26 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 23/17301

Pôle 1 - Chambre 8

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 8



ARRÊT DU 26 AVRIL 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17301 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CINNQ



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Septembre 2023 -Président du TC de PARIS - RG n° 2023000431





APPELANTES



Société STRABAG UMWELTTECHNIK GMBH, immatriculée au registre des sociétés de Düsseldorf sous le numéro HRB 73460, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 12]

[Adresse 12] (Allemagne)



Société STRABAG UMWELTTECHNIK GmbH prise en son établissement français, immatriculé au registre du commerce et des sociétés de Nantes sous le numéro 812 268 753, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]



Société STRABAG UMWELTTECHNIK GMBH, prise en son établissement secondaire, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 11]

[Adresse 11] (Allemagne)



Ayant pour avocat postulant Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111et pour avocat plaidant Me Christophe WUCHER-NORTH





INTIMÉES



S.A.S. BEAUCE GATINAIS BIOGAZ (BGB), immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Orléans sous le numéro 794 390 799, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 7]

[Adresse 7]



Société CAISSE REGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES BRETAGNE-PAYS DE LOIRE immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Rennes sous le numéro 383 844 693, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]



Ayants pour avocat postulant Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34 et pour avocat plaidant Me Matthieu PATRIMONIO





S.A. ENGIE ENERGIE SERVICES immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 552 046 955, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Ayant pour avocat postulant et plaidant Me Isabelle PRUD'HOMME, avocat au barreau de PARIS, toque : D0510,



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 mars 2024, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Rachel LE COTTY, Conseiller et Patrick BIROLLEAU, magistrat honoraire.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:



Florence LAGEMI, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

Patrick BIROLLEAU, magistrat honoraire



Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR



ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.




*****



La société Beauce Gatinais Biogaz (ci-après BGB) est spécialisée dans la méthanisation de matière organique, visant à la production d'énergie renouvelable.



La méthanisation est une opération qui permet de produire du biogaz à partir de la fermentation de matières organiques. La 'digestion' des matières concernées s'effectue au sein d'un équipement central, appelé 'digesteur' ou 'méthaniseur'. La matière en digestion est mélangée par des brasseurs composés d'un arbre sur lequel sont fixées des pales.



Par contrat du 6 août 2017, la société BGB a confié à la société Strabag Unwelttechnik GMBH (ci-après Strabag), spécialisée dans la construction d'installations techniques environnementales et les procédés spéciaux de technique environnementale, la conception, la fourniture, le montage et la mise en service du lot n°4 d'une unité de méthanisation située sur la commune d'[Localité 9] dans [Localité 10].



A compter du 3 juillet 2019, la garde du digesteur a été confiée à la société Engie Energie Services, en qualité d'exploitant.



Le 15 novembre 2020, l'ouvrage a été réceptionné par la société BGB.



Dans la nuit du 27 au 28 novembre 2020, un sinistre est survenu au sein du digesteur de l'unité de méthanisation, l'arbre du brasseur n°4 s'étant rompu.





La société BGB a déclaré le sinistre à son assureur, la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire, auprès de laquelle elle avait souscrit une police 'Dommages aux biens, pertes d'exploitation'.



Cette société d'assurance a mandaté le cabinet TGS afin qu'il soit procédé à une expertise amiable contradictoire destinée à déterminer les causes du sinistre et ses conséquences.



La société Strabag a fait appel au Centre technique des industries mécaniques (CETIM).



L'unité de méthanisation a été arrêtée le 1er novembre 2021 afin de vider le digesteur et permettre à la société Strabag d'entreprendre les travaux de réparation, lesquels ont été achevés le 12 janvier 2022. L'unité de méthanisation a pu fonctionner normalement à compter de mai 2022.



Des discussions ont été entamées entre les parties sur le chiffrage des pertes immatérielles subies par la société BGB.



Par lettre du 1er février 2022, le cabinet TGS, agissant pour le compte de l'assureur de la société BGB, a demandé à la société Strabag le versement d'une provision de 400.000 euros à ce titre en soulignant la responsabilité de cette société dans la survenance du sinistre.



Aucun accord n'a pu être trouvé et la société Strabag a mandaté, en décembre 2022, un expert pour obtenir une nouvelle réunion d'expertise afin que puissent être explorées de nouvelles pistes techniques pour déterminer la ou les causes du sinistre, à laquelle il n'a pas été donné suite.



Par acte du 28 février 2023, la société BGB et son assureur, la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire, ont fait assigner la société Strabag devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin, notamment, d'obtenir une provision de 10.000 euros à valoir sur le montant du préjudice restant à la charge de la société BGB et une provision de 700.000 euros au profit de son assureur, à valoir sur l'indemnisation des pertes immatérielles subies ainsi que la désignation d'un expert pour déterminer les préjudices immatériels causés par le sinistre survenu.



Par acte du 8 juin 2023, la société Strabag a fait assigner, devant ce même juge des référés, la société Engie Energie Services afin de la faire participer à l'expertise sollicitée.



Par ordonnance du 26 septembre 2023, le premier juge a :


joint les deux instances ;

dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société Strabag tendant à la désignation d'un expert technique ;

condamné la société Strabag à verser à la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire, à titre de provision, la somme de 700.000 euros à valoir sur l'indemnisation des pertes immatérielles subies par son assurée, la société BGB, en raison du sinistre du 28 novembre 2020, ainsi qu'à verser à la société BGB la provision de 10.000 euros à valoir sur le montant de son préjudice restant à sa charge ;

ordonné une expertise aux frais avancés de la société BGB et désigné pour y procéder M. [E] [P], avec pour mission, notamment, de donner son avis sur les préjudices immatériels de toute nature subis par la société BGB en lien avec le sinistre du 28 novembre 2020 et ses suites, et chiffrer par tous moyens, les pertes d'exploitation subies par cette société en lien avec ledit sinistre et ses suites et ce jusqu'à la remise en route effective de l'unité de méthanisation à son niveau nominal garanti contractuellement par la société Strabag et prévu à l'annexe 1 du CCAP ;

condamné la société Strabag à payer à la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

laissé aux parties demanderesses la charge des dépens.




Par déclaration du 23 octobre 2023, la société Strabag a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif à l'exception des dispositions relatives aux dépens.



Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 5 mars 2024, la société Strabag demande à la cour de :


la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

infirmer l'ordonnance entreprise en ses dispositions dont elle a relevé appel ;


statuant à nouveau,


constater que la cause du sinistre survenu le 28 novembre 2020 et subi par la société Beauce Gatinais Biogaz n'a pas été établie ;

constater qu'elle n'a jamais reconnu la moindre responsabilité dans la survenance du sinistre ;

constater que la demande de provision formulée par la société Beauce Gatinais Biogaz et la société 'Groupama' se heurte à des contestations sérieuses ;

débouter la société Beauce Gatinais Biogaz et la société 'Groupama' de leur demande de provision ;

ordonner la désignation d'un expert judiciaire technique qui aura pour mission, notamment, de vérifier la conformité des conditions d'exploitation et de maintenance, déterminer les causes et origines des désordres, donner son avis sur l'imputabilité des désordres et les responsabilités encourues ainsi que sur les préjudices des parties, avec au besoin le concours d'un sapiteur financier ;

ordonner la désignation d'un expert judiciaire financier qui aura pour mission, notamment, de donner son avis sur les préjudices immatériels de toute nature subis tant par la société Beauce Gatinais Biogaz que par elle en lien avec le sinistre du 28 novembre 2020 et ses suites, et de chiffrer par tous moyens, les pertes d'exploitation subies par la société Beauce Gatinais Biogaz en lien avec le sinistre du 28 novembre 2020 et ses suites et ce jusqu'à la remise en route effective de l'unité de méthanisation à son niveau nominal garanti contractuellement par elle et prévu à l'annexe 1 du CCAP ;

juger que l'expertise judiciaire financière et technique devra se dérouler au contradictoire des sociétés Beauce Gatinais Biogaz, 'Groupama' et Engie Energie Services ;

condamner, en tout état de cause, la société Beauce Gatinais Biogaz et la société 'Groupama' à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de recouvrement direct au bénéfice de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du code de procédure civile.




Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 23 février 2024, la société BGB et la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire demandent à la cour de :


confirmer intégralement l'ordonnance entreprise ;

débouter la société Strabag de ses prétentions ;

condamner la société Strabag à payer à la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.




Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 13 janvier 2024, la société Engie Energie Services demande à la cour de :


confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande d'expertise technique ;

subsidiairement, en l'absence d'élément de nature à justifier de son intervention, juger que l'expertise technique ne saurait être ordonnée à son contradictoire et prononcer sa mise hors de cause ;

très subsidiairement, prendre acte qu'elle fait toutes protestations et réserves dès lors que l'expertise technique est confiée à un spécialiste, avec la mission usuelle, aux frais avancés des sociétés Strabag Unwelttechnik GMBH ;

si le rejet de l'expertise technique devait être confirmé, infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné l'expertise financière à son contradictoire et prononcer sa mise hors de cause ;

subsidiairement, si une expertise technique devait être ordonnée, permettre à l'expert de s'adjoindre un sapiteur financier pour l'évaluation des préjudices des parties ;

condamner les sociétés Strabag Unwelttechnik GMBH à lui régler 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.




La clôture de la procédure a été prononcée le 13 mars 2024.



Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.






SUR CE, LA COUR



Sur la demande d'expertise



Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.



L'application de ce texte suppose que soit constatée l'existence d'un procès 'en germe' possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, l'expertise judiciaire ordonnée n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.



Il n'appartient pas, en effet, au juge des référés saisi sur le fondement du texte susvisé de statuer sur le bien-fondé de l'action future.



Pour solliciter une mesure d'expertise, la société Strabag fait valoir que sa responsabilité dans la survenue du sinistre, qu'elle conteste, n'est pas établie et ne saurait résulter du procès-verbal de la réunion d'expertise amiable du 11 mars 2021, qui ne vaut pas reconnaissance de responsabilité, pas plus que du rapport du CETIM qui ne conclut pas sur le lien de causalité entre une prétendue erreur de calcul et le sinistre.



Elle soutient que la cause technique du sinistre n'est pas déterminée, que des contrôles complémentaires sont nécessaires, que le fait d'avoir procédé à des réparations, dans un but commercial et au titre de la garantie constructeur, ne saurait être compris comme une reconnaissance de responsabilité, qu'une expertise amiable ne présente qu'une valeur relative et ne peut permettre au juge du fond de trancher le litige dès lors que la cause du sinistre n'est pas, à ce stade, déterminée de manière incontestable. A cet égard, elle précise que les analyses du CETIM doivent être complétées puisque l'origine des fissures des arbres dont l'existence est admise, reste inconnue, que le procès-verbal de constat du 9 décembre 2021 a mis en évidence la présence d'éléments imbroyables dans le digesteur et qu'une intervention de l'exploitant du méthaniseur, la société Engie Energie Services, qui serait à l'origine du sinistre, ne peut être exclue en l'état.











Les sociétés intimées s'opposent à l'expertise judiciaire en soutenant que les causes de la rupture de l'arbre n°4 ont été déterminées, qu'une amorce de rupture a été constatée sur les arbres 3 et 7, les parties ayant admis une dégradation des arbres 3 à 7 en raison de la conception similaire de ces pièces, qui ont été remplacées au titre de la garantie constructeur.



Les sociétés BGB et Caisse Régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire soutiennent que la société Strabag ne justifie pas d'un motif légitime dès lors qu'il n'existe aucun débat sérieux sur la cause du sinistre, que la mesure d'instruction est inutile et que les prétentions de l'appelante tendant à remettre en cause les constats et documents qu'elle a signés seraient manifestement vouées à l'échec lors d'un litige ultérieur.



La société Engie Energie Services indique également que la cause du sinistre réside dans un défaut de conception non contesté par la société Strabag, qui a signé sans observations le procès-verbal de réunion du 11 mars 2021 consacrant cette analyse au vu du rapport préliminaire du CETIM, et qui a procédé au remplacement des pièces admettant ainsi son erreur de conception.



La mesure d'expertise technique sollicitée par la société Strabag est destinée à établir de manière incontestable les causes du sinistre survenu et, par suite, à fournir aux parties et à la juridiction du fond qui sera éventuellement saisie, des éléments de fait propres à déterminer les responsabilités encourues.



Ainsi, la société Strabag justifie d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile à solliciter une mesure d'expertise étant relevé que toute action qui pourrait être engagée à son encontre ou qu'elle pourrait engager à titre récursoire n'apparaît pas manifestement vouée à l'échec.



En outre, il est rappelé qu'une expertise amiable contradictoire ne peut suffire à fonder la décision du juge du fond.



Au surplus, il est relevé que le procès-verbal de constatations relatives aux causes, circonstances et évaluation des dommages, établi le 20 avril 2021 à la suite de la réunion d'expertise tenue le 11 mars 2021en présence des parties, mentionne en caractère gras que 'ce document n'a pour but que d'établir contradictoirement les constatations et observations des experts présents pour donner aux intéressés les éléments objectifs nécessaires à la gestion du sinistre (...) Il ne peut être considéré par aucune des parties intéressées comme une reconnaissance des garanties (...) ou comme une acceptation des responsabilités éventuelles (...)'.



Au regard de cette mention, il ne saurait être considéré, de surcroît, à ce stade de la procédure, que la responsabilité de la société Strabag a été indiscutablement admise alors qu'il a été fait état, dans ledit procès-verbal, des suppositions des parties quant à la cause du sinistre et qu'il a été précisé que celle-ci 'serait due principalement à des efforts de flexion qui n'auraient pas été intégrés aux calculs initiaux de dimensionnement aggravés par un arrondi insuffisant de la gorge de circlips (...)'. Cette formulation exclut toute certitude sur cette cause, étant d'ailleurs observé que ce premier résultat n'a été donné qu'à titre informatif dans l'attente des études en cours du CETIM et de l'Université technique de [Localité 8].



Certes, les calculs réalisés par le CETIM, prenant en compte la géométrie de l'arbre et, en particulier, la présence de la gorge de circlips, ainsi que le chargement théorique fournis par la société Strabag, mettent en évidence un défaut de prise en compte de la présence de ladite gorge de circlips dans le dimensionnement des arbres et tendent donc à établir un défaut de conception de l'ouvrage ainsi qu'il résulte du rapport de ce centre en date du 29 juin 2021.





Mais, la société Strabag justifie par le procès-verbal de constat effectué le 9 décembre 2021, qu'il a été retiré du digesteur lors de son nettoyage, intervenu postérieurement à l'étude du CETIM, un certain nombre d'objets métalliques dits imbroyables dont la société Strabag affirme que leur présence constitue un risque de blocage du mouvement voire de casse du matériel de brassage.



En outre, l'appelante produit une lettre de son expert en date du 29 décembre 2022, demandant la poursuite de l'analyse des données d'exploitation avant le sinistre en expliquant que la société Strabag avait fourni 89 arbres agitateurs avec un design similaire à celui ayant rompu le 28 novembre 2020, qui étaient en services et n'avaient pas posé de difficulté.



Enfin, les réparations et remplacements des pièces défectueuses auxquels la société Strabag à procédé ainsi qu'il a été noté dans le procès-verbal susvisé du 20 avril 2021, ne suffisent pas pour rejeter la demande d'expertise judiciaire alors qu'il n'est pas contesté que cette intervention relevait de la garantie constructeur.



Ainsi, la société Strabag démontrant un motif légitime, il y a lieu, infirmant l'ordonnance entreprise, d'ordonner une expertise au contradictoire des sociétés intimées.



En effet, la participation de la société Engie Energie Services à la mesure d'instruction destinée à établir la cause du sinistre est justifiée de sorte que sa mise hors de cause ne saurait être ordonnée.



L'expertise s'effectuera aux frais avancés de l'appelante, qui a intérêt à ce que cette mesure soit diligentée et selon les modalités qui seront précisées au dispositif.



En revanche, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a désigné M. [P] en qualité d'expert pour déterminer les préjudices immatériels subis par la société BGB en lien avec le sinistre du 28 novembre 2020.



En effet, aucune circonstance ne commande de modifier sur ce point la décision déférée ainsi que le suggère la société Engie Energie Services, qui propose que les éléments financiers soient appréciés par un sapiteur de l'expert technique.



En outre, il est relevé que la société Strabag, qui demande que l'expertise financière soit étendue aux préjudices immatériels qu'elle aurait elle-même subis, ne s'explique pas sur leur existence et ne produit aucune pièce pour les justifier en leur principe. Il n'y a dès lors pas lieu d'accueillir sa demande de ce chef.



Sur les demandes de provision



Selon l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut, dans la limite de compétence de ce tribunal, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.



Au regard des éléments qui précèdent et de l'expertise technique ordonnée pour déterminer les causes du sinistre, il ne peut être retenu, avec toute l'évidence requise en référé, que l'obligation de la société Strabag à la réparation des préjudices subis par la société BGB et son assureur, subrogé dans les droits de cette dernière, est établie.



L'ordonnance entreprise qui, pour condamner la société Strabag au paiement de provisions, s'est fondée sur les conclusions de l'expertise amiable, sera infirmée de ce chef, étant en tout état de cause rappelé qu'une telle expertise, fût-elle contradictoire, ne peut suffire à fonder une condamnation au paiement d'une indemnisation même provisionnelle.





Sur les dépens et les frais irrépétibles



La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile.



En effet, les mesures d'instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d'un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.



En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.



L'issue du litige en appel impose de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens engagés devant la juridiction du second degré et de ses frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel. L'ordonnance entreprise sera donc réformée en ce qu'elle a condamné la société Strabag au paiement d'une indemnité procédurale à la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire.





PAR CES MOTIFS



Infirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions ayant rejeté la demande de désignation d'un expert technique et condamné la société Strabag Unwelttechnik GMBH à payer des provisions aux sociétés Beauce Gatinais Biogaz et Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire ainsi qu'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Statuant à nouveau de ces chefs,



Ordonne une expertise technique de l'unité de méthanisation située sur la commune d'[Localité 9] dans [Localité 10] ;



Désigne pour y procéder :



M. [B] [T],

[Adresse 4]

Tél : [XXXXXXXX02]

Port. : [XXXXXXXX01]

Email : [Courriel 13]



avec faculté, si besoin, de s'adjoindre un sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne à charge pour lui d'en informer préalablement les parties et le juge chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport, et mission de :




convoquer les parties et tous sachants afin de les entendre en leurs explications ;

se faire communiquer par les parties l'ensemble des documents utiles à l'accomplissement de sa mission ;

procéder à tous constats utiles sur place ou en tout autre lieu lui paraissant nécessaires ;

déterminer les conditions d'exploitation et de maintenance de l'unité de méthanisation à l'époque du sinistre survenu dans la nuit du 27 au 28 novembre 2020 et depuis ;

décrire l'état des arbres et, notamment, de l'arbre n° 4 ; rechercher s'il existait, avant leur remplacement par Strabag, un risque de rupture des arbres 3 à 7 ;

déterminer les causes et origines du sinistre (rupture de l'arbre n° 4) et de la détérioration des arbres n° 3 et 7 ;

dire s'il provient d'un défaut de conception et/ou d'exécution et/ou d'une utilisation non conforme ;

donner son avis sur l'imputabilité des désordres en précisant, notamment, si les objets métalliques retrouvés dans le digesteur ont pu avoir un rôle causal dans la survenue du sinistre ;

donner tous éléments techniques et de fait permettant à la juridiction éventuellement saisie au fond de statuer sur les responsabilités encourues et les préjudices matériels subis  par les parties ;




Dit que l'expert pourra se rapprocher de M. [E] [P], expert désigné pour donner son avis sur les préjudices immatériels subis par la société Beauce Gatinais Biogaz, afin de lui communiquer les éléments susceptibles d'être utiles à la réalisation de sa mission ;



Dit que l'expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;



Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1du code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe du tribunal de commerce de Paris avant le 31 décembre 2024 sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du juge du contrôle ;



Dit que la société Strabag Unwelttechnik GMBH devra consigner à la régie du tribunal de commerce de Paris la somme de 5.000 euros à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert au plus tard le 31 mai 2024 ;



Dit que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l'expert sera caduque et de nul effet ;



Désigne pour suivre les opérations d'expertise le juge du contrôle des expertises du tribunal de commerce de Paris ;



Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de provisions formées par les sociétés Beauce Gatinais Biogaz et Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire ;



Dit n'y avoir lieu d'allouer à la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne-Pays de la Loire une indemnité au titre des frais irrépétibles de première instance ;



Confirme l'ordonnance entre ses autres dispositions dont il a été fait appel ;



Y ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à extension de la mission de M. [E] [P] à l'examen des préjudices immatériels de la société Strabag Unwelttechnik GMBH ;



Laisse à chacune des parties la charge des dépens et des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel.





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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