14 October 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 16/14378

Pôle 6 - Chambre 9

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 14 OCTOBRE 2020

(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/14378 - N° Portalis 35L7-V-B7A-B2AI6



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Octobre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 14/00282





APPELANT



Monsieur [S] [E]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03





INTIMÉES





Me [H] [U] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SOCIÉTÉ OMNITECHNIQUE

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Nathalie LENFANT de la SELASU RAVEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1801





COMPOSITION DE LA COUR :





L'affaire a été débattue le 08 Juillet 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sandra ORUS, première présidente de chambre

Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre



qui en ont délibéré





Greffier : Anouk ESTAVIANNE, lors des débats





ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par Madame Sandra ORUS, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Par un arrêt avant dire droit du 21 novembre 2018, auquel il convient de se référer expressément pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure', dans l'affaire opposant M. [S] [E] à la SCP [H] [U]', es qualité de mandataire liquidateur de la société Omnitechnique, la cour d'appel de Paris a ordonné la levée du séquestre de 9 courriels détaillés et visés dans le procès-verbal de constat de la SCP [G] [B], du 3 décembre 2012, et autorisé Me [G] [B], huissier de justice associé de la SCP [G] [B], à remettre à la SCP [H] [U], prise en la personne de Me [U], es qualité de mandataire liquidateur de la société Omnitechnique, une copie du CD-Rom par lui gravé, contenant les fichiers mis sous séquestre dans les quinze jours du prononcé de la présente décision.



Par conclusions transmises le 19 juin 2019 par voie électronique, auxquelles il est fait expressément référence, M. [E] demande à la cour de :

-Dire et juger qu'il n'a pas commis de faute lourde dans la cadre de l'exécution de son contrat de travail avec la société Omnitechnique ;

- Dire et juger que la société Omnitechnique ne justifie d'aucun préjudice réparable ;

- Rejeter les pièces 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112 et 113 communiquées par la société Omnitechnique';

En conséquence,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu l'existence d'une faute lourde,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné à verser à la société Omnitechnique la somme de 2'288 387,50 euros et de 12 895,56 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Omnitechnique du surplus de ses demandes';

- Débouter société Omnitechnique de ses demandes, fins et conclusions ;

-Condamner la société Omnitechnique au paiement d'une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions transmises le 2 janvier 2020, par voie électronique, auxquelles il est fait expressément référence, la SCP [H] [U], es qualité de mandataire liquidateur de la société Omnitechnique demande à la cour de :

- confirmer partiellement le jugement attaqué et statuant à nouveau :

- dire et juger que les agissements de M. [E] pendant l'exécution de son contrat de travail au sein de la société Omnitechnique sont constitutifs d'une faute lourde';

- condamner M. [E] à lui payer la somme globale de 3 393 713,80 euros à titre de dommages et intérêts, se décomposant ainsi :

* 12 895,56 euros au titre des frais et honoraires qu'elle a supporté au titre de la procédure diligentée sur le fondement de l'article 145 du Code de Procédure Civile,

* 325 756,74 euros au titre de la quote-part des salaires indûment versé à M. [E],

* 742 674 euros hors taxes au titre de son manque à gagner au titre des commandes potentielles détournées par M. [E],

* 2 288.387,50 euros hors taxes au titre des commissions dont elle a été intégralement privée au titre des commandes détournées par la société RGI et M. [E],

- condamner M. [E] à lui payer, la somme de 3'500 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- condamner M. [E] aux entiers dépens.



La clôture de l'instruction est intervenue le 30 juin 2020 et l'affaire a été plaidée le 8 juillet 2020'.












MOTIFS



Sur la demande de rejet des pièces communiquées par la société Omnitechnique le 17 janvier 2018 :



La cour relève que l'ensemble de ces fichiers a été extrait du disque dur provenant de l'ordinateur professionnel de M. [E], tel qu'il en est attesté par le consultant informaticien désigné par la société Omnitechnique, M. [Z] [O], qui affirme avoir récupéré les fichiers litigieux qui avaient tous été effacés'; qu'il ne fait plus débat que le salarié, à son départ de l'entreprise, a conservé le disque dur interne de son ordinateur professionnel et qu'il ne l'a restitué que sur une mise en demeure de son ancien employeur, totalement expurgé des données appartenant à l'entreprise, dont les échanges de courriels entre clients et fournisseurs'; que les pièces numérotées 106 à 113 concernent la société Exin Limited créée par M. [E] dans le cadre des opérations professionnelles qui lui sont reprochées dans le présent litige' et des versements qu'il a effectués, du compte de la société Exin Limited vers un compte domicilié en Lettonie dont il était titualire; qu'il n'y a pas lieu en conséquence de les écarter des débats'; qu'il en est de même de la pièce 105 relative au contrat entre les sociétés RGI et Omnitechnique dont M. [E] se contente de dénoncer la production tardive sans établir en quoi elle n'aurait pas un caractère authentique.



La demande de M. [E] est écartée.



Sur l'existence d'une faute lourde':



Tenu d'une obligation de loyauté pendant l'exécution de son contrat de travail en application de l'article L.1221-1 du code du travail, le salarié doit s'abstenir de tout acte contraire à l'intérêt de l'entreprise et en particulier de tout acte de concurrence.



La faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.



Il est établi par l'ensemble des messages électroniques produits au débat que pendant l'exécution de son contrat de travail, M. [E] a utilisé le réseau de clientèle de son employeur pour effectuer des démarchages à son propre compte, en masquant son activité clandestine par l'utilisation d'une adresse électronique personnelle, dans laquelle la société Omnitechnique n'apparaissait pas et n'était pas en copie.



Ainsi ce stratagème a été utilisé pendant la relation de travail pour démarcher la société Famat, la société Aubert, la société Figeac Aero, clients d'Omnitechnique, à travers des courriels de M. [E] à la société RGI, où seule l'adresse de M. [E] apparaît, puis avec le groupe Parpas, fournisseur de la société Omnitechnique', pour la préparation du salon professionnel de la machine outil à Milan, sans que l'employeur ne soit informé, ni de la présence de M. [E] à ce salon ni des accords qui seront passés par l'intermédiaire de son salarié pour la commercialisation des machines Parpas sur le territoire français.



La société Omnitechnique met d'ailleurs en évidence, sans contestation sérieuse, la man'uvre de M.[E] qui a consisté à détourner à son bénéfice une opération commerciale menée auprès du client DCNS, pour un marché de 500 000 euros, engagée pendant la relation de travail et au cours de laquelle l'employeur n'a pu conclure un accord avec son client, au motif d'une taille de machine inadaptée, alors qu'il est établi que le fournisseur Parpas et M. [E] ont attendu son départ de la société Omnitechnique pour que le marché soit finalement conclu et que M. [E] perçoive une commission au lieu et place de l'ancien employeur.



De même, il est produit au débat un message du 26 septembre 2012, soit avant la fin du préavis, dans lequel le salarié demande aux fournisseurs taiwanais d'Omnitechnique de ne pas informer M. [R] (président d'Omnitechnique) de sa présence à Taiwan du 7 au 15 novembre 2012 (pièce 36).



Il est relevé que ces actions de démarchage de sociétés clientes de son employeur, menées par M. [E] à l'insu de la société Omnitechnique, ont été conduites au profit du salarié pendant l'exécution du contrat de travail, jusqu'à la fin de la période de préavis, sans que ce dernier ne puisse utilement se prévaloir de l'absence d'une clause d'exclusivité dans son contrat qui ne pouvait le dispenser du respect de l'obligation de loyauté à laquelle il restait tenu.



La société Omnitechnique établit encore, par les pièces versées au débat, que pour chaque opération commerciale, la société RGI, cliente de la société Omnitechnique, versait des commissions à M. [E], depuis au moins les années 2009, puis tout au long de la relation de travail, à l'insu de l'employeur.



Les messages produits au débat entre M. [E] et la société RGI, puis les déclarations de cette dernière devant le tribunal de commerce d'Evry, confirment en effet que M. [E], pour chaque affaire négociée, percevait une commission personnelle, directement entre ses mains ou sur un compte ouvert auprès de la société Exin, société qu'il avait créée et domiciliée en Grande-Bretagne, les fichiers dont les scellés ont été levés ayant révélé que M [E] effectuait ensuite des transferts de ce compte vers un compte domicilié en Lettonie dont il était le bénéficiaire .



Le détournement des commissions au profit de M. [E] ne peut d'ailleurs être sérieusement remis en cause par l'allégation de «'sur commissions'» ou de commissions parallèles, qui ne pouvaient selon lui porter préjudice à l'employeur, dès lors qu'il est acquis que M. [E], dans les relations d'affaires entre clients et fournisseurs, n'avait pour mission que de percevoir des commissions pour le seul compte d'Omnitechnique, aucun élément du dossier ne venant corroborer l'affirmation selon laquelle la société était informée des commissions perçues par le salarié pour son compte personnel.



Le courriel du 9 juillet 2012, entre M. [E] et RGI,produit au débat, est à cet effet éloquent': il émane du salarié qui discute du montant des commissions qu'il percevra sur les machines CHINE ( dossier Rollix [D])', d'un montant de 41K euros, payables à Exin Limited', à l'instar des autres messages où il interroge la société RGI sur le montant des commissions perçues pour chaque affaire'; que le caractère occulte de ces commissions, discutées au terme d'échanges brefs mais précis, où le nom de l'employeur n'apparaît à aucun moment, ne peut être sérieusement contesté.



Il résulte de tout ce qui précède qu'en procédant à des opérations de démarchage concurrentiel avec son propre employeur et en percevant pendant plusieurs années', au cours de la relation de travail, des commissions qui l'ont appauvrie, M. [E] a démontré son intention de nuire à la société Omnitechnique.



La faute lourde commise par M. [E] est caractérisée.



Le jugement est confirmé de ce chef.



Sur les demandes indemnitaires de la société :



La responsabilité pécuniaire du salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde.



M. [E] doit réparer le préjudice subi par l'intimé du fait de ses agissements déloyaux, distincts du préjudice subi par la société Omnitechnique du fait des manquements contractuels de la société RGI'.





Au titre des commissions dont la société Omnitechnique a été intégralement ou partiellement privée dans le cadre de commandes détournées par M. [E], la société Omnitechnique produit au débat des pièces non utilement contredites, concernant les clients Rollix [D], Airforge-Aubert-Duval, Safran Snecma Mexique, dans lesquelles sont identifiés le montant de la commande, le type de machine concernée, son prix unitaire, le nombre de machines visées, ainsi que l'intervention pour chaque affaire de la société RGI et M. [E] et des commissions perçues par ce dernier, qui permettent de limiter, par infirmation du jugement, le préjudice de la société à la somme de 1 314 550 euros.



La cour rejette en revanche, comme étant non établis, le préjudice allégué relatif à la commande du client KS AMRI, relation d'affaire dans laquelle M.[E] n'apparaît pas ainsi que le manque à gagner relatif à des commandes potentielles qui auraient été détournées par le salarié avec RGI, sur la base de documents non vérifiables ou révélant une connaissance par l'employeur de la transaction en cours.



La demande de remboursement des salaires versés à hauteur d'un tiers du temps de travail sera également rejetée, l'appelante ne justifiant pas de l'importance du temps de travail occupé à des activités concurrentielles alors que par ailleurs le salarié disposait d'une très large autonomie dans l'exercice de ses missions.



Par confirmation du jugement dont les motifs sont adoptés, la société Omnitechnique est en droit de percevoir la somme de 12 895,56 euros au titre des frais et honoraires supportés par la société Omnifrance au titre de la procédure diligentée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.



Il n'apparaît pas inéquitable de condamner M. [E] à payer à Me [U], es qualité de mandataire liquidateur de la société Omnitechnique, la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Les dépens seront supportés par M. [E].



PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme le jugement en ce qu'il dit que les agissements de M. [S] [E] sont constitutifs d'une faute lourde' et condamné M. [S] [E] à la somme de 12 895,56 euros au titre des frais et honoraires supportés par la société Omnifrance au titre de la procédure diligentée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;



Infirme le jugement pour le surplus et statuant à nouveau':



Condamne M. [S] [E] à payer à la SCP [U], prise en la personne de Me [U], es qualité de mandataire liquidateur de la société Omnitechnique, la somme de 1 314 550 euros à titre de dommages-intérêts ;



Rejette toute autre demande ;



Condamne M. [E] à payer à la SCP [U], prise en la personne de Me [U], es qualité de mandataire liquidateur de la société Omnitechnique, la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne M. [S] [E] aux dépens.



LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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