22 October 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-15.766

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2020:C300739

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 octobre 2020




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 739 F-D

Pourvoi n° E 19-15.766


Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme O....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 juillet 2019.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 OCTOBRE 2020

La société Les Cimes, société civile immobilière, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° E 19-15.766 contre l'arrêt rendu le 29 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 4), dans le litige l'opposant à Mme X... S..., veuve O..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Collomp, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Les Cimes, de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de Mme O..., après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Collomp, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2019), la société civile immobilière Les Cimes, propriétaire d'un appartement donné à bail à Mme O..., sous le régime de la loi du 1er septembre 1948, lui a délivré un congé pour reprise au profit de l'un de ses associés, puis l'a assignée en validité du congé.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé


2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. La société Les Cimes X fait grief à l'arrêt d'annuler le congé alors :

«1°/ que le juge doit interpréter et appliquer les dispositions législatives en conformité aux normes à valeur constitutionnelle ; que si le principe constitutionnel d'égalité devant la loi peut être limité pour un motif d'intérêt général, dès lors que cette limitation est justifiée par un intérêt général suffisant, les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 imposent que l'atteinte demeure proportionnée à l'objectif poursuivi ; que les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 ne sauraient en conséquence être interprétés et mis en œuvre comme réservant aux seules personnes physiques et sociétés d'attribution en jouissance, à l'exclusion des sociétés civiles immobilières familiales, le droit de reprise prévu au premier de ces textes, sauf à porter au principe d'égalité une atteinte disproportionnée au but poursuivi par la loi ; qu'en considérant que société civile immobilière Les Cimes ne pouvait valablement délivrer un congé pour reprise de son immeuble au profit de l'un de ses associés pour la seule raison que le droit de reprise ne peut pas être exercé par une personne morale autre qu'une société d'attribution en jouissance, la cour d'appel a violé les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948, lus à la lumière des articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

2°/ que le juge doit interpréter et appliquer les dispositions législatives en conformité aux normes à valeur constitutionnelle ; que si le droit constitutionnel de propriété peut être limité pour un motif d'intérêt général, dès lors que cette limitation est justifiée par un intérêt général suffisant, les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 imposent que l'atteinte demeure proportionnée à l'objectif poursuivi ; que les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 ne sauraient en conséquence être interprétés et mis en oeuvre comme interdisant à une société civile immobilière familiale de reprendre l'immeuble dont elle est propriétaire pour le faire habiter par l'un de ses associés qui ne dispose pas d'une habitation correspondant à ses besoins normaux, sauf à porter au droit de propriété du bailleur une atteinte disproportionnée au but poursuivi par la loi ; qu'en l'espèce, la société civile immobilière Les Cimes, ayant pour associés I... et G... V..., et leur fils W..., avait délivré congé à X... O... aux fins de reprise au bénéfice de W... V..., privé d'emploi et sans logement ; qu'en considérant que société civile immobilière Les Cimes ne pouvait valablement délivrer un congé pour reprise de son immeuble au profit de l'un de ses associés mal logé pour la seule raison que le droit de reprise ne peut pas être exercé par une personne morale autre qu'une société d'attribution en jouissance, la cour d'appel a violé les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948, lus à la lumière des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

3°/ qu'en toute hypothèse, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile ; que dans ses écritures, la SCI Les Cimes faisait valoir qu'elle avait fait délivrer, le 22 juin 2015, un congé à Mme O... afin de reprendre son immeuble pour y faire habiter W... V..., associé de la SCI qui, en raison de difficultés financières, avait été contraint de retourner vivre chez ses parents de sorte que, célibataire et âgé de 33 ans, l'immeuble litigieux lui permettrait de disposer d'une habitation correspondant à ses besoins normaux ; qu'en déclarant nul le congé délivré par la SCI Les Cimes, sans rechercher si l'impossibilité dans laquelle W... V... se trouvait de reprendre le bien litigieux ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme prohibe toute discrimination injustifiée dans la jouissance des droits et libertés reconnus dans ladite Convention ; que les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948, en ce qu'ils subordonnent à sa qualité de personne physique ou de société d'attribution en jouissance, sans justification d'un motif d'intérêt général, le droit du propriétaire bailleur à reprendre possession de son bien, constituent une discrimination prohibée ; qu'en déclarant nul le congé pour reprise délivré le 22 juin 2015 à Mme O... par la SCI Les Cimes, au seul motif qu'il s'agit d'une société civile immobilière familiale ne remplissant pas les conditions posées aux articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948, la cour d'appel a violé l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 14 de cette même Convention ;

5°/ qu'en toute hypothèse, les juges sont tenus de motiver leur décision et ne peuvent procéder par voie de simple affirmation ; que, dans ses conclusions d'appel, la SCI Les Cimes faisait valoir que la différence de traitement instituée par les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948 entre les propriétaires personnes physiques et les sociétés civiles immobilières familiales constitue une discrimination prohibée par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter toute violation de l'article 14, qu' « il apparaît que la distinction entre les droits conférés aux membres d'une société civile immobilière familiale et ceux dont peut être titulaire une personne physique est une justification objective et raisonnable permettant une différence de traitement au regard du droit de reprise offert au propriétaire d'un local d'habitation, différence poursuivant un but légitime », la cour d'appel qui a procédé par voie de simple affirmation, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, la Cour de cassation ayant, par arrêt du 24 octobre 2019, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, le moyen est sans portée.

5. En deuxième lieu, la société Les Cimes n'ayant pas soutenu, même substantiellement, devant la cour d'appel que l'annulation du congé portait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale et au domicile de M. W..., le moyen tiré d'une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales est nouveau, mélangé de fait et de droit.

6. En troisième lieu, la cour d'appel a retenu, par une décision motivée, que la différence de traitement entre le bailleur personne physique et le bailleur personne morale constituée sous la forme d'une société civile immobilière de nature familiale était fondée sur une différence de situation objective et que le fait de réserver le droit de reprise aux seuls associés membres d'une société immobilière par attribution bénéficiant d'un droit personnel de jouissance sur le bien loué reposait sur un but légitime.

7. Elle en a déduit, à bon droit, que les articles 19 et 20 bis de la loi du 1er septembre 1948 ne comportaient aucune discrimination prohibée par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Le moyen, pour partie irrecevable, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Les Cimes aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Les Cimes et la condamne à payer à la SCP Chaisemartin, Doumic-Seiller la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Les Cimes.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré nul le congé délivré le 22 juin 2015 pour le 31 décembre 2015 et d'AVOIR, en conséquence, débouté la SCI Les Cimes de ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'au fond, les dispositions des articles 19 et 20 bis de la loi du 1er septembre 1948 ne permettent aux membres d'une personne morale d'exercer le droit de reprise prévu au premier de ces textes que si ladite personne morale est une société ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance au sens de l'article L 212-2 du Code de la construction et de l'habitation et ce, sur les logements qui leur sont attribués en jouissance ; qu'en l'espèce, l'appelante ne conteste pas que les conditions posées par ce texte ne sont pas réunies, mais se prévaut de l'article 13 de la loi du 6 juillet 1989 – lequel prévoit que le droit de reprise pour habiter peut être invoqué lorsque le bailleur est une société civile constitué exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus, par la société au profit de l'un de ses associés – auquel les dispositions de l'article 2 de ladite loi confèrent un caractère d'ordre public ; que, cependant, cette argumentation ne peut être retenue dès lors que cette qualification d'ordre public ne vise l'impossibilité pour les parties de déroger aux dispositions prévues par ce texte, sauf pour stipuler des conditions plus protectrices, mais exclusivement pour les conventions qui sont soumis à cette loi du 6 juillet 1989 ; que dès lors qu'il n'est pas contesté que la location litigieuse est régie par la loi du 1er septembre 1948 et non par la loi du 6 juillet 1989, c'est en vain que le bailleur sollicite l'application de l'article 13 de ce dernier texte législatif ; que la bailleresse fait également valoir que les dispositions précitées de la loi du 1er septembre 1948 constituent une discrimination injustifiée entre les personnes physiques et les SCI familiales, et contreviennent donc, tant à l'article 1 de la Constitution qu'à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au sens de son article 14 tel qu'interprété par la Cour de Strasbourg ; que, s'agissant de la conformité de ces dispositions législatives à l'article 1 de la Constitution, qu'il n'appartient pas au juge judiciaire de l'apprécier, observation étant faite que l'appelante n'a pas cru utile de solliciter que soit posée une question prioritaire de constitutionnalité ; que, s'agissant des dispositions applicables de la loi du 1er septembre 1948 à la convention internationale précitée, il doit être relevé que selon la cour de Strasbourg : « pour qu'un problème se pose au regard de l'article 14 il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » mais que « les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (
) Cette marge est d'ordinaire ample lorsqu'il s'agit de prendre des mesures d'ordre général en matière économique ou sociale » ; qu'il apparait que la distinction entre les droits conférés aux membres d'une société civile immobilière familiale et ceux dont peut être titulaire une personne physique est une justification objective et raisonnable permettant une différence de traitement au regard du droit de reprise offert au propriétaire d'un local d'habitation, différence poursuivant un but légitime ; que les moyens employés sont proportionnés au but visé dès lors que les membres de certaines personnes morales peuvent bénéficier de ce droit de reprise d'un local à condition de pouvoir se prévaloir d'un droit de jouissance sur celui-ci ; qu'en conséquence, qu'il n'y a pas lieu de juger que les dispositions des articles 19 et 20 bis de la loi du 1er septembre 1948 contreviennent à l'article 14 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le jugement sera donc confirmé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens et demandes subsidiaires de l'intimée ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le congé a été délivré au visa de l'article 19 de la loi du 1" septembre 1948, de l'article 13 de la loi du 6 juillet 1989, de l'article le' de la constitution du 4 octobre 1958, de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; que l'article 19 de la loi du 1" septembre 1948 prévoit que le droit au maintien dans les lieux n'est pas opposable au propriétaire de nationalité française ou ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne qui veut reprendre son immeuble pour l'habiter lui-même ou le faire habiter par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou par ceux de son conjoint qui justifie que le bénéficiaire de la reprise ne dispose pas d'une habitation correspondant à ses besoins normaux et à ceux des membres de sa famille vivant habituellement ou domiciliés avec lui ; que l'article 20 bis dispose que les droits de reprise prévus à la présente loi peuvent être exercés par les membres des sociétés mentionnées au chapitre I de la loi du 28 juin 1938 sur les logements qui leur sont attribués en jouissance ; qu'il résulte clairement de ces dispositions que le droit de reprise ne peut être exercé par une personne morale laquelle ne saurait reprendre un logement pour y habiter elle-même ou le faire habiter par son conjoint ou ses descendants ; qu'il ne peut être exercé que par une personne physique, propriétaire ou associé d'une société ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés ; qu'il n'appartient pas au juge judiciaire d'apprécier la conformité de l'article 19 ou de son interprétation jurisprudentielle à la constitution et il n'est pas démontré que l'article 19 ou son interprétation par les juridictions seraient contraires à la convention européenne des droits de l'homme ou à sa jurisprudence ; qu'il y a donc lieu de déclarer nul le congé et de débouter la SCI Les Cimes de ses demandes ;

ALORS QUE par voie de conséquence de la déclaration d'inconstitutionnalité des articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement, qui sera prononcée par le Conseil constitutionnel après renvoi par la Cour de cassation, l'arrêt attaqué devra être annulé pour perte de fondement juridique.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré nul le congé délivré le 22 juin 2015 pour le 31 décembre 2015 et d'AVOIR, en conséquence, débouté la SCI Les Cimes de ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'au fond, les dispositions des articles 19 et 20 bis de la loi du 1er septembre 1948 ne permettent aux membres d'une personne morale d'exercer le droit de reprise prévu au premier de ces textes que si ladite personne morale est une société ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance au sens de l'article L 212-2 du Code de la construction et de l'habitation et ce, sur les logements qui leur sont attribués en jouissance ; qu'en l'espèce, l'appelante ne conteste pas que les conditions posées par ce texte ne sont pas réunies, mais se prévaut de l'article 13 de la loi du 6 juillet 1989 – lequel prévoit que le droit de reprise pour habiter peut être invoqué lorsque le bailleur est une société civile constitué exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus, par la société au profit de l'un de ses associés – auquel les dispositions de l'article 2 de ladite loi confèrent un caractère d'ordre public ; que, cependant, cette argumentation ne peut être retenue dès lors que cette qualification d'ordre public ne vise l'impossibilité pour les parties de déroger aux dispositions prévues par ce texte, sauf pour stipuler des conditions plus protectrices, mais exclusivement pour les conventions qui sont soumis à cette loi du 6 juillet 1989 ; que dès lors qu'il n'est pas contesté que la location litigieuse est régie par la loi du 1er septembre 1948 et non par la loi du 6 juillet 1989, c'est en vain que le bailleur sollicite l'application de l'article 13 de ce dernier texte législatif ; que la bailleresse fait également valoir que les dispositions précitées de la loi du 1er septembre 1948 constituent une discrimination injustifiée entre les personnes physiques et les SCI familiales, et contreviennent donc, tant à l'article 1 de la Constitution qu'à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au sens de son article 14 tel qu'interprété par la Cour de Strasbourg ; que, s'agissant de la conformité de ces dispositions législatives à l'article 1 de la Constitution, qu'il n'appartient pas au juge judiciaire de l'apprécier, observation étant faite que l'appelante n'a pas cru utile de solliciter que soit posée une question prioritaire de constitutionnalité ; que, s'agissant des dispositions applicables de la loi du 1er septembre 1948 à la convention internationale précitée, il doit être relevé que selon la cour de Strasbourg : « pour qu'un problème se pose au regard de l'article 14 il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » mais que « les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (
) Cette marge est d'ordinaire ample lorsqu'il s'agit de prendre des mesures d'ordre général en matière économique ou sociale » ; qu'il apparait que la distinction entre les droits conférés aux membres d'une société civile immobilière familiale et ceux dont peut être titulaire une personne physique est une justification objective et raisonnable permettant une différence de traitement au regard du droit de reprise offert au propriétaire d'un local d'habitation, différence poursuivant un but légitime ; que les moyens employés sont proportionnés au but visé dès lors que les membres de certaines personnes morales peuvent bénéficier de ce droit de reprise d'un local à condition de pouvoir se prévaloir d'un droit de jouissance sur celui-ci ; qu'en conséquence, qu'il n'y a pas lieu de juger que les dispositions des articles 19 et 20 bis de la loi du 1er septembre 1948 contreviennent à l'article 14 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le jugement sera donc confirmé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens et demandes subsidiaires de l'intimée ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le congé a été délivré au visa de l'article 19 de la loi du 1" septembre 1948, de l'article 13 de la loi du 6 juillet 1989, de l'article le' de la constitution du 4 octobre 1958, de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; que l'article 19 de la loi du 1" septembre 1948 prévoit que le droit au maintien dans les lieux n'est pas opposable au propriétaire de nationalité française ou ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne qui veut reprendre son immeuble pour l'habiter lui-même ou le faire habiter par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou par ceux de son conjoint qui justifie que le bénéficiaire de la reprise ne dispose pas d'une habitation correspondant à ses besoins normaux et à ceux des membres de sa famille vivant habituellement ou domiciliés avec lui ; que l'article 20 bis dispose que les droits de reprise prévus à la présente loi peuvent être exercés par les membres des sociétés mentionnées au chapitre I de la loi du 28 juin 1938 sur les logements qui leur sont attribués en jouissance ; qu'il résulte clairement de ces dispositions que le droit de reprise ne peut être exercé par une personne morale laquelle ne saurait reprendre un logement pour y habiter elle-même ou le faire habiter par son conjoint ou ses descendants ; qu'il ne peut être exercé que par une personne physique, propriétaire ou associé d'une société ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés ; qu'il n'appartient pas au juge judiciaire d'apprécier la conformité de l'article 19 ou de son interprétation jurisprudentielle à la constitution et il n'est pas démontré que l'article 19 ou son interprétation par les juridictions seraient contraires à la convention européenne des droits de l'homme ou à sa jurisprudence ; qu'il y a donc lieu de déclarer nul le congé et de débouter la SCI Les Cimes de ses demandes ;

1) ALORS QUE le juge doit interpréter et appliquer les dispositions législatives en conformité aux normes à valeur constitutionnelle ; que si le principe constitutionnel d'égalité devant la loi peut être limité pour un motif d'intérêt général, dès lors que cette limitation est justifiée par un intérêt général suffisant, les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 imposent que l'atteinte demeure proportionnée à l'objectif poursuivi ; que les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 ne sauraient en conséquence être interprétés et mis en oeuvre comme réservant aux seules personnes physiques et sociétés d'attribution en jouissance, à l'exclusion des sociétés civiles immobilières familiales, le droit de reprise prévu au premier de ces textes, sauf à porter au principe d'égalité une atteinte disproportionnée au but poursuivi par la loi ; qu'en considérant que société civile immobilière Les Cimes ne pouvait valablement délivrer un congé pour reprise de son immeuble au profit de l'un de ses associés pour la seule raison que le droit de reprise ne peut pas être exercé par une personne morale autre qu'une société d'attribution en jouissance, la cour d'appel a violé les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948, lus à la lumière des articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

2) ALORS QUE le juge doit interpréter et appliquer les dispositions législatives en conformité aux normes à valeur constitutionnelle ; que si le droit constitutionnel de propriété peut être limité pour un motif d'intérêt général, dès lors que cette limitation est justifiée par un intérêt général suffisant, les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 imposent que l'atteinte demeure proportionnée à l'objectif poursuivi ; que les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 ne sauraient en conséquence être interprétés et mis en oeuvre comme interdisant à une société civile immobilière familiale de reprendre l'immeuble dont elle est propriétaire pour le faire habiter par l'un de ses associés qui ne dispose pas d'une habitation correspondant à ses besoins normaux, sauf à porter au droit de propriété du bailleur une atteinte disproportionnée au but poursuivi par la loi ; qu'en l'espèce, la société civile immobilière Les Cimes, ayant pour associés I... et G... V..., et leur fils W..., avait délivré congé à X... O... aux fins de reprise au bénéfice de W... V..., privé d'emploi et sans logement ; qu'en considérant que société civile immobilière Les Cimes ne pouvait valablement délivrer un congé pour reprise de son immeuble au profit de l'un de ses associés mal logé pour la seule raison que le droit de reprise ne peut pas être exercé par une personne morale autre qu'une société d'attribution en jouissance, la cour d'appel a violé les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948, lus à la lumière des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

3) ALORS, en toute hypothèse, QUE toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile ; que dans ses écritures, la SCI Les Cimes faisait valoir qu'elle avait fait délivrer, le 22 juin 2015, un congé à Mme O... afin de reprendre son immeuble pour y faire habiter W... V..., associé de la SCI qui, en raison de difficultés financières, avait été contraint de retourner vivre chez ses parents de sorte que, célibataire et âgé de 33 ans, l'immeuble litigieux lui permettrait de disposer d'une habitation correspondant à ses besoins normaux (concl., p. 4-5) ; qu'en déclarant nul le congé délivré par la SCI Les Cimes, sans rechercher si l'impossibilité dans laquelle W... V... se trouvait de reprendre le bien litigieux ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales;

4) ALORS QUE l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme prohibe toute discrimination injustifiée dans la jouissance des droits et libertés reconnus dans ladite Convention ; que les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948, en ce qu'ils subordonnent à sa qualité de personne physique ou de société d'attribution en jouissance, sans justification d'un motif d'intérêt général, le droit du propriétaire bailleur à reprendre possession de son bien, constituent une discrimination prohibée ; qu'en déclarant nul le congé pour reprise délivré le 22 juin 2015 à Mme O... par la SCI Les Cimes, au seul motif qu'il s'agit d'une société civile immobilière familiale ne remplissant pas les conditions posées aux articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948, la cour d'appel a violé l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 14 de cette même Convention ;

5) ALORS, en toute hypothèse, QUE les juges sont tenus de motiver leur décision et ne peuvent procéder par voie de simple affirmation ; que, dans ses conclusions d'appel, la SCI Les Cimes faisait valoir que la différence de traitement instituée par les articles 19, alinéa 1 et 20 bis, alinéa 1 de la loi du 1er septembre 1948 entre les propriétaires personnes physiques et les sociétés civiles immobilières familiales constitue une discrimination prohibée par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme (concl., p. 4 § 9-11) ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter toute violation de l'article 14, qu' « il apparaît que la distinction entre les droits conférés aux membres d'une société civile immobilière familiale et ceux dont peut être titulaire une personne physique est une justification objective et raisonnable permettant une différence de traitement au regard du droit de reprise offert au propriétaire d'un local d'habitation, différence poursuivant un but légitime », la cour d'appel qui a procédé par voie de simple affirmation, a violé l'article 455 du code de procédure civile.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.