique qui en l'espèce, n'existent pas et que s'il est reenu qu'elle n'est pas discriminatoire, elle n'en est pas pour autant adaptée au but poursuivi ni proportionnée. Enfin Mme [E] déclare que les principes de primauté et d 'effet direct ainsi que le devoir de coopération loyale imposent de rechercher une interprétation conforme au droit de l'Union, malgré le principe d'interprétation stricte d'une disposition dérogatoire. En tant que de besoin, Mme [E] propose de soumettre une question préjudicielle à la CJUE. Enfin Mme [E] invoque la charte sociale européenne.



L'article 11de la loi du 31 décembre 1971 dispose que 'nul ne peut accéder à la profession d'avocat

2° s'il n'est titulaire sous réserve des dispositions réglementaires prises pour l'application de la directive 205/36/CE du parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France, d'au moins une maîtrise de droit ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents pour l'exercice de la profession



3° s'il n'est titulaire d'un certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) sous réserve des dispositions réglementaires mentionnées au 2°.....'



L'article 98 dispense de la formation pratique et théorique et du CAPA les personnes qui ont acquis les connaissances nécessaires à l'exercice de la profession soit en ayant exercé des activités juridiques en France soit en ayant exercé des fonctions qui impliquent une mise en pratique du droit national.



L'article 98-4 énonce ainsi que : 'sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat

les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant 8 ans au moins dans une administration, ou un service public ou une organisation internationale'.



Le droit de l'Union européenne impose un principe de non-discrimination et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ses ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre Etat membre que le leur et une mesure qui entrave la liberté d'établissement ou la liberté de circulation des travailleurs ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.



L'expérience professionnelle du candidat à l'accès à la profession d'avocat doit être appréciée in concreto afin de déterminer si celle-ci correspond à la qualification professionnelle exigée par l'article 98-4 et répond ainsi aux conditions de formation, de compétence et de responsabilité attachées à la fonction publique de catégorie A. Appréciée in concreto, cette exigence ne crée pas de conditions discriminatoires à l'accès à la profession d'avocat pour les ressortissants de l'Union européenne.



En effet, la volonté de veiller à une connaissance satisfaisante par l'avocat du droit national a pour objectif de garantir l'exercice complet, pertinent et efficace des droits de la défense des justiciables. La nécessité impérieuse de rendre ce droit effectif constitue un objectif légitime qui peut justifier des restrictions d'accès à la profession.



L'article 98 du décret pose des conditions dérogatoires qui doivent à ce titre, être interprétées strictement et les personnes ne pouvant prétendre à leur bénéfice, conservent la possibilité d'accéder à la profession d'avocat selon les modalités générales fixées par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971. Ainsi la restriction apportée à l'accès à la profession d'avocat, reste limitée et proportionnée à l'objectif poursuivi.



Il s'ensuit que la compatibilité des dispositions de l'article 98 4° applicables à la situation de Mme [E] avec les règles et principes du droit européen ne pose pas de difficulté justifiant la présentation de la question préjudicielle proposée, à la Cour de justice de l'Union européenne.



En l'espèce, Mme [E] qui a la double nationalité portugaise et roumaine, remplit la condition de diplôme puisqu'elle est titulaire d'une maîtrise en droit obtenue au sein d'une université française, de deux DEA et d'un doctorat également obtenus en France. Elle justifie ainsi d'une connaissance théorique du droit français. Elle déclare en outre avoir effectué un stage dans un cabinet d'avocat à Nice en septembre 2003.



Mme [E] a travaillé pendant au moins 8 ans, auprès des services de l'Union européenne à :

- la DG marchés intérieurs unité G3 de juillet 2007 à novembre 2009 (- 4 mois)

- la DG concurrence unité G3 de décembre 2010 à avril 2013

- la DG concurrence unité d'avril 2013 à septembre 2015

- au secrétariat général unité C1 depuis octobre 2015,

en qualité :

- d'agent temporaire sur un emploi permanent,(AD5) de juillet 2007 à octobre 2007

- de fonctionnaire stagiaire d'octobre 2007 à juillet 2008,

- de fonctionnaire titulaire à compter de juillet 2008.



Elle déclare détenir le rang d'administrateur qui constitue la catégorie statutaire la plus élevée, aux grades AD5, AD6 depuis le 1er janvier 2012 et AD7 depuis le 1er août 2014 et elle précise les missions qui lui ont été confiées dans le cadre de ces fonctions (voir pages 33 et 34 de ses écritures) et notamment : la rédaction de propositions legislatives et de différents documents liés aux développements législatifs, l'analyse de la transposition et de l'application par les Etats membres du droit européen (DG marché intérieur) l'analyse juridique des dossiers de demandes d'octroi d'aides d'Etat, la rédaction des décisions de la Commission dans la matière, le conseil lors de toutes les étapes de la procédure interne, le suivi de l'application des décisions, le suivi des dossiers contentieux (DG concurrence aides d'Etat) l'analyse juridique du comportement des entreprises sur le marché, l' analyse juridique des informations relatives au comportement concurrentiel des entreprises sur le marché, la rédaction des décisions de la Commission (DG Concurrence antitrusts) le suivi, l'analyse, le conseil au sein de la Commission en matière d'application des nouvelles règles en matière de meilleure réglementation..........



Cependant cette énumération ne fait pas apparaître qu'elle a mis en application le droit français de sorte qu'elle ne justifie d'aucune pratique du droit national, lequel même s'il intègre nombre de règles européennes, conserve néanmoins une spécificité et ne se limite pas à ces dernières. Ainsi la seule expérience professionnelle acquise dans l'application du droit européen ne répond pas aux critères de sélection de l'article 98 4° du décret du 27 novembre 1991.



Enfin il y a lieu de préciser que la charte sociale européenne ne concerne pas l'accès mais l'exercice de la profession et n'est donc pas applicable à la présente instance.



Il y a donc lieu de confirmer l'arrêté du 9 mai 2016 en ce qu'il a refusé l'inscription de Mme [E] au barreau parisien faute par elle de remplir les conditions de l'article 98-4 du décret du 27 novembre 1991.



PAR CES MOTIFS :



Dit n'y avoir lieu à question préjudicielle,



Confirme l'arrêté du 9 mai 2016,



Laisse les dépens à la charge de Mme [E],



Dit que la présente décision sera notifiée par le greffe aux parties par lettres recommandées avec accusé de réception.





LE GREFFIER,LE PRESIDENT,

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