14 January 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-22.984

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C200035

Titres et sommaires

PROCEDURE CIVILE - Intervention - Intervention volontaire - Intervention principale - Définition - Portée

Aux termes de l'article 329 du code de procédure civile, l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention. Viole ces dispositions une cour d'appel qui, sur l'intervention volontaire du Conseil national des barreaux dans une instance engagée par d'autres parties, objet d'un désistement, la déclare irrecevable au motif qu'elle n'est accessoire, alors que, s'agissant d'une personne morale investie de la défense des intérêts collectifs de la profession d'avocat, le Conseil national des barreaux, en formant une demande de dommages-intérêts, avait émis une prétention à son profit

AVOCAT - Conseil national des barreaux - Intervention principale - Intérêt à agir

ACTION EN JUSTICE - Intérêt - Association - Intérêts collectifs

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 janvier 2021




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 35 F-P+I

Pourvoi n° E 18-22.984






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 JANVIER 2021


Le Conseil national des barreaux, dont le siège est 180 boulevard Haussmann, 75089 Paris, a formé le pourvoi n° E 18-22.984 contre l'arrêt rendu le 18 juillet 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Eiffel, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est 4 rue Grimaldi, 06000 Nice,

2°/ au Syndicat des conseils opérationnels en optimisation, dont le siège est 8 rue du 19 mars 1962, 92110 Clichy,

3°/ à la société Professionnal cost management group limited, dont le siège est 50 Broadway, London SW1H (Royaume-Uni),

4°/ à la société Inventage Sp. Z O.O, dont le siège est Budynek Central Tower 81 X Pietro Aleje Jerozolimskie, 02001 Warszawa (Pologne),

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de Me Le Prado, avocat du Conseil national des barreaux, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Eiffel, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 novembre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Désistement partiel

1. Il est donné acte au Conseil national des barreaux du désistement partiel de son pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre le Syndicat des conseils opérationnels en optimisation, la société Professionnal cost management group limited et la société Inventage Sp. Z O.O.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 juillet 2018), la société Groupe Randstad France (la société Randstad) a conclu, le 17 avril 2009, un contrat avec la société Eiffel conseil (la société Eiffel) ayant pour objet de permettre à la société Randstad de réaliser des économies sur les charges liées à la rémunération du travail.

3. Le 5 février 2010, la société Eiffel a assigné la société Randstad devant un tribunal de commerce en paiement d'une somme au titre de ses honoraires d'intervention et en condamnation de celle-ci à lui verser des dommages-intérêts. La société Randstad a invoqué, reconventionnellement, la nullité de la convention pour exercice illégal, par la société Eiffel, d'une consultation juridique en violation des articles 54 et 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

4. Le Conseil national des barreaux (le CNB) est intervenu à l'instance et a sollicité la nullité de la convention pour les mêmes motifs ainsi que, notamment, l'allocation de la somme d'un euro en réparation de son préjudice moral sur le fondement de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le CNB reproche à l'arrêt de le déclarer irrecevable en son action, alors :

« 1°/ que le sort de l'intervention n'est pas lié à celui de l'action principale lorsque l'intervenant principal se prévaut d'un droit propre, distinct de celui invoqué par le demandeur principal ; que la cour d'appel a elle-même constaté que le CNB la « prie de condamner la société Eiffel conseil à [lui] verser la somme d'un euro symbolique en réparation de son préjudice moral sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil » ; que, pour déclarer irrecevable l'action du CNB, la cour d'appel a énoncé que son intervention ne peut être qualifiée que d'accessoire à la demande en nullité de la convention litigieuse formée par la société Randstad et qu'en raison de l'extinction de la demande originelle du fait du désistement de la société Randstad de sa demande de nullité, la demande accessoire a disparu ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que le CNB élevait une prétention indemnitaire à son profit, et qu'ainsi son intervention était principale, de sorte que son sort n'était pas lié à celui de l'action principale, la cour d'appel a violé l'article 329 du code de procédure civile ;

2°/ que le sort de l'intervention n'est pas lié à celui de l'action principale lorsque l'intervenant principal se prévaut d'un droit propre, distinct de celui invoqué par le demandeur principal ; que, dans ses écritures d'appel, le CNB a fait valoir qu'il élevait une prétention propre et que l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité ; qu'il en déduisait qu'il était tiers intéressé par la situation de fait créée par la convention passée entre les sociétés Eiffel conseil et Randstad, étant rappelé que, suivant l'article 21-1 de la loi 1971-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, il est un « établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale » et est « chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur ces éléments de nature à établir que le CNB élevait une prétention qui lui était propre et qu'ainsi son intervention volontaire principale était recevable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 329 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société Eiffel conteste la recevabilité du moyen, en soutenant qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

7. Cependant, le CNB ayant énoncé dans ses conclusions d'appel que son intervention était recevable, nonobstant le désistement de la société Randstad et qu'il élevait une prétention propre, le moyen, qui était dans le débat, n'est pas nouveau.

8. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 329 du code de procédure civile :

9. Aux termes de ce texte, l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.

10. Pour déclarer le CNB irrecevable en son action, l'arrêt retient que l'intervention de celui-ci ne peut qu'être accessoire à la demande en nullité de la convention formée par la société Randstad et que le désistement, qui a emporté extinction de la demande originelle au soutien de laquelle est intervenu le CNB, a fait disparaître la demande accessoire de ce dernier.

11. En statuant ainsi, alors que le CNB, personne morale investie de la défense des intérêts collectifs de la profession d'avocat, avait formé une demande de dommages-intérêts de sorte qu'il émettait une prétention à son profit, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. La société Eiffel demande, à titre subsidiaire, qu'en cas de cassation celle-ci soit limitée à l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts formée par le CNB, l'intervention demeurant irrecevable en ce qui concerne la demande de nullité de la convention.

13. Cependant, l'intervention principale du CNB le rendant demandeur à une instance distincte de celle engagée par la société Randstad, la décision doit être cassée en ce qu'elle a déclaré le CNB irrecevable en toutes ses demandes.

14. Elle doit également l'être, par application de l'article 624 du code de procédure civile, en ce qu'elle a condamné le CNB, solidairement aux dépens et à payer à la société Eiffel la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré le Conseil national des barreaux irrecevable en son action et l'a condamné aux dépens et à payer à la société Eiffel la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Eiffel aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eiffel et la condamne à payer au Conseil national des barreaux la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour le Conseil national des barreaux

LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué,

D'AVOIR déclaré le Conseil national des barreaux irrecevable en son action,

AUX MOTIFS QUE « sur la recevabilité de l'action du CNB, le Syncost conteste la recevabilité du CNB faute pour ce dernier d'établir la régularité de sa décision d'ester en justice ; que le CNB soutient que le désistement de la société Eiffel Conseil est sans effet sur son intervention et ses demandes puisqu'il n'a eu d'effets qu'entre ces deux parties et non à l'égard de la partie intervenante, le CNB et qu'il n'emporte pas l'extinction de l'intervention du CNB étranger à l'accord et qui a le droit de faire juger le mérite de ses prétentions ; qu'il ajoute qu'en vertu des articles 328, 329 et 330 du code de procédure civile, il élève une prétention propre et que l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité ; qu'il expose qu'il représente la profession d'avocats et qu'il a donc qualité pour agir dans les instances qui intéressent directement l'exercice de cette profession ; que le désistement intervenu entre la société Eiffel Conseil et Randstad n'entraîne pas l'extinction de l'intervention du CNB puisqu'il reste étranger à l'accord intervenu et a le droit de faire juger le mérite de ses prétentions ; que, ceci étant exposé, le CNB est intervenue en première instance aux fins de solliciter la nullité de la convention conclue entre la société Randstad France et la société Eiffel Conseil le 17 avril 2008 comme violant les dispositions de la loi n° 71-1130 du 31 juillet 1971 modifiée, demande qu'elle reprend en cause d'appel ; qu'en application de l'article 330 du code de procédure civile, l'intervention accessoire est nécessairement liée à la demande originaire ; qu'elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir une partie à l'instance ; que l'intervention du CNB ne peut être qualifiée que d'accessoire à la demande en nullité de cette même convention formée par la société Randstadt France ; qu'en raison de l'extinction de la demande originelle du fait du désistement de la société Randstadt de sa demande de nullité de la convention, la demande originelle au soutien de laquelle est intervenu le CNB s'est éteinte de sorte que le désistement a fait disparaître la demande accessoire de ce dernier ; qu'en conséquence, le CNB sera déclaré irrecevable en sa demande » ;

1°/ALORS, d'une part, QUE le sort de l'intervention n'est pas lié à celui de l'action principale lorsque l'intervenant principal se prévaut d'un droit propre, distinct de celui invoqué par le demandeur principal ; que la cour d'appel a elle-même constaté que le CNB la « prie de condamner la société Eiffel conseil à [lui] verser la somme d'un euro symbolique en réparation de son préjudice moral sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil » ; que, pour déclarer irrecevable l'action du CNB, la cour d'appel a énoncé que son intervention ne peut être qualifiée que d'accessoire à la demande en nullité de la convention litigieuse formée par la société Randstadt France et qu'en raison de l'extinction de la demande originelle du fait du désistement de la société Randstadt de sa demande de nullité, la demande accessoire a disparu ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que le CNB élevait une prétention indemnitaire à son profit, et qu'ainsi son intervention était principale, de sorte que son sort n'était pas lié à celui de l'action principale, la cour d'appel a violé l'article 329 du code de procédure civile ;

2°/ALORS, d'autre part et en toute hypothèse, QUE le sort de l'intervention n'est pas lié à celui de l'action principale lorsque l'intervenant principal se prévaut d'un droit propre, distinct de celui invoqué par le demandeur principal ; que, dans ses écritures d'appel (concl., p. 7), le CNB a fait valoir qu'il élevait une prétention propre et que l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité ; qu'il en déduisait qu'il était tiers intéressé par la situation de fait créée par la convention passée entre les sociétés Eiffel conseil et Randstad, étant rappelé que, suivant l'article 21-1 de la loi 1971-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, il est un « établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale » et est « chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur ces éléments de nature à établir que le CNB élevait une prétention qui lui était propre et qu'ainsi son intervention volontaire principale était recevable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 329 du code de procédure civile.

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