25 avril 2024
Cour d'appel de Nîmes
RG n° 23/02715

1ère chambre

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



























ARRÊT N°



N° RG 23/02715 - N°Portalis DBVH-V-B7H-I5NA



ID



TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NIMES

27 juillet 2023

RG :22/02652



[G]



C/



[D]

[D]

































Grosse délivrée

le 25 /04/ 2024

à Me Audrey Moyal

à Me Stéphane Aubert











COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

1ère chambre



ARRÊT DU 25 AVRIL 2024





Décision déférée à la cour : ordonnance du juge de la mise en état de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Nîmes en date du 27 juillet 2023, N°22/02652



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre

Mme Delphine Duprat, conseillère

Mme Audrey Gentilini, conseillère



GREFFIER :



Mme Audrey Bachimont, greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.





DÉBATS :



A l'audience publique du 18 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 avril 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.





APPELANT :



M. [H] [G]

né le [Date naissance 7] 1983 à [Localité 14] (75)

[Adresse 5]

[Localité 12]



Représenté par Me Audrey Moyal de la Selarl Cabanes Bourgeon Moyal Viens, postulante, avocate au barreau de Nîmes.

Représenté par Me Alexandre Dazin de la Scp Lachaud Mandeville Coutadeur & Associés - Drouot Avocats, plaidant, avocat au barreau de Paris.



INTIMÉS :



Mme [O] [D]

née le [Date naissance 4] 1992 à [Localité 15] (Roumanie)

[Adresse 6]

[Localité 11]



Représentée par Me Stéphane Aubert, avocat au barreau de Nîmes.



M.[E] [D]

né le [Date naissance 8] 1991 à [Localité 15] (Roumanie)

[Adresse 9]

[Localité 10]



Représenté par Me Stéphane Aubert, avocat au barreau de Nîmes.



ARRÊT :



Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 25 avril 2024, par mise à disposition au greffe de la cour.




EXPOSÉ DU LITIGE



[R] [D] est décédé le [Date décès 1] 2015 laissant pour lui succéder ses deux enfants M.[E] et Mme [O] [D] en l'état d'un testament olographe du 22 janvier 2015 instituant M. [H] [G] légataire universel.



De son vivant, [R] [D] avait souscrit auprès du [13] :

- le 31 octobre 2014 un contrat Espace Liberté 2 n° 85104748967 dont les primes versées s'élevaient à 677 530,94 euros au jour de son décès,

- le 16 mars 2016 un contrat Prédissime n° 0124977708 dont les primes versées s'élevaient à 7 511 euros.



Contestant la validité du testament et prétendant que le montant des primes d'assurance-vie devait être réintégré dans la succession, Mme [O] [D] a, par actes délivrés le 08 et le 14 février 2018, assigné son frère [E] et son cousin [H] [G] devant le tribunal de grande instance de Nîmes qui par jugement du 08 avril 2021 :

- l'a déboutée de sa demande d'annulation du testament olographe établi le 22 janvier 2015,

- a déclaré que les primes versées par [R] [D] pour 677 530,94 euros au titre du contrat d'assurance-vie Espace Liberté 2 n°85104748967 du 31 octobre 2014 étaient manifestement exagérées,

- a requalifié le contrat susvisé en donation indirecte dont les primes devaient être réintégrées à l'actif successoral,

- a ordonné la réintégration à la succession de ces primes à hauteur de 677 530,94 euros.



M.[H] [G] a ensuite, par exploits des 20 et 25 mai 2022, assigné Mme [O] et M. [E] [D] devant le tribunal judiciaire de Nîmes au visa des articles 1004 et 1005 du Code civil, aux fins de voir :

- ordonner la délivrance du legs universel dont il bénéficie, en vertu du testament olographe de [R] [D], en date du 22 janvier 2015,

- juger que les frais qu'il a supportés pour solliciter la délivrance de son legs universel seront intégralement pris en charge par la succession,

- juger que le jugement à intervenir, ordonnant la délivrance du legs universel vaut titre de propriété pour les biens immobiliers compris dans le legs universel,

- constater qu'il a formulé une demande amiable de délivrance de legs le 25 juillet 2016, soit dans l'année suivant le décès de [R] [D],

- juger qu'il a la jouissance des biens compris dans le legs universel à compter du jour du décès de [R] [D], soit à compter du 3 août 2015,

- condamner M.[E] et Mme [O] [D] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M.[E] et Mme [O] [D] aux dépens.



Suivant conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 10 février 2023, M.[E] [D] a demandé au juge de la mise en état, au visa des articles 1004, 1005 et 2224 du Code civil :

- de juger irrecevable car prescrite l'action de M.[H] [G],

- de condamner celui-ci à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



Par ordonnance du 27 juillet 2023 le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nîmes :

- a déclaré l'action de M.[H] [G] irrecevable pour prescription,

- l'a condamné aux dépens et à payer à M.[E] [D] et à Mme [O] [D] chacun la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



M.[G] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 07 août 2023.



Au terme de ses conclusions notifiées le 15 septembre 2023 il demande à la cour :

- d'infirmer cette ordonnance en ce qu'elle :


- a déclaré son action irrecevable pour prescription,

- l'a condamné à payer à M.[E] [D] et Mme [O] [D] chacun la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamné aux dépens,


Statuant à nouveau

- de juger que son action en délivrance de legs est recevable,

- de débouter Mme [O] et M.[E] [D] de l'intégralité de leurs demandes,

- de les condamner à lui verser, chacun, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de réserver les dépens.



Au terme de leurs conclusions notifiées le 25 novembre 2023 les intimés demandent à la cour :

- de confirmer dans toute ses dispositions le jugement de la troisième chambre civile du tribunal judicaire de Nîmes du 27 juillet 2023,

- de condamner l'appelant à 3 000 euros d'article 700 du code de procédure civile et aux entier dépens,







En application de l'article 455 du code de procédure civile il est expressément référé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.




MOTIVATION



1.Pour dire prescrite l'action du légataire ici appelant, le juge de la mise en état s'est fondé sur les dispositions de l'article 2224 du Code civil selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, et jugé que ce délai de prescription commençait à courir au jour de l'ouverture de la succession, le délai décennal relatif à l'option successorale prévu à l'article 780 al1 du même code n'étant pas ici applicable.



2.L'appelant soutient qu'avant les réformes des successions et libéralités de 2006 et de la prescription civile de 2007 le délai pour agir en délivrance d'un legs était de trente ans puisqu'il équivalait en pratique à la durée de prescription de l'option successorale, aujourd'hui ramenée à dix ans ; que cette question fait aujourd'hui débat puisqu'aucun texte ne précise ce délai et que la Cour de cassation n'a pas tranché cette question, tout en ayant confirmé qu'il commençait à courir au jour du décès du défunt et n'était pas suspendu par une action en nullité d'un testament olographe ; qu'en l'espèce [R] [D] étant décédé le [Date décès 1] 2015 l'action en délivrance de son legs intentée en 2022 devait être déclarée non prescrite, comme le droit d'option des héritiers.



3.Les intimés soutiennent que le légataire et les héritiers ont les mêmes droits et sont sujets aux mêmes charges ; qu'en ne réintégrant pas les sommes demandées à la succession, celui-là agit en fraude de leurs droits, la décision du tribunal judiciaire ordonnant la réintégration à la succession des primes versées par le défunt sur son contrat d'assurance-vie étant devenue définitive.



M.[E] [D] admet 'avoir été touché par la demande amiable de délivrance de legs en 2016' mais soutient que la demande judiciaire aurait du avoir lieu dans les 5 ans suivants soit avant le 15 août 2021.



4.Selon les articles 1010 et 1011 du Code civil en vigueur depuis le ler janvier 2007, le legs à titre universel est celui par lequel le testateur lègue une quote-part des biens dont la loi lui permet de disposer, telle qu'une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier.

Tout autre legs ne forme qu'une disposition à titre particulier.

Les légataires à titre universel seront tenus de demander la délivrance aux héritiers auxquels une quotité des biens est réservée par la loi ; à leur défaut, aux légataires universels et, à défaut de ceux-ci, aux héritiers appelés dans l'ordre établi au titre "Des successions".



5.En l'espèce [R] [D], né le [Date naissance 2] 1956, s'est marié le [Date mariage 3] 1990 avec Mme [Z] [B]. Selon jugement rendu le 17 décembre 1998 par le tribunal de Timis, dont les effets sont identiques à ceux de l'adoption plénière de droit français, transcrit le 06 avril 2000 à l'état-civil, ils ont adopté les enfants [E] et [O], nés le [Date naissance 8] 1991 et le [Date naissance 4] 1992 à [Localité 15] (Roumanie).

Le divorce de [R] [D] et [Z] [B] a été prononcé par jugement du 11 janvier 2010.

6.[R] [D] est décédé le [Date décès 1] 2015, laissant pour lui succéder ses enfants adoptifs, [E] et [O], et son neveu [H] [G], ce dernier en qualité de légataire universel selon testament olographe du 22 janvier 2015.

Sa succession s'est ouverte le jour de son décès le 03 août 2015.



7.Selon les articles 1003, 1004 et 1005 du Code civil en vigueur depuis le 1er janvier 2007 le legs universel est la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l'universalité des biens qu'il laissera à son décès.

Lorsqu'au décès du testateur il y a des héritiers auxquels une quotité de ses biens est réservée par la loi, ces héritiers sont saisis de plein droit, par sa mort, de tous les biens de la succession ; et le légataire universel est tenu de leur demander la délivrance des biens compris dans le testament.

Néanmoins, dans les mêmes cas, le légataire universel aura la jouissance des biens compris dans le testament, à compter du jour du décès, si la demande en délivrance a été faite dans l'année, depuis cette époque ; sinon, cette jouissance ne commencera que du jour de la demande formée en justice, ou du jour que la délivrance aurait été volontairement consentie.



8.Il en résulte qu'à défaut de délivrance volontaire, le légataire universel est tenu de demander en justice la délivrance des biens compris dans le testament aux héritiers réservataires, cette délivrance s'analysant juridiquement comme la reconnaissance et comme la consécration de ses droits, et permettant seule l'entrée en possession et l'acquisition des fruits ( Civ1 28 janvier 1997 n° 95-13.835 )



9.La Cour de cassation a jugé que l'action en nullité du testament engagée, comme en l'espèce, par un héritier réservataire, qui n'empêche pas le légataire universel d'exercer l'action en délivrance de son legs, n'en suspend pas la prescription.(Civ1 30 septembre 2020 n°19-11.543).



10.Avant l'entrée en vigueur de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 l'action en délivrance du légataire à titre universel était soumise à la prescription trentenaire de l'article 2262 du Code civil, à compter de l'ouverture de la succession soit la date du décès de l'auteur..



11.A compter du [Date décès 1] 2015 jour du décès de leur père, les héritiers réservataires de [R] [D] ont disposé d'un délai de 10 ans pour opter, soit pour accepter purement et simplement la succession ou y renoncer, ou bien également accepter la succession à concurrence de l'actif net lorsqu'il a une vocation universelle ou à titre universel.



12.Le règlement de la succession dépend désormais, après le rejet de l'action en nullité du testament olographe dont l'appelant tire ses droits, de la détermination de l'actif et du passif successoral, après réintégration des primes jugées manifestement excessives versées sur le contrat d'assurance-vie du défunt, dont il n'est pas précisé au jugement du 08 avril 2021 s'il en avait été désigné bénéficiaire.



13.Selon l'article 1009 du Code civil le légataire universel, qui sera en concours avec un héritier auquel la loi réserve une quotité des biens, sera tenu des dettes et charges de la succession du testateur, personnellement pour sa part et portion et hypothécairement pour le tout ; (...).



14.Il en résulte que les droits des héritiers réservataires et du légataire universel ne peuvent qu'être équivalents, et que le délai de prescription de l'action en délivrance du legs, qui était de trente ans comme celui de la faculté d'option, doit être calquée sur la nouvelle prescription décennale de cette action depuis la loi du 23 juin 2006.



15.Engagée en 2022 soit moins de 10 ans après le décès de [R] [D], l'action en délivrance du legs de M.[G] n'est pas prescrite et l'ordonnance du juge de la mise en état sera en conséquence infirmée.



16.Succombant, M.[E] [D] et Mme [O] [D] supporteront les dépens de la présente instance.



17.L'équité ne commande pas de faire ici application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour,



Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Nîmes en date du 27 juillet 2023, N°22/02652



Statuant à nouveau



Déclare recevable l'action de M.[H] [G] en délivrance du legs universel résultant du testament olographe en date du 22 janvier 2015 de [R] [D] décédé le [Date décès 1] 2015,



Y ajoutant



Condamne in solidum M.[E] [D] et Mme [O] [D] aux dépens,



Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Arrêt signé par la présidente et par la greffière.



LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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