16 December 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-22.103

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2020:C100799

Titres et sommaires

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Effets internationaux des jugements - Exequatur - Effets - Etendue - Limites - Cas - Jugement d'adoption tunisien

L'adoption tunisienne produit en France les effets d'une adoption simple

FILIATION - Filiation adoptive - Adoption simple - Domaine d'application - Cas - Adoption tunisienne

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 décembre 2020




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 799 FS-P+I

Pourvoi n° T 19-22.103




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2020

1°/ M. U... B...,

2°/ Mme K... M..., épouse B...,

domiciliés [...] ,

ont formé le pourvoi n° T 19-22.103 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2019 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre A), dans le litige les opposant au procureur général près de la cour d'appel de Rennes, domicilié en son parquet général, place du Parlement de Bretagne, CS 66423, 35064 Rennes cedex, défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. et Mme B..., et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller faisant fonction de doyen, M. Hascher, Mmes Bozzi, Auroy, Poinseaux, Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 1er juillet 2019), un jugement du 16 avril 2015 du tribunal cantonal de Tunis (Tunisie) a validé l'adoption de l'enfant E... D..., née le [...] 2014 à T... (Tunisie) par M. B... et Mme M..., son épouse, et dit que l'enfant s'appellerait désormais X... O.... Ces derniers ont saisi le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de transcription, soutenant que le jugement tunisien produisait les effets de l'adoption plénière.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. et Mme B... font grief à l'arrêt de dire que le jugement du tribunal cantonal de Tunis du 16 avril 2015 validant l'adoption de l'enfant E... D... née le [...] 2014 à T... produira en France les effets d'une adoption simple et de rejeter leur demande tendant à ce que l'enfant porte le nom de B... M..., alors :

« 1°/ que l'arrêt attaqué a constaté que l'enfant est née de père inconnu, qu'elle a été abandonnée par sa mère à l'Institut national de la protection de l'enfance tunisien, qu'aux termes de son acte écrit d'abandon la mère a certifié avoir abandonné l'enfant de sa propre volonté et de façon définitive, que par jugement du 27 mars 2015 il a été décidé du placement de l'enfant à titre définitif auprès de l'Institut national de la protection de l'enfance tunisien, et que ce dernier, par attestation du 21 avril 2015, a certifié que l'enfant était abandonnée par ses parents, sans attache familiale et pupille de l'Etat, et que suite à la rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant de l'enfant le directeur de l'Institut avait donné son consentement définitif et irrévocable à l'adoption par M. et Mme B... pour une adoption plénière de droit français ; qu'il en résultait que le lien préexistant de filiation de l'enfant a été totalement et irrévocablement rompu, peu important que l'adoption elle-même fût révocable, de sorte que l'adoption litigieuse remplissait les conditions posées par l'article 370-5 du code civil pour produire en France les effets d'une adoption plénière ; qu'en jugeant que le lien préexistant de filiation n'avait pas été totalement et irrévocablement rompu parce que l'adoption elle-même était révocable si bien qu'elle produisait en France les effets d'une adoption simple, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 370-5 du code civil, qu'elle a ainsi violé ;

2°/ que l'arrêt de la cour d'appel de Tunis du 14 février 1980 concernait des enfants majeurs ayant donné leur accord pour la rétractation du jugement d'adoption, et qu'il était ancien, isolé et non confirmé par une autre jurisprudence ; qu'ils ajoutaient que l'arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 9 novembre 2011 était relatif à des enfants en danger victimes de mauvais traitements de la part des adoptants, que dès lors la « rétractation » du jugement d'adoption devait plutôt s'analyser comme une procédure de retrait de l'autorité parentale, que la traduction française de cette décision était confuse et approximative, et qu'il leur était impossible de la vérifier puisque l'original en arabe n'était pas produit ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Aux termes de l'article 370-5 du code civil, l'adoption régulièrement prononcée à l'étranger produit en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant. A défaut, elle produit les effets de l'adoption simple. Elle peut être convertie en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause.

4. L'arrêt énonce que la loi tunisienne du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à l'adoption, qui autorise l'adoption, ne précise pas expressément si celle-ci a pour effet de rompre le lien de filiation avec les parents par le sang ni si elle est révocable. Il relève qu'il résulte cependant d'un arrêt de la cour d'appel de Tunis du 14 février 1980 et d'un arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 2 novembre 2011 que ces juridictions ont interprété cette loi comme permettant la révocation de l'adoption. Il en déduit que l'adoption tunisienne ne rompt pas de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant.

5. La cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande de conversion de l'adoption simple en adoption plénière mais d'une demande de transcription, en a exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la décision tunisienne produirait en France les effets d'une adoption simple.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme B... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. et Mme B...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le jugement du tribunal cantonal de Tunis du 16 avril 2015 validant l'adoption de l'enfant E... D... née le [...] 2014 à T... produirait en France les effets d'une adoption simple, et d'avoir rejeté la demande de monsieur et madame B... tendant à ce que l'enfant porte le nom de B... M... ;

aux motifs qu'« aux termes de l'article 370-5 du code civil, "l'adoption régulièrement prononcée à l'étranger produit en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant. A défaut, elle produit les effets de l'adoption simple" ; qu'il résulte de l'article 13 de la loi tunisienne du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à l'adoption, que "l'acte d'adoption est établi par un jugement rendu par le juge Cantonal siégeant en son cabinet en présence de l'adoptant, de son conjoint, et s'il y a lieu, des père et mère de l'adopté, ou du représentant de l'autorité administrative investie de la tutelle publique de l'enfant, ou du tuteur officieux. Le juge Cantonal, après s'être assuré que les conditions requises par la loi sont remplies, et avoir constaté le consentement des parties en présence, rend le jugement d'adoption. Le jugement ainsi rendu est définitif. Un extrait de jugement d'adoption est transmis, dans les 30 jours à l'officier de l'état civil territorialement compétent, qui le transcrira en marge de l'acte de naissance de l'adopté" ; que l'article 14 de cette même loi prévoit que "l'adopté prend le nom de l'adoptant et il peut changer de prénom, mention en sera faite dans le jugement d'adoption à la demande de l'adoptant, et son article 15 que l'adopté a les mêmes droits et les mêmes obligations que l'enfant légitime, que l'adoptant a, vis-à-vis de l‘adopté, les mêmes droits que la loi reconnaît aux parents légitimes et les mêmes obligations qu'elle leur impose, et que toutefois, si les parents naturels de l'adopté sont connus les empêchements au mariage, visés aux articles 14,15,15 si 17 du code du statut personnel, subsistent" ; que pour dire que l'adoption prononcée avait les effets d'une adoption plénière de droit fiançais le premier juge a constaté que le juge aux affaires familiales du tribunal de première instance de T... avait relevé que la mère d'E... avait exprimé son désir de renoncer à son nouveau-né et que l'enfant avait été placé auprès de l'institut national de la protection de l'enfance tunisien à titre définitif, cet abandon judiciairement constaté avant le début de la procédure d'adoption ayant rompu tout lien de droit entre la mère et l'enfant. Le premier juge a également retenu que l'étendue et la portée du consentement donné par le directeur de l'institut national de la protection de l'enfance ne souffrait par ailleurs d'aucune ambiguïté. M. B... et Mme M... rétorquent qu'il ne résulte pas de l'acte d'abandon ni d'aucun document ou certificat que l'abandon par la mère biologique n'aurait été donné que pour une adoption simple, la mère en abandonnant son enfant à l'institut national de la protection de l'enfance pouvant légitimement penser que ce dernier pourrait faire l'objet d'une adoption internationale. Ils font valoir que l'adoption a été prononcée à partir de l'institut national de la protection de l'enfance et que le tuteur légal de l'enfant a donné son consentement à une adoption plénière au sens du droit fiançais de manière éclairée. Ils exposent former avec X... O... une famille-ayant noué des liens indéfectibles, affirmant que la décision du procureur de la République de s'opposer à la transcription du jugement d'adoption plénière a pour conséquence d'empêcher la reconnaissance pleine et entière du lien de filiation au plan légal, X... O... se retrouvant notamment dépourvue de documents légaux. Le ministère public expose qu'il ressort des articles 13, 14 et 15 de la loi tunisienne du 4 mars 1958 que l'adoption tunisienne rompt les liens de filiation avec la famille d'origine par un jugement définitif et que, produisant des effets voisins de l'adoption plénière française, les demandeurs en déduisent qu'elle doit y être assimilée. Le ministère public soutient que la loi du 4 mars 1958 ne contient cependant aucune disposition relative à l'irrévocabilité de l'adoption, et qu'au regard de la jurisprudence des juridictions tunisiennes, l'adoption consacrée par la législation est révocable et ne peut donc produire en-France que les effets d'une adoption simple. Il estime que la nature des consentements donnés à l'adoption par la mère biologique et par le représentant légal ne change rien à cette qualification ; qu'il ressort des éléments versés aux débats que, née de père inconnu, l'enfant a été abandonnée par sa mère, Mme N... D..., le 26 novembre 2014 à l'institut national de la protection de l'enfance tunisien ; qu'aux termes de la déclaration d'abandon Mme D... atteste avoir abandonné son enfant biologique de sa propre volonté et de manière définitive ; que par jugement en date du 27 mars 2015 le tribunal de première instance de T... a décidé du placement d'E... à l'institut national de la protection de l'enfance à titre définitif ; que par jugement en date du 16 avril 2015, le tribunal cantonal de Tunis a validé l'adoption de l'enfant E... et déclaré que cette dernière était désormais la fille des époux B... ; qu'aux termes d'une attestation en date du 21 avril 2015 la protection de l'enfance a certifié que l'enfant E..., abandonnée par parents et sans attache familiale, était pupille de l'Etat ; que dans cette attestation il est également indiqué que l'enfant E... est la charge de M. B... et Mme M... en vue d'une adoption plénière au sens du droit fiançais avec le consentement définitif et irrévocable du directeur suite à la rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant de l'enfant ; que toutefois les dispositions de la loi tunisienne du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à l'adoption ne précisent pas le caractère irrévocable de l'adoption ; que l'article 16 de la même loi prévoit que "le Tribunal de Première Instance peut, à la demande du Procureur de la République, retirer la garde de l'adopté à l'adoptant qui a failli gravement à ses obligations et la confier à une autre personne, en tenant compte de l'intérêt de l'enfant" ; qu'il résulte des pièces produites que la cour d'appel de Tunis dans, un arrêt du 14 février 1980 a clairement affirmé que l'adoption était révocable et la Cour de cessation tunisienne, dans un arrêt du 2 novembre 2011 a également interprété les textes comme permettant la révocation de l'adoption. Il en ressort que l'adoption tunisienne ne rompt pas de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant et ne peut donc produire en France que les effets d'une adoption simple conformément aux dispositions de l'article 370-5 du code civil ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement rendu le 12 avril 2018 par le tribunal de grande instance de Nantes en ce qu'il a dit que l'adoption prononcée avait les effets d'une adoption plénière en droit français et en ce qu'il a ordonné la transcription sur le fondement de l'article 354 du code civil, et dire que le jugement tunisien a les effets d'une adoption simple ; qu'il ne peut être fait droit à la demande d'adjonction des deux paronymes des parents sur le fondement de l'article 357-1 du code civil puisque ce texte s'applique à l'adoption plénière » ;

alors 1°/ que l'arrêt attaqué a constaté que l'enfant est née de père inconnu, qu'elle a été abandonnée par sa mère à l'Institut national de la protection de l'enfance tunisien, qu'aux termes de son acte écrit d'abandon la mère a certifié avoir abandonné l'enfant de sa propre volonté et de façon définitive, que par jugement du 27 mars 2015 il a été décidé du placement de l'enfant à titre définitif auprès de l'Institut national de la protection de l'enfance tunisien, et que ce dernier, par attestation du 21 avril 2015, a certifié que l'enfant était abandonnée par ses parents, sans attache familiale et pupille de l'Etat, et que suite à la rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant de l'enfant le directeur de l'Institut avait donné son consentement définitif et irrévocable à l'adoption par monsieur et madame B... pour une adoption plénière de droit français ; qu'il en résultait que le lien préexistant de filiation de l'enfant a été totalement et irrévocablement rompu, peu important que l'adoption elle-même fût révocable, de sorte que l'adoption litigieuse remplissait les conditions posées par l'article 370-5 du code civil pour produire en France les effets d'une adoption plénière ; qu'en jugeant que le lien préexistant de filiation n'avait pas été totalement et irrévocablement rompu parce que l'adoption elle-même était révocable si bien qu'elle produisait en France les effets d'une adoption simple, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 370-5 du code civil, qu'elle a ainsi violé ;

alors 2°/ que l'arrêt de la cour d'appel de Tunis du 14 février 1980 concernait des enfants majeurs ayant donné leur accord pour la rétractation du jugement d'adoption, et qu'il était ancien, isolé et non confirmé par une autre jurisprudence (conclusions de monsieur et madame B..., p. 6) ; qu'ils ajoutaient que l'arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 9 novembre 2011 était relatif à des enfants en danger victimes de mauvais traitements de la part des adoptants, que dès lors la « rétractation » du jugement d'adoption devait plutôt s'analyser comme une procédure de retrait de l'autorité parentale, que la traduction française de cette décision était confuse et approximative, et qu'il leur était impossible de la vérifier puisque l'original en arabe n'était pas produit (conclusions de monsieur et madame B..., p. 6) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

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