5 juin 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-87.443

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00655

Titres et sommaires

SAISIES - Saisies spéciales - Perquisition ou visite domiciliaire - Poursuite - Défaut - Recours - Office du juge - Indices de commission de l'infraction - Recherches nécessaires

En application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne ayant fait l'objet, à l'occasion d'une perquisition ou d'une visite domiciliaire, d'une saisie d'un bien dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal, et qui n'a pas été poursuivie devant une juridiction d'instruction ou de jugement dans les six mois après l'accomplissement de cet acte, peut contester la régularité de la décision de saisie, soit à l'occasion d'un recours formé sur le fondement de l'article 802-2 du code de procédure pénale contre la perquisition ou la visite domiciliaire, soit directement au moyen d'un recours exercé dans les conditions de ce même article. Lorsqu'il statue sur la régularité d'une telle saisie, le juge doit notamment s'assurer de l'existence d'indices de commission de l'infraction justifiant la mesure et du caractère confiscable du bien en application des conditions légales. C'est à bon droit que le président de la chambre de l'instruction, saisi d'une demande d'annulation de la perquisition d'un domicile et du véhicule saisi à cette occasion, a statué sur la régularité de la saisie pratiquée en précisant le fondement de la mesure et en relevant, par des motifs souverains, l'existence d'indices de commission d'une infraction de nature à la justifier

Texte de la décision

N° B 22-87.443 FS-B

N° 00655


RB5
5 JUIN 2024


REJET


M. BONNAL président,






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 JUIN 2024



M. [V] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, en date du 18 novembre 2022, qui, dans la procédure suivie des chefs d'escroquerie, fraude fiscale et blanchiment, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande d'annulation d'une perquisition.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [V] [Y], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Bloch, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs d'escroquerie à la TVA, fraude fiscale et blanchiment, des agents des douanes habilités du service d'enquêtes judiciaires des finances ont mené, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, une perquisition au domicile de M. [V] [Y] et ont saisi un véhicule Porsche lui appartenant.

3. Par ordonnance du 17 mars 2022, le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande d'annulation de la perquisition formée par M. [Y].

4. Ce dernier a relevé appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit l'appel mal fondé et confirmé l'ordonnance du 17 mars 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande d'annulation de perquisition et de restitution du véhicule saisi présentée par la défense, alors :

« 1°/ d'une part que les agents des douanes ne peuvent enquêter que sur les infractions énumérées aux 1° à 7° de l'article 28-1 ; que la méconnaissance de cette règle de compétence d'ordre public vicie l'ensemble des investigations et mesures mises en œuvre par ces agents ; qu'il résulte de la procédure que les agents des douanes ont procédé à la perquisition du domicile de Monsieur [Y] et à la saisie et au placement sous scellé d'un véhicule Porsche détenu par celui-ci ; qu'aux termes de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé d'annuler cette mesure, cette opération était notamment justifiée par les soupçons d'abus de biens sociaux visant l'exposant ; que ces faits, à les supposer établis, n'entrent pas dans la compétence des agents des douanes, de sorte que la mesure ainsi réalisée était irrégulière ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette mesure et de restituer le véhicule saisi, à affirmer que la mesure litigieuse et l'ordonnance du juge des libertés et de la détention étaient régulières dès lors que ce dernier n'avait « pas motivé son ordonnance seulement sur les faits d'abus de biens sociaux », quand toute irrégularité résultant dans l'exercice par les agents des douanes de pouvoirs de police judiciaires en dehors du cadre légal strict de l'article 28-1 doit faire l'objet d'un constat de nullité par les juges, la Chambre de l'instruction a violé les articles 28-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part que les agents des douanes ne peuvent enquêter que sur les infractions énumérées aux 1° à 7° de l'article 28-1 ou les faits connexes à ces infractions ; que la méconnaissance de cette règle de compétence d'ordre public vicie l'ensemble des investigations et mesures mises en œuvre par ces agents ; qu'il résulte de la procédure que les agents des douanes ont procédé à la perquisition du domicile de Monsieur [Y] et à la saisie et au placement sous scellé d'un véhicule Porsche détenu par celui-ci ; qu'aux termes de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé d'annuler cette mesure, cette opération était notamment justifiée par les soupçons d'abus de biens sociaux visant l'exposant ; que ces faits, à les supposer établis, n'entrent pas dans la compétence des agents des douanes, de sorte que la mesure ainsi réalisée était irrégulière ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette mesure et de restituer le véhicule saisi, à affirmer que la procédure était régulière dès lors que les agents des douanes avaient enquêté sur des infractions pour lesquelles ils étaient compétents, sans établir en quoi les faits d'abus de biens sociaux dénoncés étaient connexes avec ces infractions, et en particulier sans relever qu'ils auraient été commis en même temps par plusieurs personnes réunies, qu'ils auraient été commis par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, que leurs auteurs auraient commis les uns pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, qu'ils relèveraient d'un même recel, qu'ils procèderaient d'une unité de conception, seraient déterminés par la même cause, tendraient au même but ou formeraient un tout indivisible, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 28-1, 203, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour écarter le moyen de nullité tiré de l'incompétence des agents des douanes habilités pour procéder à la perquisition contestée, l'arrêt attaqué relève que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé la perquisition sans assentiment vise précisément l'infraction de blanchiment, et que celle-ci figure à l'article 28-1 du code de procédure pénale, qui habilite les agents des douanes à effectuer des enquêtes judiciaires pour les infractions qu'il énumère limitativement.

7. Le juge ajoute que contrairement à ce que soutient le conseil de M. [Y], le juge des libertés et de la détention n'a pas motivé son ordonnance seulement sur les faits d'abus de biens sociaux, mais sur le contexte de fraude fiscale, escroquerie à la TVA et blanchiment de ces délits.

8. Il retient que l'existence d'indices graves ou concordants relative aux infractions de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale résulte de l'inadéquation du train de vie de M. [Y] avec ses revenus déclarés et de l'acquisition de nombreux véhicules haut de gamme dont les conditions de financement demeurent occultes.

9. En l'état de ces énonciations, dont il se déduit que les faits susceptibles de recevoir la qualification d'abus de biens sociaux sont aussi de nature à être poursuivis sous celles de fraude fiscale et de blanchiment, infractions dont les agents des douanes habilités étaient régulièrement saisis, le président de la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

10. Ainsi, le moyen, devenu inopérant en sa seconde branche, doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit l'appel mal fondé et confirmé l'ordonnance du 17 mars 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande d'annulation de perquisition et de restitution du véhicule saisi présentée par la défense, alors « que la juridiction appelée à statuer sur l'annulation d'une mesure de perquisition et de restitution d'un bien saisi au cours de celle-ci doit apprécier l'existence d'indices de commission d'une infraction de nature à justifier le maintien de la saisie ; qu'il résulte de la procédure et des propres constatations de la Chambre de l'instruction qu'il est simplement reproché à Monsieur [Y] « l'inadéquation de son train de vie avec ses revenus déclarés et l'acquisition de nombreux véhicules haut de gamme dont les conditions de financement demeurent occultes » ; qu'il n'existe en revanche aucun élément objectif en procédure permettant d'établir l'existence d'indices de la participation de l'exposant aux infractions d'escroquerie à la TVA, de fraude fiscale et de blanchiment qui lui sont reprochées ; qu'en refusant néanmoins d'annuler la perquisition litigieuse et d'ordonner la restitution du véhicule saisi, la Chambre de l'instruction a violé les articles 802-2, 131-21, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

12. Le moyen pose la question de savoir si le recours prévu à l'article 802-2 du code de procédure pénale autorise le demandeur à contester la régularité d'une saisie.

13. Aux termes de ce texte, toute personne ayant fait l'objet d'une perquisition ou d'une visite domiciliaire en application des dispositions du présent code et qui n'a pas été poursuivie devant une juridiction d'instruction ou de jugement au plus tôt six mois après l'accomplissement de cet acte peut, dans un délai d'un an à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance de cette mesure, saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande tendant à son annulation.


14. D'une part, alors que la régularité de toute saisie spéciale peut être contestée à l'occasion de l'appel dirigé contre la décision l'ordonnant, celle d'une saisie opérée sur le fondement des articles 56, 76 et 97 du code de procédure pénale ne peut l'être qu'au moyen d'une requête en nullité formée par une partie ou un témoin assisté dans le cadre d'une information judiciaire, ou devant la juridiction de jugement.

15. D'autre part, si tout bien saisi peut faire l'objet d'une demande de restitution, quel que soit le fondement textuel de la saisie prescrite, la régularité de la mesure ne peut, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, être remise en cause à cette occasion (Crim., 2 juillet 1992, pourvoi n° 91-85.065, Bull. crim. 1992, n° 266).

16. Il s'ensuit qu'une saisie diligentée en application des articles 56, 76 et 97 du code de procédure pénale n'offre pas de garanties procédurales d'un niveau équivalent à celles d'une saisie spéciale.

17. Or, la Cour européenne des droits de l'homme juge que le droit à un recours effectif au sens de l'article 6, § 1, sous son volet civil, implique, en matière de visite domiciliaire, que les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement (CEDH, arrêt du 21 février 2008, Ravon et autres c. France, n° 18497/03).

18. Il est donc nécessaire, afin de garantir ce droit conventionnel à un recours effectif, que toute personne ayant fait l'objet, à l'occasion d'une perquisition ou d'une visite domiciliaire, d'une saisie d'un bien dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal, et qui n'a pas été poursuivie devant une juridiction d'instruction ou de jugement dans les six mois après l'accomplissement de cet acte, puisse contester la régularité de la décision de saisie, soit à l'occasion d'un recours formé sur le fondement de l'article 802-2 du code de procédure pénale contre la perquisition ou la visite domiciliaire, soit directement au moyen d'un recours exercé dans les conditions de ce même article.

19. Lorsqu'il statue sur la régularité d'une telle saisie, le juge doit notamment s'assurer de l'existence d'indices de commission de l'infraction justifiant la mesure et du caractère confiscable du bien en application des conditions légales.

20. C'est donc à bon droit qu'en l'espèce le président de la chambre de l'instruction, saisi d'une demande d'annulation de la perquisition du domicile de M. [Y], a statué sur la régularité de la saisie du véhicule, comme l'y invitait le mémoire du demandeur, en précisant le fondement de la saisie et en relevant, par des motifs souverains, l'existence d'indices de commission d'une infraction de nature à justifier la mesure.

21. Ainsi, le moyen doit être écarté.

22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille vingt-quatre.

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