17 January 2019
Cour d'appel de Lyon
RG n° 18/01241

1ère chambre civile A

Texte de la décision

N° RG 18/01241

N° Portalis DBVX - V - B7C - LRFU









Décision du tribunal de grande instance de Lyon

Au fond du 28 novembre 2017



chambre 1 cab 01 A



RG : 13/10745

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 17 Janvier 2019







APPELANTE :



SAS CYCLES'FRANCE'LOIRE

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par la SELARL ARCHIBALD, avocat au barreau de LYON

assistée de la SELARL ARCADE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS









INTIMEE :



MONSIEUR LE DIRECTEUR DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par la SCP URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS





******





Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 octobre 2018



Date de mise à disposition : 6 décembre 2018, prorogée au 17 janvier 2019, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile





Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Aude RACHOU, président

- Françoise CLEMENT, conseiller

- Vincent NICOLAS, conseiller



assistés pendant les débats de Marion COUSTAL, greffier













A l'audience, Vincent NICOLAS a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.



Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



Signé par Aude RACHOU, président, et par Marion COUSTAL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




****



La société CYCLES FRANCE LOIRE, filiale à 100 % de la société LAPIERRE, fait partie d'un groupe Néerlandais leader européen sur le marché de la bicyclette. Dans ce cadre, elle exploite à [Localité 2] une activité de fabrication et de négoce de cycles.



Pour les besoins de cette activité, elle importe des parties essentielles de bicyclette en provenance principalement de Chine, soumises à un droit antidumping de 48,5 %.



Elle a pour client principal la société LAPIERRE, pour laquelle elle effectue des opérations d'assemblage et de production de cycles, et la société JC DECAUX à qui elle vend des cycles, ainsi que des pièces pour assurer la maintenance de vélos en libre-service, cette société en assurant la gestion pour le compte de municipalités.



La société CYCLES FRANCE LOIRE et la société LAPIERRE font partie d'une liste d'entreprises bénéficiant de l'exonération de ces droits antidumping (DAD), sous réserve de l'utilisation des pièces essentielles de cycles dans les conditions prévues par le règlement communautaire n° 88/97 du 20 janvier 1997. Pour bénéficier de cette exemption, les sociétés CYCLES FRANCE LOIRE et LAPIERRE disposent de codes additionnels communautaires (CACO) qu'elles mentionnent sur leurs déclarations d'importation.



Entre le 27 janvier 2011, et le 6 février 2013, des agents du Service Régional d'Enquête [Localité 1] (SRE), ont procédé à un contrôle des opérations d'importation de la société CYCLES FRANCE LOIRE, afférentes à la période du 27 janvier 2008 au 22 juin 2011.



L'Administration des douanes a adressé à la société CYCLES FRANCE LOIRE un avis de résultat d'enquête en date du 9 mai 2012, aux termes duquel elle a relevé une utilisation abusive par cette société des CACO permettant de bénéficier de l'exemption de DAD sur certaines parties de bicyclettes en provenance de la République populaire de Chine, ainsi qu'une fausse déclaration de valeur et des importations sans déclaration. Elle a évalué la dette douanière à la somme totale de 2 134 376,26 euros, dont 1 600 992 euros au titre des DAD dus en France, et 215 538,26 euros au titre de ceux dus en Belgique. Elle a aussi invité dans cet avis la société CYCLES FRANCE LOIRE à lui communiquer ses observations dans un délai de 30 jours.



Par lettres des 8 juin et 6 juillet 2012, la société CYCLES FRANCE LOIRE a transmis ses observations au SRE, qui les a admises partiellement.



L'Administration des douanes a établi le 6 février 2013 un procès-verbal aux termes duquel, elle a notifié à la société CYCLES FRANCE LOIRE le même jour les trois infractions suivantes :

- manoeuvres ayant pour but ou pour effet d'obtenir, en tout partie, une exonération à l'importation, infraction réputées importation sans déclaration de marchandise prohibées ;

- fausses déclarations de valeur à l'importation portant sur des marchandises qui ne sont pas prohibées, lorsqu'un droit de douane ou une taxe quelconque se trouve éludé ;

- importation sans déclaration de marchandise non prohibée.



Elle a ramené la dette douanière dans cet acte à la somme totale de 559 971 euros, dont 465 155 euros au titre des DAD.





Un avis de paiement portant sur la somme de 559 971 euros a été notifié le 8 février 2013 par la Direction régionale des douanes [Localité 1] à la société CYCLES FRANCE LOIRE, puis un avis de mise en recouvrement de cette somme, en date du 19 février 2013, établi par la Recette régionale des douanes, et notifiée le 20 février suivant.



La société CYCLES FRANCE LOIRE a contesté cet avis de mise en recouvrement (AMR), par lettre du 15 mars 2013, contestation rejetée par M. le Directeur régional des douanes et droits indirects [Localité 1], par décision du 29 juillet 2013.



Le 27 septembre suivant, la société CYCLES FRANCE LOIRE a assigné ce dernier devant le tribunal de grande instance de Lyon en lui demandant,

- in limine litis, et à titre principal, de juger que la procédure d'enquête doit être annulée, motifs pris d'une atteinte portée aux principes fondamentaux de primauté du droit communautaire, de sécurité juridique et de confiance légitime ; de juger aussi que l'AMR est nul, motifs pris de l'acquisition de la prescription triennale ;

- in limine litis, et subsidiairement, d'ordonner un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), en interprétation de plusieurs dispositions du code des douanes communautaire, en matière de recouvrement de la dette douanière, et notamment les dispositions de son article 221-3.



Au fond, la société CYCLES FRANCE LOIRE demandait au tribunal de grande instance de dire que les vélos en libre service et leurs pièces essentielles issus d'un marché qui a émergé dans les années 2000, qui n'entrent pas en concurrence avec le commerce du marché traditionnel des cycles et de leurs pièces détachées, sont hors du champ d'application des règlements antidumping et d'exemption, et de débouter en conséquence l'administration des douanes de sa demande en paiement d'une dette douanière. Subsidiairement, elle sollicitait également un renvoi préjudiciel devant la CJUE, en interprétation du champs d'application des règlements de 1993.



Par jugement du 28 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Lyon a débouté la société CYCLES FRANCE LOIRE de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée à payer au Directeur régional des douanes la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par déclaration transmise au greffe le 20 février 2008, la société CYCLES FRANCE LOIRE a interjeté appel partiel de cette décision.




Vu ses conclusions écrites remises au greffe le 2 octobre 2018 et reprises oralement à l'audience, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 217 et 221 du code des douanes communautaires, 67 A à 67 D et 354 du code des douanes national, de :

- infirmer le jugement en ce qu'il la déboute de ses demandes ;

- statuant à nouveau, et in limine litis,

* dire que l'AMR du 19 février 2013 est nul, motifs pris d'une dette douanière prise en compte avant à la fin du droit à être entendu, six mois avant la fin du procès-verbal d'infractions, en violation de la jurisprudence de la CJUE et des articles 217 et 221.1 code des douanes communautaires ;

*dire que cet AMR est nul, sur le fondement des § 3 et 4 de l'article 221-1 du même code ;

- principalement,

* écarter l'application de l'article 354 alinéa 2 du code des douanes national, la règle interruptive de prescription posée par cet article étant contraire au principe de primauté du droit de l'Union Européenne, et en raison de l'effet direct de l'article 221-1, annuler en conséquence l'AMR, pour cause de prescription ;

* constater la violation du principe d'application uniforme des règles communautaires du recouvrement de la dette douanière, et ordonner un renvoi préjudiciel en interprétation à la CJUE, afin de lui soumettre les trois questions suivantes :













1. l'interprétation extensive adoptée par la Douane française et la Cour de cassation de l'alinéa 2 de l'article 354 du code des douanes national, considérant que tout procès-verbal de douanes peut interrompre la prescription triennale du recouvrement de la dette douanière est-elle compatible avec le principe de primauté des règlements communautaires et notamment de l'article 221.3 et 4 du règlement n° 29134/92 du 12 octobre 1992, portant établissement du code des douanes communautaires et de l'article 103 du règlement n° 952/2013 portant établissement du code des douanes de l'Union et la jurisprudence communautaire en matière de recouvrement de la dette douanière '



2. le deuxième alinéa de l'article 354 du code des douanes national ne porte-t-il pas atteinte à la règle de prise en compte de la dette régie par les articles 217, 219 et 221 du code des douanes communautaires et au principe de recouvrement des ressources propres de l'Union européenne, par l'instauration d'une règle interruptive de prescription triennale du droit de reprise par tous procès-verbal des douanes '



3. les § 3 et 4 de l'article 221 du code des douanes communautaires autorisent-t-ils un Etat membre à créer une règle nationale d'interruption de la prescription triennale de l'action en recouvrement, par tout procès-verbal de douane, y compris ceux n'apportant pas un élément déterminant dans l'avancement de l'enquête, pour augmenter, à des fins de recouvrement, la durée du contrôle sans limite de durée et ainsi augmenter le quantum de la dette et/ou reporter la communication de la dette douanière au redevable, créant ainsi une insécurité juridique pour la personne contrôlée '



- en tout état de cause,

condamner la Direction régionale des douanes et droits indirects [Localité 1] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





Vu les conclusions écrites du Directeur régional des douanes et droits indirects [Localité 1] (M. le Directeur Régional des douanes) remises au greffe le 4 octobre 2018 et reprises oralement à l'audience, par lesquelles il demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de rejeter la demande de question préjudicielle, et de condamner la société CYCLES FRANCE LOIRE à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.






SUR QUOI, LA COUR :



Sur les exceptions de nullité soulevées par la société CYCLES FRANCE LOIRE



Attendu que M. le Directeur Régional des douanes prétend que l'exception de nullité soulevée par la société CYCLES FRANCE LOIRE et tirée d'un défaut de prise en compte de la dette douanière avant sa communication doit être écartée des débats, ce moyen étant invoqué pour la première fois en cause d'appel ;



Attendu, cependant, que selon l'article 564 du code de procédure civile, les parties, pour justifier en appel les prétentions qu'elles ont soumises au premier juge, peuvent invoquer des moyens nouveaux ; qu'en l'espèce, la société CYCLES FRANCE LOIRE réitère en cause d'appel sa demande d'annulation de l'AMR en la fondant sur un nouveau moyen, tiré du défaut de prise en compte de la dette douanière dans les conditions prévues par les articles 217 et 221 du code des douanes communautaires ; que ce moyen est donc recevable ;



a) sur l'absence de prise en compte par l'administration des douanes de la dette douanière avant sa communication au débiteur :



Attendu que M. le Directeur Régional des douanes prétend à ce sujet que :

- la prise en compte de la dette douanière en l'espèce a été effectuée le 1er juillet 2012, ainsi que le démontre un document 'intercom', extrait du logiciel comptable interne à l'administration ;









- cette prise en compte étant intervenue avant la notification du procès-verbal d'infraction du 6 février 2013, par lequel la communication des droits a été faite au débiteur, la procédure est régulière, aucune disposition ne prévoyant que cette prise en compte doit s'effectuer juste avant le procès-verbal de notification d'infraction ;

- aucune nullité de l'AMR n'est donc encourue de ce chef ;



Attendu que pour conclure à la nullité de l'AMR, la société CYCLES FRANCE LOIRE soutient en premier lieu que la dette a été enregistrée comptablement en violation des articles 217 et 221.1 du code des douanes communautaires ; qu'elle fait valoir en effet que le document 'intercom' produit par l'administration des douanes ne constitue pas une preuve suffisante de l'enregistrement comptable de la dette, s'agissant seulement d'un outil informatique et non d'une inscription comptable et le document comptable prouvant la date de cette prise en compte n'étant pas produit ;



Attendu qu'elle soutient en deuxième lieu que l'administration des douanes n'a pas respecté l'article 217 du code des douanes communautaires, en prenant une inscription comptable de la dette avant que les enquêteurs n'aient pu analyser complètement tous ses arguments et de connaître les éléments permettant de calculer précisément le montant de la dette douanière, en méconnaissance de son droit d'être entendue avant toute décision lui faisant grief ; qu'en outre, l'administration des douanes n'a pas respecté les dispositions de l'article 221.1 du code des douanes communautaires en prenant en compte la dette plus de six mois avant la notification du procès-verbal d'infraction par lequel ses droits lui ont été communiqués et avant l'exercice complet de son droit à être entendue, consacré par la jurisprudence de la CJUE et les articles 67 A à 67 D du code des douanes national ;



Attendu, cependant, que selon l'article 217 du code des douanes communautaires, tout montant de droits à l'importation ou de droits à l'exportation qui résulte d'une dette douanière, doit être calculé par les autorités douanières dès qu'elles disposent des éléments nécessaires et faire l'objet d'une inscription par lesdites autorité dans les registres comptables ou sur tout autre support qui en tient lieu ; qu'en l'espèce, le document produit par M. le Directeur Régional des douanes (cf sa pièce 16), qui est un extrait d'un logiciel dénommé 'intercom', fait suffisamment la preuve de la prise en compte par l'administration des douanes de la dette douanière de la société CYCLES FRANCE LOIRE, dans un logiciel comptable dédié, à la date du 1er juillet 2012, le montant de cette dette (559 971 euros) figurant en particulier dans ce document, le numéro de liquidation (RR LO 451) étant le même que celui de l'AMR (LO n° 451 ) et la date de première exigibilité de la créance étant fixée au 1er juillet 2012 ;



Attendu, ensuite, que selon l'article 221.1 du code des douanes communautaires, le montant des droits doit être communiqué au débiteur selon les modalités appropriées dès qu'il a été pris en compte ; qu'il ne résulte pas de cette disposition que la communication du montant des droits doit intervenir juste avant la prise en compte de la dette douanière ; qu'en l'espèce, il résulte des procès-verbaux du SRE établis entre le 27 janvier 2011 (en tout, six procès-verbaux de constat en date des 27 janvier 2011, 22 février 2011, 24 mars 2011, 26 mai 2011, 22 juin 2011, 19 avril 2012) et l'avis de résultat d'enquête du 9 mai 2012, qu'au regard des différents documents et informations communiqués aux enquêteurs par la société CYCLES FRANCE LOIRE durant cette période, l'administration des douanes a été en mesure au mois de mai 2012 de calculer la dette douanière, ce qu'elle a fait en la fixant à 1 918 838 euros au titre des opérations de dédouanement réalisées en France ; qu'à la suite des observations de la société CYCLES FRANCE LOIRE communiquées par lettres des 8 juin et 6 juillet 2012, le SRE, ainsi que cela ressort de ses procès-verbaux en date des 11 juillet et 28 septembre 2012, a procédé à des vérifications complémentaires qui l'ont conduit à exclure de ses constatations les parties essentielles de bicyclettes livrées à la société CYCLES FRANCE LOIRE en provenance de la République populaire de Chine destinées à ses opérations de montage, raison pour laquelle la dette douanière au titre des DAD a été ramenée dans le procès verbal du 6 février 2013 de notification des infractions à la somme de 465 155 euros ; qu'il n'y a pas eu méconnaissance du droit pour la société CYCLES FRANCE LOIRE d'être entendue avant toute décision lui faisant grief, dès lors que les dispositions des articles 67 A et 67 C du code des douanes national ont été respectées par l'administration des douanes, la société CYCLES FRANCE LOIRE ayant pu présenter des observations dans le délai de 30 jours en vue de la réduction de la dette douanière, et qu'il en a été tenu compte ;



Attendu dans ces conditions que la communication du montant des droits ayant été précédée de leur prise en compte, l'AMR du 19 février 2013 ne peut être annulé pour non respect des dispositions de l'article 221.1 du code des douanes communautaires ;





b) sur l'extension de la prescription triennale de la dette douanière en violation de l'article 221 du code des douanes communautaires :



Attendu que M. le Directeur Régional des douanes prétend que l'effet interruptif prévu par l'article 354 du code des douanes national ne porte pas atteinte aux principes essentiels communautaires et aux droits fondamentaux de la société CYCLES FRANCE LOIRE ;



Attendu que celle-ci fait valoir que :

- les § 3 et 4 de l'article 221 du code des douanes communautaires n'autorisent pas l'administration des douanes françaises à s'accorder, par le truchement de l'article 354 alinéa 2 du code des douanes national, une extension au delà de trois ans de la durée de ses contrôles à des fins d'exercice du droit de reprise de la dette douanière ;

- l'AMR est nul, dans la mesure où il notifie une dette se rapportant à des opérations douanières intervenues au-delà du délai de reprise de trois ans, l'application extensive de l'article 354 alinéa 2 du code des douanes national violant l'interprétation stricte de l'article 221 du code des douanes communautaires et portant atteinte au principe d'application uniforme du droit communautaire ;



Attendu, cependant, que contrairement à ce que soutient la société CYCLES FRANCE LOIRE, l'effet interruptif qui s'attache, à l'égard de toutes les parties, aux procès-verbaux des Douanes, n'est pas contraire à l'article 221 du code des douanes communautaires ; qu'en effet, cet article n'exclut pas la possibilité pour une réglementation nationale de prévoir des possibilités d'interruption du délai de prescription triennale ; que l'AMR du 19 février 2013 ne peut donc être annulé pour non respect des dispositions des § 3 et 4 de cet article ;





Sur la demande principale de la société CYCLES FRANCE LOIRE



a) sur la prescription de la dette douanière :



Attendu que M. le Directeur Régional des douanes, pour conclure au rejet de la demande de CYCLES FRANCE LOIRE, prétend :

- d'une part, que l'ensemble des procès-verbaux établis ont interrompu la prescription triennale, s'agissant de procès-verbaux ayant eu pour objet d'établir l'existence d'infractions et d'asseoir l'assiette des droits et taxes à recouvrer et la société CYCLES FRANCE LOIRE ayant été informée, par le truchement de ces procès-verbaux, des soupçons d'irrégularité portant sur certaines opérations ;

- d'autre part, que l'article 221 § 4 renvoie au droit national pour le régime de la dette douanière, quand celle-ci résulte d'un acte, qui était, au moment où il a été commis, passible de poursuites judiciaires répressives, ce qui est le cas en l'espèce ;



Attendu que la société CYCLES FRANCE LOIRE prétend en premier lieu que l'article 221 du code des douanes communautaires n'autorise pas l'interruption de la prescription triennale du recouvrement par tout procès-verbal ;



Attendu qu'elle soutient en effet que :

' le règlement qui a institué le code des douanes communautaires prime sur le code des douanes national ; l'article 354 alinéa 2 de ce code étant contraire à la norme communautaire, il doit être écarté ;

' l'article 221 du code des douanes communautaires en ses § 1 et 3 doit se lire strictement ;

' l'administration des douanes n'a pas respecté l'article 217 du code des douanes communautaires dans la mesure où elle lui a communiqué la dette douanière avant de la prendre en compte dans ses registres comptables ;









' le § 3 de l'article 221 fixe à trois ans la limite pour communiquer la dette au débiteur, à compter de la naissance de la dette douanière, et il prévoit une suspension de ce délai seulement en cas d'engagement d'un recours, sans envisager son interruption ;

' le § 4 du même article n'autorise pas la Douane à allonger le délai de reprise de la dette, en vue du recouvrement d'une dette sur des opérations s'étendant sur une durée supérieure à trois ans, le seul acte possible en l'espèce passible de poursuite judiciaires répressives susceptible de suspendre la prescription de la communication de la dette douanière étant le procès-verbal du 6 février 2013 ;

' il y a donc une utilisation abusive par l'administration des douanes de l'article 354 du code des douanes national en vue de recouvrer au-delà de trois ans une dette douanière partiellement prescrite, et le deuxième alinéa de cet article doit être écarté pour violation de la primauté de l'article 221 du code des douanes communautaires



Attendu que la société CYCLES FRANCE LOIRE prétend en second lieu que les procédures de contrôle et de recouvrement d'autres Etats membres démontrent que l'exception française est contraire au principe de primauté du droit communautaire ;



Attendu, cependant, que selon le §3 de l'article 221 du code des douanes communautaires, la communication au débiteur ne peut plus être effectuée après l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la date de la naissance de la dette douanière ; que ce délai est suspendu à partir du moment où est introduit un recours au sens de l'article 243 et pendant la durée de la procédure de recours ;



que selon le § 4 du même article, lorsque la dette douanière résulte d'un acte qui était, au moment où il a été commis, passible de poursuites judiciaires répressives, la communication au débiteur peut, dans les conditions prévues par les dispositions en vigueur, être effectuées après l'expiration du délai de trois ans prévu au § 2 ;



que selon l'alinéa 2 de l'article 354 du code des douanes national, dans sa rédaction alors applicable, la prescription triennale du droit de reprise de l'administration à compter du fait générateur est interrompue par la notification d'un procès-verbal de douane ; que cet effet interruptif n'est pas contraire aux dispositions de l'article 221 § 3 et 4 du code des douanes communautaires, qui ne l'exclut pas ; que la condition posée par la CJUE à l'effet interruptif d'un acte d'instruction ou de poursuite d'une irrégularité (cf arrêt de la deuxième chambre du 24 juin 2004, [W] [O]) est que les opérations sur lesquelles portent les soupçons d'irrégularité soient circonscrites par les actes de contrôle douanier avec suffisamment de précisions ; que n'est pas contraire à ce principe la règle nationale selon laquelle les procès-verbaux établis par l'administration des douanes, en ce qu'ils visent à la fois à établir l'existence d'une infraction à la réglementation douanière et à asseoir l'assiette des droits à recouvrer, ont un effet interruptif à l'égard de l'action tendant au recouvrement des droits ;



Attendu qu'en l'espèce le SRE a établi un premier procès-verbal de constat le 27 janvier 2011 duquel il ressort que les agents des douanes ont demandé au représentant de la société CYCLES FRANCE LOIRE, M. [M], divers documents relatifs à cette société, dont un extrait détaillé des comptes fournisseurs asiatiques pour l'année 2009 ; que le deuxième procès-verbal du 22 février 2011 fait ressortir que M. [M] leur a remis un listing des enregistrements comptables pour ces fournisseurs, outre les factures et dossiers d'importation ; que l'étude de ces documents par les agents des douanes leur a permis de constater que, pour certaines de ces entreprises, il n'y avait pas de justificatifs de dédouanement à l'appui des factures, et que pour certaines déclarations en douane, la société CFL avait utilisé non pas son CACO mais celui de la société LAPIERRE ; que M. [M], au sujet de cette utilisation, a déclaré qu'il devait s'agir d'une erreur du transitaire ; qu'au regard du procès-verbal du 24 mars 2011, les agents des douanes ont constaté, après s'être fait remettre par M. [M] l'extrait du compte client JC DECAUX, que manquaient des factures adressées en 2009 à cette société concernant la vente de cycles et de pièces détachées, ce qui les a conduit à poser au représentant de la société CYCLES FRANCE LOIRE la question de savoir si elle tenait un relevé des parties essentielles de bicyclettes livrées et de leur utilisation, conformément au règlement CE n° 88/97 de la Commission du 20 janvier 1997, question à laquelle M. [M] a répondu par la négative ; qu'ainsi, ces premiers procès-verbaux ont mis en évidence avec précision des soupçons d'irrégularité, et ils ont contribué à établir la preuve des trois infractions douanières, dont un délit de première classe, qui ont été ultérieurement notifiées à la société CYCLES FRANCE LOIRE, le 6 février 2013 ; que chacun de ces procès-verbaux a donc eu un effet interruptif, en vertu de l'alinéa 2 de l'article 354 du code des douanes national, en sorte que la prescription triennale, qui a commencé à courir à compter du 27 janvier 2008, n'était pas acquise à la société CYCLES FRANCE LOIRE lorsqu'elle a saisi le 27 septembre 2013 le tribunal de grande instance de Lyon, sans qu'il soit nécessaire de vérifier si les autres procès-verbaux ont aussi interrompu ce délai de prescription, et de répondre au moyen invoqué par le M. le Directeur Régional des douanes tiré de l'application du § 4 de l'article 221 du code des douanes communautaires ;



Attendu, ensuite, que l'article 221 du code des douanes communautaires n'excluant pas la possibilité pour une réglementation nationale de prévoir des possibilités d'interruption du délai de prescription triennale, le principe de primauté du droit communautaire n'est pas atteint par le fait que le code des douanes français, en son article 354 alinéa 2, prévoit cette possibilité, à la différence des réglementation nationales issues d'autres Etat membres de l'Union ;



Attendu, dans ces conditions, qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il déboute la société CYCLES FRANCE LOIRE de sa demande d'annulation de l'AMR et qu'il n'y pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;





PAR CES MOTIFS



Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et après en avoir délibéré conformément à la loi,



Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;



Y ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;



Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société CYCLES FRANCE LOIRE et la condamne à payer M. le Directeur Régional des douanes et des droits indirects [Localité 1] la somme de 4 000 euros ;



La condamne aux dépens d'appel.





LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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