22 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-10.214

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00523

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Modification dans la situation juridique de l'employeur - Continuation du contrat de travail - Effets - Avantages collectifs dans l'entreprise d'accueil - Application au salarié transféré - Etendue - Détermination - Cas - Portée

Selon l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de cette modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Il en résulte que l'employeur ne peut refuser aux salariés transférés le bénéfice dans l'entreprise d'accueil des avantages collectifs, qu'ils soient instaurés par voie d'accords collectifs, d'usages ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, au motif que ces salariés tiennent des droits d'un usage ou d'un engagement unilatéral en vigueur dans leur entreprise d'origine au jour du transfert ou des avantages individuels acquis en cas de mise en cause d'un accord collectif. Doit être cassé l'arrêt qui rejette la demande d'un salarié de bénéficier d'un bonus annuel perçu par les salariés de l'entreprise absorbante et calculé sur la base d'un taux plus avantageux que celui qu'il percevait dans son entreprise d'origine, au motif que, compte tenu de la fusion-absorption, la société absorbante était légalement tenue de maintenir au bénéfice des salariés transférés les droits qu'ils tenaient d'un engagement unilatéral, en vigueur au jour du transfert, dans leur entreprise d'origine

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 mai 2024




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 523 FS-B

Pourvoi n° C 23-10.214




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MAI 2024

M. [V] [C], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 23-10.214 contre l'arrêt rendu le 18 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Nokia Networks France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Alcatel-Lucent International, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [C], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Nokia Networks France, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 octobre 2022), M. [C] a été engagé en qualité d'ingénieur par la société Alcatel, devenue, après sa fusion avec la société Lucent technologies, la société Alcatel-Lucent France. Le 31 décembre 2013, cette société a été absorbée par la société Alcate-Lucent International, aux droits de laquelle vient la société Nokia Networks France.

2. Le 24 février 2015, le contrat du salarié classé position III A de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, a été rompu dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

3. Le 30 mars 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, en particulier d'un rappel de bonus « Corporate » pour l'année 2014 et de compléments d'indemnités de rupture.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son deuxième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une certaine somme à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, alors « qu'après avoir relevé que le plan de sauvegarde de l'emploi prévoyait, pendant le préavis conventionnel, le versement de la ''rémunération normale soumise aux charges sociales'', la cour d'appel a estimé que ce plan ne dérogeait pas à la règle selon laquelle l'indemnité compensatrice de préavis correspond à la rémunération que le salarié aurait dû percevoir s'il avait exécuté son préavis et en a déduit, compte tenu de la date à laquelle avait débuté le préavis, que le bonus 2014 ne devait pas être intégré dans le calcul de l'indemnité compensatrice de préavis ; qu'en statuant par de tels motifs sans répondre au moyen péremptoire du salarié qui faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que l'annexe 4 du plan de sauvegarde de l'emploi relatif à l'assiette de calcul du salaire de référence précisait que ''pour toute indemnité calculée sur la base du salaire de référence, il sera pris en compte la moyenne des rémunérations brutes contractuelles perçues au cours des douze derniers mois civils précédant la notification de la rupture du contrat de travail, ainsi que la partie variable de la rémunération versée au cours de cette même période'', ce dont il déduisait que l'indemnité compensatrice de préavis, comme toutes les indemnités dues aux salariés au titre de la rupture de leur contrat de travail, aurait dû être calculée par référence à la moyenne des douze derniers mois précédant la rupture de son contrat de travail incluant le bonus 2014, la cour d'appel a méconnu les exigences découlant de l'article 455 du code de procédure civile. »

5. Par son troisième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement, par la société Alcatel-Lucent International d'un solde d'allocation de reclassement de 81 %, alors « qu'après avoir relevé que le plan de sauvegarde de l'emploi prévoyait qu'au-delà du congé de reclassement légal applicable, le salarié percevrait ''une allocation brute équivalente à 81 % de son ancienne rémunération brute et au plus égale à 5 500 euros brut par mois'', la cour d'appel a estimé que le plan de sauvegarde de l'emploi avait manifestement retenu une base de calcul différente de celle retenue pour l'allocation de 65 % et n'avait donc pas entendu prendre comme base de calcul ''la rémunération mensuelle moyenne brute des douze derniers mois'', référence uniquement prévue pour l'allocation de 65 % ; qu'en statuant par de tels motifs sans répondre au moyen péremptoire du salarié qui faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que l'annexe 4 du plan de sauvegarde de l'emploi relatif à l'assiette de calcul du salaire de référence précisait que ''pour toute indemnité calculée sur la base du salaire de référence, il sera pris en compte la moyenne des rémunérations brutes contractuelles perçues au cours des douze derniers mois civils précédant la notification de la rupture du contrat de travail, ainsi que la partie variable de la rémunération versée au cours de cette même période'', ce dont il déduisait que l'allocation de reclassement de 81 %, comme toutes les indemnités dues aux salariés au titre de la rupture de leur contrat de travail, aurait dû être calculée par référence à la moyenne des douze derniers mois précédant la rupture de son contrat de travail incluant le bonus 2014, la cour d'appel a méconnu les exigences découlant de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Ayant retenu, d'une part, que le plan de sauvegarde de l'emploi, en prévoyant que le salarié devait percevoir, pendant le préavis conventionnel, sa rémunération normale soumise aux charges sociales, ne dérogeait pas à la règle selon laquelle l'indemnité compensatrice de préavis devait correspondre à la rémunération que le salarié aurait dû percevoir s'il avait exécuté son préavis et, d'autre part, que, s'agissant de l'allocation de reclassement de 81 %, ce plan de sauvegarde avait manifestement retenu une base de calcul à savoir « l'ancienne rémunération brute » différente de celle retenue pour l'allocation de 65 % et n'a donc pas entendu prendre comme base de calcul « la rémunération mensuelle moyenne brute des douze derniers mois », la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter le montant des condamnations de la société Alcatel-Lucent International au titre du rappel de bonus 2014, outre congés payés afférents, du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement et du solde de l'allocation de reclassement à 65 %, alors « que lorsqu'elle est payée en exécution d'un engagement unilatéral de l'employeur, une prime constitue un élément du salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement ; qu'en cas de transfert des contrats de travail en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, si les salariés dont le contrat de travail a été transféré peuvent prétendre au maintien par leur nouvel employeur du bénéfice des engagements unilatéraux en vigueur au jour du transfert, ils sont également en droit de bénéficier immédiatement des engagements unilatéraux en vigueur dans l'entreprise d'accueil dès lors qu'ils remplissent les conditions pour en bénéficier ; qu'en se fondant, en l'espèce, sur l'obligation légale dans laquelle se trouvait la société Alcatel-Lucent International de maintenir au bénéfice des salariés de la société Alcatel-Lucent France les droits qu'ils tenaient de leur contrat de travail ou des usages en vigueur au jour du transfert pour considérer que ces derniers devaient se voir verser un bonus au taux applicable au sein de leur société d'origine, soit 5 %, et non au taux plus favorable de 12,5 % en vigueur au sein de la société Alcatel-Lucent International, ainsi que ces derniers le revendiquaient, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au litige ensemble celles de l'article L. 1124-1 (en réalité L. 1224-1) du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article L. 1224-1 du code du travail :

8. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

9. Aux termes du second de ces textes, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

10. Il en résulte que l'employeur ne peut refuser aux salariés transférés le bénéfice, dans l'entreprise d'accueil, des avantages collectifs, qu'ils soient instaurés par voie d'accords collectifs, d'usages ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, au motif que ces salariés tiennent des droits d'un usage ou d'un engagement unilatéral en vigueur dans leur entreprise d'origine au jour du transfert ou des avantages individuels acquis en cas de mise en cause d'un accord collectif.

11. Pour limiter la condamnation de la société Alcatel-Lucent International au paiement d'une certaine somme au titre d'un rappel de bonus « Corporate » 2014 calculé sur la base d'un taux de 5 %, outre congés payés afférents, l'arrêt retient que, compte tenu de la fusion-absorption, la société Alcatel-Lucent International était légalement tenue de maintenir au bénéfice des salariés transférés de la société Alcatel-Lucent France les droits qu'ils tenaient de leur contrat de travail ou des usages en vigueur au jour du transfert, cette obligation justifiant la différence de traitement qui en résultait entre les salariés en raison de leur provenance de sociétés différentes.

12. Il ajoute que, dans le délai de l'article L. 2261-14 du code du travail, la société absorbante a, par engagement unilatéral du 1er décembre 2014, déterminé pour l'ensemble des ingénieurs cadres un nouveau taux applicable à compter du 1er janvier 2015, soit 10 % pour les salariés en position II ou III A.

13. En statuant ainsi, alors que, si l'employeur est légalement tenu de maintenir les avantages issus d'un engagement unilatéral, en vigueur au jour du transfert, dont jouissaient les salariés transférés, il ne peut refuser à ces mêmes salariés le bénéfice des avantages résultant d'engagements unilatéraux en vigueur au sein de l'entreprise d'accueil, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite les condamnations à paiement, au profit de M. [C], de la société Alcatel-Lucent International, aux droits de laquelle vient la société Nokia Networks France, aux sommes de 1 424,55 euros au titre du rappel de bonus pour l'année 2014, de 142,46 euros au titre des congés payés afférents, de 1 377,01 euros au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de 462,96 euros au titre de l'allocation de reclassement à 65 %, l'arrêt rendu le 18 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Nokia Networks France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Nokia Networks France et la condamne à payer M. [C] la somme de 300 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille vingt-quatre.

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