2 mai 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 23/03219

1/2/2 nationalité B

Texte de la décision

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




1/2/2 nationalité B

N° RG 23/03219
N° Portalis 352J-W-B7H-CZJGN

N° PARQUET : 23/1456

N° MINUTE :

Assignation du :
27 Février 2023

C.B.
[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :






JUGEMENT
rendu le 02 Mai 2024









DEMANDEUR

Monsieur [Y] [P] représenté par son père [L] [P]
[Adresse 10]
[Localité 5] - ALGERIE

représenté par Me Laura BASSALER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #G0860


DEFENDERESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 9]
[Localité 3]

Madame Virginie PRIÉ, Substitute

Décision du 2 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
RG n° 23/03219


PARTIE INTERVENANTE

Madame Mme [W] [U] agissant en qualité de représentante légale d’[Y] [P]
domicilié chez M. [L] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Laura BASSALER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0860

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation

Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs

assistées de Madame Manon Allain, Greffière


DEBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue publiquement sans opposition des représentants des parties, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile par Madame Clothilde Ballot-Desproges, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries et en a rendu compte au tribunal dans son délibéré.

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort

Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Antoanela Florescu-Patoz, vice-présidente et par Madame Manon Allain, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




Vu les articles 455, 768 et 1045-2 du code de procédure civile,

Vu la requête de M. [L] [P], ès qualité de représentant légal de l'enfant [Y] [P], reçue au greffe du tribunal judiciaire de Paris le 27 février 2023,

Vu les conclusions en intervention volontaire de Mme [W] [U], ès qualité de représentant légal de l'enfant [Y] [P], notifiées par la voie électronique le 1er décembre 2023,

Vu l'avis du ministère public notifié par la voie électronique le 10 janvier 2024,

Vu les dernières conclusions de M. [L] [P] et de Mme [W] [U] notifiées par la voie électronique le 24 janvier 2024,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 26 janvier 2024, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 7 mars 2024,


MOTIFS

Sur l’intervention volontaire

Par application des dispositions des articles 66 et 325 du code de procédure civile, il y a lieu de recevoir Mme [W] [U] en son intervention volontaire.

Sur la procédure

Aux termes de l’article 1040 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de la requête est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.

En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 25 avril 2023. La condition de l’article 1040 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.

Sur l'action en contestation de la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française

M. [L] [P] et Mme [W] [U] revendiquent la nationalité française de l'enfant [Y] [P], dit né le 20 janvier 2009 à [Localité 8] (Algérie), par filiation paternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Ils font valoir que son père, M. [L] [P], né le 27 septembre 1947 à [Localité 6] (Algérie), a été réintégré dans la nationalité française par décret du 21 mars 2001.

Leur action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été opposée le 9 juillet 2020 par le directeur des services de greffe judiciaires du pôle de la nationalité française du tribunal judiciaire de Paris aux motifs que les actes d'état civil produits ne pouvaient se voir reconnaître aucune force probante au sens de l'article 47 du code civil en ce qu'ils n'indiquaient pas des mentions substantielles exigées par les articles 30 et 63 de l'ordonnance n°70-20 du 19 février 1970, et qu'ils ne justifiaient pour eux-mêmes d'aucun élément de possession d'état de français établi postérieurement à l'indépendance de l’Algérie (pièce n°2 des demandeurs).

Sur la recevabilité

Aux termes de son avis, le ministère public indique que la requête est irrecevable au regard des dispositions de l'article 1045-2 du code de procédure civile, faute pour les requérants d'avoir joint à leur requête les pièces produites au soutien de leur demande de délivrance du certificat de nationalité française mentionné à l'article 1045-1 du code de procédure civile.

En vertu de l'article 1045-2, alinéa 3 du code de procédure civile, « a peine d'irrecevabilité, la requête est accompagnée d'un exemplaire du formulaire mentionné à l'article 1045-1, des pièces produites au soutien de la demande de délivrance du certificat et, le cas échéant, de la décision de refus opposée par le directeur des services de greffe judiciaires ».

Le tribunal rappelle que les pièces accompagnant la requête n’ont pas à être les exemplaires mêmes des pièces justificatives qui ont été jointes à la demande initiale. S’agissant notamment des actes de l'état civil, d'autres copies intégrales peuvent être produites au soutien de la contestation.

Les demandeurs ayant joint à leur requête des pièces en soutien de leur action en contestation de refus de délivrance d'un certificat de nationalité, leur requête sera jugée recevable.

Sur le fond

En application de l'article 30-1 du code civil, lorsque la nationalite française est attribuée ou acquise autrement que par déclaration, naturalisation, réintégration ou annexion de territoire, la preuve ne peut être faite qu'en établissant l'existence de toutes les conditions requises par la loi.

Aux termes de l'article 31 du même code, un certificat de nationalite française est délivrée à une personne justifiant qu'elle a cette nationalité.

Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée pour l'enfant [Y] [P], sa situation est régie par les dispositions de l’article 18 du code civil aux termes duquel est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français.

Il appartient ainsi aux demandeurs, qui sollicite la délivrance d'un certificat de nationalite française pour l'enfant [Y] [P], de démontrer, d'une part, la nationalité française du parent duquel il la tiendrait et, d’autre part, un lien de filiation légalement établi a l’égard de celui-ci, au moyen d’actes d’état civil probants au sens de l’article 47 du code civil, étant précisé qu’afin de satisfaire aux exigences de l’article 20-1 du code civil, cet établissement doit être intervenu pendant sa minorité pour avoir des effets sur la nationalité.

Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.

Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et l'Algérie, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 et publié par décret du 29 août 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer.

Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s’il ne dispose d’un état civil fiable et certain.

En l'espèce, pour justifier de l'état civil de l'enfant [Y] [P], les demandeurs produisent :
– une copie, délivrée le 7 juillet 2022, de son acte de naissance n°122 (pièces n°3 et 15 des demandeurs),
– une copie, délivrée le 3 juillet 2022, de son acte de naissance n°122 (pièce n°4 des demandeurs),
– une copie, délivrée le 25 janvier 2022, de son acte de transcrit sur les registres du service central de l'état civil (pièce n°5 des demandeurs).

Le ministère public conteste la force probante de l'acte de naissance algérien au motif que le nom de l'officier d'état civil n'est pas identique selon les copies délivrées.

Or, il convient de rappeler que la transcription consulaire des actes d'état civil des Français dressés en pays étranger, prévue par l'article 7 du décret numéro 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l'état civil, n'intervient que lorsque les actes étrangers « sont conformes aux dispositions de l'article 47 du code civil et sous réserve qu'ils ne soient pas contraires à l'ordre public », comme le rappelle expressément le second alinéa de l'article 5 du décret numéro 2008-521 du 2 juin 2008 relatif aux attributions des autorités diplomatiques et consulaires françaises en matière d'état civil.

Dans la mesure où la transcription suppose la conformité de l'acte étranger aux dispositions de l'article 47 du code civil, il appartient à celui qui considère que l'acte étranger n'est en réalité pas probant de solliciter préalablement l'annulation de l'acte transcrit auprès du tribunal judiciaire de Nantes, seul compétent en vertu des articles 1047 et 1048 du code de procédure civile, sans quoi l'acte transcrit, établi par l'administration française donc pourvu de la valeur probatoire d'un acte d'état civil français, fait nécessairement écran comme le suggère l'article 98-4 du code civil.

Si la circonstance que l'acte de naissance étranger ait été transcrit par le consulat français n'a pas pour effet de rendre inopérantes les dispositions de l'article 47 du code civil, dès lors que la valeur de cette transcription est subordonnée à la valeur de l'acte étranger à partir duquel la transcription a été faite et si la transcription d'un acte étranger à l'état civil français n'a pas pour effet de purger cet acte de ses vices et de ses irrégularités, il demeure que l'acte d'état civil étranger et l'acte d'état civil transcrit ne forment qu'un seul et même acte, l'acte étranger transcrit, et non deux actes distincts et qu'en l'absence de procédure aboutie devant le tribunal judiciaire de Nantes, le tribunal judiciaire de Paris est incompétent pour dire que l'acte de naissance transcrit à Nantes, acte de l'état civil français, ne serait pas probant.

En effet, l’article 1048 du code de procédure civile réserve l’examen de la régularité de l’acte nantais à la seule juridiction nantaise par l’expression : « est seule compétente la juridiction du lieu d’établissement du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères pour les actes détenus par ce service ». L’articulation des articles 47 du code civil, plus général en ce qu’il concerne l’ensemble des actes rédigés à l’étranger, et de l’article 1048 du code de procédure civile, plus particulier en ce qu’il se limite à l’hypothèse d’un acte transcrit, reconnaît ainsi à la fois la prescription de l’article 5 alinéa 2 du décret n°2008-521 du 2 juin 2008 qui imposent aux autorités françaises de ne transcrire que les actes conformes aux dispositions de l’article 47 du code civil, unifie le contentieux quant à la valeur probante des actes nantais qui ne font qu’un avec les actes qu’ils transcrivent et enfin, assure la sécurité juridique des actes qui ont été transcrits dans les conditions particulièrement strictes qu’on a vues.

Ainsi, au cas particulier, la transcription de l'acte de naissance de l'enfant [Y] [P] par le service central de l'état civil, dont il n'est ni allégué ni démontré qu'elle aurait fait l'objet d'une annulation judiciaire, fait obstacle à la remise en cause de la force probante de l'acte algérien.

Partant, le moyen soulevé de ce chef par le ministère public doit être rejeté et l'acte de naissance de l'enfant [Y] [P] doit être tenu pour probant, de sorte qu'il est justifié d'un état civil fiable et certain pour celui-ci.

Il résulte de cet acte de naissance que l'enfant [Y] [P] est né le 20 janvier 2009 à [Localité 8] (Algérie), de M. [L] [P], né le 27 septembre 1947 à [Localité 6] (Alégrie), et de Mme [W] [U], née le 11 février 1977 à [Localité 7], [Localité 4] (Algérie) (pièce n°5 des demandeurs).

Les demandeurs produisent en outre l'acte de mariage de M. [L] [P] et de Mme [W] [U], transcrit sur les registres du service central d'état civil, mentionnant que ces derniers se sont mariés à [Localité 6] le 30 décembre 2008, soit avant la naissance de l'enfant (pièce n°16 des demandeurs).

Le ministère public soutient que l'acte de naissance de Mme [W] [U] n'est pas versé aux débats.

Toutefois, il est rappelé que la nationalité française de l'enfant est revendiquée par sa branche paternelle. Le tribunal n'a donc pas à examiner l'acte de naissance de Mme [W] [U], qui est au demeurant versé par les demandeurs (pièce n°17 des demandeurs).

Dès lors, le lien de filiation de l'enfant à l'égard M. [L] [P] est établi.

En ce qui concerne M. [L] [P], il est produit une copie, délivrée le 22 juin 2022 par le service central d'état civil, de son acte de naissance, mentionnant qu'il est né le 27 septembre 1947 à [Localité 6] (Algérie), de [N] ou [J] [P] et d'[S] [E], que l'acte a été rectifié par décision du procureur de la République de Nantes en ce sens que l'intéressé et son père se nomment "[P]", et qu'il est français par décret de réintégration du 21 mars 2001 (pièce n°7 des demandeurs). Ainsi, il est justifié d'un état civil fiable et certain s'agissant de M. [L] [P].

Est également produit un extrait du décret 010/1008 du 21 mars 2001, publié au Journal Officiel du 22 mars 2001, portant réintégration dans la nationalité française de M. [L] [P], né le 27 septembre 1947 à [Localité 6] (Algérie) (pièce n°6).

Ainsi, né d'un père français, l'enfant [Y] [P] est lui-même de nationalité française en application de l'article 18, précité.

En conséquence, il y a lieu d'ordonner la délivrance d'un certificat de nationalité française à [Y] [P].

Sur les demandes accessoires

Sur l'exécution provisoire

L'exécution provisoire, exclue en matière de nationalité par les dispositions de l'article 1045 du code de procédure civile, ne sera pas ordonnée.

Sur les dépens

En application de l’article 696 du code de procédure civile, l’instance judiciaire ayant été nécessaire à l’établissement des droits d'[Y] [P], les demandeurs conserveront la charge de leurs propres dépens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Les demandeurs conservant la charge de leurs propres dépens, leur demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ne peut qu'être rejetée.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

Déclare recevable l'intervention volontaire de Mme [W] [U] ;

Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1040 du code de procédure civile ;

Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1045-2 du code de procédure civile ;

Ordonne la délivrance d'un certificat de nationalité française à M. [Y] [P], né le 20 janvier 2009 à [Localité 8] (Algérie);

Renvoie à cette fin M. [L] [P] et Mme [W] [U], es qualité de représentants légaux de l'enfant [Y] [P], devant le pôle de la nationalité du tribunal judiciaire de Paris ;

Rejette la demande de M. [L] [P] et de Mme [W] [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Dit n'y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire.


Fait et jugé à Paris le 02 Mai 2024

La GreffièreLa Présidente
M. AllainA. Florescu-Patoz

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