18 avril 2024
Cour d'appel de Rennes
RG n° 23/04395

7ème Ch Prud'homale

Texte de la décision

7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°122/2024



N° RG 23/04395 - N° Portalis DBVL-V-B7H-T6QK













S.A.S. TIMAB MAGNESIUM



C/



M. [R] [Z]





















Copie certifiée conforme délivrée

le :18/04/2024



à : Me BOIVIN-GOSSELIN

Me CAMBON





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 18 AVRIL 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique du 20 Février 2024 devant Monsieur Bruno GUINET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial



ARRÊT :



Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats



****



APPELANTE :



S.A.S. TIMAB MAGNESIUM, SAS au capital de 67 989 069 € immatriculée au RCS de Saint-Malo sous le numéro 383 849 106 dont le siège social est [Adresse 4], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Emmanuel TURPIN de la SELEURL SELURL JURIS LABORIS, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-MALO

Représentée par Me Anne BOIVIN-GOSSELIN,Postulant, avocat au barreau de RENNES



INTIMÉ :



Monsieur [R] [Z]

né le 29 Avril 1980 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté par Me Cyril CAMBON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NARBONNE














EXPOSÉ DU LITIGE



Par contrat du 13 septembre 2011 à effet du 3 janvier 2012, M. [R] [Z] a été embauché en qualité de responsable activité magnésie Chine en contrat à durée indéterminée par la société Timab Distribution.



A compter du 1er septembre 2012, il a été expatrié pour six ans au sein du bureau de représentation en Chine appartenant au groupe Roullier. A cette date, son contrat de travail de droit français a été transféré à la société Timab Industries et suspendu, tandis qu'un contrat de droit local, soumis au droit chinois a été conclu avec la société Timab Beijing Co. Limited, lequel n'a été formalisé que le 1er septembre 2015.



Le 1er janvier 2017, son contrat de travail de droit français a été transféré à la SAS Timab Magnésium, il est demeuré suspendu et un nouveau contrat avec la société Timab Beijing Co. Limited, succédant à celui conclu le 1er septembre 2015, a été renouvelé successivement en 2018 et en 2021, à chaque fois pour une durée de trois ans.



Par avis en date du 6 janvier 2023, le Dr [K] [U], médecin du travail à [Localité 5] a déclaré M. [Z] inapte à son poste avec dispense de l'obligation de reclassement ("tout maintien dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé"), à l'issue d'une visite médicale par téléconsultation sollicitée par le salarié.



***



Contestant l'avis d'inaptitude du médecin du travail, la SAS Timab magnésium a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Saint-Malo par requête en date du 13 janvier 2023 suivant la procédure prévue aux articles L4624-7, R4624-45 et R1455-12 du code du travail, afin de voir:



- Dire que le contrat de travail de M. [Z] est suspendu depuis le 1er septembre 2012,

- Dire que le contrat de travail étant suspendu, il ne saurait y avoir lieu de se prononcer sur l'aptitude ou l'inaptitude du salarié à exercer un contrat de travail qui ne connait aucune exécution,

- Constater que le médecin de travail en agissant avec précipitation et sans respecter les dispositions de l'article R. 4624-42 du code du travail a entaché sa décision d'irrégularité.



En conséquence,

- Annuler la décision du médecin du travail constatant l'inaptitude du salarié.



A titre subsidiaire :

- Désigner tel médecin expert qu'il plaira afin d'éclairer le conseil de prud'hommes sur l'aptitude du salarié a exercer ses missions dans le cadre de la suspension du contrat de travail,

- Dire que les éléments médicaux seront communiqués au médecin désigné par l'employeur au médecin inspecteur.



En tout état de cause :

- Laisser aux parties la charge de leurs dépens.











Par ordonnance en date du 6 juillet 2023, le conseil de prud'hommes de Saint-Malo, statuant suivant la procédure accélérée au fond, a :

- Débouté M. [Z] de sa demande au titre de l'article 47 du code de procédure civile ;

- Débouté la SAS Timab magnésium de sa demande d'annulation de l'avis d'inaptitude rendu par le Dr [U], le 6 janvier 2023 ;

- Débouté la SAS Timab magnésium de l'ensemble de ses autres demandes;

- Condamné la SAS Timab magnésium à verser àM. [Z] la somme de

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SAS Timab magnésium aux entiers dépens de l'instance ;

Pour statuer ainsi, le conseil de prud'hommes a retenu que " seuls les éléments médicaux peuvent être contestés suivant la procédure accélérée au fond et non les questions de procédure. La demande portant principalement sur des questions de procédure (le médecin du travail devait-il émettre un avis sur un salarié basé à l'étranger dont le contrat de travail français était suspendu ' Le contrat de travail de droit chinois devait-il s'appliquer aux lieu et place du contrat de travail français '), le conseil déboute le demandeur dans le cadre d'une procédure accélérée au fond. "



***

La SAS Timab magnésium a interjeté appel par déclaration au greffe en date du 18 juillet 2023.



En l'état de ses dernières conclusions n°4 transmises par son conseil sur le RPVA le 19 février 2024, la SAS Timab magnésium demande à la cour d'appel de :



- Infirmer l'ordonnance rendue par le conseil de prud'hommes de Saint-Malo le 6 juillet 2023, en ce qu'elle :

- Déboute la SAS Timab magnésium de sa demande d'annulation de l'avis d'inaptitude rendu par le Dr [U], le 6 janvier 2023 ;

- Déboute la SAS Timab magnésium de l'ensemble de ses autres demandes aux fins de :

A titre principal,

o juger que la loi applicable est la loi chinoise ;

o annuler l'avis d'inaptitude redu par le Dr [U] le 6 janvier 2023

A titre subsidiaire,

o juger que les éléments sur lesquels le médecin du travail s'est fondé ne permettaient pas de conclure à l'inaptitude de M. [Z] ;

o annuler l'avis d'inaptitude redu par le Dr [U] le 6 janvier 2023

A titre plus subsidiaire,

o désigner le médecin inspecteur qu'il plaira à la juridiction aux fins de donner son avis sur l'aptitude du salarié à exercer ses missions avec communication des éléments médicaux au médecin qui sera désigné par l'employeur;

- Condamne la SAS Timab magnésium à verser à M. [Z] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne la SAS Timab magnésium aux entiers dépens de l'instance ;



Statuant à nouveau

A titre principal :

- Dire et juger que la loi applicable à la relation de travail est actuellement la loi chinoise ;

- Annuler en conséquence l'avis d'inaptitude rendu par le Dr [U] le 6 janvier 2023 ;



A titre subsidiaire :

- Dire et juger que les éléments sur lesquels s'est basé le Dr [U] ne permettaient pas de conclure à l'inaptitude de M. [Z] ;

- Annuler en conséquence l'avis d'inaptitude rendu par le Dr [U] le 6 janvier 2023 ;



A titre infiniment subsidiaire :

- Désigner le médecin inspecteur du travail compétent ou tout autre médecin qu'il lui plaira afin d'éclairer le conseil de prud'hommes sur l'aptitude du salarié à exercer ses missions ;

- Dire que les éléments médicaux seront communiqués au médecin désigné par l'employeur et dont l'identité sera communiquée au médecin inspecteur du travail désigné par le conseil de prud'hommes ;



En tout état de cause :

- Laisser aux parties la charge de leurs dépens



En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 20 février 2024, M. [Z] demande à la cour d'appel de :



A titre principal :

- Infirmer l'ordonnance rendue par le conseil des prud'hommes de Saint-Malo le 6 juillet 2023 en ce qu'elle a jugé les demandes de la SAS Timab magnésium recevables ;

- En conséquence, juger les demandes de la SAS Timab magnésium irrecevables ;



A titre subsidiaire :

- Confirmer l'ordonnance rendue par le conseil des prud'hommes de Saint-Malo le 6 juillet 2023 en ce qu'elle a débouté la SAS Timab magnésium de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

En toutes hypothèses :

- Condamner la SAS Timab magnésium aux entiers dépens ainsi qu'à la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



***

Parallèlement, la société TIMAB Magnésium a licencié M. [Z] le 1er août 2023, après que M. [Z] a saisi le CPH de Saint Brieuc en résiliation judiciaire de son contrat de travail. Le salarié a contesté son licenciement devant la même juridiction. Les deux affaires sont fixées à l'audience du 16 mai 2024 devant le CPH de Saint Brieuc pour y être plaidées.



La présente affaire a été fixée à l'audience du 20 février 2024 à laquelle l'ordonnance de clôture du 30 janvier 2024 a été rabattue, les parties ayant exprimé leur accord sur ce point, les débats rouverts et clos à l'audience du même jour afin qu'elles échangent leurs conclusions déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture dans le respect du contradictoire.



Par ailleurs, la cour a invité la société Timab Magnésium à faire traduire en français les pièces qu'elle a produites exclusivement en anglais et en mandarin d'une part et à fournir, d'autre part toutes explications utiles sur le suivi médical des salariés expatriés au sein de la filiale Timab Beijing Co Limited, le tout sous quinze jours.



L'appelante a fait parvenir à la cour par RPVA le 1er mars 2024 une note en délibéré et 8 nouvelles pièces, comprenant la traduction par traducteur automatique.



L'intimé a adressé une note en réplique à la cour par RPVA le 11 mars 2024.



Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Pour obtenir la réformation de l'ordonnance, la société Timab Magnésium soutient que :



-c'est le règlement européen n°593/2008 du 17 juin 2008 qui, en matière de contrat de travail, permet de déterminer la loi applicable lorsqu'une situation présente des éléments d'extranéité ; en tout état de cause, la législation française, en ce comprises les règles relatives à la santé et à la sécurité au travail ne s'applique pas au personnel expatrié (à la différence du personnel en mission ou encore détaché) ;

-au cas présent, un contrat de droit local a été conclu et le contrat de droit français liant M. [Z] à son employeur a été suspendu par plusieurs avenant successifs, de sorte que les parties ont été dégagées de toutes les obligations découlant de ce contrat depuis le 1er septembre 2012, à l'exception de celles prévues à l'article L1231 - 15 du code du travail qui s'appliquent en cas de rupture du contrat de travail avec la filiale étrangère au sein de laquelle le contrat d'expatriation s'est exécuté ; les relations de travail sont donc soumises à la seule loi chinoise (article 20.1 du contrat, ses pièces n°2 et 5), l'application du code du travail français étant exclue, en ce comprises les dispositions relatives à l'inaptitude du salarié ;

-le droit français n'étant pas applicable aux relations contractuelles, le Dr [U], médecin du travail basé à [Localité 5], était donc incompétent pour se prononcer sur l'aptitude d'un salarié à exercer un contrat de travail de droit chinois, lequel comporte ses règles propres en matière de suivi de l'état de santé des salariés ;

-contrairement à ce que prétend M. [Z] il n'existe aucun lien de subordination avec la société Timab Magnésium ; ce lien ne se déduit ni des entretiens d'évaluation standardisés regroupés sous l'activité l'activité Timab Magnésium au sein du groupe Roullier qui regroupe des sociétés basées en France, au Brésil, aux Pays - Bas , en Chine, ni du fait que la société Timab Magnésium a affilié M. [Z] à la Caisse des français de l'étranger pour que ses droits à l'assurance maladie et retraite soient préservés, ni du fait qu'elle a licencié pour faute grave M. [Z] qui avait abandonné toutes ses fonctions à compter du 30 janvier 2023 ;

-conformément à ses obligations réglementaires locales, la société Timab Beijing adhère à un service de santé au travail par le biais d'un contrat annuel, service qui procède à une surveillance médicale annuelle très supérieure à celle à laquelle un médecin du travail français est tenu (analyses d'urine, contrôles de la vue et de la respiration, dépistage du cancer ou des troubles de la prostate, un contrôle des troubles diabétiques, un dépistage thoracique, un électrocardiogramme et un contrôle par échographie abdominale) ; M. [Z] a été invité à prendre rendez-vous avec le service de santé au travail en juillet 2022 ;

-le CPH de [Localité 5] même statuant suivant la procédure de l'article L4624-7 du code du travail, s'est fourvoyé en considérant que l'examen de la loi applicable relevait d'un problème de procédure et non de fond, qui échappait à sa compétence;

-subsidiairement, le médecin du travail a rendu son avis d'inaptitude alors que, en violation de l'article R4624 - 42, il n'a pas pu réaliser d'étude de poste puisque M. [Z] n'a aucun poste en France, ne s'est pas entretenu avec l'employeur (Timab Magnésium ou Timab Beijing Co. Limited) préalablement à sa décision, ni n'a pu ausculter M. [Z]; le médecin du travail a repris à son compte intégralement les dires de M. [Z], ce dont il découle que l'avis est de pure complaisance, étant relevé qu'au cours des 3 années précédentes, le salarié n'a jamais informé les sociétés Timab Beijing Co et Timab Magnésium de quelque difficulté médicale que ce soit;

-plus subsidiairement encore, si la cour devait s'estimer insuffisamment informée sur l'inaptitude, elle désignera un médecin inspecteur régional du travail pour l'éclairer.



M. [Z] réplique que :



-les demandes de la société Timab Magnésium sont irrecevables : il n'est pas possible dans le cadre d'une procédure accélérée au fond de l'article L4624-7 du code du travail d'examiner les contestations sans lien avec l'état de santé ; le CPH de [Localité 5] a jugé à bon droit qu'il était incompétent pour connaître de l'exécution du contrat de travail et de la loi qui y est applicable ;

-devant la cour, la société a changé le dispositif de ses conclusions en sollicitant subsidiairement la désignation d'un médecin inspecteur régional du travail, alors qu'elle l'a depuis licencié pour faute, de sorte qu'elle n'a plus aucun intérêt à agir sur le fondement de l'inaptitude ;

-la société Timab Magnésium est le véritable employeur de M. [Z], qui exerce une autorité effective sur lui comme en témoignent :

>l'échange de courriels avec des responsables de la société Timab Magnésium (MM. [M], [F], [S], [L], [X], [E] - dont aucun ne travaille en Chine) pour l'entretien annuel d'évaluation de janvier 2023,

>le fait que la société Timab Magnésium ait mentionné qu'elle est l'employeur de M. [Z] sur l'attestation pour l'indemnisation du congé paternité et d'accueil de l'enfant pour la Caisse des français à l'étranger,

>le versement d'une partie de sa rémunération en France (15.000 € nets annuels selon le contrat signé le 13 septembre 2011),

>les relevés de carrière CARSAT, qui confirment le paiement des cotisations sociales par la société Timab Magnésium à compter de l'année 2012 ;

-lorsqu'il n'a pu retourner en Chine durant 5 mois (mai - octobre 2022) pour cause de Covid, il a travaillé pour la société Timab Magnésium qui n'a pas considéré son contrat de travail comme suspendu.



Sur les pouvoirs du conseil de prud'hommes saisi dans le cadre de la procédure accélérée au fond :



Le dernier alinéa de l'article R1455-12 du code du travail prévoit que " la formation du conseil de prud'hommes amenée à statuer selon la procédure accélérée au fond est, sauf disposition contraire, composée et organisée dans les conditions définies aux articles R1455-1 et R1455-4 ".



C'est donc la formation des référés, et elle seule, qui est compétente pour connaître de ces litiges.



Pour autant, la formation de référé statuant selon la procédure accélérée au fond exerce les pouvoirs dont dispose la juridiction au fond et statue par ordonnance ayant l'autorité de chose jugée relativement aux contestations qu'elle tranche.



Dès lors, le conseil de prud'hommes se devait d'examiner la question de loi applicable au contrat.



















Sur le fond :



Le règlement européen n°593/2008 du 17 juin 2008 (encore appelé règlement Rome I) dispose, en son article 8, intitulé "Contrats individuels de travail " :

" 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.

2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n'est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'établissement qui a embauché le travailleur.

4. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s'applique. "



Interprétant le mécanisme mis en place par cet article et sa portée, la Cour de justice de l'Union européenne :



-a d'abord dit pour droit (CJUE 12 septembre 2013, Scheckler, C-64/12) que s'il appartient aux juges nationaux,

>dans un premier temps, de déterminer la loi applicable en application du critère du lieu d'accomplissement habituel du travail et à défaut du critère du lieu où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur,

>dans un second temps, ces juges doivent écarter la loi d'accomplissement du travail lorsque le contrat de travail est relié de façon plus étroite à un État autre que celui de l'accomplissement habituel du travail.



-a ensuite dit pour droit (CJUE 15 octobre 2021, n° C-152/20, DG, EH c/ SC Gruber Logistics SRL et CJUE 15 juillet 2021, n° C-218/20, Sindicatul Lucratorilor din Transporturi TD c/ Samidani Trans SRL) que " l'application correcte de l'article 8 du règlement Rome 1 implique [...],

> dans un premier temps, que la juridiction nationale identifie la loi qui aurait été applicable en l'absence de choix et détermine, selon celle-ci, les règles auxquelles il ne peut être dérogé par accord et,

> dans un second temps, que cette juridiction compare le niveau de protection dont bénéficie le travailleur en vertu de ces règles avec celui qui est prévu par la loi choisie par les parties. Si le niveau prévu par lesdites règles assure une meilleure protection, il y a lieu d'appliquer ces mêmes règles "



Dans un cas où le juge avait retenu l'application de la loi française non en tant que loi du lieu d'exécution habituelle mais en tant que loi présentant des liens étroits avec la situation (au sens de l'article 8 §4), la cour de cassation a jugé qu'il appartenait au juge " de rechercher, après avoir retenu, pour déterminer la loi qui aurait été applicable à défaut de choix, l'existence de liens plus étroits avec la France, si les dispositions impératives de la loi française relatives aux contrats à durée déterminée et au licenciement sont plus protectrices que celles des lois choisies par les parties dans les contrats de travail " (en ce sens, Cass. Soc. 23 juin 2021, n° 20-10.969, rendu au visa de l'article 8 du règlement n°593/2008).





Ainsi, le choix par les parties de la loi applicable au contrat de travail ne peut avoir pour effet de priver le salarié de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix et ces dispositions impératives sont celles auxquelles cette loi ne permet pas de déroger par contrat.



Le caractère combinatoire de la règle de conflit de lois a ceci de particulier que, pour assurer la protection du travailleur, elle invite le juge à procéder à une application distributive entre la loi choisie par les parties et celle qui aurait été applicable à défaut de choix [la loi objectivement applicable].



Il apparaît ainsi clairement que l'autonomie de la volonté ne produit que des effets limités : la loi choisie ne s'applique que si elle ne prive pas le travailleur de la protection que lui offre la loi qui présente des liens étroits avec la situation, la loi objectivement applicable. Autrement dit, la loi choisie ne peut jouer qu'en faveur du travailleur (Comm. sous les arrêts de la CJUE des 15 juillet et 15 octobre 2021 sus-cités, F. Jault-Seseke, Revue de droit du travail 2021, p.667).



Pour déterminer :



>l'existence de liens plus étroits, doivent être pris en considération l'ensemble des éléments qui caractérisent la relation de travail. Le nombre des circonstances pertinentes ne permet pas en soi de caractériser de tels liens. Sont ainsi des éléments significatifs de rattachement, le pays où le salarié s'acquitte de ses impôts et des taxes afférentes à ses activités, le pays d'affiliation à la sécurité sociale et aux divers régimes de retraite, d'assurance et d'invalidité, ainsi que les éléments se rapportant à l'affaire tels que les paramètres liés à la fixation du salaire et des autres conditions de travail. L'existence d'un lien plus étroit entre le contrat et un autre pays qu'avec le pays d'accomplissement habituel du travail doit ressortir de manière évidente de l'ensemble des circonstances de l'espèce. ( en ce sens, Soc., 13 octobre 2016, pourvoi n 15-16.872, Bull. 2016, V, n° 188) ;



> le caractère plus favorable d'une loi, il faut procéder à une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause ; par conséquent, les juges du fond qui, nonobstant le choix d'un droit étranger, font application de dispositions impératives de droit français, doivent justifier du caractère plus protecteur de ces dispositions.



En l'espèce,



-il résulte des contrats de travail signés entre M. [R] [Z] et la société Timab Beijing Commercial Co. Ltd les 1er septembre 2015 et 1er septembre 2018 que les parties ont convenu que leurs relations sont régies par le droit chinois, tandis que les contrats de travail liant le salarié aux sociétés Timab Industries puis Timab Magnésium ont été suspendus.



-les différents éléments que M. [Z] verse aux débats, à savoir :



>les comptes-rendus d'entretien annuel d'évaluation de 2018 (Annual Performance Review et Professionnal Review) qui sont réalisés par M. [B] [F], reviewer, à l'en-tête de la SAS Timab Magnesium, dont le siège est à [Localité 3] (35) ;



>les échanges de courriels avec des responsables de la société Timab Magnésium (MM. [M], [F], [S], [L], [X], [E] - dont aucun ne travaille en Chine) pour l'entretien annuel d'évaluation de janvier 2023 ;





>la mention par la société Timab Magnésium, sur l'attestation pour l'indemnisation du congé paternité et d'accueil de l'enfant pour la Caisse des français à l'étranger, qu'elle est l'employeur de M. [Z] ;

>le versement d'une partie de la rémunération de M. [Z] en France (15.000 € nets annuels de prime selon le contrat signé le 13 septembre 2011, outre le versement d'un salaire mensuel en France en euros de 1.666,67 euros par mois soit 20.000,04 euros en 2022),

>les relevés de carrière CARSAT, qui confirment le paiement des cotisations sociales par la société Timab Magnésium à compter de l'année 2012 ;



>sa présence en France durant 5 mois (mai - octobre 2022) pour cause de Covid en Chine, période durant laquelle il a travaillé pour la société Timab Magnésium qui n'a pas considéré son contrat de travail comme suspendu, établissent que les contrats de travail de M. [Z] ont des liens plus étroits avec la France qu'avec la Chine.



Il reste à déterminer si les dispositions du droit français en matière de suivi médical des salariés (articles L 4624-1 et suivants du code du travail) constituent des dispositions impératives auxquelles il n'est pas possible de déroger et à vérifier si ces dispositions ont un caractère plus protecteur ou non par rapport à la loi choisie dans les contrats de travail entre M. [Z] et la société Timab Beijing Commercial.



Si, à la demande de la cour, la société Timab Magnésium a fourni en cours de délibéré des éléments relatifs au suivi médical des salariés en République Populaire de Chine, M. [Z] n'a pas conclu sur ce point.



Il convient donc d'ordonner la réouverture des débats.



Les dépens seront réservés.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant contradictoirement, par arrêt avant dire droit,



Ordonne la réouverture des débats,



Invite les parties à conclure :



-sur la question de savoir si les dispositions du droit français en matière de suivi médical des salariés constituent des dispositions impératives auxquelles il n'est pas possible de déroger ;



-sur la question du caractère plus protecteur ou non des dispositions impératives de la loi française relatives aux contrats signés entre la société Timab Beijing Commercial et M. [R] [Z] par rapport à la loi chinoise choisie dans lesdits contrats ;



Renvoie la cause et les parties à l'audience de la cour du 10 septembre 2024 à 14 heures ;



Dit que le présent arrêt vaut convocation des parties pour ce terme ;



Réserve les dépens.



Le Greffier Le Président

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