26 May 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 18/24313

Pôle 5 - Chambre 8

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 26 MAI 2020



(n° / 2020 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/24313 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6X2H



Décision déférée à la cour : Sur renvoi après cassation du 04 Juillet 2018 (Pourvoi n° U16-25.542) d'un arrêt rendu le 30 juin 2016 par la chambre 9 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris (RG 15/15325) sur appel d'un jugement rendu le 18 juin 2015 par le tribunal de grande instance de Paris (RG 12/16700)





APPELANTS



Monsieur [X] [M]

Né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 1] (Tunisie)

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 2]





Monsieur [I] [T]

Né le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 3]

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 2]





Madame [Q] [N]

Née le [Date naissance 3] 1923 à [Localité 3]

Demeurant [Adresse 3]

[Localité 4]





Madame [M] [K]

Née le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 3]

Demeurant [Adresse 4]

[Localité 2]





Monsieur [D] [Z]

Né le [Date naissance 5] 1945 à [Localité 3]

Demeurant [Adresse 5]

[Localité 4]





Représentés par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,

Assistés de Me Nicolas MONNOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0430







INTIMÉS



Monsieur [T] [J], ès qualité de mandataire judiciaire,

Né le [Date naissance 6] 1945 à [Localité 5]

Demeurant [Adresse 6]

[Adresse 6]





CAISSE DE GARANTIE DES ADMINISTRATEURS ET DES MANDATAIRES JUDICIAIRES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Ayant son siège social [Adresse 7]

[Adresse 7]





SA MMA IARD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, venant aux droits de la société COVEA RISKS,

Immatriculée au RCS du MANS sous le numéro 440 048 882

Ayant son siège social [Adresse 8]

[Adresse 8]





Représentés par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034,

Assistés de Me Timothée DE HEAULME DE BOUTSOCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : R44





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l' article 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Septembre 2019, en audience publique, devant la cour, composée de :



Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,



qui en ont délibéré.



Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne-Sophie TEXIER dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.



Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL





ARRÊT :



- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.






FAITS ET PROCÉDURE:



La Société Générale d'Importation SA (la société GISA) avait pour actionnaires MM. [M], [Z], [I] [T] et [L] [T], Mmes [K] et [N] et la SARL Finercom, elle-même détenue par M. [I] [T] et Mme [N].



Les sociétés GISA et Finercom ont fait l'objet d'un redressement judiciaire, ouvert par le tribunal de commerce de Paris le 18 août 1994, qui a donné lieu, le 3 août 1995, à l'adoption d'un plan de cession totale à l'égard de la première et à la mise en liquidation judiciaire de la seconde.



La clôture de la procédure et la radiation du registre du commerce et des sociétés des sociétés Finercom et GISA ont été prononcées par deux jugements rendus, respectivement, les 16 mars 1998 et 17 décembre 2001.



A la suite d'un courrier de la société Coface, qui indiquait avoir perçu des fonds pour le compte de la société GISA, le président du tribunal de commerce de Paris, par ordonnance du 29 avril 2005, a désigné Me [J], mandataire judiciaire, en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de rouvrir la procédure collective, de recevoir les fonds et de procéder à leur répartition entre les créanciers.



Au vu d'un courrier de Me [J] du 21 novembre 2005, le président du tribunal de commerce a décidé, par ordonnance du 25 juillet 2006, de rétracter celle du 29 avril 2005 et d'en réitérer le contenu, à l'exception du chef de mission prévoyant la réouverture de la procédure collective.



Me [J] a reçu la somme de 14 622 611,26 euros de la société Coface le 27 octobre 2006, l'a répartie entre les créanciers à compter du mois de novembre 2006 puis, étant détenteur d'un solde de 8 673 502,85 euros, a saisi le président du tribunal de commerce de Paris d'une requête en désignation de M. [I] [T] en qualité de liquidateur amiable de la société GISA avec pour mission de recevoir ce solde, de désintéresser tout créancier qui ne l'aurait pas été et de procéder aux opérations de liquidation amiable.



Cette requête a été accueillie par ordonnance du 30 janvier 2007.



Au mois d'avril 2007, M. [M] a assigné Me [J] et M. [I] [T] en rétractation des ordonnances des 25 juillet 2006 et 30 janvier 2007.



Par arrêt du 1er février 2008, la cour d'appel de Paris a rétracté ces ordonnances et dit que ni le président du tribunal de commerce, statuant sur requête, ni la cour n'avaient le pouvoir de donner suite à la requête de la société Coface du 29 juillet 2004.



Un arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 avril 2008 a par ailleurs infirmé le jugement du 11 octobre 2007 qui avait ordonné la réouverture des opérations de liquidation de la société Finercom et, statuant à nouveau, déclaré irrecevable la requête présentée à cette fin par la SCP [Q]-[J].



Imputant à faute à Me [J] la distribution des fonds versés par la Coface aux anciens créanciers de la société GISA, MM. [M], [I] [T], [Z] et Mmes [K] et [N] (les anciens actionnaires), cette dernière en son nom propre et en qualité d'ayant droit de [L] [T], son mari décédé, l'ont assigné le 13 novembre 2012, ainsi que la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (la Caisse de garantie), en responsabilité civile professionnelle et indemnisation.



Le 21 octobre 2013, les anciens actionnaires ont assigné en intervention forcée et garantie la société Covéa Risks, assureur responsabilité civile professionnelle des administrateurs et mandataires judiciaires.



Par jugement du 18 juin 2015, le tribunal de grande instance de Paris a mis hors de cause la Caisse de garantie, déclaré recevable l'action des anciens actionnaires, rejeté leurs demandes et les a condamnés à payer aux défendeurs une somme globale de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre à supporter les dépens.



Les anciens actionnaires ont relevé appel du jugement selon déclaration du 15 juillet 2015.



Par arrêt du 30 juin 2016, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement, sauf en qui concerne la qualité à agir de Mme [N] en qualité d'ayant droit de son époux décédé, et condamné in solidum les anciens actionnaires à payer 5 000 euros aux intimés en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.



Sur pourvoi des anciens actionnaires, la Cour de cassation, par arrêt du 4 juillet 2018 (n° 16-25.542), a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2016 sauf en ce qu'il avait déclaré recevable l'action engagée par MM. [T], [Z] et [M], par Mme [K] et, en son nom personnel, par Mme [N] et renvoyé, sur les autres points, la cause et les parties devant la même cour d'appel, autrement composée. Elle a considéré que la cour d'appel avait :



- violé l'article 724 du code civil en déclarant Mme [N] irrecevable à agir en qualité d'ayant droit de son époux décédé, alors qu'elle était saisie de plein droit des biens, droits et actions du défunt et, partant, avait qualité pour exercer, sans le concours des autres héritiers, une action tendant à obtenir, au bénéfice de la succession, l'indemnisation du préjudice subi par le défunt ;



- violé les articles 90 de la loi du 25 janvier 1985 et l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil en écartant toute faute de la part de M. [J] au motif que la mission de répartir les fonds entre les créanciers de la société GISA lui avait été confiée par le président du tribunal de commerce sur requête de l'avocat de la Coface, alors qu'elle avait constaté que M. [J] avait demandé au président du tribunal, compte tenu de l'impossibilité de rouvrir la procédure collective, à être désigné mandataire ad hoc pour répartir les fonds entre les créanciers de la société GISA en dépit de la clôture de la procédure de redressement judiciaire de cette dernière ;



- violé les mêmes textes en écartant toute faute de la part de M. [J] au motif qu'il n'était pas établi qu'en l'absence de saisine du tribunal, les sommes versées par la Coface auraient dû être réparties entre les associés de la société GISA, et non entre ses créanciers, alors qu'après clôture d'une procédure de redressement judiciaire ayant donné lieu à un plan de cession totale, les créanciers, qui ne recouvrent leur droit de poursuite individuelle que dans les limites de l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985, ne peuvent plus prétendre au paiement de leur créance.



La cour d'appel de Paris a été saisie par déclaration des anciens actionnaires du 16 novembre 2018.



Dans leurs conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 7 janvier 2019, les anciens actionnaires demandent à la cour :



- de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable leur action ;

- de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau :

- de condamner M. [J] à leur payer la somme de 5 949 108,41 euros à titre de dommages et intérêts,

- de condamner M. [J] à leur payer la somme de 227 397,72 euros au titre des intérêts légaux,

- de condamner M. [J] à leur payer la somme de 900 000 euros à titre de réparation complémentaire, à raison de l'opposition abusive et de la mauvaise foi de ce dernier,

- de dire que la société MMA Iard devra relever et garantir M. [J] des condamnations prononcées par l'arrêt à intervenir conformément au contrat d'assurance de responsabilité civile souscrit par la Caisse de garantie,

- de condamner M. [J] à leur payer la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre à supporter les dépens.



Suivant conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 2 septembre 2019, Me [J], la Caisse de garantie et la société MMA Iard, venant aux droits de la société Covéa Risks, demandent à la cour :



- de confirmer le jugement,

- de rejeter les demandes des anciens actionnaires,

- de mettre hors de cause la Caisse de garantie,

- de dire, en tant que de besoin, que la société MMA Iard, venant aux droits de la société Covea Risks, ne peut être tenue que dans les termes et limites du contrat d'assurance, notamment en ce qu'il prévoit une franchise de 10 % du montant de l'indemnité susceptible d'être mise à la charge de l'assuré, avec un minimum de 3 800 et un maximum de 11 500 euros de franchise opposable aux tiers,

- y ajoutant, de condamner in solidum les anciens actionnaires à leur payer, à chacun, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Jeanne Baechlin conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.






SUR CE,



- Sur la recevabilité de l'action des anciens actionnaires de la société GISA



Sauf en ce qu'il concerne Mme [N], prise en qualité d'ayant droit de son conjoint décédé, le chef de dispositif du jugement ayant déclaré les anciens actionnaires recevables en leur action est devenu irrévocable pour avoir été confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Paris 30 juin 2016, non cassé sur ce point.



Force est de constater, par ailleurs, que les intimés, qui demandent la confirmation du jugement, ne contestent plus la recevabilité de l'action de Mme [N], prise en qualité d'ayant droit de son conjoint décédé, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré cette action recevable.



- Sur l'action en responsabilité contre Me [J] fondée sur les articles 1382 et 1383 (anciens) du code civil



La faute invoquée



Les anciens actionnaires imputent à faute à Me [J] d'avoir participé activement à sa nomination en qualité de mandataire ad hoc en vue du paiement des anciens créanciers de la société GISA en sollicitant du président du tribunal de commerce qu'il prenne une ordonnance rectificative, alors qu'en tant que mandataire judiciaire, professionnel du droit des procédures collectives, il ne pouvait ignorer qu'il n'était pas possible de payer d'anciennes créances éteintes d'une procédure collective clôturée. Ils lui reprochent également d'avoir omis de porter à leur connaissance la perception de fonds de la Coface.



Les intimés répliquent que :



- Me [J] a été désigné mandataire ad hoc sur requête de la Coface et s'est borné à saisir le président du tribunal de commerce d'une requête en rectification de sa précédente ordonnance en vue d'une simple modification technique, relative à la réouverture de la procédure clôturée ;



- Me [J] ne peut être tenu pour responsable de l'exécution d'une décision de justice ;



- l'impossibilité pour les créanciers d'exercer leur droit de poursuite individuelle après la clôture du redressement judiciaire de la société GISA n'emportait ni extinction des créances, ni impossibilité pour le juge d'ordonner leur paiement dans le cadre de l'apurement collectif du passif et, partant, n'interdisait pas le paiement de ces créanciers postérieurement à la clôture.



S'il ne peut être imputé à faute à un mandataire de justice d'exécuter le mandat dont il a été investi par une juridiction, ce dernier peut, en revanche, engager sa responsabilité à raison de fautes commises dans l'exécution de sa mission.



En l'espèce, l'avocat de la société Coface a adressé au tribunal de commerce de Paris un courrier daté du 29 juillet 2004 qui exposait que la société GISA avait été mise en redressement judiciaire le 18 août 1994, qu'une clôture serait intervenue au mois de décembre 2001 et que la Coface avait reçu des fonds pour le compte de cette société s'élevant en l'état à 2 698 596,22 euros, puis sollicitait que le tribunal soit saisi aux fins de réouverture des opérations de la procédure collective, en application de l'article L. 622-34 du code de commerce (texte applicable en liquidation judiciaire), en vue de permettre le versement des fonds à la société GISA et la poursuite des opérations.



Par ordonnance du 29 avril 2005, le président du tribunal de commerce de Paris, après avoir relevé qu'il était nécessaire de rouvrir la liquidation judiciaire clôturée le 17 décembre 2001 afin de répartir les fonds mis à la disposition des créanciers par la Coface, a désigné Me [J] en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de rouvrir la procédure clôturée le 17 décembre 2001, de recevoir les fonds de la Coface pour les transférer dans le patrimoine de la société GISA et de procéder à leur répartition au marc le franc aux créanciers à hauteur du solde de leur créance résultant de la première distribution.



Par lettre datée du 21 novembre 2005, Maître [J] a indiqué au président du tribunal de commerce que la procédure collective n'était pas une liquidation judiciaire mais un redressement judiciaire suivi d'un plan de cession et que « la réouverture d'une procédure collective serait lourde et onéreuse alors que, sur la simple référence à l'état du passif vérifié, la mission du mandataire ad hoc permettrait de rapidement satisfaire les créanciers, dans les meilleurs délais, sur les fonds récupérés par la Coface », raisons pour lesquelles il lui suggérait de prendre « une ordonnance rectificative [...] confirmant la nomination d'un mandataire ad hoc, sans réouverture de la procédure collective, mais avec la même mission, pour le surplus, que celle définie à l'ordonnance du 29 avril 2005 ».



Par ordonnance du 25 juillet 2006, le président du tribunal de commerce a rétracté sa précédente ordonnance du 29 avril 2005 et désigné Me [J] en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de recevoir les fonds des mains de la Coface et d'en effectuer la répartition au marc le franc entre les créanciers à hauteur du solde de leur créance tel que résultant des distributions antérieures.



Il ressort de ces éléments que, s'il n'est pas établi que Me [J] a participé à sa désignation par l'ordonnance du 29 avril 2005 et à la définition de sa mission initiale, celui-ci a néanmoins invité le président du tribunal de commerce, en connaissance de la nature et de l'issue de la procédure collective ouverte à l'égard de la société GISA et au prétexte que la réouverture de cette procédure serait « lourde et onéreuse », à reconduire les précédents chefs de mission, sous réserve de celui relatif à la réouverture.



Or, aucun texte ne prévoyant la réouverture d'un redressement judiciaire clôturé après exécution d'un plan de cession totale, la réouverture de la procédure collective de société GISA était exclue, non pas, comme l'a indiqué Me [J] dans son courrier, du fait sa lourdeur et de son coût, mais en raison d'une impossibilité juridique.



En outre, l'article 92 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, applicable en cas d'adoption d'un plan de cession totale, n'autorisait la reprise des poursuites individuelles des créanciers après le jugement de clôture du redressement judiciaire que dans les limites fixées par l'article 169 de la même loi (à savoir au profit des créanciers titulaires de créances résultant de condamnations pénales ou de droits attachés à la personne ou en cas de fraude commise à l'égard des créanciers ou de prononcé d'une faillite personnelle ou d'une interdiction de gérer ou encore dans l'hypothèse d'une précédente liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif).



Si l'impossibilité, pour les créanciers, de reprendre leurs poursuites individuelles en dehors des hypothèses prévues par l'article 169 n'emporte pas extinction de leurs créances, elle interdit tout paiement ne procédant pas d'une initiative du débiteur, notamment par le biais d'une décision de justice.



Ainsi, en suggérant au président du tribunal de commerce de rétracter son ordonnance sous un prétexte erroné et, nonobstant l'absence de droit des créanciers de la société GISA à percevoir les fonds versés par la Coface, à reconduire le chef de mission qui organisait leur paiement, Me [J], professionnel du droit des entreprises en difficulté, a commis une faute dans l'exercice de sa mission.



En revanche, la désignation de Me [J] étant intervenue à la suite d'une procédure non contradictoire, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête de l'avocat de la Coface, il ne peut lui être imputé à faute d'avoir rendu compte d'une difficulté dans l'exercice de sa mission à l'autorité qui l'avait nommé sans en informer les anciens actionnaires ou, plus largement, de ne pas avoir porté à leur connaissance le contenu de la requête de la Coface.



Le lien de causalité et le préjudice



Les anciens actionnaires soutiennent que la distribution sans droit et fautive de la somme qui aurait dû leur revenir est à l'origine de leur préjudice et évaluent celui-ci au montant distribué par Me [J] aux anciens créanciers de la société GISA, soit 5 949 108,41 euros.



Invoquant les dispositions de l'article 1231-6 du code civil, ils prétendent en outre que cette somme a produit des intérêts légaux à compter de l'assignation du 13 novembre 2012, qu'ils chiffrent à 227 397,72 euros selon décompte arrêté au 16 novembre 2018, et réclament 900 000 euros de dommages et intérêts complémentaires en réparation d'un préjudice distinct des intérêts moratoires causé par la mauvaise foi de Me [J], correspondant à la perte du revenu qu'ils auraient perçu en plaçant les fonds distribués à tort.



Les intimés contestent le lien de causalité en faisant valoir qu'en l'absence de demande de rectification de la première ordonnance, celle-ci aurait produit ses effets, laissant ainsi subsister la désignation de Me [J] et la mission de répartition des fonds entre les créanciers.



Ils relèvent en outre que l'erreur consistant à avoir payé les anciens créanciers, à la supposer établie, a été commune à Me [J], au tribunal et aux anciens actionnaires, qui n'ont formulé aucune contestation bien qu'informés, en la personne de M. [T] et de son conseil, de la mission confiée à Me [J] avant l'exécution de celle-ci, et ont accepté de payer un créancier dans un cas de figure similaire, relatif à la réouverture des opérations de liquidation de Finercom.



Sur le préjudice, ils estiment qu'il se limite à une perte de chance « particulièrement illusoire » de percevoir les fonds distribués aux créanciers. Ils arguent à cet égard, d'une part, qu'en l'absence de désignation de Me [J], la Coface n'aurait procédé à aucun règlement et, d'autre part, qu'un mandataire ad hoc ayant été désigné à deux reprises avec pour mission de distribuer les fonds aux créanciers, il n'est pas établi que les anciens actionnaires auraient pu se les voir attribuer en justice.



Pour conclure au rejet des demandes relatives aux intérêts légaux et aux dommages et intérêts complémentaires, ils font également valoir que les créances de réparation n'entrent pas dans les prévisions de l'article 1231-6 du code civil.



La distribution des fonds aux créanciers de la société GISA est intervenue en exécution de l'ordonnance du 25 juillet 2006, prise par le président du tribunal de commerce conformément à la demande de Me [J], de sorte que les intimés sont mal fondés à conclure à l'absence de lien de causalité entre la faute de ce dernier et l'absence de perception des mêmes fonds par les anciens actionnaires.



Il est par ailleurs sans incidence que la distribution litigieuse résulte des fautes conjuguées de Me [J] et du président du tribunal de commerce, signataire de l'ordonnance du 25 juillet 2006, dès lors que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité.



Il reste à déterminer si, comme le soutiennent les intimés, les anciens actionnaires ont contribué à leur propre dommage.



Il résulte des pièces versées aux débats que, préalablement à la première distribution de fonds aux créanciers, intervenue le 29 novembre 2006, une réunion a eu lieu entre Me [J] et le conseil de M [T] à l'issue de laquelle le premier a fait parvenir au second, par courriers des 30 octobre et 16 novembre 2006, des documents relatifs au passif de la société GISA. Il est également produit un courriel de l'avocat de M. [T] du 19 décembre 2006, date à laquelle les distributions n'étaient pas encore terminées, transmettant à Me [J] un projet de requête en désignation de M. [T] en qualité de liquidateur amiable de la société GISA avec pour mission de percevoir le solde disponible après répartition aux créanciers et de désintéresser le cas échéant tout créancier qui ne l'aurait pas été.



Ces éléments témoignent de l'implication de M. [T] dans la mise en oeuvre des distributions litigieuses mais n'établissent pas que ce dernier a consenti, en toute connaissance de cause, à voir les fonds litigieux versés aux créanciers plutôt qu'aux anciens actionnaires et, ainsi, contribué au préjudice qu'il invoque.



Quant à la circonstance que M. [T] et Mme [N] aient accepté de payer un créancier de la société Finercom, dont ils étaient les anciens associés, pour le dissuader de demander la réouverture de la liquidation judiciaire de cette société, elle n'est corroborée par aucune pièce et, surtout, n'a contribué en aucune manière aux distributions effectuées au profit des créanciers de la société GISA.



Dès lors, il n'est pas établi que les anciens actionnaires ont commis une faute ayant contribué à leur propre dommage.



S'agissant du préjudice, les intimés sont bien fondés à faire valoir que la faute de M. [J] n'a pas empêché les anciens actionnaires de percevoir les fonds mais seulement privé ces derniers d'une chance de se les voir verser.



En l'absence des fautes conjuguées de Me [J] et du président du tribunal de commerce, qui a accueilli la demande en rétractation de son ordonnance du 29 avril 2005, il existait une chance raisonnable que cette décision, dont l'exécution supposait que le tribunal de commerce accepte la réouverture du redressement judiciaire nonobstant l'absence de texte le permettant, ne produise pas ses effets.



Il n'est cependant pas acquis qu'en l'absence d'exécution de l'ordonnance du 29 avril 2005, les fonds auraient été versés aux anciens actionnaires par la Coface, directement ou sur décision de justice, alors que ni cette dernière, ni le président du tribunal, ni M. [T] et son conseil, informés de la répartition à intervenir, n'apparaissent avoir envisagé que les créanciers soient sans droit à prétendre à un paiement.



En considération de ces éléments, la cour évalue à 60 % la perte de chance des anciens actionnaires de percevoir les fonds distribués par Me [J] aux créanciers de la société GISA.



Il n'est pas contesté que ces fonds représentent une somme totale de 5 949 108,41 euros.



En conséquence, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts des anciens actionnaires et de condamner Me [J] à payer 60 % de la somme précitée, soit 3 569 465,05 euros.



En se fondant sur les dispositions de l'article 1236-1 du code civil, les anciens actionnaires demandent, pour la première fois devant la cour de renvoi, de fixer le point de départ des intérêts au taux légal à la date de l'assignation et de se voir allouer des dommages et intérêts complémentaires.



L'article 1236-1 du code civil énonce : « Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. / Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. / Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire. ».



Il résulte des dispositions précitées que, comme le soulignent à juste titre les intimés, celles-ci trouvent à s'appliquer en cas de retard dans l'exécution d'une obligation de paiement d'une somme d'argent, situation qui n'est pas celle de l'espèce, la créance en cause des anciens actionnaires étant de nature indemnitaire.



Les demandes présentées sur le fondement de l'article 1236-1 du code civil doivent, dès lors, être rejetées.



La cour n'estimant pas justifié de déroger au principe édicté par l'article 1237-1 du code civil selon lequel la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal à compter du prononcé de celle-ci, les dommages et intérêts alloués porteront intérêt à compter du présent arrêt.

- Sur la mise hors de cause de la Caisse de garantie



Il résulte de l'article L. 814-4 du code de commerce que les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires dans l'exercice de leurs mandats ne sont pas couvertes par la Caisse de garantie mais par une assurance souscrite par l'intermédiaire de cette Caisse.



Au demeurant, force est de constater que les anciens actionnaires ne forment aucune demande à l'encontre de la Caisse de garantie.



C'est donc à juste titre que le jugement critiqué a mis la Caisse de garantie hors de cause.



- Sur la garantie de la société MMA Iard



La société MMA Iard ne discute pas sa garantie mais fait valoir, sans être contredite, que celle-ci n'est due que dans les limites du contrat d'assurance, qui stipule notamment l'application d'une franchise.



Conformément à l'article L. 112-6 du code des assurances, l'assureur peut opposer au tiers qui invoque le bénéfice de la police d'assurance les exceptions opposables au souscripteur originaire.



En conséquence, il y a lieu, la disposition contraire du jugement étant infirmée, de condamner la société MMA Iard à relever et garantir Me [J] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, dans les limites du contrat d'assurance qui stipule une franchise de 10 % du montant de l'indemnité avec un minimum de 3 800 euros et un maximum de 11 500 euros.



- Sur les dépens et frais irrépétibles



Me [J] succombant pour l'essentiel, il convient d'infirmer les chefs de dispositif du jugement ayant condamné les anciens actionnaires aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Me [J] sera tenu aux dépens de première instance et d'appel. L'équité ne commande cependant pas de condamner ce dernier à payer aux anciens actionnaires une indemnité au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés.





PAR CES MOTIFS,



Statuant dans les limites de la saisine de la cour, qui n'inclut le chef de dispositif du jugement ayant déclaré recevable l'action engagée par MM. [X] [M], [I] [T], [D] [Z] et Mmes [M] [K] et [Q] [N] qu'en ce qu'il se prononce sur la recevabilité de l'action de cette dernière en qualité d'ayant droit de [L] [T],



Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée par Mme [Q] [N] en qualité d'ayant droit de [L] [T] et mis hors de cause la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires,



L'infirme pour le surplus,



Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,



Condamne M. [T] [J] à payer à MM. [X] [M], [I] [T], [D] [Z] et Mmes [M] [K] et [Q] [N], cette dernière prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de [L] [T], la somme de 3 569 465,05 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,



Rejette les demandes tendant à voir condamner M. [T] [J] au paiement de la somme de 227 397,72 euros, au titre des intérêts légaux courus entre le 13 novembre 2012 et le 16 novembre 2018, ainsi qu'à des dommages et intérêts complémentaires d'un montant de 900 000 euros,



Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne M. [T] [J] aux dépens de première instance et d'appel,



Condamne la société MMA Iard à relever et garantir M. [T] [J] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre par le présent arrêt, dans les limites du contrat d'assurance, qui stipule une franchise de 10 % du montant de l'indemnité avec un minimum de 3 800 euros et un maximum de 11 500 euros.







La greffière,



Liselotte FENOUIL



La Présidente,



Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

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