23 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 22/20058

Pôle 5 - Chambre 16

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 Chambre 16



ARRET DU 23 AVRIL 2024



(n° 38 /2024 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/20058 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYNE



Décision déférée à la Cour : sentence rendue le 28 Octobre 2022 à [Localité 4], par M. [S] [N], Arbitre Unique, sentence rendue sous l'égide de l'Ordre des Experts Comptables de la Région Paris-Ile deFrance (arbitrage n°28/45).





DEMANDERESSE AU RECOURS :



SAS EURECOM

société par actions simplifiée,

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 347 586 075,

ayant son siège social : [Adresse 1],

prise en la personne de ses représentants légaux,



Ayant pour avocat postulant : Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

Ayant pour avocat plaidant : Me Laetitia LAMY, avocat au barreau de PARIS, toque : C0791





DEFENDERESSES AU RECOURS :



Société ECC CONSEILS

immatriculée au RDC de PARIS sous le numéro 481 810 166,

ayant son siège social : [Adresse 2],

prise en la personne de ses représentants légaux,



Madame [C] [R]

née le 23 août 1957 à [Localité 3],

demeurant : [Adresse 2],



Ayant pour avocat postulant : Me Benjamin MOISAN, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L34

Ayant pour avocat plaidant : Me Thierry MOUNICQ, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : R097





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 29 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Hélène FILLIOL, Présidente de chambre

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère

Madame MARIE LAMBLING, Conseillère



qui en ont délibéré.





Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Hélène FILLIOL dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE





ARRET :



- contradictoire



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






* *

*





FAITS ET PROCEDURE



Suivant acte sous seing privé en date du 29 avril 2019, la société à responsabilité limitée ECC Conseils, représentée par Mme [C] [R], expert-comptable, gérante, a cédé à la société par actions simplifiée Eurecom Société Européenne de Révision et d'Expertise Comptable (ci-après, la société Eurecom) un fonds libéral d'expertise comptable, moyennant le paiement du prix de 700.000€.



Ledit «'contrat de cession de fonds libéral'» contient en son article 15'une clause compromissoire aux termes de laquelle «'les parties prennent l'engagement de soumettre les litiges qui pourraient survenir entre elles à l'arbitrage du président de l'ordre des experts comptables de la région Ile-de-France'».



Le 26 février 2021, la société Eurecom a, en application de ces dispositions contractuelles, saisi l'ordre des experts-comptables de la région Ile-de-France d'une demande d'arbitrage dirigée contre la société ECC Conseils et Mme [C] [R].



Invoquant l'inapplicabilité de la clause d'arbitrage à son encontre, Mme [R], a, par acte d'huissier du 20 avril 2021, assigné la société Eurecom devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond, afin de voir dire n'y avoir lieu à désignation d'un arbitre à son égard.



Par jugement du 11 juin 2021, le président du tribunal judiciaire de Paris a dit que la clause compromissoire insérée dans l'acte de cession du fonds libéral conclu entre les parties n'est pas «'manifestement inapplicable à Mme [C] [R]'» et a déclaré «'irrecevable la demande tendant à voir dire n'y avoir lieu à désignation d'un arbitre à son égard'».



Selon procès-verbal de saisine en date du 4 octobre 2021, les parties ont désigné M. [S] [N] comme arbitre, défini le périmètre du litige et fixé le calendrier de l'arbitrage en prévoyant qu'une première sentence arbitrale serait rendue le 15 novembre 2021 sur la mise hors de cause ou non de Mme [C] [R], prise à titre personnel dans la procédure d'arbitrage.



Par sentence arbitrale du 27 novembre 2021, M. [S] [N], arbitre unique, a rejeté en équité la demande de mise hors de cause formée par Mme [R].





Par déclaration en date du 30 décembre 2021, la société Eurecom a saisi la cour d'un recours en annulation de cette première sentence arbitrale.



Par sentence arbitrale du 28 octobre 2022, l'arbitre unique, M. [S] [N], statuant en équité et en amiable composition, a':



' dit que les prétentions pécuniaires du cabinet Eurecom à l'encontre de son cédant, la société ECC Conseils, seront établies à hauteur des sommes de 67'773€ au titre de la garantie de clientèle, 69'069€ pour la résiliation tardive et peu loyale de clients et de 47.748€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



' dit que les prétentions de la société ECC Conseils vis-à-vis du cabinet Eurecom seront établies à hauteur des sommes de 27.000€ pour les factures de collaboration impayées et de 30.900€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



' autorisé la compensation entre les sommes dues,



' rejeté l'ensemble des autres demandes telles que détaillées ci-dessus,



' dit que les frais d'arbitrage seront à la charge de la société Eurecom.



Par déclaration en date du 28 novembre 2022, la société Eurecom a saisi la cour d'un recours en annulation contre cette seconde sentence arbitrale.



Par arrêt du 13 décembre 2022, la cour a rejeté le recours en annulation formée contre la première sentence du 27 novembre 2021, condamné la société Eurecom à payer à la société ECC Conseils et à Mme [C] [R] la somme de 4000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la société Eurecom aux dépens.





PRETENTIONS DE PARTIES



Dans ses dernières conclusions notifiées le 22 janvier 2024, la société Eurecom demande à la cour'de':



- Recevoir son recours en annulation et le déclarer bien fondé ;



- Annuler partiellement la sentence arbitrale rendue le 28 octobre 2022 en ce qu'elle a':



° rejeté la demande ayant pour objet de condamner in solidum Mme [R] et la SARL ECC Conseils au paiement de la somme de 421.111 au titre des manquements commis par cette dernière dans l'accomplissement de leurs activités, en application de l'article 10 (8-3) §2 et 11 du contrat de cession de fonds libéral conclu le 29 avril 2019 ;



° dit que les frais de l'arbitrage seront à la charge des demandeurs, la SAS Eurecom.



- Condamner in solidum Mme [C] [R] et la SARL ECC Conseils au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.







Dans ses dernières conclusions notifiées le 26 janvier 2024, la société ECC Conseils et Mme [C] [R], demandent à la cour de':



- Juger n'y avoir lieu à annulation de la sentence arbitrale,



- Rejeter les demandes d'annulation de la société Eurecom comme étant irrecevables et mal fondées,



- Condamner la société Eurecom à leur payer une somme de 20.000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



- La condamner aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Benjamin Moisan de la Selarl Baechlin Moisan.



La clôture a été prononcée le 6 février 2024.






MOTIFS





Sur le premier moyen d'annulation tiré de la partialité du tribunal arbitral (art. 1492 2° du code de procédure civile)



La société Eurecom, se prévalant du contenu des deux sentences du 27 novembre 2021 et du 28 octobre 2022, soutient que l'arbitre n'a pas satisfait à son obligation d'impartialité. Les intimés concluent à l'irrecevabilité de ce moyen dont ils contestent par ailleurs le bien-fondé.





Sur la recevabilité du moyen





Moyens des parties



La société ECC Conseils et Mme [C] [R] soutiennent que la société Eurecom a renoncé à se prévaloir de la prétendue impartialité de l'arbitre aux motifs qu'à aucun moment de la procédure d'arbitrage elle n'a émis la moindre critique à l'encontre de l'arbitre, qu'elle aurait pu après la première sentence demander son dessaisissement en application de l'article 5 du règlement d'arbitrage ou invoquer un cas de récusation sur le fondement de l'article L.111-6 du code de l'organisation judiciaire, ce qu'elle n'a pas fait.



La société Eurecom réplique que les manquements relevés portent, outre sur la première sentence mais également sur «'des circonstances extérieures à la clôture des débats'» et notamment sur la rédaction de la seconde sentence de sorte qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir invoqué ces arguments en cours d'instance.





Réponse de la cour



Selon l'article 1466 du code de procédure civile « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ».



Il ressort de ces dispositions que la partie qui, en connaissance de cause, s'abstient d'exercer, dans le délai prévu par le règlement d'arbitrage applicable, son droit de récusation, en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l'indépendance ou l'impartialité d'un arbitre, est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir devant le juge de l'annulation.





Aux termes de l'article 5 du règlement d'arbitrage la demande de récusation de l'arbitre peut être demandée pour une cause antérieure à sa désignation que dans les 8 jours qui suivent la notification de cette dernière, après ce délai il peut être récusé que pour une cause qui se serait révélée ou serait survenue depuis sa désignation.



En l'espèce, force est de constater que la société Eurecom n'a pas fait état en temps utile de ses doutes concernant l'impartialité de l'arbitre suite au prononcé de la première sentence du 27 novembre 2021 dont elle se prévaut devant la cour pour invoquer «'la délicatesse de l'arbitre'» à l'égard de la société ECC Conseils et de Mme [C] [R].



Le moyen qu'elle soutient à ce titre est dès lors irrecevable en application de l'article 1466 du code de procédure civile précité, seuls restants dans le débat, les griefs tirés du contenu de la sentence du 28 octobre 2022, la société Eurecom ne pouvant être réputée avoir renoncé à s'en prévaloir durant l'instance arbitrale, n'en ayant pas alors connaissance.





Sur le bien-fondé du moyen





Moyens de parties



La société Eurecom reproche en substance à l'arbitre un défaut d'impartialité matérialisé par le caractère moralisateur, familier et vexatoire des propos employés par ce dernier à l'égard de ses prétentions et au contraire la «'délicatesse'» des termes employés à l'égard de la société ECC Conseils et de Mme [C] [R] «'tant dans la présentation de leurs activités que dans la sanction de leurs fautes'».



La société Eurecom fait également grief à l'arbitre de n'avoir manifesté aucun intérêt à une critique formulée à l'égard d'une pièce dont l'authenticité était contestée, de n'avoir fait aucune référence à ses arguments et à ses pièces et de n'avoir pas hésité à reprendre littéralement les arguments développés par la société ECC Conseils et Mme [C] [R].



Elle en conclut que l'attitude partiale de l'arbitre justifie l'annulation de la sentence sur le fondement des articles 1492 du code de procédure civile et 6§1 de la convention européenne des droits de l'Homme.



Les intimées répliquent que les griefs invoqués portent sur le contenu de la sentence et ce faisant procèdent d'une critique de la motivation alors que le contenu de celle-ci, qui échappe au contrôle du juge de l'annulation, est indifférent en l'absence d'éléments précis et objectifs qui laisseraient supposer que l'attitude de l'arbitre a été partiale.





Réponse de la cour':



Selon l'article 1492 2° du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a été irrégulièrement constitué.



L'impartialité de l'arbitre suppose l'absence de préjugés ou de parti pris susceptibles d'affecter le jugement de l'arbitre, lesquels peuvent résulter de multiples facteurs tels que la nationalité de l'arbitre, son environnement social, culturel ou juridique.



Toutefois pour être pris en compte ces éléments doivent créer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable sur son impartialité de telle sorte que l'appréciation de ce défaut doit procéder d'une démarche objective.











Si un tel doute peut le cas échéant résulter de la sentence elle-même, encore faut-il, dès lors que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au contrôle du juge de l'annulation, que ce doute soit fondé sur des éléments précis quant à la structure de la sentence ou ses termes mêmes, qui laisseraient supposer que l'attitude de l'arbitre a été partiale ou à tout le moins serait de nature à donner le sentiment qu'elle l'a été.



La société Eurecom reproche en premier lieu à l'arbitre un défaut d'impartialité se manifestant par des termes employés à son égard dans la sentence, répertoriés dans un tableau figurant pages 8 à 10 de ses écritures auxquelles la cour se réfère.



Toutefois, contrairement aux allégations de la société Eurecom, le contenu de l'«'exposé sommaire des faits et origine du litige'» (point III) figurant page 2 de la sentence, ne contient, aucun propos révélant une quelconque partialité de l'arbitre, la présentation faite par celui-ci des parties, qui correspond à la réalité avec d'un côté «'un cabinet d'expertise comptable détenu personnellement par Mme [R] cédant son fonds libéral'», désireuse «'de mobiliser ses droits à la retraite'» et de l'autre «' la société Eurecom où plusieurs experts-comptables sont associés'», n'étant pas de nature à remettre en cause son impartialité.



L'adjectif «'lourd'» utilisé par l'arbitre dans le point IV de la sentence consacré au «'déroulement de la procédure arbitrale'»'pour qualifier le mémoire d'Eurecom, dont il n'est pas discuté qu'il comprenait comme indiqué par l'arbitre, 97 pages et faisait référence à 222 pièces, n'est pas significatif, l'arbitre précisant également le nombre de pages (75) et de pièces (73) du mémoire en défense de Mme [R] et de la société ECC Conseils.



Il en est de même de l'ajout page 5 de la sentence, après la présentation par l'arbitre des demandes d'Eurecom de la mention suivante': « soit déjà un total de 677 milliers d'euros (non compris les 5% à générer sur les sommes recouvrées) ou plus de 700.000 euros d'honoraires de succès inclus, soit une somme équivalente au prix d'achat de la clientèle de Mme [R]'». En effet, la société Eurecom ne précise pas en quoi cet ajout traduirait un parti pris de l'arbitre pour analyser le dossier, ni ne démontre que ce dernier aurait ce faisant repris «'de façon servile'» l'un des arguments développé par la société ECC Conseils et Mme [C] [R], la page 5 des conclusions de ces dernières, à laquelle la société Eurecom se réfère (sa pièce n°11), n'étant pas probante sur ce point.



En outre, les passages de la sentence figurant au point VI consacré à « la discussion » qui font référence, s'agissant de la demande au titre de la prise en charge par la société ECC Conseils et Mme [C] [R] de travaux de régularisation pour un montant de 421 111€, à «'des temps excessifs'» engagés par Eurecom «'sur la première année de prise de connaissance'» et à '«'d'innombrables'factures» émises par Eurecom «'pour rattrapage d'écritures d'opérations diverses sur d'anciens dossiers d'ECC'» font partie de la réponse de l'arbitre aux positions respectives des parties sur le bien-fondé et le quantum de la facturation, qu'il n'appartient pas au juge de l'annulation de contrôler.



De même, les passages figurant page 9 et 10 de la sentence selon lesquels «'M. [D] aurait pu anticiper les frictions constatées avec la clientèle de Mme [R]''cette longue procédure qui aurait probablement pu être évitée si M. [D] et ses associés dans la société Eurecom avait pris le temps d'une analyse des méthodes us et coutumes de Mme [R] pour créer le climat de confiance qui n'aurait pas dû disparaître dans la migration paisible de client entre un cabinet et son successeur'» n'établissent aucun parti pris de l'arbitre mais traduisent l'appréciation faite par ce dernier du comportement de la société Eurecom dont la loyauté dans l'exécution de l'acte de cession était discutée.



Il ressort de l'ensemble ces éléments que les termes utilisés par l'arbitre à l'égard de la société Eurecom, pris isolément comme conjointement, ne sont pas de nature à créer un doute quant à un défaut d'impartialité du tribunal arbitral.







La société Eurecom invoque'en second lieu «'la délicatesse'» de l'arbitre pour apprécier les faits reprochés à la société ECC Conseils et à Mme [C] [R], sans toutefois se référer à aucune mention précise de la sentence qui révélerait un parti pris en faveur de celles-ci. En effet, la seule circonstance que l'arbitre, pour fixer en équité à la somme de 69.069€ le montant dû par la société ECC Conseils au titre de la résiliation tardive et peu loyale de clients, ait notamment retenu « sans qu'on puisse prétendre que Mme [R] ait bénéficié directement de ces transferts, elle ne saurait leur être étrangère » ne révèle aucune partialité de ce dernier.



Par ailleurs, le grief tiré de l'absence d'intérêt à sa critique portant sur l'authenticité d'une pièce, porte sur le contenu de la motivation de la sentence arbitrale qui échappe au contrôle du juge de l'annulation. Il en est de même du reproche tiré de la reprise littérale des arguments développés par les intimées et de l'absence de référence à «'ses lourds arguments'» et à ses pièces, étant néanmoins relevé qu'il ressort de la lecture de la sentence que l'arbitre a renvoyé les parties pour le détail de leur argumentation à leurs écritures respectives, sans développer ni l'argumentation de la société Eurecom, ni celle de la société ECC Conseils et de Mme [C] [R].



Le moyen doit en conséquence être rejeté.





Sur le second moyen d'annulation tiré de la méconnaissance par l'expert de la mission d'amiable compositeur et du défaut de motivation (article 1492, 3° et 6° du code de procédure civile)





Moyens des parties



La société Eurecom fait valoir que l'arbitre qui statue en tant qu'amiable compositeur est tenu de motiver sa décision, que si la considération de l'équité peut ne pas être explicite, elle doit résulter de façon certaine de la motivation de la sentence. Elle soutient que ces exigences n'ont pas été respectées en l'espèce dès lors d'une part, que l'arbitre n' a pas statué en équité de sorte que les termes du mandat qui lui a été confié par les parties n'ont pas été respectés et d'autre part, que le rejet de sa demande portant sur la prise en charge par les intimés des travaux de régularisation qui était développée sur plus de 16 pages et s'appuyait sur trente-neuf pièces, a fait l'objet d'une motivation rédigée de façon laconique, l'arbitre limitant sa motivation à des considérations très générales, des affirmations péremptoires, sans justifier des raisons du rejet en équité.



Elle estime que sa condamnation aux frais d'arbitrage n'est pas plus motivée.



Les intimées répliquent que la sentence est motivée en ses pages 6 à 10 et qu'il n'entre pas dans les pouvoir de la cour de suivre l'argumentation développée au fond par la société Eurecom, le contrôle du juge de l'annulation ne portant que sur la seule existence des motifs, à l'exclusion de l'exactitude et du bien-fondé de ceux-ci.



Ils font valoir que l'arbitre a bien rappelé qu'il statuait en amiable compositeur et en équité et que la motivation retenue relève tant de l'équité que du droit.





Réponse de la cour



Aux termes de l'article 1492, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si « le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ».



En outre, l'article 1478 du même code dispose : « Le tribunal arbitral tranche le litige conformément aux règles de droit, à moins que les parties lui aient confié la mission de statuer en amiable composition ».



Le tribunal arbitral, auquel les parties ont conféré la mission de statuer comme amiable compositeur, doit faire ressortir dans sa sentence qu'il a pris en compte l'équité.



L'article 1492, 6°, du code de procédure civile dispose par ailleurs que le recours en annulation est ouvert « si la sentence n'est pas motivée ».



La mission confiée à l'arbitre telle que résultant du procès-verbal de saisine du 4 octobre 2021, consistait à statuer en amiable compositeur sur «'tous litiges liés à l'acte de cession de fonds libéral, en date du 29 avril 2019, tels qu'ils ont été précisés dans le PCM des mémoires n°1 et 2 de la société Eurecom et toute demande reconventionnelle de la société ECC Conseils liés à l'acte de cession et du contrat de collaboration telles qu'elles seront précisées par son mémoire en défense et en demande reconventionnelle'» (pièces n°7 et 15 de la société Eurecom).



Comme le relève justement les intimées, contrairement aux allégations de la société Eurecom, la sentence est motivée (point VI «'discussion») sur 4 pages et l'arbitre a statué en équité comme en attestent notamment la formule utilisée à deux reprises par l'arbitre page 7 et 9 de la sentence «'L'arbitre statuant en amiable composition et en équité, au vu des pièces en sa possession'» et la prise en compte de considérations d'équité.



S'agissant en particulier de la demande au titre de la prise en charge par la société ECC Conseils et Mme [C] [R] de travaux de régularisation pour un montant de 421'111€, la société Eurecom ne peut valablement soutenir que celle-ci n'est pas motivée en équité alors que la lecture de la sentence page 8 (point c) et page 10 (7ème paragraphe) auxquelles la cour renvoie et les développements qui précèdent démontrent le contraire, l'arbitre se référant notamment page 9 à des considérations d'équité'(«'De même, (M. [D]) ne pouvait raisonnablement espérer devoir recouvrer les heures refacturées au titre de la prise de connaissance voire de rectifications a posteriori sur les dossiers requis.'»)



Les critiques développées par la société Eurecom pages 16 et 17 de ses conclusions qui portent en réalité sur la motivation de la sentence, qualifiée par cette dernière, de «'limitée'» à des considérations très générales et à des affirmations péremptoires, ne relèvent pas de la compétence du juge de l'annulation.



Il en est de même du grief développé page 18 de ses conclusions tiré du «'défaut de réponse de l'arbitre à sa prétention'», la société Eurecom sous couvert d'un défaut de motivation, critiquant en réalité le bien-fondé du raisonnement suivi par l'arbitre.



Enfin, le reproche fait à l'arbitre page 19 de ses conclusions de ne pas avoir exposé les moyens de la société Eurecom est sans lien avec un défaut de motivation ou le non-respect par l'arbitre de sa mission.



S'agissant de la demande au titre des frais de procédure engagés par la société ECC Conseils et Mme [C] [R] mis à la charge de la société Eurecom, celle-ci ne peut pas plus valablement soutenir que l'arbitre n'a pas motivé sa décision en équité alors que ce dernier a retenu «' de même qu'Eurecom a pu légitimement engager des frais de procédure, il n'est pas illogique qu'ECC soit dans une situation d'avoir dû faire de même, avec des frais de l'article 700 du code de procédure civile que le cabinet cédant chiffre à 30900€. Cette longue procédure qui aurait probablement pu être évitée si M. [D] et ses associés dans la société Eurecom avait pris le temps d'une analyse des méthodes us et coutumes de Mme [R] pour créer le climat de confiance qui n'aurait pas dû disparaître dans la migration paisible de client entre un cabinet et son successeur».



Ce faisant, le tribunal arbitral n'a fait que statuer comme il lui était demandé en amiable compositeur par une décision motivée tant sur le rejet de la demande au titre des «'manquements techniques imputables à Mme [R]'» que sur la condamnation de la société Eurecom au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





Le moyen tiré de la méconnaissance par l'arbitre de la mission d'amiable compositeur et du défaut de motivation manque donc en fait et doit en conséquence être rejeté.





Sur le moyen d'annulation tiré de la violation du principe de la contradiction (article 1492, 4°)





Moyens de parties



La société Eurecom reproche à l'arbitre d'avoir fait référence dans la sentence à une prétendue pratique professionnelle liée au contenu des actes de cession sans permettre aux parties d'en débattre contradictoirement et ce faisant d'avoir violé le principe du contradictoire.



Les intimés répliquent que ce motif est inopérant dès lors que l'arbitre n'a fait qu'analyser le contrat de cession en cause pour relever que le volume des factures engagées par Eurocom ne pouvait être mis au débit du prédécesseur tout en relevant à titre surabondant que ce n'était jamais porté dans les actes de rachat.





Réponse de la cour



L'article 1492, 4°, du code de procédure civile dispose que le recours en annulation n'est ouvert que si le principe de la contradiction n'a pas été respecté.



Le principe de la contradiction permet d'assurer la loyauté des débats et le caractère équitable du procès. Il interdit qu'une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter. Il interdit également que des écritures ou des documents soient portés à la connaissance du tribunal arbitral sans être également communiqués à l'autre partie, et que des moyens de fait ou de droit soient soulevés d'office sans que les parties aient été appelées à les commenter.



En l'espèce, il ne peut être sérieusement soutenu par la société Eurecom que l'arbitre aurait violé le principe du contradictoire au motif que la sentence mentionne « ceci n'est à notre connaissance jamais porté dans les actes de rachat et manifestement pas d'avantage ici ».



En effet, comme le relève elle-même la société Eurecom page 20 de ses écritures, l'arbitre a fondé sa décision sur la seule analyse du contrat de cession, constatant que les factures de sous-traitance engagées pour corriger les raccourcis et omissions dans les derniers bilans de clients ne pouvaient être portées au débit du prédécesseur, l'acte de cession ne le prévoyant pas, la référence aux usages professionnels n'étant que surabondante.



Il résulte de ce qui précède que le recours en annulation doit être rejeté.



En application de l'article 1498 alinéa 2 du code de procédure civile, ce rejet du recours en annulation emporte automatiquement l'exequatur à cette sentence arbitrale.





Sur l'article 700 du code de procédure civile



La société Eurecom, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée sur ce fondement à payer à chacun des intimées la somme de 10.000€.











PAR CES MOTIFS :



Rejette le recours en annulation formée contre la sentence rendue le 28 octobre 2022 par l'arbitre unique, M. [S] [N],



Dit que ce rejet confère l'exequatur à la sentence rendue le 28 octobre 2022 par l'arbitre unique, M. [S] [N],



Condamne la société Eurecom à payer la somme de 10.000€ à la société ECC Conseils et la somme de 10.000€ à Mme [C] [R] en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Condamne la société Eurecom aux dépens.





LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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