16 January 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/08348

Pôle 5 - Chambre 6

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRÊT DU 16 JANVIER 2019



(n° 2019/32, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/08348 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B25D2



Décisions déférées à la Cour :

Jugement du 25 octobre 2012 - Tribunal de grande instance de Paris - RG n° 10/11965

Arrêt du 10 février 2015 - Cour d'appel de Paris - RG n° 12/20920

Arrêt du 22 Février 2017 - Cour de Cassation de [Localité 1] - pourvoi n° D 15-18.371





DEMANDEURS À LA SAISINE



[W] [N] décédé le [Date décès 1] 2018



Madame [N] [N] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritier de M. [W] [N] et de Mme [X] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 2]



Monsieur [X] [N] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritier de M. [W] [N] et de Mme [X] [N]

La [T]

[Adresse 3]



Monsieur [G] [N] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritier de M. [W] [N] et de Mme [X] [N]

La Gatarié Haute

[Adresse 4]



Monsieur [U] [N] agissant en qualité d'héritier de M. [W] [N] et de Mme [X] [N]

Né le [Date naissance 1] 1999 à VERSAILLES (78)

[Adresse 1]

[Adresse 2]

intervenant volontaire



Monsieur [Z] [N] agissant en qualité d'héritier de M. [W] [N] et de Mme [X] [N]

Né le [Date naissance 1] 1996 à TOULOUSE (31)

La Gatarié Haute

[Adresse 4]

intervenant volontaire



Madame [D] [N] agissant en qualité d'héritier de M. [W] [N] et de Mme [X] [N]

Née le [Date naissance 2] 1997 à TOULOUSE (31)

La Gatarié Haute

[Adresse 4]

intervenante volontaire



Monsieur [B] [N] agissant en qualité d'héritier de M. [W] [N] et de Mme [X] [N]

Né le [Date naissance 3] 2000 à CASTRES (81)

La Gatarié Haute

[Adresse 4]

intervenant volontaire



Représentés par Me [L] [X], avocat au barreau de PARIS, toque : R019





DÉFENDERESSE À LA SAISINE



SA CA INDOSUEZ WEALTH FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de [Localité 1] sous le numéro 572 171 635

[Adresse 5]

[Adresse 6]



Représentée par Me [X]-genêt KIENER de l'ASSOCIATION HASCOET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0577







COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 12 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame [X] CHANDELON, Présidente de chambre

Monsieur Marc BAILLY, Conseiller

Madame Pascale GUESDON, Conseillère

qui en ont délibéré,



Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.



Greffier, lors des débats : Madame Anaïs CRUZ





ARRÊT :



- contradictoire,



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,



- signé par [X] CHANDELON, Présidente de chambre et par Anaïs CRUZ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.



*****



MM. [W], [X] et [G] [N], [X] [N] et Mme [N] [N] ont souscrits auprès de deux assureurs, par l'intermédiaire de la société Banque de gestion privée d'investissements Indosuez, intervenue en qualité de courtier et devenue la société CRÉDIT AGRICOLE Indosuez Private Banking, désormais dénommée CRÉDIT AGRICOLE Indosuez Wealth (France), (la banque) dont ils étaient clients, plusieurs contrats d'assurance-vie en unités de compte composés de parts de différents fonds de placement.



Le 21 décembre 2005, à la suite de propositions de la banque, chacun des consorts [N] a modifié la composition des unités de compte et acquis des parts du fonds commun de placement Indosuez Alpha long terme (le fonds Alpha).



A l'automne 2008, la banque leur a recommandé de procéder à un désinvestissement et de céder la totalité des parts du fonds Alpha.



Soutenant avoir subi des pertes en capital à la suite des investissements puis désinvestissement dans le fonds Alpha, résultant de fautes de la banque, les consorts [N] ont assigné celle-ci en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Paris par acte en date du 29 juillet 2010.



Par jugement en date du 25 octobre 2012, le tribunal a rejeté toutes leurs demandes et les a condamnés à payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



MM. [W], [X] et [G] [N] et ainsi que Mmes [N] [N] et [X] [N] ont interjeté appel et les quatre premiers sont ensuite intervenus en leurs qualités d'héritiers de [X] [N], décédée le [Date décès 2] 2014.



Par arrêt du 10 février 2015, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement, retenu que la banque a commis une faute en leur délivrant une information erronée sur l'exposition au risque du fonds Alpha et qu'elle devait réparation de leur préjudice et a :

- condamné la société Banque de gestion privée d'investissements Indosuez, devenue la société CRÉDIT AGRICOLE Indosuez Private Banking, à verser, avec intérêt au taux légal à compter de la date d'assignation et anatocisme, à :

- Mme [X] [N] : 10 408 euros ;

- M. [W] [N] : 500 922 euros ;

- Mme [N] [N] : 152 496 euros ;

- M. [X] [N] : 367 462 euros ;

- M. [G] [N] : 138 031 euros ;

- rejeté les demandes d'indemnisation au titre du préjudice moral formées par les consorts [N] ;

- condamné la société Banque de gestion privée d'investissements Indosuez, devenue la société CRÉDIT AGRICOLE Indosuez Private Banking, à verser aux consorts [N] la somme globale de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Statuant sur le pourvoi formé par la société CRÉDIT AGRICOLE Indosuez Private Banking, la Cour de cassation, par arrêt du 22 février 2017, a cassé, sauf en ce qu'il rejette les demandes d'indemnisation au titre du préjudice moral des consorts [N], l'arrêt et renvoyé les autres points de la cause devant la cour d'appel de Paris autrement composée, aux motifs que :



'pour condamner la banque à payer diverses sommes à chacun des consorts [N], l'arrêt retient que la banque a commis une faute en leur délivrant une information erronée sur l'exposition au risque du fonds Alpha et leur doit réparation de leur préjudice, qui s'analyse en une perte de chance qui sera évaluée compte tenu, d'une part, de la différence entre les sommes investies par chacun d'entre eux dans le fonds litigieux et celles auxquelles les parts ont été revendues, d'autre part, de ce que les supports délaissés par les consorts [N] pour le fonds litigieux étaient eux aussi des fonds communs de placement sans garantie de gains et, enfin, du contexte de crise dans lequel les performances négatives du fonds ont été réalisées ;



Qu'en se déterminant ainsi, sans constater que ces contrats avaient été rachetés au jour où elle statuait et que les pertes alléguées avaient été effectivement réalisées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale'.



Les consorts [N] ont saisi la cour de renvoi par déclaration du 21 mars 2017.



Par leurs dernières conclusions en date du 28 juin 2018, d'une part, MM. [X] et [G] [N] et ainsi que Mme [N] [N] agissant tant personnellement qu'en leurs qualités d'héritiers de [X] [N], décédée le [Date décès 2] 2014 mais aussi de [W], décédé le [Date décès 1] 2018, et, d'autre part, MM. [U], [Z] et [B] [N], ainsi que Mme [D] [N], intervenant volontairement en leurs qualités de bénéficiaires de certains des contrats d'assurance-vie de leurs grands-parents décédés, font valoir :



- que le tribunal a méconnu la nature du litige en attribuant leurs pertes aux effets de la crise financière de 2008 sans considération des fautes de la banque,



- qu'en effet, celle-ci les a fautivement incités, au moment de la formation du contrat alors qu'elle était débitrice d'une obligation de conseil tenant compte de leurs objectifs et de leurs personnalités, à souscrire au fonds Alpha sans les informer, premièrement, de ce qu'il n'avait été créé que deux années auparavant ce qui n'offrait aucun recul sur son appréciation et, deuxièmement, que le modèle de gestion prétendument ultra sécuritaire vanté était purement théorique et n'avait jamais été confronté à la réalité d'une crise importante,



- qu'elle s'est fautivement abstenue de les mettre en garde en leur vantant un fonds sans risque particulier alors que la banque méconnaissait elle-même les risques majeurs que faisaient encourir leur souscription, les actifs, en réalité ultra spéculatifs et nullement sécuritaires, ayant globalement chuté de 62% au cours de l'année 2008,



- qu'alors que la description de l'orientation de gestion des années 2005 à 2007 insiste exclusivement sur l'absence d'exposition aux risques et à l'évolution des marchés, la banque a opéré un virage à 180 degrés en 2008 en énonçant que le fonds évolue principalement au gré des marchés, alors même qu'elle avait insisté sur l'éligibilité du fonds au contrat souscrit par M. [X] [N], de nature à asseoir son caractère sécuritaire puisqu'il est prévu, dans cette hypothèse, une garantie en capital, que la banque leur a caché la grande volatilité du fonds et son exposition aux marchés,



- que la banque, non sans augmenter ses frais de gestion, au moment de l'exécution du contrat en 2008, les a fautivement incités à s'en retirer alors qu'une augmentation de 40% est ensuite survenue au cours de l'année 2009, ce qui montre derechef sa méconnaissance des risques du produit et de son exposition,



- que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, ils ne sont pas des investisseurs avertis, ce que montrent leurs parcours et leurs investissements précédents, et que cette circonstance est, en tout état de cause, hors de propos relativement non à un défaut d'information sur le risque mais à un manquement de la banque à son obligation dans la présentation aberrante du produit et à son obligation de conseil dès lors qu'il n'incombe pas à un investisseur, même averti, de corriger les erreurs de la banque,



- que les consorts [N] ne recherchaient pas un investissement à risque en 2008 puisque le fonds Alpha leur était présenté comme ultra sécuritaire et qu'il est vain d'arguer de la composition de leur portefeuille en 2010 à cet effet,



- que la banque a commis un manquement à son obligation d'information mais également une faute dolosive dans la formation du contrat en vantant la sécurité du produit qu'elle ne maîtrisait pas et qui était ultra spéculatif, qu'elle a manqué à son devoir d'information et de conseil tant en recommandant l'investissement en 2005 que le subit désinvestissement en 2008,



- que l'arrêt de la Cour de cassation du 22 février 2017 a seulement relevé une insuffisance de motifs sur la perte de chance réparable constituée d'une disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable,



- que les contrats de [W] et [X] [N], décédés en cours de procédure, ont été dénoués et les fonds versés aux bénéficiaires héritiers qui sont les appelants, que Mme [N] [N] a dénoué deux des quatre contrats volontairement et reçu les fonds correspondants, qu'ils peuvent donc démontrer qu'ils ont reçu, au titre des contrats dénoués, une somme inférieure à celle qu'ils auraient dû recevoir en l'absence de faute,



- que les contrats de M. [X], [G] [N] et les deux subsistants de Mme [N] [N] n'ont pas été dénoués mais que la valeur diminuée des parts dans le fonds, même ensuite nouvellement investie dans des produits ayant augmenté ne laisse pas moins subsister un préjudice du fait de cette diminution par la privation de la faculté de réinvestir ainsi une valeur non diminuée, que les fautes de la banque sur l'achat puis la revente des parts du fonds vont figer la perte en valeur des unités de compte, la différence étant de 30% de chute de la valeur de leur part, sans caractérisation cependant d'un préjudice complémentaire de moindre plus value des nouveaux investissements à défaut de dénouement des contrats,



- qu'ainsi, pour les contrats dénoués, il y a lieu de réparer le préjudice par la comparaison entre le rapport à 3% de la somme investie initialement et la différence entre la valeur d'achat et de revente dans le fonds puis, enfin d'une diminution de 1% à raison de la perte de chance,



- que, pour les contrats non dénoués, il y a une perte définitive par différence entre la valeur d'achat et de revente, qui sera ressentie au moment des dénouements des contrats, avec application de la perte de chance,



- qu'il y a lieu de tenir compte des droits successoraux et de ceux des petits enfants bénéficiaires des contrats d'assurance-vie directement ou à la suite de la renonciation de leurs parents en leur faveur, de sorte qu'ils demandent à la cour :

- de condamner le Crédit Agricole Indosuez Wealth France à payer :

- à Mme [N] [N] la somme de 559 447 euros,

- à M. [X] [N] la somme de 825 331 euros,

- à M. [G] [N] la somme de 498 477 euros,

- à M. [U] [N] la somme de 65 325 euros,

- à M. [Z] [N] la somme de 65 779 euros,

- à Mme [D] [N] la somme de 65 779 euros,

- à M. [B] [N] la somme de 65 325 euros,

- d'assortir ces condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de l'assignation et de l'anatocisme,

- de condamner le Crédit Agricole Indosuez Wealth France à payer, à chacun, à MM. [X] et [G] [N] et ainsi que Mme [N] [N] une somme de 40 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner le Crédit Agricole Indosuez Wealth France à payer, à chacun, à MM. [U], [B] et [Z] [N] et ainsi qu'à Mme [D] [N] une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ses dernières conclusions en date du 7 septembre 2018, la société CRÉDIT AGRICOLE Indosuez Wealth (France), anciennement dénommée CRÉDIT AGRICOLE Indosuez Private Banking, fait valoir :



- qu'elle est intervenue en qualité de courtier lors des investissements des consorts [N] par souscription de contrats d'assurance-vie auprès de la société la Mondiale Partenaire et La Hénin qui ont fait, ultérieurement, l'objet des arbitrages critiqués,



- qu'il ressort des produits d'investissement détenus par les consorts [N] préalablement à celui fait dans le fonds Alpha, notamment en supports libellés en unité de compte, des investissements pratiqués au jour de la souscription des contrats d'assurance-vie, de la nature des échanges entre elle et les consorts [N], de leurs qualifications professionnelles qu'ils sont des investisseurs avertis, expérimentés et enclins à prendre des risques dans le cadre de la gestion de leurs avoirs,



- que c'est à tort qu'un manquement à son devoir d'information lui est reproché puisque la faible volatilité de 0,5 sur une échelle de 7 figurant sur la proposition d'investissement ne concerne pas le fonds Alpha mais l'ensemble du contrat d'assurance-vie de M. [G] [N], constitué à 80% de supports en euros, 6% de volatilité étant stipulés dans une autre proposition du même jour sur un autre contrat de ce même client, d'où le classement 'sécurité' encore une fois de l'ensemble du contrat et non du seul fonds Alpha, la présentation d'un risque réduit qui lui est imputée n'étant donc pas établie,



- qu'au contraire les fiches descriptives du produit fonds Alpha datées des mois de novembre 2005 et décembre 2006, annexées aux propositions d'investissement, étaient claires sur les risques encourus y compris au moyen de graphiques de performance négative passées, et mentionnent des frais de gestion non perçus par elle mais par le gestionnaire du fonds, les risques ne pouvant être ignorés des consorts [N], de même que l'absence de garantie des gains espérés selon l'objectif énoncé et le défaut de risque en capital qui est évident s'agissant d'un support en unité de compte et parfaitement en accord avec la recherche de plus values par eux que la constitution de leur portefeuille, en 2014 et encore en 2017, montre encore,



- qu'elle n'a commis aucune faute lorsqu'elle a conseillé, au cours d'une réunion du 18 octobre 2008, des désinvestissements après la crise financière de subprimes 2008, qui concernait au demeurant également d'autres supports, compte tenu de la situation d'alors, la prudence exigeant tout au contraire cette réaction, qui n'a pas été suivie par M. [G] [N] quant aux valeurs de report qu'il a choisies plus risquées et en dehors de ses préconisations,



- que la Cour de cassation a relevé que le préjudice à hauteur des moins values constatées au jour de la cession des unités de compte n'était pas justifié puisque les contrats d'assurance-vie n'avaient pas fait l'objet d'un rachat,



- qu'en matière de conseil en investissement, le préjudice est une perte de chance d'avoir pu mieux investir ses capitaux, au demeurant aléatoire, et non la perte liée à l'investissement effectivement réalisé, que la date d'évaluation du préjudice est celle ou le juge statue et que le préjudice réparable ne peut être qu'éventuel, raison pour laquelle le souscripteur d'une assurance-vie ne peut en justifier tant que le contrat n'a pas été racheté ou dénoué, comme le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt sur renvoi duquel il est statué, date à laquelle le préjudice doit être évalué en considération de l'évolution de l'épargne jusqu'alors et des chances existantes de mieux investir,



- que sur les 14 contrats des consorts [N], seuls 5 ont été dénoués 2 de [W] [N] et 1 de [X] [N] à la suite de leurs décès et 2 de Mme [N] [N] à la suite de leur rachat, le débouté s'imposant pour les autres, faute de caractère certain du préjudice,



- que pour les contrats dénoués, aucune justification n'est produite par les appelants sur le calcul du préjudice de sorte qu'il doit en être déduit qu'il y a lieu de se reporter aux calculs de M. [K], expert auquel ils ont eu recours, qui est pourtant incohérent compte tenu de l'attitude des consorts [N] lors du désinvestissement et de la conjoncture prévalant alors de 2005 à 2008 puisqu'il simule des investissements, en pleine crise effectués sur des supports en unité de compte, soumis à l'évolution des marchés, rapportant 3%,



- qu'il doit, en revanche, être tenu compte de l'évolution des supports choisis par les consorts [N] après désinvestissements qui, jusqu'au 31 décembre 2012, montrent des valorisations supérieures à celle qu'a connu le fonds Alpha, la baisse de ce dernier en 2008 ayant été largement compensée et neutralisée par les réinvestissements opérés, ce qui montre le défaut de préjudice issu du conseil de désinvestir en 2008,



- que tant que le contrat n'est pas dénoué, l'épargne constituée n'appartient pas à l'investisseur, qui ne dispose que d'un droit de créance, mais à l'assureur, qu'elle évolue en fonction des supports et que leur modification ne cristallise aucune moins-value jusqu'au terme du contrat, et donc aucune préjudice,



- que M. [X] et [G] [N] n'ont toujours pas dénoué leur contrat, que subsidiairement, la cour devrait apprécier leurs préjudices au moment où elle statue, et que les arbitrages sur le fonds Alpha n'ont cristallisé aucune moins-value, leur préjudice étant inexistant compte tenu de la valorisation ultérieure due aux arbitrages puisqu'il n'y a eu ni perte en capital ni gain manqué, sous peine d'un enrichissement sans cause,



- que relativement aux contrats des de cujus, les demandes ont connu une inflation au gré des conclusions et ne tiennent pas compte des valeurs qui ont remplacé le fonds Alpha et de leur appréciation considérablement supérieure à l'évolution du fonds Alpha et des effets généraux de la crise, la démonstration de la moins value par investissement dans le fonds Alpha n'étant pas justifiée au regard des plus values considérables des contrats,



- que s'agissant des deux contrats rachetés par Mme [N] [N], les moins values latentes ne sont pas une perte en capital, il y a lieu de tenir compte d'une perte de chance et d'un lien de causalité avec la faute alors qu'elle n'a pas suivi les conseils en réinvestissement prodigués qui lui auraient permis de bénéficier de l'appréciation des marchés, le rapport [K] étant toujours aussi critiquable, de sorte qu'elle demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de débouter les consorts [N] de leurs demandes,

- de les condamner à lui payer la somme de 25 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture rendue le 2 octobre 2018.






MOTIFS



Sur la responsabilité



Il est constant que chacun des consorts [N] partie initialement au présent litige avait souscrit, à des dates différentes, des contrats d'assurance-vie par l'intermédiaire de la société alors dénommée Banque de Gestion Privée Indosuez qui ne s'était pas vue attribuer de mandat de gestion mais les conseillait dans leurs investissements, de sorte qu'en sa qualité de prestataire de services d'investissement, définie par les articles L.321-1 et L.531-1 du code monétaire et financier dans leur version alors applicable, elle était redevable envers ses clients d'une obligation d'information sur les caractéristiques des produits qu'elle leur proposait, d'une obligation de conseil sur leur adéquation à leur situation personnelle et à leurs attentes et, le cas échéant et sous réserve de la qualité d'investisseurs avertis de ces clients, d'un devoir de mise en garde sur les risques encourus.



En l'espèce, il est notamment reproché par les consorts [N] à la banque d'avoir manqué à son devoir d'information sur les caractéristiques essentielles d'un fonds support de leur contrat d'assurance-vie vers lequel ils ont choisi de porter leurs arbitrages dans les conditions ci-après et, consécutivement, d'avoir ainsi nécessairement manqué à son obligation de conseil à raison de la méprise entraînée sur les caractéristiques de ce produit.



[W] [N] a ainsi investi la somme de 220 868,39 euros le 30 décembre 2005 et celle de 182 711,68 euros le 21 février 2006.



M. [G] [N] a investi la somme de 82 435,44 euros le 30 décembre 2005, celles de 16 576,11 et de 64 338,35 euros le 21 février 2006 et celles de 20 083,31 euros et 73 622,93 euros le 5 mai 2006.



Mme [N] [N] a investi les sommes de 148 000,03, 38 999,97, 15 9999,95 et 32 000,01 euros le 30 décembre 2005 et celle de 115 625 euros le 21 février 2006.



M. [X] [N] a investi la somme de 380 508,24 euros le 27 décembre 2005, celles de 130 601,54 et 38 248,60 le 10 mars 2006 et celle de 40 700 le 17 mars 2006.



Mme [X] [N] investit la somme de 35 453,17 euros le 2 janvier 2007 et les autres consorts investissent encore diverses sommes au cours des mois de novembre 2006 et janvier, février et mars 2007.



Enfin, seul M. [X] [N] investit encore des sommes à trois reprises aux mois de d'août et septembre 2007.



Il résulte de ces arbitrages vers le Fonds Alpha que les consorts [N] ont orienté leurs choix, successivement en fonction de leurs dates, à la lecture et sur la foi de la description du Fonds Alpha par Indosuez du 30 novembre 2005, des propositions d'investissements adressées à [W] [N] le 19 décembre 2005, à M. [G] [N] le 20 décembre 2005 ensuite corrigées, pour celles concernées, par la nouvelle description de caractéristiques et d'évolution datée du mois de décembre 2006.



Or, il ressort du premier de ces documents, de même que dans celui du mois de décembre 2006, dans sa rubrique sur l'orientation de la gestion, que le Fonds Alpha a pour objectif d'atteindre l'EONIA capitalisé + 3 % sur une durée minimum de quatre ans, que dans ce but 'le portefeuille est géré de façon dynamique par l'intermédiaire d'arbitrages sur les marchés de taux internationaux (obligations internationales, obligations émergentes), devises et actions. La performance sera davantage liée aux anticipations de gestion sur le comportement des marchés de taux, devises et actions les uns par rapport aux autres qu'aux anticipations sur leur évolution absolue'.



Les deux propositions d'investissement des 19 et 20 décembre 2005 énoncent quant à elles, au-dessous de la dénomination Indosuez Alpha [Localité 2] terme 'performance absolue', 'dans un contexte de taux d'intérêts faible, ce fonds permet de diversifier fortement la partie monétaire ou obligataire d'un portefeuille en investissant sur des stratégies non directionnelles. Les gérants cherchent régulièrement à améliorer la performance générée par rapport à l'enveloppe de risque qui leur est allouée et ont déjà montré des performances reconnues sur la gestion obligataire internationale'.



Les deux arbitrages simulés pour M. [G] et [W] [N] partaient de positions entièrement en euros pour conduire à 80% de fonds en euros et 20% de fonds Alpha et l'exposition indiquée est initialement de 0,0% et celle estimée après arbitrage de 0,7% pour une volatilité estimée du CAC 40 de 10,2%.



S'il est exact que le qualificatif 'sécuritaire' qui figure au-dessous des deux situations - avant et après arbitrage - vise le contrat dans son ensemble et pas seulement le fonds Alpha, il n'en reste pas moins qu'il est déterminant du choix des consorts [N], de même que celui de 'performance absolue' rapporté ci-dessus, qui, quant à lui, ne se rapportait qu'au fonds Alpha et qui concerne des investissements peu corrélés aux évolutions du marché recherchant une performance en valeur absolue.



Or, il n'est pas contesté que le dit fonds, qui n'avait été créé que deux années auparavant ne revêtait pas ces caractéristiques décrites, que sa volatilité était bien supérieure aux 0,7% estimés de même que son exposition aux marchés, comme cela ressort au demeurant des documents édités par la banque elle-même, mais postérieurement aux investissements, notamment la lettre du 15 juillet 2018 dans laquelle il est insisté sur l'exposition aux marchés et sur la croissance de la volatilité.



La nouvelle description de caractéristiques et d'évolution du fonds datée de décembre 2006 n'était pas de nature à en modifier la perception par les consorts [N] puisqu'elle reproduit essentiellement la précédente et que la présentation de diagrammes montrant que le fonds avait pu connaître des périodes de performances négatives sur trois courtes périodes de deux et trois mois en 2004 et 2005 n'était pas de nature à les modifier les caractéristiques généralement données, faisant accroire à la 'performance absolue' du fonds, à sa faible volatilité, le tout inscrit dans un portefeuille globalement qualifié de sécuritaire.



Il résulte de ce qui précède que la banque a manqué à son devoir d'information sur les caractéristiques du fonds dans lequel elle a recommandé aux consorts [N] d'investir.



Le manquement relevé étant un manquement à cette obligation d'information, la qualité d'investisseurs le cas échéant avertis des consorts [N] ou leur appétence supposée pour des placements à risques sont indifférentes puisque ce n'est pas un défaut de mise en garde qui est reproché à la banque.



La connaissance par les consorts [N] du principe de l'exposition d'un fonds en unités de compte à l'évolution des marchés et du risque consécutif d'une perte en capital est établie - et au demeurant non contestée- mais il résulte de ce qui précède qu'ils ont été entretenus dans la croyance fausse que la soumission au marché du dit fonds était faible compte tenu des modalités de sa gestion alors que tel n'était pas le cas et que sa création trop récente ne permettait pas de le qualifier comme il l'a été.



Les consorts [N] font en outre valoir que la banque a commis une faute en les incitant à désinvestir précipitamment leurs avoirs du fonds Alpha, une fois les effets de la crise de l'automne 2008 survenue, et ce, sans attendre une prévisible amélioration partielle de la situation qui n'a pas manqué d'intervenir.



Toutefois, le conseil de la banque ayant consisté, compte tenu du contexte général prévalant à l'automne 2008, à les inciter à se retirer du fonds compte tenu de sa volatilité croissante et de ses résultats négatifs - toutefois seulement de 15% en six mois comme ils l'indiquent - il ne caractérise pas, à lui seul et à défaut d'autres éléments produits par les appelants, une faute reprochable qui engage la responsabilité de la banque, les consorts [N] étant donc déboutés de leurs prétentions de ce chef.



En conséquence de tout ce qui précède, la banque doit réparation du préjudice consécutif à l'investissement par les consorts [N] d'une partie de leurs avoirs au sein de leurs contrats d'assurance-vie dans le support Fonds Alpha.



Sur la réparation du préjudice



Le préjudice résultant du manquement d'un prestataire de service d'investissement à une obligation d'information est une perte de chance de mieux investir ses capitaux.



Elle ne peut ainsi être égale aux pertes financières subies de même que la perte de chance ne peut être compensée par les performances des investissements réalisés ultérieurement aux désinvestissements dans le fonds litigieux comme l'invoque la banque ou évaluée en fonction de ce qu'auraient donné les placements réalisés identiquement au reste du portefeuille comme le soutiennent les consorts [N], ces deux propositions étant hypothétiques.



S'agissant des contrats d'assurance-vie non dénoués, soit du fait du décès de leur souscripteur soit de leur rachat, les appelants ne justifient pas, à défaut de liquidation des contrats, de la réalité des pertes alléguées et d'un préjudice certain qui excède celui, seulement éventuel, de perte de valeur d'une partie des supports du contrat lors des arbitrages.



En conséquence, les appelants titulaires de contrats toujours en cours, M. [X] [X] et [G] [N] ainsi que, pour partie, Mme [N] [N], doivent être déboutés de leurs demandes de dommages-intérêts à ce titre.



S'agissant des contrats dénoués, compte tenu de la nature ci-dessus rappelée du préjudice indemnisé, du contexte de crise dans lequel les performances négatives ont été réalisées, il y a lieu d'indemniser, pour chacun d'eux, le préjudice par affectation d'une perte de chance de 90% appliquée au cumul entre, d'une part, le solde entre la valeur d'investissement dans le fonds et la valeur à la revente et, d'autre part, le produit qu'aurait donné placement moins risqué au rendement pouvant être fixé à 3% compte tenu des dates de souscription.



[W] [N] avait investi, au titre d'un premier contrat, la somme de 1 017 353,33 euros en 2006 et la position a été soldée pour 693 187,17 euros en décembre 2008, soit une différence de -324 166,16 euros alors qu'un investissement à 3% aurait donné 1 086 369 euros soit une différence de +69 015,67 euros, la perte étant donc de 393 181,83 euros et le préjudice de (393 181,83 x 90%)= 353 863 euros.



Compte tenu de la répartition non contestée des sommes entre les ayants droit, les dommages-intérêts sont de :

- [N] [N] : 20,15% .................................................................................. 71 303 euros

- [U] [N] : 11,40% ........................................................... 40 340 euros

- [G] [N] : 11,40% .................................................................................40 340 euros

- [Z] [N] : 10,97% .................................................................................38 818 euros

- [D] [N] : 10,96% .................................................................................38 783 euros

- [X] [N] : 23,72% ......................................................................83 936 euros

- [B] [N] : 11,40% ...................................................................................... 40 340 euros.



[W] [N] avait investi, au titre d'un second contrat, la somme de 711 054 euros et la position a été soldée pour 479 454 euros en décembre 2008, soit une différence de 231 600 euros alors qu'un investissement à 3% aurait donné 760 473 euros soit une différence de + 281 019 euros, la perte étant donc de 512 619 euros et le préjudice de (512 619 x 90%) = 461 357 euros.



Compte tenu de la répartition non contestée des sommes entre les ayants droit, les dommages-intérêts sont de :

- [N] [N] : 31,225% .................................................................................144 059 euros

- [G] [N] : 34,56% ...................................................................................159 445 euros

- [X] [N] : 34,125% ...................................................................157 438 euros.



[X] [N] avait investi, la somme de 35 453 euros et la position a été soldée pour 23 559 euros en décembre 2008, soit une différence de 11 894 euros alors qu'un investissement à 3% aurait donné 37 429 euros soit une différence de + 1976 euros, la perte étant donc de (11 894 + 1976 ) = et le préjudice de (13 870 x 90%) = 12 483 euros et les dommages-intérêts de :



- [X] [N] : 50% ...........................................................................6 241 euros

- [Z] [N] : 25% ...........................................................................................3 121 euros

- [D] [N] : 25% ............................................................................................3 121 euros.



S'agissant des deux contrats rachetés de Mme [N] [N], elle avait investi la somme de 183 193 euros et la position a été soldée pour 121 092 euros en décembre 2008, soit une différence de - 62 101 euros alors qu'un investissement à 3% aurait donné 199 651 euros soit une différence de + 16 458 euros, la perte étant donc de (62 101+16 458 ) = 78 559 euros et le préjudice de (78 559 x 90%) = 70 703 euros.



En conséquence de ce qui précède, il y a lieu de condamner le Crédit Agricole Indosuez Wealth France à payer les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil :

- à Mme [N] [N] la somme de 286 065 euros,

- à M. [X] [N] la somme de 247 615 euros,

- à M. [G] [N] la somme de 199 785 euros,

- à M. [U] [N] la somme de 40 340 euros,

- à M. [Z] [N] la somme de 41 939 euros,

- à Mme [D] [N] la somme de 41 904 euros,

- à M. [B] [N] la somme de 40 340 euros.



Les consorts [N] doivent être déboutés du surplus de leurs demandes.



Il y a lieu de condamner le Crédit Agricole Indosuez Wealth France à payer à chacun des appelants la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;



Juge que la société Crédit Agricole Indosuez Wealth France venant aux droits de la société Banque de gestion privée d'investissements Indosuez a manqué à son obligation d'information et à son obligation de conseil lors de la souscription par les consorts [N] du Fonds Alpha ;

Juge que la société Crédit Agricole Indosuez Wealth France venant aux droits de la société Banque de gestion privée d'investissements Indosuez n'a pas manqué à ses obligations d'information et de conseil lors des désinvestissements par les consorts [N] du Fonds Alpha ;



Condamne la société Crédit Agricole Indosuez Wealth France à payer les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :

- à Mme [N] [N] la somme de 286 065 euros,

- à M. [X] [N] la somme de 247 615 euros,

- à M. [G] [N] la somme de 199 785 euros,

- à M. [U] [N] la somme de 40 340 euros,

- à M. [Z] [N] la somme de 41 939 euros,

- à Mme [D] [N] la somme de 41 904 euros,

- à M. [B] [N] la somme de 40 340 euros ;



Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;



Déboute les consorts [N] du surplus de leurs demandes ;



Condamne la société Crédit Agricole Indosuez Wealth France à payer, à chacun, à M. [X], [G], [U] [N] [M], [Z] et [B] [N] et à Mmes [N] et [D] [N] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la société Crédit Agricole Indosuez Wealth France aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître [L] [X], comme il est disposé à l'article 699 du code de procédure civile.



LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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