7 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-81.344

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00478

Titres et sommaires

ACTION PUBLIQUE

Texte de la décision

N° X 22-81.344 FS-B

N° 00478


MAS2
7 MAI 2024


NON-LIEU A STATUER


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 MAI 2024



[T] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 16 février 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 15 septembre 2021, pourvoi n° 20-82.422), pour blanchiment, l'a condamné à une confiscation.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de Mmes [E] [D], [J] [S], MM. [K], [G], [W], [P], [C] et [Y] [S], agissant en qualité d'héritiers de [T] [S], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, de Lamy, Mme Jaillon, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mmes Chafaï, Bloch, conseillers référendaires, Mme Viriot-Barrial, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Vu l'article 606 du code de procédure pénale :

1. Il résulte de ce texte que la Cour de cassation rend un arrêt de non-lieu à statuer si le pourvoi est devenu sans objet.

2. Il en est ainsi, en raison de l'extinction de l'action publique résultant de l'application de l'article 6 du code de procédure pénale, en cas de pourvoi formé par un prévenu décédé postérieurement à la formulation de son recours.

3. La chambre criminelle juge toutefois que la mesure de confiscation ordonnée à l'occasion de poursuites correctionnelles et visant l'instrument du délit ou la chose produite par le délit constitue une sanction à caractère réel qui survit à l'extinction de l'action publique et que, en conséquence, il y a lieu, s'agissant de cette seule mesure de confiscation, de statuer sur le pourvoi formé par un prévenu décédé postérieurement à la formulation de son recours (Crim., 25 juin 2013, pourvoi n° 12-80.859, Bull. crim. 2013, n° 150).

4. Cette jurisprudence, qui a fait l'objet de critiques doctrinales, est en contradiction avec le principe selon lequel la confiscation, peine complémentaire encourue dans les cas prévus par la loi, ne peut être prononcée que lorsque le prévenu est déclaré coupable, y compris lorsqu'elle présente un caractère obligatoire (Crim., 13 octobre 2021, pourvoi n° 20-86.868, publié au Bulletin).

5. En effet, l'extinction de l'action publique consécutive au décès du prévenu interdit que ce dernier soit déclaré coupable d'une infraction et condamné à une peine, quelle qu'en soit la nature.

6. En conséquence, la jurisprudence citée au paragraphe 3 ne peut être maintenue.

7. Cependant, l'abandon de cette jurisprudence doit être concilié avec l'application des dispositions de l'article 481 du code de procédure pénale, selon lequel la restitution d'un bien placé sous main de justice peut être refusée s'il constitue l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction.

8. Cette conciliation s'impose d'autant plus que ces dispositions sont issues de l'article 84 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 qui a strictement transposé celles de l'article 4, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 énonçant que, lorsqu'il n'est pas possible de procéder à la confiscation sur la base du paragraphe 1 de ce texte, à tout le moins lorsque cette impossibilité résulte d'une maladie ou de la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des instruments ou produits dans le cas où une procédure pénale a été engagée concernant une infraction pénale qui est susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique et où ladite procédure aurait été susceptible de déboucher sur une condamnation pénale si le suspect ou la personne poursuivie avait été en mesure de comparaître en justice.

9. Toutefois, les dispositions de l'article 481 précité doivent être mises en oeuvre dans le respect des droits fondamentaux et des principes reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne des droits de l'homme, selon l'interprétation qui en est faite dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, comme l'énonce le considérant 38 de la directive précitée.

10. A cet égard, la Cour européenne des droits de l'homme juge que, tant par le langage utilisé que par son raisonnement, le juge national ne peut, sans méconnaître le droit à la présomption d'innocence garanti par l'article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, déclarer une personne coupable d'infraction, alors même que l'action publique est éteinte du fait de son décès et que sa culpabilité n'a pas été établie par un tribunal de son vivant (CEDH, décision du 12 avril 2012, Lagardère c. France, n° 18851/07).

11. Elle considère de même que le droit à un procès équitable des ayants droit de la personne décédée, garanti par l'article 6, § 1, de la même convention, se trouve méconnu lorsque ces derniers ne sont pas en mesure de défendre leur cause (décision du 12 avril 2012 précitée).

12. Il se déduit de ce qui précède qu'en cas de pourvoi formé par un prévenu décédé postérieurement à la formulation de son recours, la cour d'appel doit être mise en mesure de se prononcer sur l'éventuelle demande de restitution des biens placés sous main de justice susceptible d'être présentée par les ayants droit de l'intéressé, au regard des conditions légales, ce qui implique notamment qu'elle statue sur la qualification de produit ou d'instrument de l'infraction des biens dont la restitution est éventuellement sollicitée et, par voie de conséquence, sur la caractérisation objective de l'infraction objet des poursuites.

13. En revanche, la cour d'appel, devant laquelle les ayants droit de la personne décédée doivent être recevables à contester l'infraction, outre le fait que le bien dont ils sollicitent la restitution en serait l'instrument ou le produit, ne saurait imputer l'infraction à cette dernière, ni la déclarer coupable de celle-ci.


14. La faculté ainsi reconnue à la cour d'appel de refuser la restitution des biens qui sont l'instrument ou le produit de l'infraction est compatible avec l'interdiction de déclarer le prévenu décédé en cours d'instance de cassation coupable d'une infraction et de prononcer une confiscation.

15. En effet, d'une part, la loi confère dans certains cas au juge pénal le pouvoir de constater que les éléments d'une infraction se trouvent objectivement caractérisés, alors même qu'il ne déclare pas le prévenu coupable de cette infraction. Il en est ainsi, conformément aux articles 470-2 et 706-133 du code de procédure pénale, lorsque le tribunal correctionnel relaxe le prévenu en raison d'une cause d'irresponsabilité pénale, les juges devant dans ce cas rendre un jugement dans lequel ils constatent que l'infraction a été commise.

16. D'autre part, si les décisions de non-restitution de l'instrument et du produit de l'infraction ont pour effet, comme la peine complémentaire de confiscation de ceux-ci, de transférer à l'Etat la propriété des biens sur lesquels ces mesures portent, la non-restitution ne constitue pas pour autant une peine, comme ayant pour seul objet d'empêcher que ces biens ne servent à la commission d'autres infractions ou qu'ils ne soient la source d'un enrichissement illicite (Cons. const., 3 décembre 2021, décision n° 2021-951 QPC).

17. La Cour de cassation a d'ailleurs déjà approuvé une cour d'appel d'avoir refusé la restitution de biens au motif qu'ils constituaient le produit de l'infraction reprochée au prévenu décédé en cours d'instance d'appel (Crim., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-87.417, publié au Bulletin).

18. En conséquence, il y a lieu de poser le principe qui suit.

19. En cas de pourvoi formé par un prévenu décédé postérieurement à la formulation de son recours, le décès entraîne l'extinction de l'action publique, laquelle étend ses effets à la peine de confiscation. Il n'y a dès lors plus lieu pour la Cour de cassation de statuer sur le pourvoi, devenu sans objet.

20. En revanche, les ayants droit du demandeur peuvent présenter à la cour d'appel initialement saisie de la poursuite une requête aux fins de restitution des biens placés sous main de justice en application des articles 479 et suivants du code de procédure pénale.

21. Pour l'application de ces dispositions, il appartient notamment à la cour d'appel, le cas échéant, de se prononcer sur la caractérisation objective de l'infraction, sans imputer celle-ci à la personne décédée, ni se prononcer sur la culpabilité de cette dernière.


22. Les ayants droit de cette dernière sont recevables à contester l'infraction ainsi que le fait que les biens dont ils sollicitent la restitution en seraient l'instrument ou le produit.

23. En l'espèce, il résulte d'un extrait régulier des actes de l'état civil de la commune d'[Localité 2] que [T] [S], qui avait formé son pourvoi le 18 février 2022, est décédé le [Date décès 1] 2022. Dès lors, en application de l'article 6 du code de procédure pénale, l'action publique est éteinte à son égard.

24. Par mémoire déposé le 12 juillet 2022, Mme [E] [D], conjoint survivant, Mme [J] [S], MM. [K], [G], [W], [P], [C] et [Y] [S], héritiers, ont indiqué qu'ils entendent reprendre la procédure.

25. Le 8 mars 2024, la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat à la Cour, au nom de MM. [W], [P], [C] et [Y] [S], a produit des pièces desquelles il résulte que ceux-ci se désistent de leur pourvoi.

26. Le désistement est régulier en la forme.

27. La demande de Mmes [E] [D] et [J] [S] et de MM. [K] et [G] [S] est par ailleurs sans objet, dès lors que l'extinction de l'action publique étend ses effets à la peine de confiscation.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DONNE ACTE à MM. [W], [P], [C] et [Y] [S] de leur désistement ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur leur pourvoi ;

CONSTATE l'extinction de l'action publique ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur le pourvoi de Mmes [E] [D] et [J] [S] et de MM. [K] et [G] [S] ;

DIT que les parties peuvent présenter à la cour d'appel initialement saisie de la poursuite une requête aux fins de restitution des biens placés sous main de justice en application des articles 479 et suivants du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept mai deux mille vingt-quatre.

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