1 October 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-16.901

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2020:C201153

Titres et sommaires

ELECTIONS - Liste électorale - Liste électorale complémentaire des citoyens de l'Union européenne - Inscription - Conditions - Citoyenneté européenne - Défaut - Cas - Ressortissants britanniques - Demande postérieure à l'entrée en vigueur de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique

Il résulte des stipulations combinées des articles 20 et 22 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (le TFUE) instituant, au profit des ressortissants d'un Etat membre, une citoyenneté de l'Union emportant un droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'Etat membre où ces ressortissants résident, également consacré par l'article 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (la Charte), de l'article 50 du Traité sur l'Union européenne (le TUE), relatives au retrait de l'Union d'un Etat membre, et de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (l'accord sur le retrait du Royaume-Uni), publié au Journal officiel de l'Union européenne du 31 janvier 2020, notamment celles de son article 2 définissant le "citoyen de l'Union" comme "toute personne ayant la nationalité d'un Etat membre" par opposition au "ressortissant britannique", qu'à compter du 1er février 2020, date d'entrée en vigueur de cet accord, le Royaume-Uni a cessé d'être un Etat membre de l'Union européenne et que, par suite, ses ressortissants ne jouissent plus de la citoyenneté européenne, à laquelle est subordonné, aux termes des articles 88-3 de la Constitution du 4 octobre 1958 et L.O. 227-1 du code électoral, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales en France


ELECTIONS - Liste électorale - Liste électorale complémentaire des citoyens de l'Union européenne - Inscription - Ressortissants britanniques - Demande postérieure à l'entrée en vigueur de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique - Période de transition - Application - Exclusion - Discrimination (non)

L'article 127, paragraphe 1, sous b), de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni stipule expressément que, par dérogation au principe selon lequel le droit de l'Union demeure applicable au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition dont le terme est fixé, par l'article 126, au 31 décembre 2020, ne sont pas applicables à cet Etat et sur son territoire, pendant la même période, les articles 20, paragraphe 2, point b), et 22 du TFUE, ainsi que les articles 39 et 40 de la Charte, relatifs au droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'Etat membre de résidence. Cette exclusion du droit de vote et d'éligibilité des dispositions du droit de l'Union rendues applicables au Royaume-Uni pendant la période de transition, d'une part, vise nécessairement les ressortissants britanniques qui ont exercé leur droit de résider dans un Etat membre de l'Union avant la fin de cette période, d'autre part, ne relève pas de cette interdiction, posée par l'article 12 de l'accord, de toute discrimination exercée en raison de la nationalité au sens de l'article 18, alinéa 1, du TFUE, à l'égard de ces ressortissants dans l'Etat membre d'accueil ou dans l'Etat membre de travail. En effet, cette interdiction n'est édictée, aux termes mêmes de l'article 12 et conformément au point 6 du préambule de l'accord, que dans le champ d'application de la deuxième partie de ce texte, qui a pour objet de garantir une protection réciproque en matière de droits liés au séjour, de droits des travailleurs salariés et non salariés, de qualifications professionnelles et de coordination des systèmes de sécurité sociale, tant aux citoyens de l'Union qu'aux ressortissants du Royaume-Uni, ayant exercé leurs droits respectifs de libre circulation avant la fin de la période de transition

Texte de la décision

CIV. 2 / ELECT

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er octobre 2020




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1153 F-P+B+R+I

Pourvoi n° J 20-16.901







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER OCTOBRE 2020

M. A... O..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° J 20-16.901 contre le jugement rendu le 18 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Limoges (contentieux des élections politiques), dans le litige l'opposant :

1°/ à la commune du Dorat, prise en la personne de son maire en exercice, domicilié [...] ,

2°/ au préfet de la Haute-Vienne, domicilié [...] ,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Talabardon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. O..., et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 septembre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Talabardon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller, et Mme Szirek, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Limoges, 18 juin 2020),
rendu en dernier ressort, M. O..., ressortissant britannique résidant dans la commune de Le Dorat (Haute-Vienne), a été radié des listes électorales de cette commune à la suite de l'entrée en vigueur, le 1er février 2020, de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (l'accord sur le retrait du Royaume-Uni).

2. Le 30 avril 2020, M. O... a sollicité sa réinscription sur la liste électorale complémentaire en vue de participer au second tour de scrutin de l'élection municipale, reporté au 28 juin 2020, mais, par une décision du 7 mai suivant, contre laquelle l'intéressé a formé le jour même un recours administratif préalable devant la commission de contrôle, le maire a rejeté sa demande.

3. Le 6 juin 2020, M. O... a saisi un tribunal judiciaire d'une requête tendant, d'une part, à la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles en interprétation et en appréciation de validité de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni, d'autre part, à l'annulation de ce qu'il considérait être une décision implicite de rejet de son recours administratif.

4. Après s'être vu notifier, le 11 juin 2020, une décision expresse de la commission de contrôle, en date du 4 juin, refusant de le réinscrire sur les listes électorales, M. O... a sollicité l'annulation de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. O... fait grief au jugement de le débouter, d'une part, de sa demande de sursis à statuer avec renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne en appréciation de validité et en interprétation, relativement à la citoyenneté des ressortissants britanniques ayant, avant la fin de la période de transition, exercé leur droit à la libre circulation et installation sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne, d'autre part, de sa demande d'annulation du refus de la commission de contrôle de l'inscrire sur la liste électorale de la commune du Dorat en vue du second tour de scrutin de l'élection municipale du 28 juin 2020, alors « que l'entrée en vigueur de l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne du 31 janvier 2020 n'a pas fait perdre la citoyenneté européenne aux ressortissants britanniques qui ont exercé leur droit de libre circulation et d'installation avant la fin de la période de transition prévue par ce texte ; que ces ressortissants conservent dès lors leur droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales de l'État membre où ils résident ; que pour refuser à M. O..., ressortissant britannique, le droit de voter aux élections municipales de la ville du Dorat où il réside, le tribunal a retenu que la citoyenneté européenne n'était pas une nationalité européenne et que, par l'effet de l'entrée en vigueur de l'accord du Brexit, il ne disposait plus de cette citoyenneté ; qu'en statuant ainsi, le tribunal a violé les articles 9 et 50 du Traité sur l'Union européenne, les articles 18, 20.1.b), 21 et 22 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le préambule et les articles 10, 12 et 127.1.b) de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne en date du 31 janvier 2020, les articles 39 et 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 88-3 de la Constitution du 4 octobre 1958. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des stipulations combinées des articles 20 et 22 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (le TFUE) instituant, au profit des ressortissants d'un État membre, une citoyenneté de l'Union emportant un droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'État membre où ces ressortissants résident, également consacré par l'article 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (la Charte), de l'article 50 du traité sur l'Union européenne (le TUE), relatives au retrait de l'Union d'un État membre, et de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni, publié au Journal officiel de l'Union européenne du 31 janvier 2020, notamment de son article 2 définissant le « citoyen de l'Union » comme « toute personne ayant la nationalité d'un État membre », par opposition au « ressortissant britannique », qu'à compter du 1er février 2020, date d'entrée en vigueur de cet accord, le Royaume-Uni a cessé d'être un État membre de l'Union et que, par suite, ses ressortissants ne jouissent plus de la citoyenneté européenne, à laquelle est subordonné, aux termes des articles 88-3 de la Constitution du 4 octobre 1958 et L.O. 227-1 du code électoral, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales en France.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

8. M. O... fait le même grief au jugement, alors :

« 2°/ qu'à supposer que l'entrée en vigueur de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ait fait perdre la citoyenneté européenne aux ressortissants de ce pays installés dans un autre Etat membre, le principe de non-discrimination consacré par cet accord à l'égard de ces ressortissants conduit à maintenir leur droit de participer aux élections municipales de ce pays ; qu'en refusant à M. O..., ressortissant britannique mais résidant français inscrit sur les listes électorales françaises depuis 2009, le droit de participer au scrutin municipal de la ville où il réside en raison de l'entrée en vigueur de l'accord dit du "Brexit", le tribunal a violé les articles 9 et 50 du Traité sur l'Union européenne, les articles 18, 20.1.b), 21 et 22 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le préambule et les articles 10, 12 et 127.1.b) de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne, les articles 39 et 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 88-3 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

3°/ que, subsidiairement, les conditions d'acquisition et de retrait de la citoyenneté européenne doivent s'exercer dans le respect du droit de l'Union ; que celui qui en a été privé peut donc contester la validité de l'acte par lequel cette citoyenneté lui a été retirée ; que l'accord de retrait du 31 janvier 2020 méconnaît les principes formant l'identité de l'Union européenne et, notamment, les articles 18, 20 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les articles 39 et 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en ce qu'il ne comporte aucune stipulation permettant aux ressortissants britanniques installés dans un État membre de l'Union de conserver les droit afférents à leur citoyenneté européenne ; qu'en retenant le contraire, motif inopérant pris que le principe de non-discrimination ne pouvait plus être opposé par M. O... puisqu'il n'avait plus la nationalité d'un État membre de l'Union, le tribunal a méconnu ces dispositions. »

Réponse de la Cour

9. L'article 127, paragraphe 1, sous b) de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni stipule expressément que, par dérogation au principe selon lequel le droit de l'Union demeure applicable au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition, dont le terme est fixé par l'article 126 au 31 décembre 2020, ne sont pas applicables à cet État et sur son territoire pendant la même période, les articles 20, paragraphe 2, point b), et 22 du TFUE, ainsi que les articles 39 et 40 de la Charte, relatifs au droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'État membre de résidence.

10. Contrairement à ce que soutient M. O..., cette exclusion du droit de vote et d'éligibilité des dispositions du droit de l'Union rendues applicables au Royaume-Uni pendant la période de transition, d'une part, ne peut que viser les ressortissants britanniques qui ont exercé leur droit de résider dans un État membre de l'Union avant la fin de cette période, d'autre part, ne relève pas de l'interdiction, posée par l'article 12 de l'accord, de toute discrimination exercée en raison de la nationalité, au sens de l'article 18, alinéa 1, du TFUE, à l'égard de ces ressortissants dans l'État membre d'accueil ou dans l'État membre de travail, dès lors que cette interdiction n'est édictée, aux termes mêmes dudit article 12 et conformément au point 6 du préambule de l'accord, que dans le champ d'application de la deuxième partie de ce texte, qui a pour objet de garantir une protection réciproque en matière de droits liés au séjour, de droits des travailleurs salariés et non salariés, de qualifications professionnelles et de coordination des systèmes de sécurité sociale, tant aux citoyens de l'Union qu'aux ressortissants du Royaume-Uni, ayant exercé leurs droits respectifs de libre circulation avant la fin de la période de transition.

11. Il en résulte que le moyen, qui manque en droit en sa deuxième branche, est inopérant pour le surplus.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

12. M. O... fait le même grief au jugement, alors « que, subsidiairement, l'accord de retrait du 31 janvier 2020, qui interdit aux ressortissants britanniques installés dans un autre État membre de participer aux élections municipales de cet État, contribue à une dégradation de leur situation administrative, personnelle et familiale ; qu'en retenant le contraire, au seul constat que cet accord préserverait certains droits de ces ressortissants en matière de droit au séjour, au travail et à la sécurité sociale, le tribunal a violé le principe de proportionnalité. »

Réponse de la Cour

13. Contrairement au postulat sur lequel repose le grief, pour écarter le moyen par lequel M. O... soutenait que la perte de son droit de vote aux élections municipales en France entraînait une dégradation de sa situation administrative, personnelle et familiale en méconnaissance du principe de proportionnalité, le jugement ne se borne pas à relever que l'accord sur le retrait du Royaume-Uni octroie aux ressortissants britanniques ayant exercé leur droit de résider dans un État membre de l'Union une protection spécifique en matière de droit au séjour, au travail et à la sécurité sociale, mais il retient, en outre, que M. O... n'a pas perdu son droit de vote et d'éligibilité au Royaume-Uni, de sorte qu'il ne peut, de manière pertinente, arguer de ce qu'il serait privé de tout droit électoral et que cette privation constituerait une atteinte disproportionnée à ses droits politiques de citoyen.

14. Par ces seuls derniers motifs, qui ne sont pas critiqués par le moyen, le tribunal a justifié sa décision.

15. Le grief est donc inopérant.

16. Les questions soulevées par le pourvoi de M. O... n'étant pas pertinentes et l'application correcte du droit de l'Union dans la présente affaire s'imposant avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, en interprétation ou en appréciation de validité de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier octobre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. O...

IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué d'AVOIR débouté M. O... de sa demande de sursis à statuer avec renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne en appréciation de validité et en interprétation, relativement à la citoyenneté des ressortissants britanniques ayant, avant la fin de la période de transition, exercé leur droit à la libre circulation et installation sur le territoire d'un autre Etat de l'Union européenne ; et d'AVOIR débouté M. O... de sa demande d'annulation des décisions par lesquelles la commission de contrôle de la commune du Dorat a refusé implicitement et explicitement de l'inscrire sur la liste électorale de cette commune en vue du second tour de scrutin de l'élection municipale du 28 juin 2020.

AUX MOTIFS QUE :

« Sur le bien-fondé du recours

Aux termes des stipulations de l'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

« 1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un Etat-membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres :

- le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres,
- le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'Etat-membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. »

En outre, l'article 22 de ce même Traité stipule :

«1. Tout citoyen de l'Union résidant dans un État membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités arrêtées par le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen, ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un Etat membre le justifient ».

L'article 50 du Traité sur l'union européenne stipule notamment :

«1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union. 2. L'État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. A la lumière des orientations du Conseil européen, l'Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union. Cet accord est négocié conformément à l'article 218, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il est conclu au nom de l'Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen. 3. Les traités cessent d'être applicables à l'État concerné à partir de la date d'entrée en vigueur de l'accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l'État membre concerné, décide à l'unanimité de proroger ce délai."

Enfin, l'accord sur le retrait du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne publié au Journal officiel de l'Union européenne du 31 janvier 2020 et entré en vigueur le 1er février 2020 stipule notamment, au sixième point de son Préambule :

« qu'il est nécessaire d'offrir une protection réciproque aux citoyens de l'Union et aux ressortissants du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi qu'aux membres de leur famille respective, lorsqu'ils ont exercé son droit à la circulation et à la libre installation [avant la fin de la période de transition ] et de garantir que les droits qu'ils tirent du présent accord sont opposables et fondés sur le principe de non-discrimination ».

La nationalité se définit comme étant la relation juridique spécifique entre une personne et un Etat, relation qui est reconnue par cet Etat.
En outre, est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un Etat-membre.

Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne octroie aux citoyens de l'Union européenne au titre de leurs droits politiques, notamment le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales de l'Etat membre de l'Union européenne dans lequel ils résident et aux élections européennes.

Aux termes des stipulations précités de ce Traité et de l'accord sur le retrait du Royaume Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, les Etats membres ont manifestement et clairement distingué la citoyenneté européenne de la nationalité des Etats membres, le premier en stipulant que tout national d'un État membre est citoyen européen, sans qu'il existe de nationalité européenne, le second en stipulant qu'il "offre une protection réciproque aux citoyens de l'Union et aux ressortissants du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi qu'aux membres de leur famille respective".

En outre, il ressort clairement de ces stipulations que la citoyenneté européenne dépend de l'adhésion de l'Etat membre à l'Union européenne.

A la suite du résultat d'un référendum tenu au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, de la décision souveraine de cet Etat de quitter l'Union européenne, et de la notification à l'Union européenne de cette intention, accueillie par les organes de l'Union européenne, cet Etat s'est retiré de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, conformément à l'article 50 du Traité sur l'Union européenne, avec effet à compter du 1er février 2020.

Par l'effet de l'entrée en vigueur à compter de cette date du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne, monsieur O..., qui est un ressortissant britannique ayant exercé son droit à la circulation et à la libre installation en France, plus précisément au Dorat (Haute-Vienne), est devenu ressortissant d'un Etat tiers à l'Union européenne.

Par ailleurs, aux termes de l'accord sur le retrait du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord, sont accordés aux Britanniques et aux citoyens de l'Union ayant exercé leur droit à la libre circulation et installation, dans la deuxième partie de l'accord précité, un droit au séjour, des droits pour les travailleurs salariés et pour ceux non-salariés et des droits en matière de sécurité sociale.

Le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales ne figure ni dans cette partie de l'accord, qui énumère les droits accordés aux citoyens de l'Union et ressortissants du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord, ni dans aucune autre partie.

De l'ensemble de ces éléments, il résulte clairement que Monsieur O..., en devenant ressortissant d'un Etat non-membre de l'Union européenne, par l'effet du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de cette organisation, a perdu sa citoyenneté européenne et, dès lors qu'il ne fait plus partie des droits accordés aux citoyens de l'Union et ressortissants du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord ayant exercé leur droit à la libre circulation et installation, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et aux élections européennes, objet du litige, leur est retiré.

Monsieur O... soutient au contraire qu'il aurait en tout état de cause conservé sa citoyenneté européenne, et particulièrement son droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes du fait qu'ayant exercé son droit à la libre circulation et installation pour s'établir en France, la perte de sa citoyenneté européenne constituerait une atteinte au principe de non-discrimination stipulé à l'article 18 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne et à l'article 12 de l'accord de retrait.

L'article 18 dudit Traité stipule :

«dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ».

Quant à l'article 12 de l'accord de retrait, il est ainsi rédigé :

« Dans le champ d'application de la présente partie, et sans préjudice de dispositions particulières qu'elle prévoit, toute discrimination exercée en raison de la nationalité au sens de l'article 18 premier alinéa du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est interdite dans l'Etat d'accueil et dans l'Etat de travail à l'égard des personnes visées à l'article 10 du présent accord", précision faite que ledit article 10 vise notamment "les ressortissants du Royaume Uni qui ont exercé leur droit de résider dans un Etat membre conformément au droit de l'Union avant la fin de la période de transition et qui continuent d'y résider par la suite ».

Toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, d'une part, il n'est manifestement pas instauré par les Traités une nationalité européenne au bénéfice des citoyens des Etats membres de l'Union européenne, d'autre part, la citoyenneté européenne est clairement distincte de la nationalité.

Il en résulte que M. O... en ce qu'il n'a plus la nationalité d'un Etat membre de l'Union européenne ne peut se prévaloir du principe de non-discrimination en raison de la nationalité en application de ces textes pour prétendre obtenir la reconnaissance de la conservation de sa citoyenneté européenne et en particulier de son droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales.

Au soutien de ses prétentions, M. O... fait encore valoir que la perte du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales en France en tant qu'elle résulterait de la perte de sa citoyenneté européenne constituerait une violation des droits fondamentaux qui lui sont garantis en vertu de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

L'article 39 de la Charte stipule que tout citoyen de l'Union a le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ; quant à l'article 40 de cette Charte, il garantit à tout citoyen de l'Union le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat.

Toutefois, ces droits peuvent être invoqués par les seuls citoyens de l'Union.

Dès lors que M. O... est ressortissant d'un Etat tiers à l'Union européenne et qu'il a, par l'effet du retrait de l'Etat dont il a la nationalité, perdu sa citoyenneté européenne, il ne peut invoquer les articles 39 et 40 de la Charte visée plus haut.

Enfin, M. O... soutient que la perte de sa citoyenneté européenne et notamment de son droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales serait contraire au principe de proportionnalité, par la dégradation corrélative de sa situation administrative, personnelle et familiale.

Toutefois, l'accord sur le retrait précité octroie aux Britanniques et aux citoyens de l'Union ayant exercé leur droit à la libre circulation et installation plusieurs droits spécifiques visant à garantir leur protection : droit au séjour dans l'Etat d'accueil, droits des travailleurs des salariés et des travailleurs non-salariés, droit en matière de sécurité sociale.

M. O... ne démontre pas par les pièces qu'il produit qu'il ne pourrait prétendre au bénéfice de ces droits en France.

En outre, il est apparu à l'audience que monsieur O... n'a, à ce jour, pas perdu son droit de vote et d'éligibilité au Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord, par l'effet de la "15-years rule", laquelle prévoit que les citoyens britanniques ayant résidé de manière continue pendant 15 années hors du territoire britannique perdent, sous certaines conditions, le droit de vote au Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord. En conséquence, il ne peut, de manière pertinente, arguer de ce qu'il serait à ce jour privé de tout droit de vote et d'éligibilité et que cette privation de tout droit de vote et d'éligibilité constituerait une atteinte disproportionnée à ses droits politiques de citoyen.

Dès lors, au vu de ces éléments, la perte de la citoyenneté européenne de M. O... et la perte de son droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales en France ne constituent pas une atteinte disproportionnée aux droits auxquels il peut prétendre au regard de sa situation particulière de ressortissant britannique ayant exercé son droit à la libre circulation et installation en France avant l'expiration de la période de transition.

La solution du litige s'évinçant clairement de la lecture des Traités et accord visés plus haut, il n'est ni nécessaire, ni justifié d'ordonner un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'UE de questions relatives à la citoyenneté européenne.

Monsieur O... étant infondé à se voir accorder le droit de vote et d'éligibilité au second tour de l'élection municipale organisé le 28 juin 2020, c'est à juste titre que la commission de contrôle de la commune du DORAT n'a pas fait droit à sa demande de réinscription sur la liste électorale de sa commune, puis a explicitement décidé d'un refus d'une telle réinscription sur la liste électorale de la commune du DORAT.

Par suite, monsieur O... est débouté de l'ensemble de ses demandes ».

1°) ALORS QUE l'entrée en vigueur de l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne du 31 janvier 2020 n'a pas fait perdre la citoyenneté européenne aux ressortissants britanniques qui ont exercé leur droit de libre circulation et d'installation avant la fin de la période de transition prévue par ce texte ; que ces ressortissants conservent dès lors leur droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales de l'Etat membre où ils résident ; que pour refuser à M. O..., ressortissant britannique, le droit de voter aux élections municipales de la ville du Dorat où il réside, le tribunal a retenu que la citoyenneté européenne n'était pas une nationalité européenne et que, par l'effet de l'entrée en vigueur de l'accord du Brexit, il ne disposait plus de cette citoyenneté ; qu'en statuant ainsi, le tribunal a violé les articles 9 et 50 du Traité sur l'Union européenne, les articles 18, 20.1.b), 21 et 22 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le préambule et les articles 10, 12 et 127.1.b) de l'accord sur le retrait du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne en date du 31 janvier 2020, les articles 39 et 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 88-3 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

2°) ALORS en toute hypothèse QU' à supposer que l'entrée en vigueur de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ait fait perdre la citoyenneté européenne aux ressortissants de ce pays installés dans un autre Etat membre, le principe de non-discrimination consacré par cet accord à l'égard de ces ressortissants conduit à maintenir leur droit de participer aux élections municipales de ce pays ; qu'en refusant à M. O..., ressortissant britannique mais résidant français inscrit sur les listes électorales françaises depuis 2009, le droit de participer au scrutin municipal de la ville où il réside en raison de l'entrée en vigueur de l'accord dit du «Brexit», le tribunal a violé les articles 9 et 50 du Traité sur l'Union européenne, les articles 18, 20.1.b), 21 et 22 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le préambule et les articles 10, 12 et 127.1.b) de l'accord sur le retrait du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne, les articles 39 et 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 88-3 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

3°) ALORS QUE, subsidiairement, les conditions d'acquisition et de retrait de la citoyenneté européenne doivent s'exercer dans le respect du droit de l'Union ; que celui qui en a été privé peut donc contester la validité de l'acte par lequel cette citoyenneté lui a été retirée ; que l'accord de retrait du 31 janvier 2020 méconnaît les principes formant l'identité de l'Union européenne et, notamment, les articles 18, 20 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les articles 39 et 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en ce qu'il ne comporte aucune stipulation permettant aux ressortissants britanniques installés dans un Etat membre de l'Union de conserver les droit afférents à leur citoyenneté européenne ; qu'en retenant le contraire, motif inopérant pris que le principe de non-discrimination ne pouvait plus être opposé par M. O... puisqu'il n'avait plus la nationalité d'un Etat membre de l'Union, le tribunal a méconnu ces dispositions ;

4°) ALORS QUE, subsidiairement l'accord de retrait du 31 janvier 2020, qui interdit aux ressortissants britanniques installés dans un autre Etat membre de participer aux élections municipales de cet Etat, contribue à une dégradation de leur situation administrative, personnelle et familiale ; qu'en retenant le contraire, au seul constat que cet accord préserverait certains droits de ces ressortissants en matière de droit au séjour, au travail et à la sécurité sociale, le tribunal a violé le principe de proportionnalité.

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