18 avril 2024
Cour d'appel de Rouen
RG n° 23/00053

Ch. civile et commerciale

Texte de la décision

N° RG 23/00053 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JIHT







COUR D'APPEL DE ROUEN



CH. CIVILE ET COMMERCIALE



ARRET DU 18 AVRIL 2024









DÉCISION DÉFÉRÉE :



2022000148

Tribunal de commerce de Dieppe du 16 décembre 2022





APPELANTE :



S.A.S. RECYCLAGE DE L'EPINE

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée et assistée par Me Pascale RONDEL de la SAS FORTIUM CONSEIL, avocat au barreau de DIEPPE







INTIMEE :



S.A.S. VALGO

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée et assistée par Me Camille PERCHERON de la SCP STREAM AVOCATS AND SOLLICITORS, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Sylvaine CHEVAL, avocat au barreau du HAVRE







COMPOSITION DE LA COUR  :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 14 février 2024 sans opposition des avocats devant M. URBANO, Conseiller, rapporteur.



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :



Mme FOUCHER-GROS, présidente

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère





GREFFIER LORS DES DEBATS :



Mme RIFFAULT, greffière





DEBATS :



A l'audience publique du 14 février 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 04 avril 2024 puis prorogé à ce jour.





ARRET :



CONTRADICTOIRE



Prononcé publiquement le 18 avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,



signé par Mme FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière.






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* *





EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE



La SAS Recyclage de l'Epine exerce une activité de récupération de déchets triés.



La SASU Valgo est spécialisée dans la dépollution et autres services de gestion des déchets.



Déclarant être liée à la SASU Valgo par un contrat du 29 juin 2020 portant sur la mise en place d'un atelier de concassage devant être édifié sur un chantier à [Localité 3], la SAS Recyclage de l'Epine a émis diverses factures qui sont demeurées impayées puis a fait assigner la société Valgo par acte d'huissier du 7 février 2022 afin d'obtenir le paiement de 80 342,82 euros au titre des factures impayées et de 475 974,40 euros au titre du solde du marché.



La société Valgo a soulevé l'irrecevabilité de la demande au motif que le contrat qui lui était opposé par la société Recyclage de l'Epine avait été signé par elle et par un tiers, la société Samog.



Par jugement du 16 décembre 2022, le tribunal de commerce de Dieppe a :



- déclaré irrecevable la demande de la société Recyclage de l'Epine,



- condamné la société Recyclage de l'Epine au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



- condamné la société Recyclage de l'Epine aux entiers dépens de la présente instance liquidés à la somme de 69,59 euros dont TV A à 20%.



La société Recyclage de l'Epine a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 6 janvier 2023.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2024.



Par note du 19 mars 2024, la cour a demandé aux parties d'émettre toutes observations sur le point suivant :



La SAS Recyclage de l'Epine réclame le paiement de 475 974,40 euros au titre du solde de son marché afin d'être « indemnisée de son travail et de ses investissements » tout en affirmant qu'elle a prononcé la résiliation du contrat la liant à la SASU Valgo du fait des défaillances de cette dernière.



Toutefois, dès lors que la résiliation serait prononcée, l'indemnisation de la SAS Recyclage de l'Epine ne pourrait porter que sur une perte de chance d'avoir pu mener son chantier à terme et ne pourrait tendre qu'à des dommages et intérêts et non au paiement du solde du marché résilié.



Par note du 20 mars 2024, la SAS Recyclage de l'Epine a soutenu que dans le cas où le contrat la liant à la société Valgo aurait effectivement été résilié, son préjudice s'analyse effectivement en une perte de chance.



Par note du 20 mars 2024, la société Valgo maintient son argumentation selon laquelle la SAS Recyclage de l'Epine n'est pas son contractant, qu'aucune résiliation ou résolution n'est intervenue et qu'aucune chance n'a été perdue.







EXPOSE DES PRETENTIONS



Vu les conclusions du 20 juin 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Recyclage de l'Epine qui demande à la cour de :



- recevoir la société Recyclage de l'Epine en leur appel et le dire bien fondé,



- infirmer le jugement rendu le 16 décembre 2022 par le Tribunal de commerce de Dieppe en ce qu'il a :



- déclaré irrecevable la demande de la société Recyclage de l'Epine,



Et, statuant à nouveau,



- déclarer recevable les demandes de la société Recyclage de l'Epine à l'encontre de la société Valgo,



- débouter la société Valgo de sa demande tendant à voir prononcer l'irrecevabilité de la demande nouvelle de la société Recyclage de l'Epine tendant à voir reconnaître l'existence d'un contrat verbal entre ces deux sociétés,



- débouter la société Valgo de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,



- condamner la société Valgo à payer à la société Recyclage de l'Epine les factures restées impayées pour 80 342,82 euros assorti des intérêts appliqués par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à la date d'échéance du délai de paiement applicable (Article 5 des CGV).



- condamner la société Valgo à payer à la société Recyclage de l'Epine les factures restées impayées pour 80,00 euros au titre des pénalités prévues par le décret 2012'1115,



- condamner la société Valgo à payer à la société Recyclage de l'Epine la somme de 475.974,40 euros assorti des intérêts appliqués par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à la date d'échéance du délai de paiement applicable, et ce sous huit jours à compter de la date de cette mise en demeure,



- débouter la société Valgo de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,



En tout état de cause,



- infirmer le jugement rendu le 16 décembre 2022 par le tribunal de commerce de Dieppe en ce qu'il a :



- condamné la société Recyclage de l'Epine au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



- condamné la société Recyclage de l'Epine aux entiers dépens de la présente instance liquidés à la somme de 69,59 euros dont TVA à 20%,



Y ajoutant,



- condamner la société Valgo à régler à la société Recyclage de l'Epine la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût du constat de la SCP d'Huissiers Aubert du 27 mai 2021.





Vu les conclusions du 24 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Valgo qui demande à la cour de :



- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Dieppe en ce qu'il a déclaré la société Recyclage de l'Epine irrecevable en ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Valgo la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



- condamner la société Recyclage de l'Epine à payer à la société Valgo la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.



- condamner la même aux entiers frais et dépens de l'instance,



Subsidiairement,



- prononcer l'irrecevabilité de la demande nouvelle de la société Recyclage de l'Epine tendant à voir reconnaitre l'existence d'un contrat verbal entre elle et la société Valgo



En conséquence,



- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Dieppe en ce qu'il a déclaré la société Recyclage de l'Epine irrecevable en ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Valgo la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



- condamner la société Recyclage de l'Epine à payer à la société Valgo la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,



- condamner la même aux entiers frais et dépens de l'instance,



Très subsidiairement,



- débouter la société Recyclage de l'Epine de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,



- condamner la société Recyclage de l'Epine à payer à la société Valgo la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,



- condamner la même aux entiers frais et dépens de l'instance.








MOTIFS DE LA DECISION



Sur la recevabilité de la demande de la SAS Recyclage de l'Epine :



La SAS Recyclage de l'Epine soutient que :



- le contrat a été conclu entre la SASU Valgo et la SAS Recyclage de l'Epine ;



- l'acte réalisé par le dirigeant en dehors de son objet social est valable dans les sociétés à risque limité ;



- le concassage de béton qui a été demandé par la SASU Valgo correspond à l'objet social de la SAS Recyclage de l'Epine ;



- l'offre versée aux débats émane de la SAS Recyclage de l'Epine ; la SASU Valgo a payé des factures qui lui ont été adressées par la SAS Recyclage de l'Epine ; de nombreux documents ainsi qu'un procès-verbal de constat au cours duquel la SASU Valgo a indiqué avoir mandaté la SAS Recyclage de l'Epine pour effectuer la prestation de concassage démontrent qu'un contrat a été conclu entre les deux ;



- la mention d'un numéro RCS ou d'un code APE erroné sur l'offre de contrat résultent d'une erreur matérielle ;



- il a existé un contrat entre les parties, peu important qu'il ait été ou non établi par écrit et ce moyen ne constitue pas une demande nouvelle.





La SASU Valgo soutient que :



- l'offre du 29 juin 2020 a été émise par une société Samog exerçant sous l'enseigne RDE, le numéro du registre du commerce et des sociétés figurant sur le document et la SAS Recyclage de l'Epine n'est pas le contractant de la SASU Valgo ;



- l'activité de la SAS Recyclage de l'Epine ne concerne pas le concassage qui concerne la société Samog ;



- la SAS Recyclage de l'Epine ne peut articuler une demande en justice fondée sur une activité qui n'entre pas dans son objet social ;



- aucun contrat verbal ne saurait aller à l'encontre des termes d'un contrat écrit ; cette demande est en outre nouvelle en appel et la SASU Valgo, tenue par une clause attributive de compétence figurant dans le contrat, n'a pu soulever l'incompétence du tribunal de commerce de Dieppe sur la poursuite fondée sur un tel contrat verbal.







Réponse de la cour :



Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »



Le moyen tiré de ce que le contrat qui a lié les deux sociétés n'avait pas à être établi par écrit ne constitue qu'un moyen nouveau et non une demande nouvelle.



Par offre établie sur papier à entête « RDE » du 29 juin 2020, il a été proposé à la SASU Valgo de réaliser le concassage de 200 000 tonnes environ de béton sur 18 mois. Cette offre a été acceptée le 29 juin 2020 par la SAS Recyclage de l'Epine.



Il est exact que cette offre figure sur un papier comportant l'indication que le prestataire est une société par action simplifiée au capital social de 1 500 000 euros inscrite au registre du commerce et des sociétés de Neufchâtel en Bray sous le n° B351 840 970 sous un code APE 0812Z correspondant effectivement à la SAS Samog et non à la SAS Recyclage de l'Epine étant observé que le siège social est identique pour les deux sociétés.



Toutefois, il résulte de la lecture de la fiche Infogreffe produite par la SASU Valgo que, contrairement à ce qu'elle allègue, la SAS Samog n'exerce pas son activité sous une enseigne et notamment pas l'enseigne « RDE » qui correspond aux initiales de la SAS Recyclage de l'Epine.



Par ailleurs :



- l'offre du 29 juin 2020 contient le logo de la SAS Recyclage de l'Epine ;



- les conditions générales de ventes annexées à l'offre telle qu'elle est versée aux débats par l'appelante comportent le logo, la dénomination sociale, le numéro du registre du commerce et des sociétés, le SIREN ainsi que le code APE de la SAS Recyclage de l'Epine ;



- cette offre a été suivie d'une commande adressée par la SASU Valgo à son « fournisseur » dénommé Recyclage de l'Epine le 1er juillet 2020 ;



- les factures adressées par la SAS Recyclage de l'Epine à la SASU Valgo comportent le logo, la dénomination sociale, le numéro du registre du commerce et des sociétés, le SIREN ainsi que le code APE de la SAS Recyclage de l'Epine et aucune contestation portant sur l'identité du prestataire n'a été élevée par la SASU Valgo à l'occasion de ces envois ;



- la SASU Valgo a effectué les paiements de factures à la SAS Recyclage de l'Epine ainsi qu'il résulte des pièces comptables de cette dernière ;



- les courriers et courriers électroniques ont été exclusivement échangées entre la SAS Recyclage de l'Epine et la SASU Valgo ;



- la SASU Valgo a fait dresser un procès-verbal de constat par la SCP Chapin Tchibozo Nugeyre, huissiers de justice, les 1er, 2 et 6 septembre 2021 dans lequel l'huissier instrumentaire indique avoir été requis par la SASU Valgo qui « a mandaté la société Recyclage de l'Epine afin de réaliser la prestation de concassage du béton ».



La SASU Valgo n'a jamais contesté avant son assignation par la SAS Recyclage de l'Epine que cette dernière avait effectivement ouvert le chantier considéré et qu'elle avait réalisé les travaux à la suite de l'ouverture de ce chantier. Par ailleurs, la SASU Valgo ne conteste pas avoir payé diverses factures que la SAS Recyclage de l'Epine lui a adressées.



Il résulte de ces éléments que nonobstant les mentions erronées figurant en bas des deux pages de l'offre du 29 juin 2020, la SASU Valgo a effectivement contracté avec la SAS Recyclage de l'Epine et non avec la SAS Samog et qu'à la suite de cette offre, la SASU Valgo n'a eu de contacts qu'avec la SAS Recyclage de l'Epine et n'en a jamais eu avec la SAS Samog. Ce contrat est opposable à la société Valgo même si le code APE ou l'objet social de la SAS Recyclage de l'Epine ne prévoient pas spécifiquement qu'elle exerce une activité de concassage.



Il en résulte que la société Recyclage de L'Epine dispose de la qualité et de l'intérêt pour agir à l'encontre de la société Valgo au titre de la commande du 1er juillet 2020.



Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de la société Recyclage de l'Epine et celle-ci sera déclarée recevable.





Sur la demande présentée au titre de la fin du contrat :



La société Recyclage de l'Epine soutient que :



- les modifications du contrat imposées par la SASU Valgo résultaient d'une difficulté relative au permis de construire accordé au client de la SASU Valgo ; la SAS Recyclage de l'Epine n'a pas à supporter les conséquences de ces difficultés qui ne la concernent pas et elle doit être réglée du solde de son marché.



- la SASU Valgo a brutalement modifié les termes du contrat en prévoyant une suspension de la prestation de la SAS Recyclage de l'Epine laquelle lui a adressé sept mises en demeure portant sur le paiement de factures, et la résiliation du contrat est totalement imputable à la défaillance de la SASU Valgo ;





La société Valgo soutient que :



- le concassage du béton se réalisant en deux temps, un pré-broyage des plus gros morceaux puis le concassage proprement dit, la SASU Valgo a demandé « à son prestataire » de ne plus procéder qu'au pré-broyage ce qu'a refusé de façon illégitime la SAS Recyclage de l'Epine qui a souhaité renégocier le prix du marché alors qu'il restait à traiter 113 000 tonnes ;



- le 26 mai 2021, une réunion a été organisé sans succès pour tenter de résoudre le chantier. La société Recyclage de l'Epine a abandonné le chantier à cette date.



- La SASU Valgo a été contrainte de s'adresser à une société tierce pour un coût supérieur aux sommes réclamées par la SAS Recyclage de l'Epine ;



- les courriers versés aux débats font état d'une exception d'inexécution mais ne font pas été d'une résiliation ou résolution. Le contrat n'a jamais été résilié.





Réponse de la cour :



Il résulte des dispositions de l'article 1217 du code civil que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation, provoquer la résolution du contrat et demander réparation des conséquences de l'inexécution.



L'article 1226 du code civil dispose que : « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.

Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.

Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution ».



Contrairement aux affirmations de la SASU Valgo, la SAS Recyclage de l'Epine justifie qu'après avoir relancé celle-ci à diverses reprises, elle a considéré que leur contrat était résilié et ce par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juillet 2021 reçue le surlendemain, pour défaut de paiement des factures antérieurement émises et non contestées et pour modification substantielle des termes de ce contrat.



L'offre du 29 juin 2020 prévoit une durée d'exécution de 18 mois environ et le paiement des factures par virement « à 45 jours date de facture ».



Le bon de commande émanant de la SASU Valgo, qui a fait suite à l'offre du 29 juin 2020, prévoit une durée de chantier de 18 mois un prix total de marché de 996 015 euros HT soit 1 195 218 euros TTC et une livraison souhaitée le 22 décembre 2021.



Il ressort de la chronologie des faits que :



Par courrier du 28 avril 2021, la SAS Recyclage de l'Epine s'est plainte auprès de la SASU Valgo du « retard significatif » de paiement des factures et a demandé que soit payée à son échéance (15 mai 2021) la facture du 31 mars 2021. Ce courrier a mentionné la possibilité de suspendre l'intervention de la SAS Recyclage de l'Epine ou de résilier du contrat en cas de persistance de la défaillance.



Le 17 mai 2021, la SAS Recyclage de l'Epine a demandé par écrit à la SASU Valgo de payer une facture du 31 mars 2021 pour 91 799,82 euros à échéance du 15 mai 2021.



Le 3 juin 2021, la société Recyclage de l'Epine a écrit à la société Valgo : « Nous faisons suite à la réunion relative au marché visé en objet qui s'est tenue le mercredi 26 mai dans vos locaux (')

Aux cours de cette réunion, vous nous avez informé que le chantier allait connaitre un décalage de chantier non prévu, nécessitant une suspension de notre prestation de trois mois, du 1er juin au 1er septembre 2021.

Nous vous demandons de nous confirmer cette suspension du chantier et son impact en termes de délais contractuels »



Le 15 juin 2021, la SASU Valgo a écrit à la SAS Recyclage de l'Epine pour confirmer une information donnée oralement quelques jours plus tôt portant sur une période de suspension du concassage de trois mois en juin, juillet, août et septembre 2021 avec décalage des délais contractuels de trois mois également.



Le 18 juin 2021, la SAS Recyclage de l'Epine a écrit à la SASU Valgo pour demander à nouveau des précisions sur la période de suspension et la mettre en demeure d'avoir à régler la facture du 30 avril 2021 restée impayée à son échéance au 15 juin 2021 pour 46 740,42 euros. Dans cette lettre, la société Recyclage de l'Epine avise son contractant de la possibilité de résiliation du contrat si sa demande de paiement restait sans suite.



Le 16 juillet 2021, la SASU Valgo a confirmé la suspension d'une partie des prestations durant les mois de juin, juillet et août 2021, avec maintien de l'activité et préparation du béton avant reprise de l'activité entière le 1er septembre 2021.



Le 19 juillet 2021, la SAS Recyclage de l'Epine a écrit à la société Valgo : « (') vous nous précisez avoir indiqué lors de cette réunion (du 26 mai 2021) que le maintien de l'activité et la préparation du béton étaient de rigueur. Or, ce point n'a absolument pas été évoqué pendant cette réunion. Cette activité est par ailleurs indissociable de notre prestation, qui a été valorisé à l'euro/tonne concassée.



Vous nous précisez également que notre engagement contractuel reste plein et entier, et ce alors même que cette suspension de trois mois constitue une modification substantielle des conditions d'exécution du chantier.



Il nous est donc strictement impossible dans ces conditions de maintenir les matériels et équipements tels que vous semblez l'exiger.



Eu égard à ce qui précède, nous ne pouvons que maintenir les termes de notre courrier du 1er juillet 2021 resté sans suite, et confirmer la résiliation du contrat à vos torts exclusifs (..) » Cette lettre rappelle par ailleurs la mise en demeure de paiement de la facture du 30 avril 2021 restée impayée et expose qu'il en est de même de la facture du 31 mai 2021 à échéance au 15 juillet 2021 pour 80 342,82 euros et expose que la société Recyclage de l'Epine engage des poursuite devant le tribunal de commerce.



Par lettre du 6 août 2021, la société Valgo a pris acte de la résiliation du contrat sans reconnaître la légitimité des motifs invoqués par son contractant. Elle explique que sa demande de suspension temporaire du contrat est la suite des recours exercés contre les autorisations d'exploiter et de construire de son preneur avec comme conséquence un différé des réalisations des promesses de vente. Son « souci étant de mettre la réalisation des tyravaux en adéquation avec le planning de livraison du preneur afin de raccorder dépenses et recettes »



Le 27 août 2021, la SAS Recyclage de l'Epine a rappelé à la SASU Valgo que le paiement des factures n'avait pas été réalisé conformément aux dispositions contractuelles et que la modification imposée par Valgo entraînait une modification substantielle brutale et importante du marché justifiant la notification de la résiliation du contrat alors en outre que la facture du 31 mai 2021 à échéance au 15 juillet 2021 était restée impayée.



Le 24 septembre, la société Valgo a annoncé qu'elle sursoyait au paiement de la facture de 80 342,82 euros en raison de l'abandon du chantier par la société Recyclage de l'Epine et du préjudice qu'elle en subit.



Le 19 novembre 2021et le 24 décembre 2021, la SASU Valgo a été mise en demeure d'avoir à régler les factures restées impayées (80 342,82 euros) ainsi que le solde du marché (475 974,40 euros).





Il ressort de cette chronologie que, dès le 28 avril 2021, la SAS Recyclage de l'Epine s'est plainte auprès de la SASU Valgo du « retard significatif » de paiement des factures et avait déjà mentionné la possibilité de suspendre l'intervention de la SAS Recyclage de l'Epine ou de résilier le contrat en cas de persistance de la défaillance, que la demande en paiement a été réitérée le 17 mai 2021 et que la SAS Recyclage de l'Epine a notifié la résolution du contrat le 19 juillet 2021 bien avant que ne soit constaté l'arrêt du chantier.



La suspension du contrat imposée par la société Valgo pour des motifs qui lui sont purement personnels alors que le délai d'exécution contractuel était de 18 mois constitue une modification unilatérale du contrat qui justifie sa résiliation. De même, le fait de laisser impayées des factures d'un total de 80 342,82 euros constitue une méconnaissance grave du contrat liant les parties.



Dès lors, le moyen soutenu par la SASU Valgo selon lequel la SAS Recyclage de l'Epine a abandonné le chantier dès le 26 mai 2021, ce qu'elle aurait fait constater par procès-verbal d'huissier de justice dressé le 1er septembre 2021, est inopérant. Au regard de ses manquements à ses obligations contractuelles, elle doit supporter les conséquences de la résiliation du contrat.



La sanction prévue par l'article 1217 est la condamnation du contractant auquel la résolution est imputable à des dommages et intérêts réparant le préjudice subi par l'autre partie étant observé qu'en l'espèce, la rupture est intervenue alors que sur un total de 996 015 euros, la SAS Recyclage de l'Epine avait facturé 520 025,60 euros à la SASU Valgo, somme que cette dernière n'a pas contestée.



La SAS Recyclage de l'Epine ne peut toutefois solliciter le paiement du solde du marché dès lors que le contrat a été résolu et elle ne peut solliciter que l'octroi de dommages et intérêts indemnisant la perte de chance d'avoir pu mener le chantier à son terme et d'avoir obtenu le paiement intégral de sa prestation.



Aucune contestation n'étant élevée sur la réalisation des travaux facturés, le contrat a trouvé son terme 5 mois avant la date de livraison souhaité, et aucun élément ne permet de contester qu'à la date de la résolution du contrat, la SAS Recyclage de l'Epine aurait été en mesure d'achever intégralement sa prestation et lui ouvrant droit au paiement de l'intégralité du solde du marché.



Il en résulte que la perte de chance subie par la SAS Recyclage de l'Epine de finir ce chantier et d'obtenir le paiement intégral sera fixée à 90% du solde de ce marché, soit 475 974,40 x 90% = 428 376,96 euros.



La SASU Valgo sera condamnée à payer à la SAS Recyclage de l'Epine la somme de 428 376,96 euros de dommages et intérêts au titre de l'indemnisation de la perte de chance qu'elle a subie.





Sur la demande en paiement de factures :



La SAS Recyclage de l'Epine soutient que les factures n'ont pas été réglées dans le délai prévu (45 jours fin de mois).



Pour s'opposer à la demande en paiement, la SASU Valgo fait état de l'abandon de chantier de la SAS Recyclage de l'Epine, du préjudice qu'elle a subi, devant rechercher un nouveau prestataire pour achever le chantier dont le prix a été supérieur à celui proposé par la SAS Recyclage de l'Epine et de la compensation devant s'opérer entre la créance de la SAS Recyclage de l'Epine et sa dette.





Réponse de la cour :



L'article 1103 du code civil dispose que : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».



L'article 1104 du même code dispose que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public ».



Ainsi qu'il a été expliqué plus haut, la société Valgo ne peut utilement invoquer que son co-contractant a abandonné le chantier.



La SASU Valgo n'articule aucun moyen contestant le principe ou le montant de la somme réclamée par la SAS Recyclage de l'Epine au titre des factures impayées dont la date d'émission est antérieure au 15 juin 2021, date à laquelle elle a demandé la suspension de la phase de concassage. Par ailleurs, dès lors que la SASU Valgo se prévaut d'une compensation, elle reconnaît nécessairement être débitrice de la somme considérée.



La SASU Valgo sera condamnée au paiement de 80 342,82 euros avec intérêts appliqués par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à la date d'échéance du délai de paiement applicable selon l'article 5 des conditions générales de vente dont l'application n'a fait l'objet d'aucune contestation de la part de la SASU Valgo outre 80,00 euros au titre des pénalités prévues par le décret n° 2012-1115 du 2 octobre 2012 fixant le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement dans les transactions commerciales prévue à l'article L. 441-6 du code de commerce.



Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la SAS Recyclage de l'Epine aux dépens et au paiement de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SASU Valgo et cette dernière sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel comprenant le coût du procès-verbal de constat établi le 27 mai 2021 par la SCP Aubert ainsi qu'aux frais irrépétibles.







PAR CES MOTIFS



La cour statuant par arrêt contradictoire ;



Infirme le jugement du tribunal de commerce de Dieppe du 16 décembre 2022 en toutes ses dispositions ;



Statuant à nouveau :



Déclare recevable l'action diligentée par la SAS Recyclage de l'Epine contre la SASU Valgo ;



Y ajoutant :



Condamne la SASU Valgo à payer à la SAS Recyclage de l'Epine les sommes de :



- 80 342,82 euros avec intérêts appliqués par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à la date d'échéance du délai de paiement applicable au titre des factures impayées ;



- 80,00 euros au titre des pénalités prévues par le décret n° 2012-1115 du 2 octobre 2012 ;



- 428 376,96 euros de dommages et intérêts au titre de l'indemnisation de la perte de chance qu'elle a subie ;



Condamne la SASU Valgo aux dépens de première instance et d'appel comprenant le coût du procès-verbal de constat établi le 27 mai 2021 par la SCP Aubert ;



Condamne la SASU Valgo à payer à la SAS Recyclage de l'Epine la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





La greffière, La présidente,

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