2 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-17.233

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00208

Titres et sommaires

BANQUE

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 mai 2024




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 208 FS-B

Pourvoi n° M 22-17.233




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 MAI 2024

1°/ Mme [R] [U], domiciliée [Adresse 4],

2°/ la société APDC Hôtel, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], représentée par son représentant légal, la société Baronnie [D], agissant en la personne de M. [C] [D] administrateur provisoire,

ont formé le pourvoi n° M 22-17.233 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Caisse de crédit mutuel de [Adresse 9], dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Caisse de crédit mutuel de [Adresse 7], dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de Mme [U] et de la société APDC Hôtel, représentée par son représentant légal, la société Baronnie [D], agissant en la personne de M. [C] [D] administrateur provisoire, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Caisse de crédit mutuel de [Adresse 9] et de la société Caisse de crédit mutuel de [Adresse 7], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mme Vallansan, M. Riffaud, Mmes Fèvre, Guillou, M. Bedouet, Mme Schmidt, conseillers, Mmes Brahic-Lambrey, Champ, M. Boutié, Mme Coricon, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 avril 2022), entre le 23 février et le 5 décembre 2017, [Y] [U] a ordonné cinq virements, pour un montant total de 1 950 000 euros, du compte ouvert dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Adresse 7] (la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6]) par la société APDC Hôtel (la société), dont il était le gérant et l'associé unique, vers son compte personnel ouvert dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Adresse 9] (la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 8]).

2. Les 12 juillet et 12 octobre 2017, [Y] [U] a procédé au rachat du livret retraite qu'il détenait dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 8] pour un montant de 320 000 euros.

3. Le 6 mars 2018, [Y] [U] a été placé sous sauvegarde de justice. Le 22 mars 2018, une information judiciaire a été ouverte du chef d'escroquerie sur personne vulnérable.

4. [Y] [U] est décédé le [Date décès 5] 2018, en laissant pour lui succéder sa fille unique, Mme [U].



5. Les 7 et 9 février 2019, la société, représentée par son administrateur provisoire, et Mme [U] ont assigné les sociétés Caisse de crédit mutuel de [Localité 8] et Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] pour manquement à leur obligation de vigilance et obligations de teneur de compte.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen pris en ses troisième et quatrième branches, et le quatrième moyen


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches

Enoncé du moyen

7. Mme [U] et la société font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en restitution des sommes versées sur le compte personnel de [Y] [U], alors :

« 1°/ qu'une opération de paiement n'est autorisée que si le payeur a donné son consentement à son exécution ; qu'en considérant que, même si les conditions générales de la convention de compte courant de la société stipulait expressément que les instructions de virement devaient être données par écrit, sauf accord entre les parties, il ne pourrait être reproché à la banque de ne pas avoir recueilli un ordre écrit, les parties étant libres de convenir de procéder autrement, après avoir constaté que le 2 février 2018, le préposé de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] avait demandé à [Y] [U] de lui retourner des documents signés concernant les virements qui avaient été faits le 23 février et 5 décembre 2017, ce dont il résultait que les ordres de virement devaient faire l'objet d'un écrit, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 133- 6 et L. 133-7 du code monétaire et financier, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'une opération de paiement n'est autorisée que si le payeur a donné son consentement à son exécution ; qu'en considérant que la société ne pourrait soutenir que les virements en cause n'avaient pas été autorisés, après avoir constaté que, le 2 février 2018, un préposé de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] avait demandé à [Y] [U] de lui retourner des documents signés relatifs aux virements des 23 février et 5 décembre 2017, et sans vérifier que [Y] [U] avait effectivement signé et retourné ces documents à la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 133-6 et L. 133-7 du code monétaire et financier, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

5°/ qu'une opération de paiement n'est autorisée que si le payeur a donné son consentement à son exécution ; qu'en considérant, pour estimer que la société ne pourrait soutenir que les virements litigieux n'avaient pas été autorisés, que [Y] [U] avait demandé des virements en février 2018 et qu'à cette occasion, un préposé de la banque lui avait demandé de retourner des documents signés relatifs aux virements des 23 février et 5 décembre 2017, que, le 6 février 2018, il s'était rendu en agence accompagné de [S] [G] pour obtenir des déblocages de fonds, sans remettre en cause les virements litigieux antérieurs, que, par courrier du 13 février 2018, un avocat s'était plaint de ce que [Y] [U] lui avait fait part de l'impossibilité d'effectuer des virements et que, sous l'emprise de tiers, [Y] [U] avait, postérieurement aux virements litigieux, disposé des sommes obtenues à partir de son compte personnel, motifs impropres à établir le consentement de [Y] [U], en qualité de gérant de la société, aux virements en cause étant donné que les virements évoqués dans le courrier du préposé de la banque le 2 février 2018 ne sont que ceux du 23 février et du 5 décembre 2017 et que le préposé de la banque demandait que lui soient retournés des documents signés, que la circonstance que [Y] [U] aurait demandé, postérieurement, d'autres déblocages de fonds en 2018, y compris par l'intermédiaire d'un avocat et qu'il aurait disposé de sommes figurant sur son compte personnel quand il était sous l'emprise de tiers, n'établissent pas que les virements litigieux, effectués les 23 février, 21 septembre, 22 novembre et 5 décembre 2017 auraient été régulièrement autorisés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 133-6 et L. 133-7 du code monétaire et financier, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir rappelé que les conditions générales de la convention du compte de la société et celles du compte à terme de [Y] [U] stipulaient que, sauf accord entre les parties, les instructions seraient données par le payeur par écrit, et constaté que [Y] [U] donnait régulièrement des ordres de virement oralement, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu'il n'a pas contesté les virements des 23 février et 5 décembre 2017 après qu'un préposé de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] lui avait demandé, par courriel du 2 février 2018, de signer les documents écrits qu'il lui adressait concernant ces virements. Il ajoute qu'après que la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] s'était montrée réticente à accéder à ses demandes, [Y] [U] s'était rendu personnellement à l'agence bancaire le 6 février 2018 pour obtenir à nouveau des déblocages de fonds, sans davantage remettre en cause les virements antérieurs, que, le 13 février, un avocat se présentant comme son représentant avait écrit pour se plaindre de l'impossibilité d'effectuer certains virements importants et, enfin, qu'il a disposé d'une partie des sommes virées sur son compte personnel en opérant plusieurs retraits et en établissant divers chèques.

9. En l'état de ces constatations et appréciations, procédant de l'exercice de son pouvoir souverain, la cour d'appel, qui pouvait se fonder sur des éléments postérieurs aux virements pour apprécier si [Y] [U] y avait consenti à la date où les ordres avaient été donnés, a pu retenir que les opérations de paiement litigieuses avaient été autorisées.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. Mme [U] et la société font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes de dommages et intérêts dirigées contre la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 8] et la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6], alors :

« 1°/ que le banquier est tenu d'un devoir de vigilance et engage sa responsabilité en procédant à des opérations sur un compte malgré des anomalies apparentes ; qu'en considérant que l'attitude de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 8] n'aurait pas été constitutive d'une faute, après avoir constaté que les opérations de rachat du livret de retraite de [Y] [U] étaient parfaitement illogiques eu égard à la finalité d'un livret d'épargne retraite, que, selon le docteur [T] [W], [Y] [U] présentait des troubles pendant l'année 2017, l'incohérence de ses propos traduisant sa vulnérabilité qui pouvait être perçue immédiatement par des tiers, et que le personnel de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 8] avait signalé des réactions inappropriées de leur client et un comportement éventuellement anormal, ce qui établissait l'existence d'anomalies apparentes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le banquier est tenu d'un devoir de vigilance et engage sa responsabilité en procédant à des opérations sur un compte malgré des anomalies apparentes ; qu'en considérant que l'attitude de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] n'aurait pas été constitutive d'une faute, après avoir constaté le caractère inhabituel d'au moins un des virements effectués du compte de la société vers le compte personnel de [Y] [U] et que, selon le docteur [T] [W], [Y] [U] présentait des troubles pendant l'année 2017, l'incohérence de ses propos traduisant sa vulnérabilité qui pouvait être perçue immédiatement par des tiers, ce qui établissait l'existence d'anomalies apparentes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

12. Après avoir énoncé que le devoir de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client ne cède, en vertu de son obligation de vigilance, qu'en cas d'anomalie apparente, l'arrêt retient que le caractère illogique des demandes de rachat du livret d'épargne souscrit par [Y] [U], au regard des finalités de ce placement, ne constitue pas une anomalie apparente dès lors que le client est libre de disposer de ses actifs et que les demandes de virement faites par [Y] [U] des comptes de la société, dont il était l'associé unique et le gérant, vers ses comptes personnels n'appelaient pas, en dépit du montant inhabituel du dernier virement, une vigilance particulière dès lors qu'il en était le bénéficiaire économique. Après avoir ensuite analysé les certificats médicaux et les témoignages des employés de la banque produits et relevé que le signalement adressé par la banque au ministère public sur l'état de santé de [Y] [U] avait été concomitant de ceux émanant de la famille de ce dernier, l'arrêt retient encore que, compte tenu de sa nature, faisant alterner des périodes de cohérence et des épisodes "excitatifs", l'affection dont souffrait [Y] [U] ne permettait pas au banquier, tenu d'un devoir de non-ingérence, et qui a évité certains paiements, de déterminer si les demandes émanant de son client étaient ou non en relation avec son trouble.

13. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a pu retenir que les opérations de rachat et les ordres de virement ne comportaient, au moment de leur réalisation, aucune anomalie apparente qui aurait obligé les banques à procéder à des vérifications particulières.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [U] et la société APDC Hôtel aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [U] et la société APDC Hôtel et les condamne à payer à la société Caisse de crédit mutuel de [Adresse 9] et à la société Caisse de crédit mutuel de [Adresse 7] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.

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