6 October 2020
Cour d'appel de Besançon
RG n° 18/01546

1ère Chambre

Texte de la décision

ARRÊT N°



BUL/DB



COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -



ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2020



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE







Contradictoire

Audience publique du 01 septembre 2020

N° de rôle : N° RG 18/01546 - N° Portalis DBVG-V-B7C-D76W



S/appel d'une décision

du TRIBUNAL DE COMMERCE DE BESANCON

en date du 27 juin 2018 [RG N° 2014006736]

Code affaire : 50B

Demande en paiement du prix ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix





[K] [A] C/ [L] [H], [J] [T], S.A.R.L. DIVERSITA





PARTIES EN CAUSE :





Monsieur [K] [A]

né le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 6]

de nationalité française, demeurant [Adresse 7]



APPELANT



Représenté par Me Laurent MORDEFROY de la SELARL ROBERT & MORDEFROY, avocat au barreau de BESANCON





















ET :



Maître [L] [H]

pris en sa qualité de liquidateur de la SA [F], Société Anonyme en liquidation judiciaire dont le siège social est [Adresse 1]

de nationalité française - Profession : mandataire judiciaire,

demeurant [Adresse 9]



INTIMÉ



Représenté par Me Mohamed AITALI de la SELARL TERRYN - AITALI -GROS-CARPI-LE DENMAT, avocat au barreau de BESANCON







Monsieur [J] [T]

né le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 8] - de nationalité française,

demeurant [Adresse 5]



S.A.R.L. DIVERSITA

dont le siège est sis [Adresse 2]



INTIMÉS



Représentés par Me Sandrine ARNAUD de la SELARL ARNAUD - LEXAVOUE BESANCON, avocat au barreau de BESANCON et par Me Olivier SCHNEIDER de la SELARL ASKEA AVOCATS SCHNEIDER KATZ ET ASSOCIES, avocat au barreau de STRASBOURG









COMPOSITION DE LA COUR :



Lors des débats :



PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.



ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER (magistrat rapporteur) et

A. CHIARADIA, Conseillers.



GREFFIER : Madame D. BOROWSKI, Greffier



lors du délibéré :



PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre



ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER, et A. CHIARADIA, Conseillers.


L'affaire, plaidée à l'audience du 01 septembre 2020 a été mise en délibéré au 06 octobre 2020. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.







**************







Faits et prétentions des parties



En 2004, M. [B] [F], horloger assembleur spécialisé dans les bijoux et montres pour dames et fondateur de la société [F], a cédé l'ensemble de ses activités à M. [K] [A], doté d'une expérience dans l'horlogerie manufacturière suisse.



Confronté à une baisse du chiffre d'affaire de la société désormais nommée SAMEP et à la nécessité de repenser le positionnement de la marque en la dotant de son propre mouvement horloger (le 'calibre royal'), qui a rencontré des difficultés techniques, M. [A] va déposer une déclaration de cessation des paiements le 24 avril 2012 et, à la faveur de la procédure de redressement judiciaire, l'offre d'investissement formulée par la SARL Diversita va être retenue par jugement du tribunal de commerce de Besançon en date du 23 juillet 2012, le plan de continuation étant homologué par décision du 5 novembre 2012.



Par le jugement du 23 juillet 2012 précité, le tribunal de commerce a autorisé la prise de contrôle de la société SAMEP par la cession des actions détenues par la société EBP Finance, son associée unique, pour l'euro symbolique selon la répartition suivante :

- SARL Diversita : 51 %,

- [J] [T] : 9 %,

- [K] [A] : 20 %,

- [O] [Y] (belle-soeur du précédent) : 20 %.



A cette occasion un pacte d'actionnaires était conclu, précédé d'une convention de cession d'actions, et une convention de cession de créance moyennant un euro symbolique, détenue par la société EBP Finance pour un montant de 1 143 803,32 euros, intervenait également selon la répartition suivante :

- SARL Diversita : 583 339,69 euros,

- [J] [T] : 102 942,29 euros,

- [K] [A] : 228 760,67 euros,

- [O] [Y] : 228 760,67 euros.



Une assemblée générale de la société SAMEP devenue SA [F] avec directoire et conseil de surveillance était convoquée le 2 décembre 2013 en vue de voter une réduction du capital suivie d'une augmentation de ce capital, selon la technique dite du 'coup d'accordéon'.



Estimant avoir été lésé par cette opération, qui a fait passer sa participation au capital de 20 % à 0,01 %, M. [A] a, par exploits d'huissier délivrés les 25 juillet et 16 septembre 2014, fait assigner la société [F] représentée par M. [L] [H], son liquidateur judiciaire, la SARL Diversita et M. [J] [T] devant le tribunal de commerce de Besançon aux fins de remettre en cause la validité de cette opération et obtenir une indemnisation de son préjudice.



Par jugement rendu le 27 juin 2018 ce tribunal a :

- déclaré justifiée et régulière l'opération de réduction/augmentation du capital votée lors de l'assemblée générale de la société [F] du 2 décembre 2013,

- débouté M. [A] de ses entières prétentions,

- rejeté les autres chefs de demandes,

- condamné M. [A] à payer à la SARL Diversita et à M. [T] in solidum une indemnité de procédure de 2 000 euros ainsi qu'à supporter les dépens



Suivant déclaration reçue au greffe le 24 août 2018, M. [A] a relevé appel de cette décision et, aux termes de ses dernières écritures transmises le 16 décembre 2019, il conclut à son infirmation et demande à la cour de :

- dire que la société Diversita et M. [T] ont commis un abus de majorité et ont violé le pacte d'actionnaires du 18 juillet 2012 en procédant à une réduction/augmentation du capital,

- les condamner in solidum à l'indemniser des préjudices subis à hauteur de 600 000 euros au titre du préjudice patrimonial et de 300 000 euros au titre du préjudice extra-patrimonial,

- les condamner sous la même solidarité à lui verser 15 000 euros titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.



Par derniers écrits déposés le 10 décembre 2019 la société Diversita et M. [T] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages-intérêts,

- condamner M. [A] à leur payer la somme de 300 000 euros au titre de son recours abusif à la juridiction de céans,

- ordonner l'exécution provisoire (sic) et condamner l'appelant à leur verser 15 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens d'appel.



Par derniers écrits déposés le 26 novembre 2019, M. [L] [H], liquidateur judiciaire de la société [F], demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur les écritures de l'appelant et des co-intimés qui n'ont formulé aucune prétention à son encontre, ès qualités,

- condamner la ou les parties succombantes à lui verser, ès qualités, une indemnité de procédure de 1 500 euros ainsi qu'aux dépens avec droit pour son conseil de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.



La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 17 décembre 2019.





Discussion





* Sur la justification et la régularité de l'opération de réduction/augmentation du capital social,



Attendu que l'appelant déplore tout d'abord qu'en dépit de ses déclarations d'intention, M. [I] [W], dirigeant de la société Diversita, n'aura eu de cesse que d'évincer les membres de la famille [A] de l'entreprise, très largement familiale, à commencer par lui-même puisqu'il se retrouvera douze mois après l'homologation du plan de continuation exclu de ses fonctions et dépossédé de sa participation du capital social à hauteur de 20 % ;





Qu'il fait valoir que si une réduction du capital peut être conforme à l'intérêt social en tant que mesure d'assainissement financier, elle doit être justifiée par une situation mettant en péril la pérennité de l'entreprise et soutient que lorsqu'elle a pour objectif de diluer la participation des associés minoritaires au seul profit des majoritaires, elle constitue un abus de majorité, comme ce fut le cas en l'espèce à son détriment ;



Qu'il explique à cet égard que les décisions prises en amont de l'assemblée générale et du vote du 'coup d'accordéon' étaient injustifiées et destinées à effectuer cette opération déloyale, lesquelles décisions se décomposent comme suit :

- le choix d'une dépréciation du fonds de commerce pour 2 millions d'euros alors que le mécanisme 'calibre royal' l'avait au contraire enrichi d'un actif important,

- le provisionnement à hauteur de 1 250 000 euros pour contentieux prétendument dissimulés alors que l'avocat de la société avait assuré que les contentieux encore en cours étaient voués à l'échec, ce qui fut confirmé,

- la dépréciation des stocks à hauteur de 1 500 000 euros faisant passer le taux de dépréciation de 11 % à 40 % sans explication plausible, la haute horlogerie n'étant pas soumises aux aléas de la mode comme l'industrie textile,

- la disparition de la filiale [F] Japon avec l'ensemble de ses actifs en 2013 (environ 2 000 000 euros), détournement d'actifs imputable à M. [T] et que celui-ci et la société Diversita ont voulu lui imputer en déposant plainte ;



Qu'il entend y ajouter le rachat à son insu, avant l'assemblée générale, des parts de Mme [O] [Y] leur permettant de récupérer 20 % du capital social et éviter la minorité de blocage qui aurait rendu impossible l'opération 'coup d'accordéon', sans pour autant s'expliquer plus avant sur cette allégation alors que ni les statuts, ni l'acte de cession d'actions, n'exigeaient une information des autres actionnaires préalable à une telle cession ;



Attendu que M. [A] soutient par ailleurs que la société Diversita qui s'est portée acquéreur de la totalité des actions nouvellement créées à la faveur de l'augmentation de capital qui a suivi, par compensation avec son compte courant d'associé, a non seulement commis un abus de majorité mais également violé le pacte d'actionnaires, qui prévoyait qu'elle injecterait 5 millions d'euros sur son compte courant d'associé, s'engageait à les maintenir sans rémunération jusqu'à la cession de l'ensemble des actions détenues par les autres actionnaires ou vote favorable d'une assemblée générale extraordinaire et à ne pas transformer son compte courant d'associé en capital ;



Que M. [T] et la société Diversita rétorquent que M. [A] dénature la réalité des événements qui ont conduit à l'opération dite du 'coup d'accordéon', justifiée par la situation financière de l'entreprise, et contestent avoir commis le moindre abus de majorité ni la moindre violation du pacte d'actionnaires ;





1/ sur l'abus de majorité :



Attendu qu'il est admis que la résolution d'une assemblée générale d'actionnaires prise contrairement à l'intérêt social, dans l'unique dessein de favoriser les actionnaires majoritaires au détriment des actionnaires minoritaires, constitue un abus de majorité ;



Attendu qu'en l'espèce, il ressort du formulaire de demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire renseigné par M. [A] le 24 avril 2012 et du rapport sur la situation économique et financière établi le 22 juin 2012 par M. [I] [X], administrateur judiciaire, que la SA SAMEP présentait, à la veille du plan de continuation et de la participation des nouveaux actionnaires, une situation économique très dégradée ;



Que cette société, historiquement spécialisée dans les bijoux et montres de luxe féminins, a subi, dès les années 2000, la concurrence de marques de prestige telles Chanel, Dior ou Vuitton ;



Que si M. [A] a entendu développer, dès la reprise de cette société en 2007, la technologie du 'calibre royal' afin de relancer le chiffre d'affaires, il est apparu que cette technologie de haute horlogerie regroupant neuf brevets mondiaux, 279 plans industriels, 318 composants et plus de 20 000 cotes, a présenté un coût massif en termes d'investissement et généré de nombreuses difficultés techniques ;



Que si le chiffre d'affaires s'est élevé en 2010 et 2011 à 4 511 000 euros et 8 007 000 euros, soit 376 000 et 667 000 euros mensuels, il ne s'élevait plus qu'à 281 000 euros par mois pour les cinq premiers mois de l'année 2012 ;



Que la société n'était plus en mesure de financer elle-même son activité comme le démontre l'excédent brut d'exploitation qui est resté négatif en 2011 (- 13 % du chiffre d'affaires) ;



Que le résultat net, déficitaire de - 889 000 euros en 2010 et - 1 926 000 euros en 2011, était en aggravation en raison de l'augmentation des charges financières (8 % du chiffre d'affaires en 2011 contre 5 % en 2010) et d'une augmentation des achats en matières premières (59 % du chiffre d'affaires en 2011 contre 49 % en 2010) ; que M. [X] relevait en outre que l'impact de la masse salariale sur la rentabilité de l'entreprise restait trop élevé (163 % du chiffre d'affaires en 2011) ; qu'il évaluait l'actif net à 5 806 000 euros, sous toutes réserves, le passif à 6 471 932 euros et fixait enfin le seuil de rentabilité de l'entreprise à 14 millions d'euros alors que le chiffre d'affaires n'a été que de 8 millions d'euros en 2011 et amorçait une courbe sensiblement descendante sur les premiers mois de 2012 ;



Que dans son rapport établi le 15 février 2013, soit postérieurement à la participation des nouveaux actionnaires, portant sur les comptes annuels de l'exercice clos le 31 décembre 2011, la SA Grand Thornton, commissaire aux comptes, a refusé de certifier lesdits comptes en raison de l'incertitude portant sur certains éléments soumis ; qu'il est ainsi apparu à celui-ci l'existence de risques liés à des litiges en cours, qui n'ont fait l'objet d'aucune provision par la précédente direction et qu'il est impossible d'apprécier clairement au seul vu des éléments transmis ; que l'évaluation du risque relatif aux stocks présentant des rotations lentes voire nulles est également apparue incertaine et la comptabilité n'intégrait aucune provision relative aux engagements en matière de retraite ; qu'un aléa subsistait en outre quant à des créances de la société SAMEP sur sa filiale japonaise ;



Que dans son rapport présentant le plan de continuation de l'entreprise, M. [X] souligne que l'exercice clos au 31 décembre 2011 et la situation de l'entreprise au 31 août 2012 permettent de retenir une insuffisance d'actifs de 1 920 000 euros minimum et un chiffre d'affaires moyen mensuel réalisé pendant la période d'observation de cinq mois (mai à septembre 2012) de 268 773 euros, en baisse de 67 % par rapport à l'exercice précédent ;



Attendu par ailleurs que M. [A] conteste les griefs articulés à son encontre par ses contradicteurs selon lesquels il aurait embelli la situation comptable de la société et considère qu'il n'a commis aucune faute dans l'absence de provisionnement des cinq contentieux en cours, dans la dépréciation du fonds de commerce et des stocks et dans l'absence de provision sur la créance existant sur la filiale japonaise ; qu'il y a lieu par conséquent d'examiner chacun de ces postes ;







1-1. Sur le provisionnement des contentieux en cours :



Attendu que cinq contentieux étaient en cours lors de la présentation de la situation par M. [A] et l'établissement des comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2011 et qu'aucun n'a fait l'objet d'une provision après appréciation des risques ou d'une mention en annexe ;



Qu'il résulte ainsi de deux courriels émanant de M. [V] [D], directeur du bureau bisontin de Grand Thornton, que les litiges opposant la société à Borges Freitas, Amsterdam Diamond et à Time Trade n'ont pas été portés à la connaissance du commissaire aux comptes lors de la certification des comptes 2011 ;



Que dans le litige 'Borges Freitas', l'agent portugais a assigné la société en recouvrement d'une somme de 755 000 euros ; que la société Time Trade, distributeur des produits en Italie, qui revendiquait une créance à son encontre de l'ordre de 87 000 euros, a finalement obtenu gain de cause à hauteur de 84 297,60 euros devant un tribunal de Florence le 30 avril 2015 et ce n'est qu'à la faveur d'un moyen de procédure tiré de l'application du droit international privé que la présente cour, dans un arrêt du 13 mars 2018, a refusé l'exécution en France de cette décision étrangère ; que la société Amsterdam Diamond a assigné la société SAMEP en recouvrement d'une somme très significative de 2 857 967,50 euros le 12 janvier 2009, mais a été déboutée de ses prétentions par jugement du tribunal de commerce de Besançon du 16 septembre 2013, confirmé par arrêt de la présente cour du 24 mai 2016 ; que Mme [S] a poursuivi la société pour des prestations d'attachée de presse pour un montant de 16 087,42 euros, le litige financier s'étant finalement résolu par un protocole transactionnel mettant une somme de 5 169,66 euros à la charge de la société SAMEP ; qu'enfin la société Plastiglas avait remis à la société une traite d'une montant de 66 796,56 euros à échéance au 31 mai 2011, qui a finalement donné lieu à une condamnation à titre provisionnel de la somme de 66 796,56 euros par ordonnance de référé du 12 décembre 2011, outre une indemnité de procédure ;



Attendu que si M. [A] prétend que le conseil de la société SAMEP avait été interrogé au sujet des litiges en cours et aurait indiqué dans un courrier adressé le 16 février 2012 que ces litiges n'avaient aucune chance d'aboutir, il ressort de cet avis que l'avocat se prononce en ces termes, mais avec plus de prudence, uniquement pour les dossiers Borges Freitas et Amsterdam Diamond mais qu'il indique au contraire qu'une condamnation provisionnelle est définitivement intervenue s'agissant du dossier Plastiglas et n'évoque pas les deux autres litiges ; qu'en toute hypothèse, l'avis de l'avocat sur la probabilité d'aboutissement des litiges qu'il est chargé de suivre ne relève que de l'appréciation indicative, est nécessairement aléatoire et ne dispense pas la société concernée d'apprécier l'opportunité sur le plan comptable de provisionner ceux-ci ne serait-ce que partiellement ou de porter à tout le moins une mention en annexe des comptes annuels ; qu'en outre il n'est pas démontré que cette correspondance ait été portée à la connaissance de la société Diversita et de M. [T] ;



Que dans ces conditions, il ne peut être sérieusement discuté par l'appelant que les comptes clos au 31 décembre 2011 ne faisaient pas toute la lumière sur la réelle situation en termes de risque lié à ces litiges et ce, quand bien même la plupart d'entre eux se serait révélés indolores pour la société SAMEP in fine ;



Qu'il ne peut donc être fait le reproche au commissaire aux comptes d'avoir finalement provisionné une somme de 1 238 000 euros au titre de ces contentieux sur l'exercice suivant ;











1-2. Sur la dépréciation du fonds de commerce :



Attendu que M. [A] fait grief à ses contradicteurs d'avoir procédé rétroactivement sur le bilan 2011 à une provision de 2 000 000 d'euros pour dépréciation du fonds de commerce, estimant cette écriture comptable douteuse et inopportune en prétendant que le fonds de commerce se serait au contraire enrichi d'un actif important constitué par le 'calibre royal' et que ses adversaires n'ont jamais justifié de cette dépréciation ;



Mais attendu que la reprise de la société par les nouveaux actionnaires est intervenue alors que celle-ci se trouvait en situation de cessation de paiement, faisait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et que sa situation financière était très dégradée, comme rappelé précédemment ;



Que l'appelant se prévaut en vain de ce que la technologie du 'calibre royal', certes prometteuse, aurait enrichi le fonds de commerce alors que les déboires de sa mise en oeuvre en raison de multiples difficultés techniques ont généré des retours en service après vente innombrables, générant une inévitable perte de confiance dans le produit, et ont été une source d'aggravation majeure des difficultés financières de l'entreprise, en dépit d'un investissement massif dans ce procédé de mouvement mécanique ;



Que par ailleurs l'investissement de 5 000 000 d'euros sous forme de compte courant d'associé par les repreneurs n'a pas valorisé le fonds de commerce mais avait pour objet de permettre une relance économique de l'entreprise ;



Attendu que les premiers juges ont donc retenu à bon droit qu'eu égard à la procédure de redressement judiciaire et à la modification de l'actionnariat, qui s'est accompagnée d'un changement de la stratégie commerciale, il était justifié de procéder à une telle dépréciation hors activité de haute horlogerie ;



Que cette opération comptable ne peut donc être qualifiée de douteuse, à telle enseigne qu'elle a été approuvée par les deux commissaires aux comptes ;





1-3 . Sur la dépréciation des stocks :



Attendu que la dépréciation des stocks a fait l'objet d'une provision de 413 000 euros au 31 décembre 2011 ; que dans leur rapport du 15 février 2013, les deux commissaires aux comptes indiquent que le changement d'actionnaires majoritaires et de direction au cours de l'exercice 2012 conjugué avec les difficultés de l'activité depuis 2011 ne leur permettent pas d'apprécier les risques relatifs aux stocks présentant des rotations lentes ou nulles, identifiés lors de leur audit et que la nouvelle direction n'a pas encore pu réaliser l'analyse de ces stocks en lien avec sa propre stratégie pour les exercices à venir ; qu'ils concluent qu'ajouté à l'absence de provision pour litiges en cours, ce constat ne leur permet pas de certifier les comptes clos au 31 décembre 2011 ;



Qu'ensuite de l'analyse réalisée par les repreneurs durant l'exercice 2012, une provision complémentaire de 1 400 000 euros a été inscrite ;



Qu'il ressort de l'attestation de M. [M] [P], expert comptable de la société [F], datée du 11 décembre 2017, que le stock au 31 décembre 2015 était constitué à hauteur de 80 % de composants, dont la valorisation est directement corrélée au niveau de la commercialisation qui demeure très faible ; qu'il affirme donc que le niveau de dépréciation (provision pour dépréciation de 2 307 000 euros au 31 décembre 2015) est parfaitement justifiée sur le plan économique, dans la mesure où un stock de composants non commercialisable 'ne vaut que le prix de la ferraille' ;



Que les observations de celui-ci quant à la nature du stock valent également pour le stock existant en 2012 ;



Que les courriels de M. [E] [A], fils de l'appelant et directeur commercial France Asie Afrique et Moyen-Orient de l'entreprise, s'échelonnant de novembre 2012 à février 2013, viennent conforter le postulat selon lequel la vente du stock de produits finis était extrêmement difficile compte tenu du caractère vieillissant de la collection traditionnelle et notamment de la gamme 'Moorea', dont il qualifie les ventes de 'catastrophiques' ; qu'il souligne encore le 'besoin cruel de nouveautés' et déplore 'des stocks anciens pertinents quasi nuls' difficilement vendables même dans le cadre de soldes ;



Que ce témoignage réitéré est de nature à contredire l'attestation communiquée à hauteur d'appel par l'appelant émanant de M. [I] [C], directeur des achats de l'entreprise jusqu'à son licenciement en 2016, qui relate sa surprise lorsqu'il lui a été demandé en septembre 2013 de déprécier l'ensemble du stock 'Moorea', collection iconique de la marque, au motif que cette dépréciation portait sur 'le gagne pain' de la maison [F] 'alors qu'elle se vendait le mieux sur le marché au vu du reste' ;



Qu'enfin la provision litigieuse a été approuvée par les deux commissaires aux comptes ce qui atteste de son caractère économiquement pertinent ;





1-4 . Sur la prétendue disparition de la filiale japonaise et le provisionnement subséquent :



Attendu que M. [A] fait grief aux repreneurs d'avoir été à l'origine de la disparition de la filiale [F] Japon (détenue à 51 %) avec l'ensemble de ses actifs en 2013, qu'il évalue à environ 2 000 000 euros ; qu'il impute ce détournement d'actifs à M. [T], arguant de ce que celui-ci et la société Diversita auraient voulu lui imputer ces actes en déposant plainte à son encontre ; qu'il reproche également à ses contradicteurs d'avoir artificiellement provisionné des créances détenues par la société [F] sur ladite filiale japonaise ;



Mais attendu qu'il résulte des pièces communiquées et notamment de la proposition de rectification fiscale du 27 mai 2015 que les écritures comptables (provision et pertes exceptionnelles) pour un montant de 551 000 euros concernant la filiale japonaise est clairement imputable à la gestion opaque de l'ancienne direction, avant l'arrivée des nouveaux actionnaires, qui n'ont trouvé à leur prise de fonctions aucun document ni information quant aux activités et à la situation financière de celle-ci et ont ainsi été dans l'incapacité de justifier comptablement à l'administration fiscale les avances consenties par l'ancienne direction pas plus que des livraisons de stocks sans contrepartie financière (deux comptes clients débiteurs) ; qu'ainsi l'administration fiscale conclut-elle qu'il résulte de ses opérations de contrôle que ces avantages ont été accordés à la filiale [F] Japon grâce aux pouvoirs dont disposait M. [A] qui se trouvait être à la fois président de la société [F] (ex SAMEP) et directeur de la filiale [F] Japon et qui gérait ce dossier, en laissant dans l'ignorance son service comptable ;



Que dans ces circonstances, ne disposant d'aucun levier ni pièces justificatives pour obtenir le recouvrement des-dites avances et le règlement des livraisons, les intimés apparaissent légitimes à soutenir qu'ils ont été contraints, d'une part, de céder leur participation au sein de cette filiale pour un euro et, d'autre part, de provisionner et porter en créances irrécouvrables (pertes exceptionnelles) les avantages ainsi octroyés à la filiale [F] Japon par leur prédécesseur sans explication comptable ;



Que là encore les comptes correspondants ont été certifiés par les deux experts comptables, attestant de la justification comptable des opérations précitées, laquelle justification n'est pas incompatible avec la rectification fiscale, du fait de l'absence de justification de ces charges et, partant, de son impact fiscal ;



Que c'est donc par pure affirmation que M. [K] [A] se prévaut d'une 'disparition' de la filiale Japon imputable à ses contradicteurs et qu'il critique la gestion comptable susvisée opérée en 2012 et 2013 ;





Attendu qu'il résulte dès lors des développements qui précèdent que les opérations ci-dessus s'avéraient parfaitement justifiées comptablement et que la réduction du capital social, telle qu'elle a été votée lors de l'assemblée générale du 2 décembre 2013, apparaissait justifiée en raison des pertes importantes enregistrées par la société, qu'il convenait d'incorporer et dont l'ampleur avait été minimisée dans la présentation des comptes au 31 décembre 2011 par M. [A] ;



Qu'il suit de là que répondant à un intérêt social, la réduction du capital constituait en l'occurrence une mesure d'assainissement financier justifiée et l'augmentation de celui-ci, une opération nécessaire à la survie de l'entreprise et non une mesure prise dans l'intention de nuire à l'un des actionnaires ; que cependant si la réduction du capital a effectivement abouti à ce que les capitaux propres de la société soient devenus inférieurs à la moitié du capital, c'est à tort que les intimés prétendent qu'une assemblée générale extraordinaire s'imposait au regard de l'article L.225-248 du code de commerce aux fins de voter le cas échéant la dissolution de la société, dans la mesure où ce texte n'a pas vocation à recevoir application en cas de plan de redressement ;



Que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que l'opération dite du 'coup d'accordéon' de réduction/augmentation du capital social de la société [F] était justifiée et ne procédait pas d'un abus de majorité ; qu'au demeurant ce grief ne saurait être valablement articulé à l'encontre de M. [T], lui-même actionnaire minoritaire avant l'opération de réduction/augmentation pour détenir 9 % du capital social alors que M. [A] en détenait du reste 20 % ;





2/ sur la violation du pacte d'actionnaires :



Attendu qu'aux termes de l'article 6 du pacte d'actionnaires du 18 juillet 2012, établi afin d'assurer le redémarrage de l'activité et répondre aux exigences de la procédure collective, la SARL Diversita s'est engagée à injecter 5 000 000 d'euros par le compte courant d'associé pour financer la période d'observation, présenter un projet de plan de continuation par voie d'apurement du passif et permettre à la société de se développer en mode manufacture ; qu'elle s'est engagée en outre à ne pas transformer ce compte courant d'associé en capital ;



Que l'article 7 du-dit pacte apporte cependant une exception au précédent en stipulant que 'dans l'hypothèse où la société devrait faire face à un défaut de trésorerie lié à une exploitation déficitaire et malgré la réalisation des engagements pris par l'actionnaire majoritaire, celui-ci pourra prendre l'initiative d'une augmentation de capital permettant ainsi d'assurer au mieux la trésorerie défaillante de la société par l'émission d'actions nouvelles (article L.225-128 du code de commerce)', chacune des parties au pacte s'engageant parallèlement à voter à l'assemblée générale extraordinaire convoquée à cette fin l'augmentation du capital proposée par l'actionnaire majoritaire ;



Que l'article L.225-128 expressément visé dans le pacte dispose précisément que 'les titres de capital nouveaux sont émis soit à leur montant nominal, soit à ce montant majoré d'une prime d'émission. Ils sont libérés soit par apport en numéraire y compris par compensation avec des créances liquides et exigibles sur la société, soit par apport en nature, soit par incorporation de réserves, bénéfices ou primes d'émission, soit en conséquence d'une fusion ou d'une scission...' ;



Attendu que les comptes sociaux communiqués attestent de ce que la société [F] faisait incontestablement face à un problème de trésorerie lié à une exploitation déficitaire ; que le résultat d'exploitation net de l'exercice clos au 31 décembre 2011 était de - 4 626 972 euros ;



Qu'il résulte du certificat du dépositaire établi par le commissaire aux comptes au moment du dépôt que la société Diversita détenait une créance liquide et exigible au titre de son compte courant d'associé de 9 083 339,69 euros, lequel atteste d'ailleurs de ce que l'actionnaire majoritaire avait assumé davantage que son engagement initial résultant du pacte d'actionnaires susvisé (5 000 000 euros) ;



Que l'augmentation de capital a été arrêtée à 8 500 000 euros par l'assemblée générale extraordinaire du 2 décembre 2013 et il résulte des développements qui précèdent que la libération des titres nouveaux qui en a résulté a pu valablement prendre la forme d'une compensation avec la créance détenue par la société Diversita sur la société [F], née de son compte courant d'associé ;



Que c'est donc encore à bon droit que les premiers juges ont retenu que l'actionnaire majoritaire a respecté les prescriptions du pacte d'actionnaires et les dispositions du code de commerce sans procéder à une quelconque violation du pacte comme le prétend l'appelant ;





* Sur l'indemnisation du préjudice,



Attendu que c'est pas des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges, après avoir rappelé notamment que les opérations critiquées par M. [A] étaient parfaitement légitimes, régulières et dénuées de toute intention de nuire à l'actionnaire minoritaire qu'il était et motivées par une volonté de redressement et de pérennité de l'entreprise, ont débouté ce dernier de ses demandes d'indemnisation d'un préjudice financier et d'un préjudice moral, étant rappelé qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la société [F] prononcée par jugement du tribunal de commerce de Besançon le 30 novembre 2016, les intimés ont eux-mêmes subi de lourdes pertes financières ;



Que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée à ce titre à hauteur de 600 000 euros ;





* Sur l'indemnisation pour recours abusif,



Attendu que les intimés réitèrent devant la cour leur demande de dommages-intérêts pour recours abusif sauf à réévaluer leur prétention à la somme de 300 000 euros ;







Attendu que la croyance même erronée par une partie au litige dans la pertinence de ses prétentions, arguments et moyens ne saurait dégénérer en abus du droit d'agir qu'à la condition qu'elle sous-tende une intention malveillante de la part de son auteur ou une volonté de nuire ; qu'une telle intention et une telle volonté n'étant pas démontrées en l'espèce, les intimés doivent être déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;



Que le jugement déféré qui a ainsi statué sera pareillement confirmé de ce chef ;





* Sur les demandes accessoires,



Attendu que l'issue du litige à hauteur de cour, qui voit succomber l'appelant en sa voie de recours, commande de le condamner à payer à la société Diversita et M. [T] une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Qu'il sera également fait droit à la demande de M. [H], ès qualités de liquidateur de la société [F], en condamnant M. [A] à lui verser une indemnité de procédure de 1 500 euros ;



Attendu que la présente décision n'étant pas susceptible de recours suspensif, il doit être considéré que la demande figurant aux écritures des intimés, tendant à voir ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, résulte d'une erreur de plume et qu'elle est en tout état de cause sans objet ;



Que M. [A], qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel, les dispositions accessoires de la décision déférée étant par ailleurs confirmées ;





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,



Confirme le jugement rendu le 27 juin 2018 par le tribunal de commerce de Besançon en toutes ses dispositions.



Condamne M. [K] [A], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer cinq mille (5 000) euros à la SARL Diversita et à M. [J] [T], ensemble, et mille cinq cents (1 500) euros à M. [L] [H], ès qualités de liquidateur de la SAS [F], au titre des frais irrépétibles d'appel.



Condamne M. [K] [A] aux dépens d'appel et autorise la SELARL Terryn Aitali Gros Carpi Le Denmat, avocats, à recouvrer directement ceux dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.



Ledit arrêt a été signé par monsieur Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.



Le greffier,le président de chambre

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