1 February 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 16-10.459

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2017:SO00224

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - licenciement - nullité - cas - discrimination - discrimination fondée sur la religion - applications diverses - licenciement d'un agent de la ratp ayant refusé la formule de serment - portée

Il résulte de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les formes compatibles avec leur religion. Il s'ensuit qu'un salarié du service de surveillance n'a commis aucune faute en proposant une telle formule lors de la prestation de serment devant le président du tribunal de grande instance et que le licenciement prononcé du fait des convictions religieuses du salarié est illicite

Texte de la décision

SOC.

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er février 2017




Cassation


M. FROUIN, président



Arrêt n° 224 FS-P+B

Pourvoi n° Z 16-10.459

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [V].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 novembre 2015.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme [E] [V], domiciliée [Adresse 1],

contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2015 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la RATP, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 janvier 2017, où étaient présents : M. Frouin, président, M. Huglo, conseiller rapporteur, Mmes Geerssen, Lambremon, MM. Chauvet, Maron, Déglise, Mme Farthouat-Danon, M. Betoulle, Mmes Slove, Basset, conseillers, Mmes Sabotier, Salomon, Depelley, Duvallet, Barbé, M. Le Corre, Mmes Prache, Chamley-Coulet, conseillers référendaires, M. Weissmann, avocat général référendaire, Mme Piquot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Huglo, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de Mme [V], de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la RATP, l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 9 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble l'article L. 1132-1 du code du travail ;

Attendu que, pour dire le licenciement pour faute grave justifié, l'arrêt retient que l'employeur n'avait pas à entrer dans le débat de savoir si la formule que proposait la salariée en remplacement de celle qu'entendait lui imposer le juge pour recevoir son assermentation aurait dû, au regard d'une certaine jurisprudence européenne ou des principes généraux du droit, être acceptée par celui-ci, ou si elle contenait ou non toute la substance du serment prévu par la loi, qu'il n'avait pas l'obligation de reprogrammer la salariée à une autre cérémonie d'assermentation pour que celle-ci, qui n'avait manifesté aucune volonté de revenir sur sa position selon procès-verbal de l'entretien préalable, soit en mesure de convaincre l'autorité judiciaire que le juge avait commis une erreur de droit en n'acceptant pas la formule qu'elle lui proposait au lieu et place des termes du serment demandé ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion ; qu'il s'ensuit que la salariée n'avait commis aucune faute en proposant une telle formule et que le licenciement prononcé en raison des convictions religieuses de la salariée était nul, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 janvier 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la RATP aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la SCP Boulloche à charge pour cette dernière de renoncer à percevoir l'indemnité prévue par l'Etat ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour Mme [V].

Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le licenciement de Mme [V] reposait sur une cause réelle et sérieuse et n'était pas abusif, et d'avoir rejeté sa demande de condamnation de la RATP au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

Aux motifs que « Mme [V] a été licenciée par courrier du 12 novembre 2007 sur le fondement de l'article 47a) du statut du personnel au motif que son refus de prêter serment devant le juge l'a privée de l'assermentation à l'obtention de laquelle était contractuellement subordonnée son admission dans le cadre permanent de la RATP.
La salariée conteste la validité du refus de son assermentation et reproche à la société de ne pas avoir tenu compte de ses arguments avant de la licencier.
L'article 2 du contrat de travail de Mme [V] précise :
"A l'issue de la période d'un an prévu au statut du personnel, et en cas de confirmation d'embauche, vous serez admis définitivement dans le cadre permanent de la RATP. La confirmation d'embauche, préparée par des entretiens périodiques avec votre responsable hiérarchique, sera prononcée si vos capacités professionnelles, votre comportement et vos résultats, ont donné satisfaction et sous réserve de l'avis favorable rendu à l'issue de la visite médicale prévue par le statut du personnel."
L'annexe de ce contrat paraphé et signé par Mme [V] précise explicitement :
"Vous êtes informée que votre admission définitive dans le cadre permanent de la RATP, sera subordonnée à :
-l'obtention de votre assermentation (prestation de serment devant le tribunal de grande instance de Paris)
A ce titre vous déclarez sur l'honneur remplir toutes les conditions pour obtenir votre assermentation, à savoir notamment aucune inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire que vous engagez à fournir."
Il apparaît ainsi que l'appelante qui ne le conteste d'ailleurs pas, a été parfaitement informée lors de son embauche, que son admission définitive dans le cadre permanent de la RATP était subordonnée à l'obtention de son assermentation.
Elle pouvait dès lors dès son embauche s'interroger sur sa capacité, au regard de ses convictions religieuses, à se soumettre aux conditions exigées par une juridiction pour valider son assermentation.
Par ailleurs elle ne peut reprocher à l'employeur une absence d'anticipation aux problèmes qu'elle a rencontrés au tribunal lors de la cérémonie d'assermentation dans la mesure où Mme [V] développe longuement elle-même qu'elle était restée discrète sur ce sujet avant de se présenter au tribunal.
Le dossier ne porte pas trace des allégations de Mme [V] selon lesquelles des renseignements contraires sur ses droits lui auraient été donnés par M. [W] avant de se rendre au tribunal et celui n'en atteste pas n'a manifestement pas fait suite à la demande d'assistance à l'entretien préalable qu'elle lui a formulée par courrier du 29 octobre 2007.
En outre en lui reprochant l'absence d'assermentation l'employeur lui oppose l'absence de réalisation d'une condition contractuelle impérieuse et primordiale puisque à sa réalisation est subordonnée la capacité de ses agents à exercer leurs fonctions et à dresser des procès-verbaux d'infraction notamment sur le fondement des articles 23 de la loi du 15 juillet 1845 relatif à la police des chemins de fer et L 130-4 du code de la route.
Enfin la réalisation de cette condition dépend d'un élément extérieur à l'employeur.
Celui-ci n'a aucune compétence pour décider du refus ou de l'octroi de l'assermentation qui dépendent de l'autorité judiciaire et qui échappent à son contrôle et son pouvoir.
L'employeur n'a dès lors pas à entrer dans le débat de savoir si la formule que proposait la salariée en remplacement de celle qu'entendait lui imposer le juge pour recevoir son assermentation aurait dû, au regard d'une certaine jurisprudence européenne ou des principes généraux du droit, être acceptée par celui-ci, ou si elle contenait ou non toute la substance du serment prévu par la loi. Il n'avait pas l'obligation de reprogrammer la salariée à une autre cérémonie d'assermentation pour que celle-ci, qui n'avait manifesté aucune volonté de revenir sur sa position selon procès-verbal de l'entretien préalable, soit en mesure de convaincre l'autorité judiciaire que le juge avait commis une erreur de droit en n'acceptant pas la formule qu'elle lui proposait au lieu et place des termes du serment demandé.
En revanche la salariée aurait pu faire toute diligence pour obtenir une assermentation de laquelle dépendait son avenir professionnel.
Mais le procès verbal d'audience note que Mme [V] indique au tribunal que "sa religion (chrétienne) lui interdit de prêter le serment prévu par la loi" et conclut "serment n'a donc pas été prêté".
En conséquence la faute résultant de son refus de se soumettre à la procédure exigée par l'autorité judiciaire pour lui permettre de disposer de l'indispensable assermentation n'est en rien discriminatoire mais est constitutif d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En conséquence la salariée est déboutée de sa demande en dommages et intérêts reposant sur un licenciement abusif et vexatoire » (arrêt p 3 § 2 et suiv.) ;

Et aux motifs adoptés que « l'assermentation est une procédure judiciaire ayant pour effet de donner à certains fonctionnaires, agents des administrations et services publics, compétence pour dresser des procès-verbaux dans l'exercice de leur mission.
Les agents de contrôle de la RATP doivent être assermentés pour être habilités à constater par procès-verbal l'ensemble des infractions à la police des chemins de fer, ainsi que les contraventions à certaines dispositions du code de la route (arrêt ou stationnement des véhicules dans les couloirs réservés à la circulation des autobus ou aux points d'arrêt).
Conformément à l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 et à l'article L 130-4 du code de la route, Mme [E] [V] devait être assermentée pour pouvoir exercer son activité professionnelle.
L'article 2 du contrat de travail de Mme [E] [V] précise bien :
"A l'issue de la période d'un an prévue au statut du personnel et en cas de confirmation d'embauche, vous serez admis définitivement dans le cadre permanent de la RATP.
La confirmation d'embauche, préparée par des entretiens périodiques avec votre responsable hiérarchique, sera prononcée si vos capacités professionnelles, votre comportement et vos résultats ont donné satisfaction et sous réserve de l'avis défavorable rendu à l'issue de la visite médicale prévue par le statut du personnel."
L'article II-période de commissionnement de l'annexe au contrat de travail de Mme [E] [V] dit :
"Vous êtes informé que votre admission définitive dans le cadre permanent de la RATP, telle qu'elle est définie au titre II du statut du personnel, est subordonnée à :
L'obtention de votre assermentation (prestation de serment devant le tribunal de grande instance de Paris)
A ce titre, vous déclarez sur l'honneur remplir toutes les conditions pour obtenir votre assermentation, à savoir notamment aucune inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire que vous vous engagez à fournir, si cela n'est pas déjà fait, dans un délai de 2 mois à compter de la signature des présentes. Vous êtes en outre informé que, en l'absence de présentation dudit document au terme de ce délai ou au cas où ce dernier contiendrait une condamnation, votre contrat de travail sera rompu immédiatement conformément aux dispositions de l'article 47 et 48 du statut du personnel."
Mme [E] [V] a paraphé et signé son contrat de travail avec la mention "lu et approuvé" à [Localité 1], le 18 septembre 2006.
Elle s'engageait à respecter cet article :
"Article 8-Obligations professionnelles :
Vous vous engagez à adopter, dans l'exercice de vos fonctions, un comportement et des attitudes visant au respect de la liberté et de la dignité de chacun. En outre la RATP étant une entreprise de service public qui répond au principe de neutralité, vous vous engagez à proscrire toute attitude ou port de signe ostentatoire pouvant révéler une appartenance à une religion ou à une philosophie quelconque.
Pendant l'exécution comme après la cessation de ce contrat, vous devrez observer une discrétion professionnelle absolue concernant les faits ou informations dont vous aurez eu connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de vos fonctions.
Vous reconnaissez n'être lié actuellement à aucun employeur par un contrat de travail ou par une clause de non-concurrence et vous vous engagez à n'exercer à titre professionnel aucune autre activité privée lucrative pendant toute la durée du présent contrat, conformément aux dispositions de l'article L. 324-1 du code du travail et de l'article 3 du statut du personnel.
Vous devrez informer votre hiérarchie de tout changement concernant votre situation (adresse, état civil…) dans les meilleurs délais."
Mme [E] [V], agent de contrôle de la RATP, n'a pas prêté serment le 28 septembre 2007, cela est attesté par le procès-verbal n°
07/00124.
Sans assermentation, Mme [E] [V] ne peut exercer son activité professionnelle au sein de la RATP.
Pour le conseil, la rupture du contrat de travail de Mme [E] [V] est fondée.
Mme [E] [V] est déboutée de ses demandes »
(jugement p 4, § 9 et suiv.) ;

1°) ALORS QUE la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845, contraire au principe de laïcité et de neutralité de l'Etat, qui sera prononcée par le Conseil constitutionnel justifiera l'annulation de l'arrêt attaqué, qui a validé le licenciement de Mme [V] fondé sur le refus de prêter le serment prévu par cet article, en application de l'article s 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 et 23-11 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

2°) ALORS QU'aucun salarié ne peut être licencié en raison notamment de ses convictions religieuses, de sorte que le refus de prêter, devant le juge, le serment prévu par l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 en raison de convictions religieuses ne saurait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d'un salarié qui a proposé de procéder à une affirmation solennelle contenant en substance toutes les prescriptions de la loi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que le refus de Mme [V] de se soumettre à la procédure d'assermentation était constitutif d'une cause réelle et sérieuse du licenciement, alors que Mme [V] avait proposé d'effectuer une affirmation solennelle reprenant les prescriptions de la loi ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et L. 1132-1 du code du travail ;

3°) ALORS QUE la liberté de manifester ses convictions religieuses comporte également le droit pour l'individu de ne pas être obligé de manifester sa confession ou ses convictions religieuses ; qu'en licenciant Mme [V] au motif qu'elle avait refusé de prêter, devant le juge, le serment prévu par la loi, ce qui l'avait contrainte à dévoiler sa religion chrétienne qui lui interdisait de prêter un tel serment, la cour d'appel a violé les articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et L. 1132-1 du code du travail.

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