16 December 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-15.927

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2020:SO01241

Texte de la décision

SOC.

COUR DE CASSATION



LG


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 16 décembre 2020




NON-LIEU A RENVOI


M. CATHALA, président



Arrêt n° 1241 FS-D

Pourvois n° A 20-15.927
A 20-15.950
C 20-15.952
A 20-15.973
N 20-15.984 JONCTION





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 DÉCEMBRE 2020

Par mémoire spécial présenté le 22 septembre 2020, la société Ugitech, société anonyme, dont le siège est [...] , a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion des pourvois n° A 20-15.927, A 20-15.950, C 20-15.952, A 20-15.973 et N 20-15.984 formés contre cinq arrêts rendus le 21 janvier 2020 par la cour d'appel de Chambéry (chambre sociale), dans une instance l'opposant respectivement :

1°/ à Mme J... R..., domiciliée [...] ,

2°/ à Mme E... S..., domiciliée [...] ,

3°/ à Mme N... I..., domiciliée [...] ,

4°/ à Mme U... M..., domiciliée [...] ,

5°/ à Mme J... Q..., domiciliée [...] ,

défenderesses à la cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Capitaine, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Ugitech, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mmes R..., S..., Q..., M... et I..., les observations écrites de Mme Molina, avocat général référendaire, et l'avis oral de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 novembre 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Capitaine, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, M. Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Gilibert, conseillers, M. Duval, Mmes Valéry, Pecqueur, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 20-15.927, A 20-15.950, C 20-15.952, A 20-15.973 et N 20-15.984 sont joints.

Faits et procédure

2. La société Ugitech (la société), ayant pour activité principale les fabrication, transformation et vente de tous produits métallurgiques et notamment les produits en acier inoxydable, a été inscrite pour le site d'Ugine sur la liste des établissements de fabrication, de flocage et de calorifugeage à l'amiante et ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), pour la période allant de 1967 à 1996, par arrêté du 23 décembre 2014, publié le 3 janvier 2015.

3. Mme R... et quatre autres salariées de la société ont saisi la juridiction prud'homale en réparation d'un préjudice d'anxiété.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. A l'occasion des pourvois formés contre les arrêts rendus le 21 janvier 2020 par la cour d'appel de Chambéry, faisant droit aux demandes des salariées, la société a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Le classement d'un établissement au dispositif de préretraite amiante prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 suppose simplement que l'exercice d'activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante aient présenté « un caractère significatif », de sorte que le classement peut intervenir alors même que l'utilisation d'amiante n'a concerné que certaines activités et une minorité de salariés de l'établissement et qu'un grand nombre d'entre eux n'ont pas, compte tenu de leurs fonctions, été exposés au risque d'inhalation au sein de l'établissement pendant la période visée par l'arrêté de classement. Dans ces conditions, l'article 41 de la loi n° 98-1194, tel qu'il est interprété par la Cour de cassation, comme instaurant, au profit de tout salarié ayant travaillé dans un établissement classé ACAATA au cours de la période visée par arrêté ministériel, un droit automatique à indemnisation d'un préjudice d'anxiété, fondé sur une présomption irréfragable de responsabilité de l'employeur que ce dernier n'est pas autorisé à renverser en démontrant que, compte tenu de la configuration de l'établissement et des postes occupés, le salarié n'a pas été exposé au risque de développer une pathologie liée à l'amiante, est-il conforme :

- au principe de responsabilité, garanti par l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont il résulte que les règles de responsabilité doivent être justifiées par un intérêt légitime et proportionnées au but recherché (Cons. Const., 31 juillet 2015, n° 2015-479 DC ; Cons. Const. 22 janv. 2016, n° 2015-517 QPC),

- au droit au procès équitable, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui impose que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. La disposition contestée est l'article 41 de la loi n° 98-1194 qui, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, dispose :

« I.- Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes :

1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif ;

2° Avoir atteint l'âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans ;

3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget. »

6. La chambre déduit de cette disposition que le salarié qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, et se trouve, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, subit un préjudice spécifique d'anxiété.

7. La disposition ainsi interprétée est applicable au litige.

8. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

9. Cependant, d'une part, la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

10. D'autre part, la disposition législative en cause telle qu'interprétée ne heurte aucun des principes constitutionnels invoqués dès lors que l'indemnisation du préjudice d'anxiété qui repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, en premier lieu n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité et en second lieu ne prive pas l'employeur d'un recours effectif dès lors notamment qu'il peut remettre en cause devant le juge compétent l'arrêté ministériel.

11. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt.

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