24 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/01735

Pôle 6 - Chambre 3

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 3



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01735 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDGHP



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/09160





APPELANTE



Madame [I] [O]

Née le 21 Avril 1964 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Magali GUIGUES, avocat au barreau de PARIS







INTIMEE - APPELANTE INCIDENTE



S.A. INVEST SECURITIES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 439 86 6 1 12

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050 avocat postulant et par Me Jean-Philippe DESANLIS, avocat au barreau de Paris, toque C2130







S.A.S. INVEST CORPPORATE FINANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 410 26 3 8 42

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050 avocat postulant et par Me Jean-Philippe DESANLIS, avocat au barreau de Paris, toque C2130















COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 27 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Véronique MARMORAT, Présidente de chambre

Mme Fabienne ROUGE, Présidente de chambre

M. Didier MALINOSKY, Magistrat Honoraire

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Véronique MARMORAT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC









ARRET :



- Contradictcoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Véronique MARMORAT, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, présent lors de la mise à disposition.






EXPOSE DU LITIGE



Madame [I] [O], née le 21 avril 1964, gérante de la société unipersonnelle Adviseo Conseil, immatriculée le 29 avril 2010, a collaboré à compter du 10 juin 2014 sous la forme d'un contrat de prestation de services consistant à des analyses financières liant sa société à la société Adviseo Conseil et la société Invest Securities Corporate devenue Invest Corporate Finance.



Le 7 mai 2018, les sociétés Invest Securities et Invest Corporte Finance ont notifié à la société Adviseo Conseil à titre conservatoire du contrat de prestation de service à son échéance, soit le 31 décembre 2018.



Après avoir contesté, le 22 octobre 2018, les nouvelles conditions de poursuite de la relation et sollicité la reconnaissance d'un contrat de travail en qualité d'analyste financier, madame [O] a saisi, le 4 décembre 2018, en requalification du contrat de prestations de service en contrat de travail et en diverses demandes indemnitaires et salariales le Conseil des prud'hommes de Paris lequel par jugement du 6 octobre 2020 a :


Fait droit à la demande de madame [O] en requalification des contrats de prestation de services conclus entre la société unipersonnelle Adviseo Conseil et les sociétés Invest Securities)et Invest Corporate Finance en contrat à durée indéterminée

Condamné in solidum les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance aux dépens à lui verser les sommes suivantes :


- 41 675 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 18 754 euros au titre de l'indemnité de licenciement

- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile



Madame [O] a interjeté appel de cette décision le 10 février 2021.



Par conclusions signifiées par voie électronique le 21 décembre 2023, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, madame [O] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande de requalification et a condamné les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance à lui verser les sommes de 41 675 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 18 754 euros au titre de l'indemnité de licenciement et de d'infirmer pour le surplus, et statuant de nouveau de


Condamner in solidum les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance aux dépens et à lui verser les sommes suivantes :








titre



montant en euros





travail dissimulé



50 010





préjudice moral et financier lié au surcoût des cotisations au régime des indépendants



25 000





discrimination



75 015





préjudices distincts



100 000





heures supplémentaires 2016, 2017 et 2018

congés payés



94 875

9 487,50





repos compensateur 2016, 2017 et 2018



39 600





contrepartie financière de la clause de non concurrence



75 015





article 700 du code de procédure civile



4 500






Leur ordonner sous astreinte de 150 euros de jour de retard la remise des bulletins de paie conformes du 10 juin 2014 au 31 décembre 2018, l'attestation Pôle Emploi et le certificat de travail

Les condamner in solidum à acquitter l'ensemble des cotisations et charges sociales afférentes aux sommes versées ayant la nature de salaire

Ordonner la publication du jugement à intervenir dans la revue Analyse Financière de la Sfaf

Les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.




Dans ses conclusions signifiées par voie électronique le 28 décembre 2023, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance demandent à la cour

A titre principal


D'infirmer le jugement en ce qu'il les a condamnées in solidum à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à une indemnité de licenciement et au titre de l'article 700 du code de procédure civile

De confirmer ce jugement en ce qu'il a débouté madame [O] du surplus de ses demandes

De la débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions


A titre subsidiaire de


Fixer le salaire annuel brut de madame [O] à la somme de 5 417 euros, soit l'équivalent de ses honoraires en dernier lieu (100 000 euros H.T par an, soit environ 8 333,33 euros par mois), déduction faite des charges qu'elle avait à assumer en tant qu'indépendante (environ 35%) ;

Limiter ainsi qu'il suit les condamnations


- dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 16 251 euros

- indemnité conventionnelle de licenciement : 10 834 euros



La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.








Motifs





Sur la demande de requalification




Principe de droit applicable




Aux termes des dispositions de l'article L8221-6 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la présente espèce :

I.-Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :



1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;



2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 214-18 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;



3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;



II.-L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au 1 fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.



Le contrat de travail se définit par l'existence d'une prestation de travail, une rémunération, et un lien de subordination juridique, ce dernier étant décisif. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.



L'existence d'un lien de subordination n'est pas incompatible avec une indépendance technique dans l'exécution de la prestation, notamment pour les salariés qui ont un haut niveau de qualification.



Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.




Application en l'espèce




Madame [O] dans l'analyse du contrat de prestation de service relève que :


une clause d'exclusivité couvrant l'espace économique européen comportant la mention "Il est explicitement affirmé que, quelle que soit l'intensité de l'activité qui pourrait résulter du présent contrat, celui-ci ne pourra être requalifié en contrat de travail par aucune des parties. "

une rémunération fixe annuelle garantie déconnectée du nombre d'interventions

un intuitu personnae interdisant à madame [O] de sous-traiter ou céder à des tiers ses droits et obligations sauf accord préalable et écrit des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance

le contenu des missions qui relève de l'activité naturelle et quotidienne des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance comprenant une mission de représentation pour la société Invest Securities

un rattachement hiérarchique en interne auprès des responsables de la recherche de la société Invest Securities

une rémunération fixe annuelle garantie payable par douzième ainsi qu'une part variable calculée en fonction d'objectifs qualitatifs




Elle soutient avoir été dans la dépendance économique des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance, n'avoir pas eu d'autres clients et relève que ces sociétés n'ont pas respecté leurs obligations au regard de l'attestation de vigilance délivrée par l'Urssaf dans la mesure où elles ne la lui ont jamais réclamée au jour de la conclusion de son contrat le 10 juin 2014, ni tous les 6 mois ainsi qu'elles auraient dû le faire pas plus qu'elles ne lui ont pas réclamé un récépissé d'assurance de responsabilité civile professionnelle. Ces manquements l'assimileraient au personnel salarié permanent.



Madame [O] expose qu'elle exerçait bien ses fonctions dans le cadre d'une équipe organisée, d'un lien de subordination étroit et qu'elle participait en effet à toutes les réunions de travail, dépassant ainsi largement le cadre de simples points de « planification ou de coordination » d'une intervention ponctuelle et qu'elle était tenue au respect d'horaires et de consignes comme les autres salariés, qu'elle était tenue d'être à son poste à 7 h 30 pour préparer un "morning meeting quotidien" adressé aux clients entre 8h et 8h10. Elle était autorisée à travailler chez elle le matin mais que sa présence était obligatoire tous les après-midis du lundi au vendredi. Les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance lui fournissaient l'ensemble du matériel nécessaire à l'exercice de ses fonctions et supportaient l'ensemble de ses frais professionnels.



Les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance rappellent que le statut de professionnel indépendant de madame [O] bénéficie d'une présomption de non salariat et que la société Adviseo Conseil a une activité propre durant 4 ans avant le contrat de prestation de service, que madame [O] était professeur à la Skema et à l'Ieseg depuis septembre 2012, professorat qu'elle exerçait y compris pendant l'exécution de ce contrat.



Les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance expliquent être soumises à la réglementation applicable sur les marchés financiers qui favoriserait le recours à des experts indépendants afin de se prémunir contre toute situation de conflit d'intérêts. Elles soutiennent que madame [O] n'établit pas l'existence d'un lien de subordination pour renverser la présomption de salariat et que, lors des contrôles Urssaf de la société Securities Corporate devenue Invest Corporate Finance, aucune anomalie n'a été relevée à ce titre. Elles relèvent que madame [O] ne produit aucun élément prouvant qu'il aurait été exigé sa présence systématique à 7h30 et que d'ailleurs elle reconnaît n'être pas tenue de se présenter dans leurs locaux le matin ce qui lui permettait de se livrer à sa passion, la course à pied, et qu'elle jouissait d'une grande liberté dans ses horaires la seule exigence des donneurs d'ordre était que ses prestations soient effectivement réalisées. Enfin, selon les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance, il est parfaitement légitime qu'un client donne des indications opérationnelles au prestataire de même qu'elle n'a pas eu des entretiens annuels d'évaluation mais des entretiens pour évaluer la qualité de la prestation et que l'intégration dans une équipe ou l'ensemble du matériel nécessaire à l'exécution des prestations ne sont pas des critères déterminants de la qualité de salarié.



Si l'existence d'un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur, il demeure que les termes de la convention signée entre les parties peuvent apporter des éléments sur la subordination attendue du prestataire. En l'espèce, le contrat de prestation comporte notamment les clauses suivantes :

- une clause dite d'exclusivité rédigée dans ces termes : ' Adviseo Conseil accorde à la société Invest Securities Corporate l'exclusivité des prestations figurant à l'article 2 pour l'ensemble de l'Espace Economique Européen, et s'oblige en conséquence à réserver à la seule les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance l'intégralité de ses analyses financières et études, entendues au sens le plus large, se rapportant aux sociétés dont la liste sera déterminée en commun par les Parties, sous réserve de la possibilité pour Adviseo Conseil d'intervenir pour le compte d'autres clients après information des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance, ceci pour la durée du présent contrat.

- Adviseo Conseil s'engage à ne réaliser pour son propre compte aucune opération qui pourrait concurrencer les sociétés du Groupe Invest Securities Holding; en conséquence dans le cas où Adviseo Conseil serait sollicitée pour réaliser ou participer à la réalisation d'une opération financière, elle en informera les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance et recueillera son accord préalable.



Les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance ne peuvent donc pas soutenir que madame [O] était libre de travailler comme elle le souhaitait pour d'autres clients.



- une clause fixant une rémunération fixe déconnectée du nombre d'intervention: "Invest Securities Corporate et sa société s'ur Invest, avec laquelle Adviseo Conseil a signé un contrat de même nature portant sur des évaluations de sociétés, garantissent à Adviseo Conseil un chiffre d'affaires global minimum annuel de 50.000 € HT"



- une clause d'intuitu personnae dans laquelle "Les parties reconnaissent que la société Invest Securities Corporate n'a accepté de conclure ce contrat avec la société prestataire qu'en considération de l'expérience, de la compétence personnelle et de la notoriété de madame [I] [O]. Il est par conséquent interdit à Adviseo Conseil de déléguer, sous-traiter ou céder à quelque tiers que ce soit, et sous quelque modalité que ce soit, l'un quelconque de ses droits ou obligations aux termes du présent Contrat, sauf accord préalable et écrit de la société Invest Securities Corporate."



Ces clauses établissent la dépendance économique de madame [O] à l'égard des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance et les pièces versées à la procédure établissent qu'elle n'avait effectivement pas d'autres clients et que ces activités d'enseignante à Lille pour le Skema et l'Iseg se sont achevées après l'année scolaire 2014/2015.



Lors de l'exécution du contrat, madame [O] était intégrée à l'équipe des analystes, avec les moyens des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance, dans ses locaux, participait aux réunions internes et était évaluée chaque année par monsieur [B] son responsable. Le fait qu'elle soit autorisée à travailler à l'extérieur des locaux soit le matin soit lorsqu'elle était en déplacement ne permet pas d'être compris comme une indépendance dans la mesure où cette modalité de travail avait été acceptée par tous et permettait une continuité du travail d'autant que les analyses financières produites sous la forme de note brève le matin ou d'analyse de fond sont sujettes à variation en fonction de l'état des marchés et des informations sensibles obtenues par l'un ou l'autre membre de cette équipe.



Pris dans leur ensemble, ces éléments rapportent la preuve de ce que madame [O] exerçait son travail dans le cadre d'un service hiérarchisé, et sous l'autorité des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance qui lui donnaient des instructions et dirigeaient son activité.



Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un contrat de travail.





Sur l'exécution du contrat de travail



Sur la demande d'heures supplémentaires et des repos compensateurs




Principe de droit applicable




L'article L 3171-4 du code du travail précise qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.



Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.




Application en l'espèce




Madame [O] prétend avoir effectué pour le compte des sociétés a minima 45 h par semaine de 7 h 30 à 18 h au minimum sans compter ses déplacements et produit de nombreux courriels indiquant des heures d'expéditions tôt le matin ou parfois tard le soir sans qu'il ne puisse être établi la réelle amplitude de travail effectif et qu'en outre elle ne fournit pas d'agenda ou de décompte précis par mois et par jour. De plus, elle reconnaît ne pas être présente le matin sauf en cas de réunion spécifique et adressait de chez elle sa note d'analyse matinale aux stagiaires pour mise en forme et expédition. Sa pratique sportive matinale de madame [O] est établie par elle-même puisqu'elle verse aux débats un courriel du 6 octobre 2017 à 8 h 34 adressé à monsieur [Y], un autre analyste, indiquant qu'"elle s'entraîne".



Ainsi, madame [O] échoue dans ces conditions à présenter des éléments laissant supposer qu'elle a réalisé des heures supplémentaires, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de ce chef.



Sur la demande au titre du travail dissimulé




Principe de droit applicable :




En vertu de l'article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre 1er de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.



Selon l'article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.




Application à l'espèce :




En l'espèce, les parties étaient liées par un contrat de prestation de service. Sur la base d'un faisceau d'indices, la cour a retenu que les clauses et les conditions d'exécution de ce contrat amenaient à le qualifier de contrat de travail.



Toutefois les circonstances du dossier ne permettent pas de retenir que l'employeur avait conscience de ce qu'il était en réalité lié à madame [O] un tel contrat. L'élément intentionnel fait donc défaut, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté madame [O] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.



- Sur la demande d'indemnisation du préjudice financier et moral résultant de l'affiliation au régime des indépendants



Madame [O] expose qu'elle aurait cotisé au régime social des indépendants de manière injustifiée. Or, comme l'a justement rappelé le Conseil des prud'hommes elle ne démontre ni la faute des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance ni son préjudice, le montant de ses honoraires correspondait au moins à l'équivalent des salaires qu'elle aurait perçu en tant que salarié. La cour observe que dans les comptes de résultat produits de la société Adviseo Conseil pour les années concernées figure une rubrique les 'autres achats et charges externes' sans indiquer à quoi ils correspondent et viennent sensiblement diminuer le poste 'salaires' et le résultat de l'exercice.



En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de ce chef.



- Sur la demande au titre de la discrimination






Principe de droit applicable :




Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son sexe et de son âge.



L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1 er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.




Application à l'espèce :




Madame [O] soutient avoir été victime de discrimination en raison de son âge et de son sexe principalement par le fait que d'autres analyses dans sa situation se seraient vu proposer un contrat de travail. Pour établir ces faits elle ne produit que la proposition de contrat de travail de monsieur [Y].



Les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance établissent que, contrairement aux affirmations de madame [O], elle n'était pas la seule femme. Deux autres femmes étaient employées en 2018 dont la directrice générale adjointe et que la moyenne d'age est de 45 ans.



Ainsi, aucun élément ne laisse supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.



Le jugement sera confirmé en ce que madame [O] a débouté de ses demandes de ce chef.





Sur la rupture du contrat de travail





Sur le licenciement



Les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance ont averti le 7 mai 2018 de la fin de leur collaboration au 31 décembre 2018 de sorte que le contrat s'est rompu à cette date. Au regard des règles qui régissent le licenciement, et en l'absence de lettre de licenciement motivée, la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse.



Au moment du licenciement, madame [O] avait une ancienneté de 3 ans et demi, était âgée de 57 ans. Au vu de ces éléments, il convient de confirmer les sommes exactement retenues par le Conseil des prud'hommes aux titres de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.



Sur les autres demandes



Sur la demande au titre des préjudices distincts :



La cour observe que madame [O] n'établit pas la preuve d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisée par l'indemnité pour llicenciement sans cause réelle et sérieuse.



Sur la contrepartie financière de la clause de non concurrence :



Le contrat de prestation de service prévoit une clause de non sollicitation des clients ainsi rédigée : "Adviseo Conseil s'interdit d'entrer en contact avec les clients de la société Invest Securities Corporate autre que pour le compte d'Invest Securities Corporate et sur l'instruction expresse de celle-ci dans le cadre exclusif de l'exécution des prestations. Elle s'interdit en particulier de démarcher les clients des sociétés du groupe Invest Securities Corporate Holding ou de répondre à la sollicitation de ces derniers en vue de la fourniture des services susceptibles de concurrence mes services fournis par les sociétés du groupe Invest Securities Corporate Holding. "



Si cette clause de non sollicitation est nécessairement comprise dans le contrat de travail durant son exécution, comme le corollaire de l'obligation de loyauté, elle ne peut en revanche, se poursuivre au-delà de la fin de la relation contractuelle sans contrepartie financière.



Les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance estiment sans l'établir que cette clause n'a pas été respectée alors que madame [O] verse aux débats une attestation de son nouvel employeur lequel définit un rayon d'action différent de celles des sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance, s'agissant d'une start up tournée vers l'investissement international.



En conséquence, il convient d'allouer à madame [O] la somme de 8 000 euros de ce chef.







PAR CES MOTIFS





La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,



Confirme le jugement en toutes ses dispositions à l'exception de la contrepartie financière de la clause de non sollicitation ;



Statuant à nouveau sur ce point,



Condamne les sociétés Invest Securities et Invest Corporate Finance à verser à madame [O] la somme de 8 000 euros au titre de contrepartie financière de la clause de non sollicitation ;



Vu l'article 700 du code de procédure civile,



Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;



Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;



Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens.





Le greffier La présidente

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