2 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-86.066

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00518

Titres et sommaires

DROITS DE LA DEFENSE

Texte de la décision

N° A 23-86.066 F-B

N° 00518


AO3
2 MAI 2024


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 MAI 2024



M. [W] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 6 octobre 2023, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de meurtre, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 4 décembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [W] [L], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Oriol, greffier de chambre,



la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 4 janvier 2023 à 2 heures 50, M. [N] [L] a requis les gendarmes d'intervenir à son domicile, leur indiquant qu'il venait de commettre des violences sur un inconnu qui s'était introduit chez lui.

3. Arrivant sur les lieux, équipés de caméras individuelles permettant un enregistrement audiovisuel, les gendarmes ont enclenché celles-ci. Ils ont découvert sur les lieux une personne gisant dans son sang, le requérant et son frère, M. [W] [L], tous deux fortement alcoolisés et agités. Ils ont posé de nombreuses questions aux protagonistes afin de comprendre la situation, et identifier la victime, qui était en réalité un troisième frère, [H] [L] ; ce dernier décédait en fin de journée des suites de ses blessures.

4. MM. [W] et [N] [L] ont été mis en examen du chef de meurtre le lendemain.

5. L'avocat de M. [W] [L] a sollicité l'annulation de pièces de la procédure, au motif qu'en violation de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure, les gendarmes n'avaient pas informé les personnes présentes sur les lieux que l'intervention faisait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité tirés de la violation de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure, du droit à un procès équitable et du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, alors :

« 1°/ que d'une part, il résulte de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure la possibilité pour les militaires de la gendarmerie de procéder, dans l'exercice de leurs missions, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions, à la condition que le déclenchement de l'enregistrement fasse l'objet d'une information des personnes filmées ; que si ces dispositions permettent que ce déclenchement puisse, par exception, ne pas faire l'objet de cette information lorsque « les circonstances l'interdisent », ces circonstances recouvrent les seuls cas où cette information est rendue impossible pour des raisons purement matérielles et indépendantes des motifs de l'intervention ; qu'en se bornant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence d'information de M. [L] du déclenchement de l'enregistrement réalisé lors de l'intervention du 4 janvier 2023 à son domicile, à invoquer l'état d'ébriété de celui-ci, lorsqu'une telle circonstance, qui n'a aucunement empêché les services d'enquête intervenant de poser des questions à ce dernier et d'en retranscrire les réponses, ne constitue pas une circonstance rendant matériellement impossible la communication de l'information requise, la chambre de l'instruction a violé les articles L. 241-1 du code de la sécurité intérieure, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que d'autre part, porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de la force publique ; que constitue un tel stratagème le procédé par lequel il est fait échec au droit de se taire et de ne pas s'incriminer soi-même ; qu'en écartant le moyen de nullité tiré de cette irrégularité, quand il ressort pourtant des pièces de la procédure que des militaires de la gendarmerie, lorsqu'ils se sont rendus au domicile de M. [L], ont d'une part, invoqué son état d'ébriété pour retarder son placement en garde à vue et la notification qu'elle implique de son droit de se taire, ainsi que la notification du déclenchement d'un enregistrement audiovisuel, mais d'autre part, et dans le même temps, adressé à ce dernier des questions directement relatives aux faits, et retranscrit tous les propos qu'il tenait, la chambre de l'instruction a violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

7. Pour écarter le moyen de nullité, la chambre de l'instruction énonce que l'intervention des gendarmes a été marquée par la confusion du requérant, son état vindicatif, avant et après l'intervention, et une scène de crime rendue complexe par la présence concomitante des requérants, des sapeurs-pompiers soignant la victime et des enquêteurs, tentant de comprendre la situation et de contenir, avec difficulté, les débordements des intéressés, pour permettre l'intervention des secours.

8. Les juges retiennent que ces circonstances ont rendu impossible, pour des raisons matérielles, indépendantes des motifs de l'intervention, l'information des personnes filmées, lors du déclenchement de l'enregistrement.

9. Ils ajoutent que M. [N] [L] avait appelé les gendarmes, et que les frères [L] n'étaient pas considérés comme suspects, au début de l'enregistrement.


10. Ils excluent que les gendarmes aient activé l'enregistrement au moment d'éventuelles déclarations incriminantes pour rechercher des aveux. Ils estiment que l'analyse des questions posées par les gendarmes, qui ont été enregistrées, montre que ceux-ci ont tenté de comprendre la situation, d'identifier la victime et de connaître le déroulement des faits.

11. Ils en concluent, d'une part, que le contexte de la saisine des gendarmes, la mise en place de l'enregistrement qui répond aux objectifs légaux et la nature des questions posées ne caractérisent pas un stratagème déloyal de recherche des preuves par l'autorité publique, d'autre part, que M. [W] [L] n'étant pas suspect au moment de l'enregistrement mais requérant, les gendarmes n'avaient pas à l'informer du droit de se taire, et ajoutent que la force probante des déclarations que celui-ci aura pu faire sera soumise à l'appréciation de la juridiction de jugement dans le cas de son éventuelle saisine.

12. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

13. En premier lieu, l'état d'ébriété de personnes filmées, constaté par la chambre de l'instruction, constitue une circonstance qui interdit de les aviser du déclenchement de l'enregistrement, au sens de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure, dès lors que cet état ne leur permet pas de comprendre la portée de l'information donnée.

14. En second lieu, il résulte des pièces de la procédure que les militaires de la gendarmerie n'ont exercé aucune coercition à l'égard du demandeur et n'ont pas usé d'un quelconque stratagème ni fait preuve de déloyauté dans la recherche des preuves.

15. Ainsi, le moyen ne peut qu'être écarté.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.

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