30 April 2019
Cour d'appel de Besançon
RG n° 18/00733

Chambre Sociale

Texte de la décision

ARRET N° 19/247

PB/CM



COUR D'APPEL DE BESANCON



ARRET DU 30 AVRIL 2019



CHAMBRE SOCIALE





Contradictoire

Audience publique

du 19 mars 2019

N° de rôle : N° RG 18/00733 - N° Portalis DBVG-V-B7C-D6IB



S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BELFORT

en date du 23 mars 2018

Code affaire : 89Z

Autres demandes en matière de risques professionnels





APPELANT



Monsieur [G] [T], demeurant [Adresse 3]



représenté par Me Michel LEDOUX, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Sophie CLOCHER, avocat au barreau de PARIS





INTIMEES



SOCIETE ALSTOM POWER SYSTEMS, [Adresse 1]



représentée par Me Magali THORNE, , avocat au barreau de PARIS





SOCIETE GE ENERGY PRODUCTS FRANCE SNC, [Adresse 2]



représentée par Me Emmanuel ANDREO, avocat au barreau de STRASBOURG substitué par Me Léa HUMILIER, avocat au barreau de BESANCON





COMPOSITION DE LA COUR :



lors des débats 19 Mars 2019 :



CONSEILLERS RAPPORTEURS : M. Jérôme COTTERET et M. Patrice BOURQUIN, Conseillers, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, en l'absence d'opposition des parties.



GREFFIERS : Mme Karine MAUCHAIN et de Mme Cécile MARTIN





lors du délibéré :



M. Jérôme COTTERET et M. Patrice BOURQUIN, Conseillers, ont rendu compte conformément à l'article 945-1 du code de procédure civile à Mme Christine K-DORSCH, Président de chambre.





Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 30 Avril 2019 par mise à disposition au greffe.






**************



FAITS ET PROCEDURE





M. [G] [T] a travaillé en qualité d'ajusteur mécanicien du 11 septembre 1972 au 26 septembre 1973 puis du 7 octobre 2014 au 25 avril 1978 au sein de la société Alstom sur le site de [Localité 4].



Par arrêté ministériel du 30 octobre 2007 l'établissement situé à [Localité 4] est inscrit sur la liste des établissements de fabrication flocage, calorifugeage à l'amiante ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acataa).



Le 17 juin 2013, M. [G] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Belfort aux fins de faire reconnaître l'existence d'un préjudice d'anxiété.



Par jugement du 28 mars 2018, le conseil de prud'hommes a déclaré irrecevable l'intégralité de ses demandes, pour cause de prescription.



Le 10 avril 2018 il a interjeté appel à l'encontre de cette décision.






Selon dernières conclusions du 25 février 2019, M. [G] [T] demande de



'mettre hors de cause la Snc Ge Energy Products France,

- infirmer le jugement rendu et condamner la Sa Alstom Power Systems à lui payer la somme de 15'000 € en réparation de son préjudice d'anxiété outre celle de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Selon conclusions du 21 février 2019, la Sa Alstom Power Systems conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande :



- à titre principal de déclarer l'action prescrite,

- à titre subsidiaire de dire qu'à défaut d'inscription régulière du site sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéficie de l'Acataa et de la réunion des conditions de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, M. [G] [T] ne peut prétendre à l'indemnisation d'un préjudice spécifique d'anxiété et le débouter de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner à lui payer la somme de 1500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Selon conclusions du 12 octobre 2018, la Snc Ge Energy Products France conclut à sa mise hors de cause ainsi qu'à la condamnation de M. [G] [T] à lui payer la somme de 300€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 février 2019.






MOTIFS DE LA DECISION





1- Sur la mise hors de cause de la Snc Ge Energy Products France



Il y aura lieu de prononcer la mise hors de cause de la Snc Ge Energy Products France, à l'encontre de laquelle aucune demande n'est dirigée.





2 - Sur la prescription



2- 1 Sur le point de départ de la prescription



Quelle que soit le délai de prescription applicable, celui-ci court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.



Pour soutenir que la prescription a commencé à courir au plus tard à la date de cessation du contrat de travail, la Sa Alstom Power Systems fait valoir que la réglementation du travail relative à la poussière d'amiante du 17 août 1977, la mise en place d'un dispositif de surveillance médicale spécifique dès 1977, diverses notes de service relatives à la formation au poste de travail, la politique de prévention des risques au sein de l'entreprise doivent conduire à considérer que M. [G] [T] connaissait les faits lui permettant d'agir, dès cette date.



La Sa Alstom Power Systems ne produit cependant pas d' éléments permettant de justifier que le salarié avait une connaissance personnelle des risques liés à l'utilisation de l'amiante, dès lors qu'il n'est en particulier pas justifié que les différentes notes et circulaires sur lesquelles elle s'appuie étaient diffusées à chaque membre du personnel et notamment à M. [G] [T] .





M. [G] [T] sollicite la réparation du préjudice spécifique d'anxiété lié à l'exposition à l'amiante, dont le salarié n'a pu avoir connaissance qu'à compter de la publication au journal officiel du 6 novembre 2007 de l'arrêté ministériel du 30 octobre 2007 ayant inscrit l'établissement Alstom de Belfort sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'Acataa, et c'est donc la date de publication qui constitue le point de départ de la prescription.





2-2 Sur la durée du délai de prescription



A la date de la publication de l'arrêté était applicable l'article 2262 du code civil, qui soumettait les actions personnelles à la prescription trentenaire et notamment les actions en responsabilité du salarié contre l'employeur.



La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008,publiée au journal officiel le 18 juin, portant réforme de la prescription en matière civile a soumis ces actions à la prescription quinquennale de droit commun en application de l'article 2224 du code civil.



Selon l'article 26 de la loi du 17 juin 2018, les dispositions de la loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la date prévue par la loi antérieure.



En l'espèce, le nouveau délai de prescription s'est appliqué à compter du 19 juin 2008, lendemain de la publication de la loi et devait donc expirer le 19 juin 2013, dès lors que l'ancien délai trentenaire expirait après cette date.





2-3 Sur l'application de la prescription à la demande de M. [G] [T]



Il résulte des pièces du dossier de première instance que la demande a été déposée auprès des services postaux, le 17 juin 2013 et a été reçue au greffe du conseil de prud'hommes le 20 juin 2013.



Or c'est la date d'envoi du courrier de saisine de la juridiction qui, pour le demandeur, doit être prise en compte pour l'interruption de la prescription et non celle de sa réception par la juridiction.



Il en résulte que la demande est recevable et le jugement sera en conséquence infirmé.





3- Sur la demande de dommages et intérêts de M [G] [T] au titre du préjudice d'anxiété



3- 1 Sur la demande de M. [G] [T] en tant que salarié ayant travaillé dans une entreprise mentionnée à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998





Le salarié qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, et se trouve, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, subit un préjudice spécifique d'anxiété.



Selon l'article 41 de la loi précitée, une ,allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent plusieurs conditions dont celles de :





'1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif '.



En l'espèce, la société Alstom aux droits de laquelle se trouve la Sa Alstom Power Systems a, par arrêté du 30 octobre 2007, modifié par arrêté du 12 octobre 2009, été inscrite, pour son établissement de [Localité 4] et pour la période du 1965 à 1985.



Cette inscription faisait suite à un jugement du tribunal administratif de Besançon du 26 juin 2017, qui avait annulé la décision du ministre du travail du 7 février 2005 refusant l'inscription de l'établissement de Belfort sur cette liste et avait fait injonction à l'Administration de procéder au réexamen de la demande d'inscription du site sur la liste.



Sur recours du ministre du travail, le jugement a été annulé par arrêt de la cour administrative d'appel.





La cour administrative d'appel a retenu que c'était à tort que le tribunal administratif avait estimé que l'établissement avait eu recours de manière significative à des opérations de flocage ou de calorifugeage.



L'arrêté ayant inscrit l'établissement sur la liste n'a toutefois jamais été rapporté, ni abrogé.



L'établissement est donc toujours inscrit sur la liste prévue l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 , mais une décision irrévocable de la juridiction administrative a retenu que l'exercice des activités de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement ne présentait pas un caractère significatif .



La Sa Alstom Power Systems en conclut que le classement adopté par l'arrêté du 30 octobre 2017 ne peut donc servir de fondement à l'indemnisation du préjudice d'anxiété de salariés ayant été présents sur le site de [Localité 4], dès lors qu'il ne remplissent pas les conditions prévues par l'article 41 de la loi.



M. [G] [T] ne consacre aucun développement de ses conclusions aux conséquences de l'infirmation du jugement sur la base il a été procédé à l'inscription et à l'absence du caractère significatif de l'activité de flocage et de calorifugeage, retenu par la juridiction administrative.





Il doit donc être constaté que M. [G] [T] n'a pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, qui vise cette dernière condition et, il ne pourra donc être fait droit à la demande sur ce fondement.



3-2° Sur la demande fondée sur la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur



Il résulte du arrêt de l'assemblée plénière de la cour de cassation rendu le 5 avril 2019, soit après l'audience de la présente cour relative à la demande de M. [G] [T], que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave peut être admis à agir contre son employeur, sur le fondement des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de ce dernier, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée.



Compte-tenu de la date de cet arrêt, les parties n'ont pas été en mesure de conclure de manière utile sur les conditions mises à la reconnaissance de la responsabilité de l'employeur sur le fondement du droit commun et il y aura donc lieu d'ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture, afin que les parties puissent conclure sur ce point.





Le surplus des demandes des parties sera réservé.





PAR CES MOTIFS



La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,



MET hors de cause la Snc Ge Energy Products France ;



INFIRME le jugement entrepris ;



Statuant à nouveau,



DECLARE recevable la demande de M. [G] [T] ;



ORDONNE le rabat de l'ordonnance de clôture ;



RENVOIE le dossier devant le conseiller de la mise en état ;



SURSOIT à statuer sur le surplus des demandes.





Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le trente avril deux mille dix neuf et signé par Mme Christine K-DORSCH, Président de chambre et Mme Magali FERREC, Greffier.



LE GREFFIER,LE PRESIDENT DE CHAMBRE,

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