23 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/02283

Pôle 4 - Chambre 13

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 23 AVRIL 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02283 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDBYA



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Janvier 2021 - Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 19/14239



APPELANT



Monsieur [E] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Ayant pour avocat postulant Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Michel DUHAUT, avocat au barreau de Nice, substitué par Me Steeve GRASSI, avocat au barreau de Nice



INTIMEE



S.A.S. DE LEGE DATA - CJDA venant aux droits de la SAS DARRICAU PECASTAING venant elle-même aux droits de la SCP DARRICAU PECASTAING

[Adresse 3]

[Localité 4]

Ayant pour avocat postulant Me Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069

Ayant pour avocat plaidant Me Gérard VANCHER, avocat au barreau de Paris, substitué par Me Frédérique LAHANQUE, avocat au barreau de Paris





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport, et devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère



Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI







ARRET :



- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 23 avril 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et parVictoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.




* * *

A la suite de cessions d'actions croisées, MM. [E] [Z] et [G] [U] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris, respectivement des chefs de complicité d'abus de biens sociaux et de recel d'abus de biens sociaux.



Le 6 décembre 2007, la cour d'appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation, a déclaré M. [Z] coupable de complicité d'abus de biens sociaux et M. [U] coupable de complicité de recel du même délit au préjudice de la société fermière du casino municipal de Cannes (SFCMC), les condamnant solidairement à lui payer la somme de 67 millions d'euros à titre de dommages et intérêts.



Le pourvoi formé par MM. [Z] et [U] contre cet arrêt a été rejeté le 14 janvier 2009.



Considérant que leurs droits à participation et à intéressement avaient été affectés par l'effet de ces délits, plusieurs salariés de la SFCMC ont assigné leur employeur devant le conseil de prud'hommes de Cannes.



La SFCMC ayant soulevé l'incompétence ratione materiae du conseil de prud'hommes de Cannes, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, statuant sur contredit de compétence, a, par arrêt du 29 novembre 2011, déclaré le conseil de prud'hommes incompétent au profit du tribunal de grande instance de Grasse.



Par acte extrajudiciaire du 26 février 2013, les salariés de la SFCMC ont fait assigner en intervention forcée MM. [Z] et [U] devant le tribunal de grande instance de Grasse, pour voir reconnaître leur responsabilité délictuelle dans la réalisation de leur préjudice.



Par jugement du 10 septembre 2013, réputé contradictoire, M. [U] n'ayant pas comparu, le tribunal de grande instance de Grasse a donné acte à certains salariés de leur désistement, débouté les autres de leurs demandes contre la SFCMC, mais constatant d'une part que la faute caractérisée par la condamnation pénale définitive n'était pas contestable et d'autre part qu'ils justifiaient d'un préjudice, a ordonné, avant-dire droit, une mesure d'instruction pour procéder à son évaluation.



Sur appel de MM. [Z] et [U], le 2 décembre 2014, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement en ce qu'il a constaté le désistement de certains salariés et rejeté les demandes formées contre la SFCMC, a annulé la signification de l'assignation délivrée à M. [U], mis ce dernier hors de cause et déclaré prescrite l'action engagée contre M. [Z].



Sur le pourvoi formé par les salariés de la SFCMC, le14 avril 2016, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence uniquement en ce qu'il a déclaré prescrite l'action engagée à l'encontre de M. [Z].





Par arrêt du 12 octobre 2017, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, désignée comme cour de renvoi, a déclaré recevable l'action et, jugeant que la fraude commise par M. [Z] était susceptible d'avoir des conséquences sur le droit à intéressement des salariés, a ordonné une expertise comptable.



Dans son rapport daté du 3 mars 2020, l'expert a procédé au retraitement de l'intéressement et de la participation dus aux salariés de la SFCMC et déterminé les sommes devant être reversées fin 2019 selon quatre hypothèses.



Par assignation en date du 30 novembre 2020, les salariés de la SFCMC ont fait assigner M. [Z] en paiement des sommes qu'ils estiment leur être dues devant le tribunal judiciaire de Grasse, lequel par jugement en date du 20 avril 2022 les a déboutés de leur demande constatant qu'il n'était saisi sur le fond d'aucune prétention au sens du code de procédure civile. Un appel a été interjeté à l'encontre de cette décision.



Estimant qu'en raison de la nullité de l'assignation délivrée à M. [U], il se retrouve désormais seul à assumer la charge de cet éventuel dommage, M. [Z] a, selon exploit d'huissier en date du 29 novembre 2019, fait assigner la SCP Darricau Pecastaing, huissier de justice, en responsabilité civile professionnelle devant le tribunal judiciaire de Paris, qui par jugement en date du 13 janvier 2021, a :

- déclaré l'action de M. [Z] irrecevable comme étant prescrite,

- débouté la SCP Darricau-Pecastaing aux droits de laquelle vient la SAS De lege lata-CDJA de sa demande reconventionnelle en indemnisation,

- condamné M. [Z] aux dépens,

- dit n'avoir pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'avoir pas lieu à exécution provisoire,

- rejeté le surplus des demandes.



M. [Z] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe le 3 février 2021.



Dans ses conclusions déposées et notifiées le 5 janvier 2024, M. [E] [Z] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :


débouté la SCP Darricau- Pecastaing aux droits de laquelle vient la SAS De lege lata-CDJA de sa demande reconventionnelle en indemnisation,

dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.


- infirmer pour le surplus le jugement et notamment en ce qu'il a :


déclaré son action irrecevable comme étant prescrite,

l'a condamné aux dépens,

rejeté le surplus de ses demandes


et statuant à nouveau,

- déclarer son action recevable et bien fondée,

- condamner la SAS De lege lata-CDJA, venant aux droits de la SCP Darricau- Pecastaing, à réparer la perte de chance qu'elle lui a fait subir par son fait fautif retenu par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 2 décembre 2014, et par un lien de causalité direct et certain, en lui payant la somme de 187 801,50 euros à titre de dommages et intérêts,

- si mieux plaise à la cour, surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une décision passée en force de chose jugée soit rendue dans le contentieux engagé à son encontre par les salariés de la SFCMC, avant de fixer le montant des dommages et intérêts pouvant lui être alloués en réparation de la perte de chance qu'il invoque,

- débouter la SAS De lege lata-CDJA, venant aux droits de la SCP Darricau- Pecastaing, de l'ensemble de ses demandes, plus amples ou contraires, outre appel incident,

y ajoutant,

- condamner la SAS De lege lata-CDJA, venant aux droits de la SCP Darricau- Pecastaing, à lui verser une indemnité de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de l'avocat dans les formes de l'article 699 du code de procédure civile.



Dans ses conclusions déposées et notifiées le 12 janvier 2024, la SAS De lege lata-CDJA, venant aux droits de la SAS Darricau- Pecastaing, venant elle-même aux droits de la SCP Darricau-Pecastaing, demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle vient aux droits de la SAS Darricau- Pecastaing, venant elle-même aux droits de la SCP Darricau-Pecastaing,

- à titre principal, confirmer la décision en qu'elle a jugé prescrites les demandes formulées par M. [Z] et les a déclarées irrecevables,

- à titre subsidiaire, juger que les conditions de l'article 1240 du code civil ne sont pas réunies,

- débouter en conséquence M. [Z] de l'intégralité de ses demandes,

en tout état de cause,

- rejeter la demande de sursis à statuer,

- condamner M. [Z] au paiement de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de maître Gérard Vanchet, avocat.



La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 janvier 2024.




SUR CE,



Sur la recevabilité de l'action de M. [Z]



Pour déclarer l'action prescrite sur le fondement de l'article 2224 du code civil, le tribunal a retenu que :

- le grief relatif aux manquements de l'huissier de justice dans l'absence de précision des diligences accomplies pour remettre l'acte à M. [U] a été porté pour la première fois à la connaissance de M. [Z] lorsque M. [U] l'a soulevé devant la cour d'appel par des conclusions signifiées le 22 avril 2014 selon les termes de l'arrêt du 2 décembre 2014,

- à cette date, il connaissait donc les faits fondant son action en responsabilité civile,

- l'action a été introduite le 20 novembre 2019 alors que la prescription était acquise depuis le 21 avril 2019 à minuit.



L'appelant soutient au contraire que :

- le principe posé par l'article 2224 du code civil conduit à requérir que la victime connaisse, ou soit en mesure de connaître, les faits fondant la responsabilité qu'elle peut engager,

- le point de départ du délai de prescription d'une action en responsabilité délictuelle est la date à laquelle les conditions prévues par l'article 1382, devenu 1240,du code civil sont réunies,

- la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la manifestation du dommage et non de la commission de la faute,

- il n'a pu avoir connaissance du dommage que lui a causé l'huissier de justice qu'à compter du 2 décembre 2014, date de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a prononcé la nullité de la signification de l'assignation délivrée à M. [U], de sorte que, disposant d'un délai allant jusqu'au 2 décembre 2019 pour rechercher sa responsabilité, son action engagée par assignation signifiée le 29 novembre 2019 est parfaitement recevable,

- à la date du 22 avril 2014, il n'était informé que des potentiels manquements de la SCP d'huissier de justice, les autres conditions permettant d'engager sa responsabilité n'étant pas encore remplies,

- le délai de prescription de l'action en responsabilité fondée sur les conséquences de la nullité d'une assignation délivrée par un huissier de justice ne peut commencer à courir avant même que la nullité ne soit judiciairement prononcée et qu'elle ait en conséquence causé un dommage,

- les trois critères cumulatifs permettant d'engager une action en responsabilité à l'encontre de la SCP d'huissier de justice ont été réunis au plus tôt le 2 décembre 2014,

- l'action introduite le 20 novembre 2019 est recevable.



L'intimée réplique que :

- en matière contractuelle, seule la décision prononçant la nullité du contrat ou sa résolution peut constituer le point de départ de la prescription,

- l'acte extra-judiciaire qui n'est pas créateur de droits entre deux parties contractantes ne peut pas être analysé à l'aune des dispositions du code civil et il en est de même du point de départ de la prescription de l'action en responsabilité qui peut être introduite à l'encontre de l'huissier de justice qui en est l'auteur (sic),

- le point de départ de la prescription d'un acte unilatéral et plus précisemment d'actes extrajudiciaires court à compter non pas de la décision de justice annulant l'acte mais de la date à laquelle la demande en justice pour contester cet acte a été formée ou de la date à laquelle la victime était à même de déceler les prétendues insuffisances susceptibles de lui préjudicier, comme l'a jugé la cour d'appel de Paris dans deux arrêts des 15 janvier 2019 et 14 janvier 2020,

- c'est à la date de la première contestation de la validité de l'assignation signifiée à M. [U], soit le 22 avril 2014, que M. [Z] a eu connaissance au sens de l'article 2224 du code civil des faits lui permettant d'exercer son action,

- M. [Z] fait une analyse extensive de l'article 2224 du code civil qu'il confond avec l'article 1240 du même code, l'article 2224 n'évoquant que la connaissance des faits permettant à la victime d'exercer son action et non la faute et encore moins le lien causal,

- il ne saurait prétendre que la recevabilité de son action contre le commissaire de justice supposait que les trois éléments prévus par l'article 1240 soient préalablement réunis,

- n'étant ni l'émetteur ni le destinataire de l'assignation du 26 février 2013, M. [Z] n'avait aucune qualité pour exercer une action attitrée qui ne pouvait être exercée que par M. [U] et la SFCMC, mais il pouvait parfaitement anticiper les conséquences d'une décision annulant l'assignation litigieuse,

- il n'a pas jugé utile d'engager une quelconque action récursoire contre M. [U] ou d'agir contre l'huissier de justice auteur de la signification irrégulière dès le mois d'avril 2014,

- en cas d'action en garantie exercée par M. [Z] contre M. [U], le point de départ du délai de prescription se serait situé à la date où l'un et l'autre étaient assignés en garantie par la SFCMC, soit en février 2013,

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le délai de prescription avait commencé à courir le 22 avril 2014 et était arrivé à son terme le 22 avril 2019 pour en déduire que l'assignation du 29 novembre 2019 était tardive et n'avait eu aucun effet interruptif.



L'action en responsabilité des huissiers de justice devenus commissaires de justice relève de la prescription prévue à l'article 2224 du code civil selon lequel 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.



Il résulte de ces dispositions que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.



Par arrêt du 2 décembre 2014, devenu irrévocable sur ce point, la cour d'appel d'Aix en Provence a considéré que l'assignation délivrée à M. [U] le 26 février 2013, au moyen d'un procès-verbal de recherches infructueuses, était irrégulière, de sorte qu'il en a prononcé l'annulation.



Cette date constitue la date de réalisation du dommage de M. [Z], peu important qu'il ait eu connaissance pour la première fois de l'argumentation de M. [U] par les conclusions signifiées par celui-ci devant la cour le 22 avril 2014, dès lors qu'à cette date son préjudice n'était qu'éventuel.



L'assignation ayant été délivrée le 29 novembre 2019, soit dans le délai de cinq ans à compter du 2 décembre 2013, l'action de M. [Z] est recevable.



Il convient, par conséquent, d'infirmer le jugement de ce chef.



Sur la faute du commissaire de justice instrumentaire



M. [Z] prétend que :

- une décision irrévocable doit bénéficier d'une présomption de vérité pour ce qu'elle constate et dont elle a tiré des conséquences de droit, de sorte qu'on peut admettre la validité de la motivation qui renvoie aux motifs de cette décision,

- l'intimée n'a pas formé tierce-opposition contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence qui a retenu la faute du commissaire de justice,

- les éléments constitutifs de la responsabilité civile extra contractuelle du commissaire de justice sont parfaitement réunis en ce que dans son arrêt du 2 décembre 2014, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a jugé que le commissaire de justice n'avait pas indiqué avec précision les diligences accomplies et qu'en toute hypothèse, elles ont été insuffisantes, ce qui a directement conduit à l'annulation de la signification de l'assignation devant le tribunal judiciaire de Grasse, ce point n'ayant pas été censuré par la Cour de cassation,

- la jurisprudence apprécie rigoureusement le comportement du commissaire de justice qui doit relater les diligences précises et concrètes effectuées pour trouver la véritable adresse du destinataire de l'acte, la jurisprudence jugeant classiquement que la signification d'un acte selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile est irrégulière dès lors que le nom et l'adresse du destinataire étaient mentionnés dans l'annuaire,

- les manquements du commissaire de justice sont établis en ce que l'information concernant l'adresse de M. [U] était parfaitement accessible sur le dernier annuaire paru, ainsi que sur l'avant dernier, à la date à laquelle il devait délivrer l'assignation.



La société De lege data-CDJA fait valoir que :

- M. [Z] pose comme postulat que le commissaire de justice a commis une faute car l'assignation a été annulée par l'arrêt du 2 décembre 2014 alors qu'il ne peut puiser dans les motifs de cette décision car la motivation d'une décision par référence aux motifs d'une autre est prohibée par la Cour de cassation qui censure régulièrement des jugements motivés de la sorte par application des articles 455 et 458 du code de procédure civile,

- l'arrêt du 2 décembre 2014 ne lui est pas opposable car elle n'était pas partie à cette instance et n'a pu fournir aucune explication pour défendre la validité de son acte, cette décision n'étant pas revêtue à son égard de l'autorité de la chose jugée,

- M. [Z] doit rapporter la preuve au sens de l'article 9 du code de procédure civile des faits qu'il invoque et notamment de l'accomplissement fautif par le commissaire de justice du mandat qui lui était confié de signifier une assignation à M. [U],

- la nullité de l'acte a été prononcée sur la base d'éléments factuels qui ont été présentés de manière unilatérale, non contradictoire et manifestement erronée par M. [U], soulignant qu'à l'époque l'huissier de justice n'a pas été appelé pour s'expliquer,

- l'analyse des décisions versées au débat par M. [Z], qui sont les seules pièces dont dispose la cour, démontre que M. [U] changeait beaucoup de domicile et qu'il ne peut être reproché au commissaire de justice de ne pas être en possession d'un annuaire diffusé en mai 2023, soit trois mois après la délivrance de l'assignation, ce qui exclut toute faute de sa part,

- une tierce opposition a été envisagée mais d'une part sa recevabilité et son utilité ont paru plus qu'aléatoires dans la mesure où l'arrêt du 2 décembre 2014 a été suivi d'un arrêt de la Cour de cassation puis d'un renvoi à la cour d'appel d'Aix en Provence et d'autre part elle est apparue inopportune en ce que l'action engagée par l'appelant plus de six ans après la signification de l'acte est manifestement prescrite.



La responsabilité de l'huissier de justice, devenu commissaire de justice, chargé de délivrer un acte, est une responsabilité de droit commun qui suppose la démonstration d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre l'une et l'autre. Il en résulte, notamment, que le préjudice invoqué doit être certain, qu'il s'agisse du préjudice entier ou d'une perte de chance.



Aux termes des articles 654 et 659 du code de procédure civile, la signification des actes doit être faite à personne et lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile ni résidence ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.



La procédure de l'article 659 ne peut donc valablement être mise en oeuvre que dans les cas où les diligences nécessaires n'ont permis de découvrir ni domicile ni résidence ni lieu de travail de la personne à qui l'acte doit être signifié.



L'arrêt du 2 décembre 2014 de la cour d'appel d'Aix en Provence ayant prononcé l'annulation de l'assignation délivrée par le commissaires de justice en raison d'un défaut de diligences a force de chose jugée à l'égard de M. [Z].



Il appartenait au commissaire de justice de former tierce opposition ce qu'il dit avoir envisagé mais n'a pas fait et il ne peut plus contester sa faute telle qu'elle a été reconnue par la cour.



Il convient de relever de surcroît, même si l'assignation d'avoir à comparaître devant le tribunal judiciaire de Grasse délivrée le 26 février 2023 à M. [U] n'est pas produite devant cette cour, qu'il résulte néanmoins des mentions factuelles, non contestées, de l'arrêt du 2 décembre 2014 que cet acte indique qu'à l'adresse du [Adresse 2], il n'a pas été possible à l'huissier de justice de rencontrer le destinataire de l'acte, le gardien déclarant que M. [U] n'était plus dans l'immeuble et était parti sans laisser d'adresse depuis plus de cinq ans et que les recherches sur internet se sont révélées infructueuses, aucun abonné répondant à ce nom à l'adresse indiquée n'ayant été identifié.



M. [Z] démontre par la production de documents émanant des sociétés Pages jaunes, Orange et Numéricable qu'à la date de délivrance de l'assignation l'adresse de M. [U], au [Adresse 6], avait été publiée avec deux numéros de téléphone dans les annuaires Pages blanches des éditions 2010 et 2011 distribuées en mai et qu'au moins un des numéros de téléphone associé à cette adresse ne faisait l'objet d'aucune demande de non-parution et n'était donc pas inscrit en [Localité 7] rouge.

Il justifie également grâce à un procès-verbal de constat daté du 19 décembre 2013, certes postérieur de quelques mois à la date de délivrance de l'acte mais dont les résultats permettent de penser qu'une telle recherche n'aurait pas été infructueuse quelques mois auparavant, qu'une recherche sur Google au nom de M. [G] [U] aboutit à plusieurs résultats en lien avec des sociétés.



Il se déduit de ses éléments que l'huissier de justice instrumentaire, devenu commissaire de justice, n'a pas effectué toutes les diligences nécessaires pour délivrer l'acte à la personne de M. [U], ce qui a conduit à son annulation. Ce faisant la SCP Darricau-Pecastaing, aux droits de laquelle vient la SAS De lege lata-CDJA, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile professionnelle, de sorte que même si elle avait été partié à l'instance ayant abouti à l'annulation de l'assignation, la décision de la cour aurait été identique.



Sur le lien de causalité et le préjudice



M. [Z] soutient que :

- il a subi un préjudice en relation de causalité directe avec la faute du commissaire de justice qui le prive définitivement de la possibilité de pouvoir réclamer à M. [U] la part pouvant lui incomber, en cas de condamnation solidaire prononcée à leur encontre, comme souhaitent le réclamer les salariés de la SFCMC,

- il ne dispose plus, contrairement à ce qui est prétendu, de la possibilité d'engager une quelconque action à l'encontre de M. [U] dès lors que la cour d'appel d'Aix-en-Provence l'a définitivement et irrévocablement mis hors de cause par un arrêt rendu le 2 décembre 2014,

- son sort aurait été amélioré en l'absence de faute du commissaire de justice dès lors que condamnés tous les deux solidairement par la cour d'appel de Paris à payer à la société SFCMC la somme de 67 millions d'euros à titre de dommages et intérêts, leur solidarité, y compris face aux salariés de cette société, comme ayant tous deux concouru de la même façon à la réalisation d'un même dommage, ne fait aucun doute,

- le préjudice, même s'il ne peut s'analyser qu'en une perte de chance, est direct et certain en ce que la faute lui a fait perdre une éventualité favorable tenant à la possibilité de pouvoir répondre de la condamnation solidairement avec M. [U],

- la réalité de la perte de chance est subordonnée au prononcé de condamnations à son encontre et au profit des salariés la société SFCMC,

- les dernières demandes de ceux-ci s'élevant à la somme de 375 603 euros, sa perte de chance peut être évaluée à la somme de 187 801,50 euros,

- la somme de 68 millions versée à la société SFCMC à titre de dommages et intérêts a vocation à réparer son propre préjudice en raison d'une sous-évaluation de la valeur de ses titres lors de leurs cessions à la société CIP et d'une surévaluation des titres de la société Gray d'Albion qu'elle a acquis et non d'indemniser les salariés,

- un sursis à statuer peut également être prononcé dans l'attente d'une décision passée en force de chose jugée dans le litige l'opposant aux salariés de la société SFCMC.



La SAS De lege lata-CDJA répond que :

- M. [Z] mélange le droit d'agir des salariés et le sien car le point de départ du délai d'action à introduire contre M. [U] ne se situe pas à la même date que le point de départ de la prescription de l'action des salariés (sic),

- le point de départ de la prescription de l'action récursoire que M. [Z] pouvait exercer contre M. [U] se situait en février 2013, date de l'assignation délivrée à leur encontre par les salariés de la société SFCMC devant le tribunal judiciaire de Grasse et non au jour de l'arrêt de condamnation de 2007,

- l'appelant commet une erreur en prétendant qu'il ne peut pas poursuivre M. [U] puisque l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne fait que prononcer sa mise hors de cause sans juger prescrite ou irrecevable son action vis à vis de lui et ne produit donc aucun effet définitif dans leurs rapports,

- M. [Z], qui n'explique pas sa carence à agir contre M. [U] dès la signification des conclusions de celui-ci en avril 2014 dont il pouvait être déduit qu'il risquait d'être condamné seul, en sorte qu'il est seul responsable de la stratégie procédurale qui est la cause exclusive du préjudice invoqué,

- lorsqu'il sera condamné M. [Z] disposera d'une action récursoire contre M. [U] pour obtenir le paiement de la moitié des sommes qu'il aura à payer, de sorte que son action contre elle est prématurée faute d'avoir épuisé toutes les voies de droit contre celui qu'il considère comme son débiteur,

- M. [Z] n'explique pas pourquoi il n'a pas demandé le remboursement de la moitié de la somme de 68 543 179 euros à M. [U] et ne démontre pas qu'il entendait lui demander de participer au paiement des condamnations susceptibles d'être prononcées au profit des salariés de la SFCMC,

- la perte de chance de ne pas avoir pu faire supporter par M. [U] la moitié des condamnations qui pourraient être ultérieurement prononcées contre lui, suppose que l'appelant rapporte la preuve de la solvabilité de M. [U], ce qui n'est pas le cas,

- la faute, non prouvée, du commissaire de justice n'est nullement en relation causale avec la perte de chance dont se prévaut M. [Z] mais résulte de l'absence d'action exercée par M. [Z] contre M. [U] et de l'insolvabilité de ce dernier,

- le préjudice ne sera effectif que le jour où l'appelant sera définitivement condamné dans le cadre de la procédure actuellement pendante ; or le tribunal, statuant après le dépôt du rapport d'expertise, a débouté les salariés et rien ne démontre que la cour infirmera cette décision,

- la perte de chance invoquée n'est ni née, ni actuelle, ni certaine,

- il n'est pas démontré que la somme de 68 543 179 euros versée à la société SFCMC ne permettra pas de remplir les salariés de leurs droits,

- M. [Z] retient sans justification la plus forte des trois sommes proposées par l'expert en sorte que sa demande est fantaisiste,

- la demande de sursis à statuer sera rejetée dans la mesure où il a été démontré que l'action diligentée par M. [Z] est prescrite.



Il incombe à celui qui entend obtenir réparation d'une perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l'événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable, le caractère hypothétique d'une telle perte de chance excluant toute indemnisation.

La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.



L'existence d'une faute imputable à MM. [Z] et [U] résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 décembre 2007 qui a retenu leur culpabilité dans la commission d'infractions et les a condamnés solidairement au paiement de la somme de 67 millions d'euros à titre de dommages et intérêts à la société SFCMC.



La responsabilité d'un professionnel du droit ne présente pas de caractère subsidiaire et est certain le dommage subi par l'effet de sa faute, quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice.



Si l'assignation délivrée par la société de commissaires de justice à M. [U] n'avait pas été déclarée nulle en raison d'un manquement de diligences du commissaire de justice, il est très probable que ce dernier aurait été condamné de la même façon solidairement à indemniser les salariés de la société SFCMC de leur préjudice.



Cependant en l'absence de décision de condamnation rendue à ce jour, le préjudice est encore éventuel.



Il convient par conséquent de surseoir à statuer dans l'attente qu'une décision définitive soit rendue dans le litige opposant M. [Z] aux salariés de la société SFCMC, conformément à l'article 378 du code de procédure civile qui prévoit que la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.



Les autres demandesseront réservées.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant par arrêt mixte,



Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la SAS De lege lata-CDJA, venant aux droits de la SCP Darricau- Pecastaing, de sa demande reconventionnelle en indemnisation et dit n'y avoir lieu à condamnations sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



Statuant à nouveau,



Déclare recevable l'action de M. [E] [Z],



Dit que la SAS De lege lata-CDJA, venant aux droits de la SAS Darricau- Pecastaing, venant elle-même aux droits de la SCP Darricau- Pecastaing, a commis une faute,



Sursoit à statuer sur la demande d'indemnisation de M. [E] [Z] jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue dans le litige l'opposant aux salariés de la société SFCMC,



Ordonne le retrait de l'affaire du rôle de la cour,



Dit que l'affaire sera remise au rôle des affaires en cours sur justification par l'une ou de l'autre des parties de ladite décision définitive,



Réserve les dépens et les demandes d'indemnité procédurale.





LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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