8 December 2020
Cour d'appel de Lyon
RG n° 19/02474

2ème chambre A

Texte de la décision

N° RG 19/02474 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MJPU



















décision du

Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond

du 06 mars 2019



RG :16/09993





[X]



C/



LA PROCUREURE GENERALE







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE LYON



2ème chambre A



ARRET DU 08 Décembre 2020







APPELANTE :



Mme [T] [T] [K] épouse [R]

née le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 9] (PHILIPPINES)

[Adresse 5]

[Adresse 5]



Représentée de Me Bruno METRAL de la SCP BALAS & METRAL AVOCATS, avocat au barreau de LYON



assistée de Me BROCAS, avocat au barreau d'ANNECY







INTIMEE :



Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Madame CHRISTOPHLE, sustitut général



















******





















Date de clôture de l'instruction : 09 Avril 2020



Date des plaidoiries tenues en Chambre du Conseil: 04 Novembre 2020



Date de mise à disposition : 08 Décembre 2020



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré:

- Isabelle BORDENAVE, présidente

- Georges PEGEON, conseiller

- Hervé LEMOINE, conseiller



assistée pendant les débats de Tiffany JOUBARD, greffière,



A l'audience, Isabelle BORDENAVE a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.



Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



Signé par Isabelle BORDENAVE, présidente, et par Sophie PENEAUD, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




*****



EXPOSÉ DU LITIGE



Mme [T] [K], née le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 9] ( Philippines ) et M. [H] [R], ont contracté mariage le [Date mariage 4] 2008, à [Localité 8].



Par jugement du 13 septembre 2012, le tribunal de grande instance de Grenoble a prononcé l'adoption plénière de [Z] [I] [K], fille de Mme [T] [K] par M. [H] [R].



Le 12 juillet 2013, Mme [T] [K] a souscrit une déclaration de nationalité française, sur le fondement de l'article 21- 2 du code civil, laquelle a été enregistrée le 22 juillet 2014.



Le 26 août 2016, le procureur de la République de Lyon a assigné Mme [K] devant le tribunal de grande instance de Lyon, aux fins de voir annuler cet enregistrement de déclaration de nationalité française.



Par jugement du 6 mars 2019, auquel il est référé, le tribunal de grande instance de Lyon, après avoir constaté que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile avait été délivré, a annulé l'enregistrement de la déclaration de nationalité, souscrite le 12 juillet 2013 par Mme [T] [K], a dit que cette dernière n'était pas de nationalité française, ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil, et condamné Mme [K] aux dépens.



Par déclaration enregistrée le 8 avril 2019, Mme [T] [K] a relevé appel de ce jugement.



Aux termes de ses conclusions numéro deux, notifiées le 8 novembre 2019, elle demande à la cour, après avoir dit que les formalités prescrites à l'article 1043 du code de procédure civile ont été réalisées, de réformer le jugement, de déclarer recevable l'enregistrement de nationalité, et de dire qu'elle est de nationalité française.



Elle indique que le ministère public soutient que la déclaration d'appel serait caduque et que les conclusions seraient irrecevables, au motif qu'elle n'aurait pas adressé au ministère public sa déclaration d'appel, conformément aux dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, mais précise que ce texte ne fait nullement référence à quelconque signification obligatoire de la déclaration d'appel, et que la Cour de cassation a eu l'occasion, en 2016, de rappeler le fait que la seule transmission des conclusions suffisait pour que soient respectées les obligations de l'article 1043 du code de procédure civile.







Elle conclut en conséquence que la procédure est bien régulière, alors qu'elle a adressé ses conclusions au ministère de la Justice.



Sur le fond, elle rappelle les dispositions de l'article 26-4 du code civil, qui précisent que la cessation de communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude,précisant que c'est ainsi à elle de rapporter la preuve que la déclaration de nationalité qu'elle a souscrite n'était pas frauduleuse.



Elle soutient que le mariage contracté n'était pas un mariage de complaisance, qu'elle a présenté sa demande de nationalité alors qu'elle était mariée depuis près de cinq années, puisque le mariage a été célébré le [Date mariage 4] 2008, et rappelle que par jugement du 13 septembre 2012, le tribunal de grande instance de Grenoble a prononcé l'adoption plénière de sa fille par son mari.



Elle indique que si le mariage avait été souscrit frauduleusement, les époux auraient procédé à la déclaration de nationalité dès l'expiration du délai de quatre années requis, soit en novembre 2012, et que, si tel avait été le cas, ce mariage n'aurait pas donné lieu à l'adoption plénière de l'enfant par son mari.



Elle précise que, si quelques mois après la déclaration de nationalité, les époux ont convenu d'une séparation la semaine, avec retour au domicile le week-end, cette situation ne pourrait permettre de contester la vie commune, le fait que les époux se soient ensuite séparés, en raison des différents personnels, n'étant pas de nature à caractériser une fraude.



Par conclusions du 8 novembre 2019, Mme l'avocat générale demande à la cour de déclarer la déclaration d'appel de Mme [K] caduque, et ses conclusions irrecevables, d'annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite, de dire que Mme [K] n'est pas de nationalité française, et d'ordonner la mention prévue à l'article 28 du code de procédure civile.



Il est conclu, à titre principal, à la caducité de la déclaration d'appel et à l'irrecevabilité des conclusions, au visa des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, qui imposent qu' une copie de l'assignation, ou le cas échéant des conclusions, soit déposés au ministère de la Justice, qui en délivre récépissé, le défaut de respect de ces modalités entraînant la caducité de l'assignation ou l'irrecevabilité des conclusions.



Mme l'avocat générale demande par ailleurs de déclarer son action recevable, sans que quelconque prescription ne puisse être opposée, faisant valoir que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter de la découverte de la fraude par le procureur territorialement compétent, soit le 28 juillet 2016.



Sur le fond, Mme l 'avocat générale rappelle que le couple s'est séparé de fait dans le mois de la souscription de la déclaration de nationalité, soit en juillet 2013, que le 10 avril 2014, l'épouse a présenté une requête en divorce au juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Chambéry, qui a prononcé une ordonnance de non-conciliation le 4 juillet 2014.



Il est indiqué que l'enquête réalisée a permis de constater une rupture de communauté de vie depuis le mois de souscription de la déclaration de nationalité française, que M. [R] a cherché à cacher le départ de son épouse, revenant par la suite sur ses déclarations, pour reconnaître que celle-ci avait quitté le domicile conjugal en juillet 2013, pour s'installer avec un autre compagnon.



Mme l'avocat général conclut que la violation du devoir de fidélité est exclusive de toute communauté de vie affective, et que la séparation, dans le mois de souscription de la déclaration de nationalité, caractérise l'absence de cette volonté de vivre durablement en union, l'adoption plénière de l'enfant, intervenue le 13 septembre 2012 étant insuffisante pour rapporter la preuve de la réalité de communauté de vie au jour de la souscription de déclaration le 12 juillet 2013.



Au regard de fraude au moment de la souscription de la déclaration de nationalité, il est demandé la confirmation du jugement déféré.



La clôture a été prononcée le 9 avril 2020.






MOTIFS DE LA DÉCISION



En application des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation, le cas échéant, une copie des conclusions soulevant la contestation sont déposés au ministère de la justice qui en délivre récépissé.



Il convient de constater en l'espèce que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile a été régulièrement délivré, en cours de procédure, le 24 octobre 2019, par le ministère de la justice, de sorte que c'est en vain que sont soutenues la caducité de l'appel, et l'irrecevabilité des conclusions.



En application des dispositions de l'article 21-2 du code civil 'l'étranger ou l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration, à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage, et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l'étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n'est pas en mesure d'apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l'étranger au registre des Français établis hors de France. En outre le mariage célébré à l'étranger doit avoir fait l'objet d'une transcription préalable sur le registre de l'état civil français. Le conjoint étranger doit également justifier d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en conseil d'État.'



L'article 26 du même code, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, précise que les déclarations de nationalité souscrites en raison du mariage avec un conjoint français sont reçues par l'autorité administrative.



Par ailleurs, en application des dispositions de l'article 26-4 alinéa 3 du code civil, l'enregistrement peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude, dans le délai de deux années à compter de leur découverte, ce texte précisant par ailleurs que la cessation de communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude.



Aucune discussion n'est élevée sur la recevabilité de la demande d'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité pour fraude, au regard notamment du délai pour agir, fixé par le précédent texte, étant observé que le ministère public territorialement compétent, soit le procureur de la République de Lyon, n'a eu connaissance d'une éventuelle fraude que par la transmission qui lui a été faite le 28 juillet 2016, et que l'action a été introduite devant le tribunal de grande instance de Lyon le 26 août 2016.



Sur le fond, il ressort des éléments du dossier que la déclaration en vue de souscrire la nationalité française a été faite le 12 juillet 2013, et que le même jour, Mme [K] épouse [R] et M.[R] ont signé une attestation sur l'honneur de communauté de vie.



Il apparaît cependant, ainsi que l'établit l'enquête diligentée par les services de gendarmerie, que, dès le mois de juillet 2013, Mme [K] épouse [R] a quitté le domicile conjugal avant de saisir le juge aux affaires familiales de Chambéry le 10 avril 2014, d'une requête en divorce, une ordonnance de non conciliation étant prononcée le 4 juillet 2014.







Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu l'existence d'une présomption de fraude, et il appartient en conséquence à Mme [K] épouse [R] de rapporter la preuve que sa déclaration n'était pas frauduleuse.



Le fait que Mme [K] épouse [R] ait déposé la demande d'enregistrement plus de cinq années après le mariage, alors que le texte susvisé l'autorisait à présenter une telle demande antérieurement, ne saurait suffire à combattre le présomption de fraude, alors qu'il apparaît que la séparation du couple est intervenue dès le mois de la déclaration d'enregistrement, étant d'ailleurs relevé que M. [R], après avoir indiqué aux services d'enquête que la séparation datait de septembre 2015, et que son épouse était alors repartie avec sa fille aux Philippines, est revenu auprès de la gendarmerie pour modifier ses déclarations après avoir constaté que l'affaire devenait assez grave avec suivi par le ministère de l'intérieur.



Il ressort ainsi de ses dernières déclarations que, dès juillet 2013, son épouse a quitté le domicile conjugal, où elle déprimait, n'arrivant pas à s'intégrer à la vie locale, étant ensuite logée par des amis à [Localité 6], puis s'établissant avec un compagnon à [Localité 7].



Ces déclarations ne corroborent nullement la teneur des écritures de Mme [K] épouse [R], selon laquelle le choix d'une résidence séparée aurait été dictée par la volonté du couple de faciliter la scolarité de l'enfant [Z], inscrite au collège d'[Localité 6], avec retour au domicile les week end, et ce nonobstant l'attestation désormais établie par l'enfant.



S'il est effectif que, dans le cadre du mariage, M. [R] a présenté une requête le 17 janvier 2012, aux fins d'adopter l'enfant de Mme [K] épouse [R], née le [Date naissance 3] 2002, et que cette adoption plénière a été prononcée par le tribunal de grande instance de Grenoble le 13 septembre 2012, cette situation, comme l'ont justement retenu les premiers juges, si elle peut caractériser la sincérité du mariage, n'établit nullement, au regard du texte susvisé, la continuité d'une communauté de vie, tant affective que matérielle, au moment de la souscription de la déclaration de nationalité ainsi que l'exige l 'article 21-2 du code civil.



Les quelques photographies produites, si elles permettent de retenir que M. [R] maintenait le lien avec sa fille en 2014, ne permettent nullement de corroborer la persistance d'une communauté de vie matérielle et affective entre les époux.



Au regard de ces éléments, c'est à bon droit que le tribunal de grande instance de Lyon a annulé l'enregistrement de déclaration de nationalité française souscrite le 12 juillet 2013 par Mme [K] épouse [R], et dit que cette dernière n'était pas de nationalité française, en ordonnant les formalités de transcription, et en la condamnant aux dépens.



Mme [K] épouse [R], qui succombe en cause d'appel, sera également tenue aux dépens de l'instance d'appel.





PAR CES MOTIFS



La cour,



Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, et après en avoir délibéré



Constate que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,



Rejette les moyens visant à voir prononcer la caducité de l'appel et l'irrecevabilité des conclusions,



Confirme le jugement déféré,

















Condamne Mme [K] épouse [R] aux dépens.



Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Isabelle Bordenave, présidente et par, Sophie Peneaud, greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





LA GREFFIERE, LA PRÉSIDENTE,

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.