23 January 2020
Cour d'appel de Lyon
RG n° 19/01761

1ère chambre civile A

Texte de la décision

N° RG 19/01761 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MHYB









Décisions :



- Ordonnance de référé du Tribunal de Commerce de VILLEFRANCHE-TARARE en date du 07 juillet 2016



RG : 2016R00028



- Arrêt de la Cour d'appel de Lyon (8ème chambre) en date du 18 octobre 2016



RG : 16/05405



- Arrêt de la Cour de Cassation (chambre commerciale) en date du 06 février 2019



Pourvoi n° 16-27.560

Arrêt n° 101 F-D







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 23 Janvier 2020



statuant sur renvoi après cassation







APPELANTE :



SA U10

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 5]



Représentée par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, avocat postulant

Et ayant pour avocat plaidant la SCP BES SAUVAIGO & Associés, avocat au barreau de LYON









INTIMES :



M. [Y] [R]

né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 9] (AIN)

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentés par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, avocat postulant,

Et ayant pour avocat plaidant Me Olivier GARDETTE, avocat au barreau de LYON, toque : 299





SARL U-WEB

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 6]





Représentés par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, avocat postulant,

Et ayant pour avocat plaidant Me Edouard BERTRAND, avocat au barreau de LYON,





******









Date de clôture de l'instruction : 21 Novembre 2019



Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 Novembre 2019



Date de mise à disposition : 23 Janvier 2020



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Aude RACHOU, président

- Françoise CLEMENT, conseiller

- Annick ISOLA, conseiller



assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier



A l'audience, Annick ISOLA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.



Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



Signé par Aude RACHOU, président, et par Elsa MILLARY, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




****





Le groupe U10 ayant à sa tête la société holding U10, est spécialisé dans le secteur de l'équipement de la maison.



Il possède plusieurs filiales, notamment la société L3C, dirigée par M. [W], et la société [J] [I] qui ont une activité de conception, commercialisation et distribution de produits textiles destinés à la décoration et l'aménagement intérieur de la maison.



Au début de l'année 2011, il a été décidé de créer une nouvelle filiale, la société U-Web, spécialisée dans la distribution des produits du groupe par internet auprès des consommateurs grand public.



Dans ce contexte, est née la société U-Web, le 02 septembre 2011, ayant pour associés la société U10 à 51 % et M. [R] à 49 %, gérant et, également directeur général de la société U10.



La société U-Web dont les fournisseurs exclusifs étaient les sociétés L3C et [J] [I] a eu un début d'activité très prometteur jusqu'en 2015.



Par la suite, les relations entre la société U-Web et les sociétés du groupe U10 se sont dégradées.



Dans ce contexte conflictuel, le dirigeant de la société L3C a notifié, par courrier du 26 septembre 2015, à la société U-Web, la rupture de leurs relations contractuelles.



Par lettre du 19 février 2016, la société U10 a demandé à M. [R] la convocation d'une assemblée générale ayant pour ordre du jour la décision à prendre sur la révocation du gérant et la désignation d'un nouveau gérant.



Devant le refus de M. [R], la société U10 a, le 31 mars 2016, saisi en la forme des référés le président du tribunal de commerce de Villefranche-Tarare afin d'obtenir la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée générale.



M. [R] et la société U-Web se sont opposés à cette demande et ont sollicité à titre reconventionnel la désignation d'un administrateur ad'hoc ayant pour mission de représenter et gérer la société U-Web pour une durée illimitée.



Parallèlement, la société U-Web a fait assigner la société L3C devant le tribunal de commerce de Lyon, en dommages-intérêts, pour rupture brutale des relations contractuelles établies, sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce.



Puis le 19 mars 2016, la société U-Web a diligenté une autre procédure au fond à l'encontre des sociétés U10, L3C et [J] [I] devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, pour abus de hausse unilatérale des prix.



Suivant ordonnance du 7 juillet 2016, le juge des référés, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, a :



- constaté qu'aucune disposition ne saurait imposer la désignation d'un mandataire pour convoquer une assemblée générale que le gérant a refusé,

- constaté qu'en transférant l'intégralité des marges et donc des résultats de la société U-Web dont elle était actionnaire à 51 % vers les sociétés L3C et [J] [I] dont elle est actionnaire à 100 %, la société U10 s'est rendue coupable d'un abus de majorité au détriment de l'actionnaire minoritaire,

- constaté que les statuts de la société ainsi que le code de commerce prévoyaient que la désignation du mandataire ad hoc est faite par ordonnance du président du tribunal de commerce statuant en référé,



En conséquence,



- rejeté la demande de désignation d'un mandataire formée par U10 et invité la société U10 à saisir le tribunal de commerce de Villefranche-sur-Saone statuant au fond si elle entendait essayer de faire révoquer judiciairement pour cause légitime et/ou juste motif M. [R],



- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société U10 et dit le juge des référés compétent pour statuer sur la désignation d'un mandataire ad'hoc à la société U10,



- dit que pour prévenir tout dommage et faire cesser tout trouble manifestement illicite, il y avait lieu de désigner un mandataire ad'hoc à la société U10,



- dit qu'il était de l'intérêt social des sociétés U10 et U-Web de désigner un seul et même mandataire ad'hoc,



- désigné à cette fin, Maître [U] avec pour mission de représenter la société U10 et voter en ses lieu et place à toute assemblée dont la convocation serait autorisée judiciairement ou d'accord entre les associés, de favoriser la conclusion d'un accord destiné à sauver et pérenniser l'activité de la société U-Web et plus largement proposer toute solution de restructuration de la société U-Web et/ou de son capital social qui soit de nature à sauvegarder sa pérennité.



La société U10 a relevé appel de cette décision et, par arrêt du 18 octobre 2016, la 8ème chambre de la cour d'appel de Lyon a :



- confirmé l'ordonnance du 7 juillet 2016 en ce qu'elle a retenu le pouvoir du juge des référés pour statuer tant sur la demande de la société U10 que sur la demande de la société U-Web et de M. [R] et en ce qu'elle a rejeté la demande formée par la société U10 aux fins de désignation d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale de la société U-Web,



- réformant l'ordonnance pour le surplus, a rejeté la demande formée par la société U-Web et par M. [R] de désignation d'un mandataire ad hoc ou d'un administrateur provisoire, chargé de représenter la société U 10 et de voter en ses lieu et place à toute assemblée dont la convocation serait autorisée judiciairement en accord entre les associés.





Saisie d'un pourvoi de la société U10, la Cour de cassation a cassé cet arrêt mais seulement en ce qu'il rejette la demande formée par la société U10 de désigner un mandataire chargé de convoquer l'assemblée générale de la société U-Web (Com., 6 février 2019, pourvoi n° 16-27.560).



La Cour a considéré qu'alors qu'elle avait constaté que la société U10, associée majoritaire de la société U-Web, avait demandé au gérant de cette société de réunir une assemblée générale en vue de la désignation d'un nouveau gérant et que cette demande lui avait été refusée, la cour d'appel, qui était tenue de faire droit à la demande de la société U10 de désignation d'un mandataire chargé de convoquer cette assemblée et n'avait pas à en apprécier l'opportunité, a violé les articles L. 223-27 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 223-25, alinéa 1er, du code de commerce.



La société U10 a saisi la première chambre de la cour d'appel de Lyon par déclaration du 7 mars 2019.



Aux termes de ses dernières conclusions du 8 novembre 2019, la société U10 demande à la cour de :



- dire n'y avoir lieu à surseoir à statuer,



- rejeter la demande avant-dire droit de M. [R] visant à voir ordonner la comparution personnelle de U10 en Ia personne de [T] [M],



- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande formée par elle aux fins de désignation d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale de la société U-Web,



- désigner tel mandataire qu'il plaira, notamment administrateur judiciaire, avec pour mission de convoquer une assemblée générale de la société U-Web avec pour ordre du jour :



* décision à prendre concernant la révocation éventuelle du mandat de gérant de M. [Y] [R],

* nomination le cas échéant d'un nouveau gérant et fixation de ses pouvoirs,

* pouvoir pour l'accomplissement des formalités,



- condamner M. [Y] [R] à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,



- condamner M. [Y] [R] aux entiers dépens, y compris ceux afférents à la décision cassée, ceux d'appel distraits au profit des avocats de la cause.



Aux termes de ses dernières conclusions du 23 octobre 2019, M. [R] demande, en substance, à la cour de :



- ordonner le sursis à statuer jusqu'à décision irrévocable dans la procédure engagée par U-Web devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare aux fins de condamnation solidaire ou in solidum de U10, L3C, [J] [I], [T] [M] et [O] [W] en indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'augmentation à l'été 2015 de ses prix d'approvisionnement de 55 %, de la rupture définitive de ses approvisionnements, de la perte de ses fournisseurs exclusifs le 1er octobre 2016, et de la concurrence déloyale subie,



- subsidiairement, avant-dire-droit, ordonner la comparution personnelle de la société U10 en la personne obligatoire de [T] [M] sous astreinte de 10 000 euros à la charge de [T] [M] personnellement, à l'effet de répondre aux questions visées aux motifs et toute autre interrogation, d'être confronté à M. [Y] [R] et qu'il soit dressé du tout un procès-verbal en application de l'article 194 du code de procédure civile ;



- rejeter la demande de désignation d'un mandataire ad hoc et inviter la société U10 à saisir le tribunal de commerce de Villefranche, au fond, si elle entend essayer de faire révoquer judiciairement pour cause légitime et/ou juste motif M. [Y] [R],



- condamner la société U10 à lui payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme globale de 15 000 euros pour l'ensemble de la procédure, ainsi que les dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Romain Laffly, avocat, sur son affirmation de droit.



Aux termes de ses dernières conclusions du 19 novembre 2019, la société U-Web demande à la cour de :



- in limine litis, surseoir à statuer en attendant l'issue définitive de la procédure introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare sous le n° RG 2016J00044 ;



A titre principal :



- confirmer l'ordonnance de référé du 7 juillet 2016 dans toutes ses dispositions ;



- condamner la société U10 à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



- condamner la société U10 aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Romain Laffly, avocat sur son affirmation de droit.





Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2019.




MOTIFS DE LA DÉCISION :



Devant la cour de renvoi, M. [R] et la société U-web demandent que soit ordonné un sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive dans le litige les opposant devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare aux sociétés U10, L3C, [J] [I] ainsi qu'à MM. [W] et [M].



A supposer que cette demande fut recevable, il n'y a pas lieu d'y faire droit, l'issue du présent litige ne dépendant pas de celui dont est saisi le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare.



Par ailleurs, la comparution de la société U10 en la personne de M. [T] [M] n'étant pas nécessaire à la solution du litige, il n'y a pas lieu de l'ordonner.



Aux termes de l'article L. 223-27, alinéa 4, du code de commerce, applicable aux sociétés à responsabilité limitée, 'un ou plusieurs associés détenant la moitié des parts sociales ou détenant, s'ils représentent au moins le dixième des associés, le dixième des parts sociales, peuvent demander la réunion d'une assemblée, tandis que l'alinéa 7 de ce texte précise que tout associé peut demander en justice la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée et de fixer son ordre du jour'.



L'article 223-25, alinéa 1er, du même code dispose que 'le gérant peut être révoqué par décision des associés dans les conditions de l'article L. 223-29, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages et intérêts'.



En l'espèce, il est constant que la société U10, qui détient 51 % du capital social de la société U-Web, a sollicité du gérant de cette société la convocation d'une assemblée générale, avec pour ordre du jour la révocation du gérant, ce qui lui a été refusé.



Dès lors qu'il est saisi par un associé majoritaire d'une demande de désignation d'un mandataire ad'hoc en vue de la convocation d'une assemblée générale, le juge est tenu d'y faire droit, sans pouvoir en apprécier l'opportunité, notamment, au regard de l'intérêt social.



En décider autrement permettrait à un gérant de s'opposer à la convocation d'une assemblée générale en vue de sa révocation et ce, au détriment des droits de l'associé majoritaire auquel le juge n'a pas à se substituer pour apprécier a priori l'opportunité de cette décision.



Si l'associé procède à une révocation sans juste motif, il s'expose à devoir indemniser le gérant révoqué de manière abusive.



Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise et de désigner Maître [K] [N] en qualité de mandataire ad'hoc, avec pour mission de convoquer une assemblée générale de la société U-Web avec un ordre du jour tel que précisé dans le dispositif.



L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société U10.





PAR CES MOTIFS,



La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,



Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2019,



Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer et à ordonner une comparution personnelle de la société U10, prise en la personne de son dirigeant ;



Infirme l'ordonnance entreprise ;



Désigne Maître [K] [N], demeurant [Adresse 1], en qualité de mandataire ad'hoc avec pour mission de convoquer une assemblée générale de la société U-Web avec pour ordre du jour :



* décision à prendre concernant la révocation éventuelle du mandat de gérant de M. [Y] [R],

* nomination le cas échéant d'un nouveau gérant et fixation de ses pouvoirs,

* pouvoir pour l'accomplissement des formalités,



Condamne M. [Y] [R] et la société U-Web à payer à la société U10 la somme globale de 2 000 (deux mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne M. [Y] [R] et la société U-Web aux dépens de première instance et d'appel, avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet, avocat, par application de l'article 699 du code de procédure civile.



LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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