9 July 2020
Cour d'appel de Versailles
RG n° 18/03047

21e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 09 JUILLET 2020



N° RG 18/03047 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SQOL



AFFAIRE :



[H] [Y] [J]





C/

SAS KEOLIS CIF









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 03 Juillet 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MONTMORENCY

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F16/00428



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Salif DADI



la SELEURL PG AVOCATS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE NEUF JUILLET DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [H] [Y] [J]

né le [Date naissance 2] 1980 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Salif DADI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0912



APPELANT

****************



SAS KEOLIS CIF

N° SIRET : 562 091 132

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentant : Me Pascal GEOFFRION de la SELEURL PG AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0190 - N° du dossier 316064



INTIMEE

****************







Composition de la cour :





L'affaire était initialement appelée à l'audience publique du 16 Juin 2020 pour être débattue en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller chargé du rapport, pour la cour composée de :



Monsieur Philippe FLORES, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,



Au vu de l'état d'urgence sanitaire alors en vigueur, et en application de l'article 8 de l'ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 portant, notamment, adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, il a été décidé que la procédure susvisée se déroulerait sans audience.

Les parties en ont été avisées par le greffe le 11 Mai 2020 et ces dernières ne s'y sont pas opposées.



Ces magistrats en ont délibéré conformément à la loi :





Greffier : Monsieur Achille TAMPREAU,








FAITS ET PROCÉDURE



M. [H] [Y] [J] a été engagé le 9 février 2009 en qualité de conducteur receveur par la société Keolis CIF, selon contrat de travail à durée indéterminée, pour une rémunération brute mensuelle de 1 985 euros.



L'entreprise, qui exerce une activité de transport régulier de voyageurs, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des transports routiers et des activités annexes. Son activité est répartie sur quatre centres situés en région parisienne.



Le 16 avril 2015, le syndicat CGT CIF Keolis, interne à l'entreprise, a adressé à la direction un préavis de grève courant à compter du 22 avril 2015 jusqu'au 31 décembre 2015.



Le 17 juin 2015, la société a mis en demeure M. [Y] [J] de reprendre son poste ou de justifier son absence.



Le 6 juillet 2015, M. [Y] [J] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 16 juillet 2015.



Le 24 juillet 2015, M. [Y] [J] a été licencié pour faute grave en raison de son abandon de poste, ainsi que pour un retard dans le versement de la recette.



Par requête du 26 avril 2016, M. [Y] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency afin que soit prononcée la nullité de son licenciement fondé en partie sur l'exercice du droit de grève.



Par jugement rendu le 3 juillet 2018, le conseil (section commerce formation départage) a :

- débouté M. [Y] [J] de sa demande de nullité du licenciement pour exercice normal du droit de grève et de ses demandes subséquentes en réintégration et condamnation,

- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

- condamné M. [Y] [J] aux dépens,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.



Le 12 juillet 2018, M. [Y] [J] a relevé appel de cette décision par voie électronique.



Le président ayant décidé, conformément aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, de procéder selon la procédure sans audience, un avis a été adressé aux parties le 11 mai 2020, le délai de dépôt des dossiers étant fixé au 16 juin 2020. Les parties ne se sont pas opposées à cette procédure. Par ordonnance rendue le 16 juin 2020, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction.





Par dernières conclusions écrites du 15 mai 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [Y] [J] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, de :

- juger nul le licenciement prononcé à son égard,





- ordonner sa réintégration dans son emploi, ou si cet emploi n'existe plus ou n'est pas vacant, dans un emploi équivalent comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière et dans le même secteur géographique que l'emploi initial,

- condamner la société Keolis CIF à lui verser les sommes suivantes :

119 152,80 euros d'indemnité égale au montant des salaires qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise (24 juillet 2015) et la réintégration qu'il demande (calculée jusqu'au 24 juin 2020),

11 915,28 euros au titre des congés payés afférents,

3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Par dernières conclusions écrites du 3 juin 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Keolis CIF demande à la cour de confirmer le jugement, juger que le licenciement pour faute grave de M. [Y] [J] est fondé, le débouter de l'ensemble de ses demandes et le condamner à verser une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.




MOTIFS



Sur la rupture du contrat de travail



Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, il est reproché au salarié les faits suivants :



"Depuis le 5 mai 2015 vous êtes déclaré gréviste. Cependant, depuis le 8 juin 2015, vous êtes le seul salarié encore déclaré gréviste dans l'entreprise. Le 17 juin 2015, nous vous avons envoyé un courrier recommandé de mise en demeure vous demandant de justifier votre absence ou de reprendre votre poste.

Suite à cette mise en demeure, vous avez contacté les agents d'exploitation pour prévenir que vous vous considériez toujours en grève.

Nous vous avons expliqué que le droit de grève est un droit individuel mais qui s'exerce collectivement et qu'un arrêt de travail isolé ne peut être considéré comme l'exercice du droit de grève. Pendant l'entretien vous avez maintenu votre position et avez d'ailleurs expliqué que jusqu'à nouvel ordre vous étiez gréviste.

En l'absence de mouvement collectif de cessation concertée du travail dans l'entreprise, vous êtes en conséquence en absence injustifiée depuis le 8 juin 2015. Cette absence constitue une inexécution fautive de votre contrat de travail.

Malgré nos efforts pour vous faire comprendre l'illicéité de votre situation, vous avez maintenu votre position.

En l'absence de justifications valables de votre absence, nous sommes contraints de considérer qu'il s'agit d'un abandon de poste.

Par ailleurs, à la date de l'entretien, vous aviez un retard de recettes de 334 euros. Or, le règlement intérieur de l'entreprise stipule en son article 15.3 que les conducteurs receveurs doivent effectuer leur rendu de recette dans les 48 heures sauf cas de force majeure'".



Sur l'absence injustifiée, M. [Y] [J] soutient qu'il s'est joint à un mouvement de grève prévu par un préavis du syndicat de l'entreprise pour la période du 22 avril au 31 décembre 2015 et que si, dès le 8 juin 2015, il s'est retrouvé seul salarié gréviste, il était fondé à poursuivre seul la grève débutée collectivement, dès lors qu'il se trouvait au cours de la période indiquée sur le préavis de grève déposé par un syndicat représentatif. Il conteste également le second grief lié au retard de recette de 334 euros.



La société Keolis CIF rétorque que la protection des salariés grévistes ne s'applique pas à M. [Y] [J] puisqu'un mouvement suivi par un seul salarié ne répond pas à la définition de la grève, sauf participation à un mot d'ordre formulé au plan national, ce qui n'est pas le cas en l'espèce et que dès lors, un salarié seul 'gréviste' participe à un mouvement illicite qui autorise l'employeur à le sanctionner et à retenir contre lui une faute grave.



La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, et le doute profite au salarié.



L'article L. 2511-1 du code du travail dispose que l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié et l'article L. 1132-2 précise qu'aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de l'exercice normal du droit de grève.



La grève est une interruption collective du travail se donnant pour objectif de faire aboutir des revendications d'ordre professionnel. La grève étant une cessation collective et concertée du travail, un salarié ne peut prétendre exercer isolément son droit de grève, sauf lorsqu'il répond à un mot d'ordre formulé sur le plan national ou lorsque l'entreprise ne comporte qu'un seul salarié.



Le 16 avril 2015, le syndicat CGT CIF Keolis a adressé à la direction un préavis de grève courant à compter du 22 avril 2015 à 0h jusqu'au 31 décembre 2015 à 24h pour l'ensemble du personnel, sur la totalité des dépôts et annexes des Courriers d'Île de France.



M. [Y] [J] qui s'est déclaré gréviste, reconnaît aux termes de ses conclusions que l'arrêt collectif de travail a cessé le 8 juin 2015, puisqu'il précise qu'à compter de cette date il s'est retrouvé 'seul salarié gréviste'. Il ne peut donc être considéré qu'il exerçait alors normalement son droit de grève, en l'absence de cessation collective du travail et l'entreprise comptant plus de un salarié. De même, il importe peu que l'absence de M. [Y] [J] à son poste se situe durant la période du préavis initialement déposé par le syndicat, dès lors qu'il était le seul à cesser le travail et si, comme le souligne le salarié, le préavis de grève concernait tous les dépôts et toutes les catégories du personnel de la société Keolis, il n'en demeure pas moins qu'il ne s'agissait pas d'une grève nationale mais d'un mouvement touchant uniquement l'entreprise, initié par le syndicat 'CGT CIF Keolis'.



Par conséquent, M. [Y] [J], en tant que seul salarié absent depuis le 8 juin 2015, ne peut prétendre à la protection liée à l'exercice du droit de grève et son absence qui s'est poursuivie pendant plus d'un mois, malgré une mise en demeure de son employeur du 17 juin 2015 de justifier de son absence ou de se manifester, caractérise 'l'abandon de poste' reproché, lequel rendait effectivement impossible son maintien au sein de l'entreprise.



Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes du salarié.



Sur les demandes accessoires



M. [Y] [J], qui succombe, devra supporter les dépens et sera condamné à payer à la société Keolis CIF la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande à ce titre sera rejetée.



PAR CES MOTIFS



La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,



CONFIRME le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,



Y ajoutant,



CONDAMNE M. [Y] [J] à payer à la société Keolis CIF la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE M. [Y] [J] aux dépens.



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le greffier,Le président,

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